Arnaud BLIN, Grenoble, France, August 1996
Pour l’établissement d’une démocratie économique
Fred Rose, de l’université Tufts à Boston, spécialiste de la reconversion des industries d’armement, propose un plan ambitieux de restructuration de l’économie américaine. Au départ, Rose perçoit la conversion aux États-Unis comme une lutte de pouvoir où la nature des rapports des forces, pour et contre la conversion, détermine la rapidité - et la réussite - de la transformation de l’économie de guerre en une économie de la paix.
Fred Rose avoue avoir perdu la première bataille. Pourtant, il y a quelques années, les conditions semblaient favorables à la mise en place d’une politique de conversion d’envergure. La fin de la guerre froide représentait une opportunité unique pour opérer des transformations fondamentales de l’économie et de l’industrie. Pour la première fois, un président, Bill Clinton, se déclarait ouvertement favorable à la conversion des industries de l’armement.
Toutefois, Fred Rose, comme la plupart de ceux qui appuyaient l’effort de conversion, reconnaît n’avoir pas bien évalué la nature et la force de l’adversaire qui allait faire obstacle aux tentatives de réforme de l’industrie américaine. Cet adversaire coriace, le complexe militaro-industriel, possède des stratèges avisés sur les bancs du congrès américain qui, au sein de la majorité conservatrice, peuvent contrer efficacement l’action de la maison blanche. C’est ainsi qu’ils ont pu freiner la chute des dépenses militaires, inventer de nouvelles missions militaires, faire dévier les programmes de reconversion ou exploiter des projets de reconversion à des fins militaires.
Le plus inquiétant n’est pas la faiblesse des politiciens qui ont dû faire face à la poussée conservatrice mais la capitulation massive de la population américaine qui n’a pas réagi face au complexe militaro-industriel.
Comment s’explique cet échec? Par le fait que les forces prônant la conversion étaient moins bien organisées que leurs adversaires.
Comment réagir? En s’organisant au niveau national pour établir une base politique aussi puissante que celle de l’adversaire.
Avec quel objectif ? Par la création d’un processus démocratique capable de revigorer l’économie américaine. La démocratie économique implique l’accès pour tous à un bon travail et à un niveau de vie correct. La démocratie économique est aussi fondamentale que la démocratie politique. Pour l’atteindre, un effort doit être entrepris pour que les organisations syndicales et celles prônant la paix, la justice sociale et la défense de l’environnement s’unissent.
C’est dans ce contexte global que doivent être abordés les problèmes liés à la conversion car la conversion implique que les collectivités et les travailleurs possèdent la maîtrise des ressources militaires.
Pour établir une coalition pour la démocratie économique, Fred Rose envisage les quatre étapes suivantes :
* Les activistes dans le domaine de la conversion doivent se concerter afin de redéfinir la problématique de la conversion en termes de démocratie économique. A l’heure actuelle, cette problématique est trop étroite pour mobiliser une majorité de la population.
* Les activistes de la conversion organiseront ensuite un forum, ouvert à tous, afin d’établir les principes de la démocratie économique et afin de rédiger un projet de loi sur les droits économiques du citoyen (economic bill of rights).
* Les activistes de la conversion mèneront avec d’autres groupes des campagnes politiques dans chaque État pour promouvoir l’idée de la démocratie économique.
* Sur les bases mises en place au niveau des États, les activistes de la conversion et leurs alliés établiront leur action à l’échelle nationale.
Commentary
Fred Rose effectue le même constat que ses collègues sur l’évolution un peu décevante par rapport à l’expectative, de la conversion aux États-Unis. Son plan de restructuration est ambitieux et réclame des moyens importants. La transformation qu’il voudrait voir opérer à la société américaine va bien au-delà des seules considérations liées à la reconversion des industries de l’armement ou à la conversion de l’économie américaine vers une économie de paix. En ce sens, la position de Rose va à l’encontre de celles des responsables syndicaux qui ont une vision plus restreinte, et plus pragmatique aussi, de l’avenir de la conversion - et qui, il faut le reconnaître, obtiennent des résultats tangibles sans être découragés par les nombreux obstacles. Néanmoins, les différentes approches peuvent se compléter même si elles mettent en relief le fossé qui sépare souvent le monde académique du monde du travail dans un pays très fragmenté sur le plan intellectuel et professionnel.
Mais, dans une Amérique qui voit le niveau de vie des classes moyennes baisser régulièrement depuis quelques années et la marginalisation croissante d’une importante portion de la population, il est peut-être temps de repenser la démocratie pour y inclure des droits non seulement politiques mais aussi économiques.
D’un point de vue personnel, depuis la parution de son appel il y a quelques mois, Fred Rose a pris ses distances par rapport aux problèmes liés à la reconversion des industries d’armements qui, selon lui, intéressent surtout les grandes décisions politiques au détriment des besoins réels de la société. Comment combler ce fossé qui sépare les politiciens de Washington de la population américaine? Fred Rose avoue ne pas avoir encore trouvé la solution.