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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, décembre 1996

Tentative d’instauration d’un code de conduite pour le transfert des armes classiques depuis les Etats-Unis

Mots clefs : Conversion de l'économie de guerre à l'économie de paix | Reconvertir les armements | Etats-Unis

La reconversion des industries d’armement dépend en partie de la bonne volonté des dirigeants des entreprises de défense. Pour l’heure, les industriels de l’armement américain sont réticents et préfèrent employer leur énergie à conquérir les marchés internationaux, qu’ils dominent actuellement même si d’autres pays, en particulier la Russie, opèrent aujourd’hui une percée spectaculaire. L’administration Clinton, qui au départ donnait l’illusion qu’elle allait s’investir dans le processus de reconversion, a en réalité choisi une autre direction, encourageant la fusion entre les géants industriels de la défense et subventionnant leur assaut des marchés d’exportation d’armement. Certaines voix se sont élevées contre cette politique, notamment à la Chambre des représentants et au Sénat américains où, depuis trois ans, quelques « congressmen » décidés tentent de faire passer un « code de conduite pour le transfert d’armements » (Code of Conduct on Arms Transfer) destiné à limiter les exportations d’armes à partir des États-Unis.

C’est en 1994 que le sénateur républicain (Oregon) Mark Hatfield et la représentante démocrate (Géorgie) à la Chambre Cynthia Mc Kinney introduisent pour la première fois l’idée d’un code de conduite pour le transfert des armements. Grâce à une campagne efficace, Hatfield et Mc Kinney obtiennent le soutien de 109 « co-sponsors » au Sénat et à la Chambre, suffisamment pour que le projet ne soit par enterré, pas assez pour obtenir une audience, un débat et un vote. Avec un meilleur appui au Congrès, Hatfield et Mc Kinney réintroduisent le projet (1er février 1995) sous le nom officiel de « Code of Conduct on Arms Transfer Act of 1995 ». Plus de 400 organismes soutiennent le projet, y compris de nombreuses associations de promotion de la paix, divers instituts prônant la reconversion des industries d’armement, des associations caritatives et des églises. Le projet est également soutenu par une cinquantaine d’organismes étrangers.

Au printemps 1995, les premières audiences ont lieu au Congrès. Des spécialistes, comme Lora Lumpe, de la Fédération des scientifiques américains (Federation of American Scientists) viennent défendre le projet. Lora Lumpe tente de démontrer dans son exposé comment les contribuables subventionnent l’exportation d’armement et de quelle manière cela nuit à l’économie américaine. Le 24 mai 1995, le projet est mis au scrutin, pour la première fois, devant la Chambre des représentants comme amendement à l’« American Overseas Interests Act ». Le vote est négatif : 157 voix pour, 262 voix contre.

Pourtant, les partisans du code de conduite ne baissent pas les bras. En 1996, les sénateurs Hatfield et Byron Dorgan (démocrate, Nord Dakota) présentent le code de conduite comme amendement au « Fiscal Year 1997 Foreign Operations Appropriations Bill. » Pour la première fois en vingt ans - la dernière loi sur le transfert des armes date de 1976 - le Sénat a la possibilité d’intervenir dans le marché d’exportation d’armes des États-Unis, et donc d’affecter l’avenir de l’industrie d’armement. Les « co-sponsors » du projet de loi comprennent des figures du Sénat américain, comme Ted Kennedy, Dianne Feinstein, Paul Simon ou Daniel Inouye. Le projet de loi proposé au Sénat est beaucoup plus strict que la loi de 1976 qui interdit l’exportation d’armes aux pays violant de manière flagrante et régulière les droits de l’homme - loi dont l’interprétation est très « souple » ! Il définit un certain nombre de critères qui déterminent l’éligibilité des pays clients :

1) Le gouvernement doit promouvoirla démocratie, c’est à dire qu’il a été choisi, permet un vote libre et équitable et qu’il promeut le contrôle civil des forces armées, le respect des droits individuels et des minorités, et les institutions destinées à renforcer le processus démocratique.

2) Le gouvernement doit respecter les droits de l’homme. Il ne doit pas violer les règles internationales sur les droits de l’homme. Il doit punir les responsables de violations des droits de l’homme. Il doit permettre aux organisations humanitaires l’accès régulier aux prisonniers politiques. Il doit promouvoir l’indépendance du système judiciaire et ne doit pas empêcher l’action d’organismes humanitaires dans les situations de guerre ou de famine.

3) Le gouvernement ne doit pas être engagé dans des actes d’agressions en violation du droit international.

4) Le gouvernement doit participer à l’établissement du Registre des armes classiques des Nations Unies.

Selon le code de conduite, les pays qui ne remplissent pas ces critères pourraient tout de même importer des armes des États-Unis, mais seulement avec un dérogation signée par le Congrès américain ou suivant la déclaration d’un État d’urgence par le président des États-Unis. La liste des pays non-éligibles serait établie chaque année par la Maison Blanche.

C’est le 25 juillet (1996) que le vote a lieu au Sénat. Les partisans du code de conduite espèrent que le soutien de base qu’ils ont réussi à obtenir pourra influencer certains sénateurs réticents au projet et les pousser à voter en faveur de l’amendement. Cela ne sera pas le cas et, comme à la Chambre des représentants l’année précédente, le projet de loi est anéanti aux urnes : 35 sénateurs votent en faveur du projet (32 démocrates, 3 républicains), 65 votent contre l’amendement (50 républicains, 15 démocrates). Les arguments contre s’articulent principalement autour de deux thèmes : la peur de ne pouvoir acheminer des armes librement en Arabie Saoudite et au Koweit, et la crainte de trop restreindre la politique étrangère de la Maison Blanche. Certains sénateurs sont également réservés devant la perspective d’une chute de l’emploi dans le secteur de la défense - mais Dianne Feinstein, sénateur de Californie, État où l’industrie de la défense est la plus présente, vote en faveur du code de conduite. Néanmoins, les partisans du code de conduite ont promis à l’issue du vote qu’ils réintroduiraient le projet en 1997.

Commentaire

L’idée d’un code de conduite sur le transfert d’armements est dans l’air du temps. La Roumanie avait introduit un projet similaire aux Nations-Unies en 1994 et l’ancien président du Costa Rica et prix Nobel de la paix Oscar Arias milite actuellement pour un tel projet, baptisé « projet 2000 ». Effectivement, le tournant du siècle devrait voir de tels projets mis à exécution même si aujourd’hui l’idée est un peu trop nouvelle pour certains. Les conservateurs du 104e Congrès américain ont empêché qu’un code de conduite soit mis en place mais ils n’ont pas tué l’idée, qui a toujours un fort soutien de base. Malgré le départ de Mark Hatfield du Sénat, d’autres reprennent le flambeau et probablement devront-ils modifier la structure de leur projet s’ils veulent aboutir la prochaine fois à un résultat positif.

Il demeure qu’aujourd’hui, les industries d’armement, soutenues par la Maison Blanche, continuent leurs campagnes de conquêtes des marchés internationaux, marchés qui ne cessent de rétrécir et qui sont de plus en plus compétitifs. La stratégie des industriels, et celle de la Maison Blanche, freine le processus de reconversion, processus qui semble pourtant inévitable. Pourtant, des voix de plus en plus fortes s’élèvent contre l’exportation d’armes à n’importe quelles conditions et l’action de certains groupes parvient parfois à freiner les transactions entre les États-Unis et des pays ayant un bilan douteux en matière de droits de l’homme.