José Pablo Batista, Guatemala, janvier 2005
Le dynamisme des mouvements religieux pentecôtistes, conservateurs, libéraux et réformistes, investis dans la transformation de sociétés en situation de transition : un facteur pouvant favoriser le « choc des cultures » ?
La diversité d’origines sociales des nouveaux pentecôtistes, la complexité de situations dans lesquelles ils vivent, sont en train de produire une démarche de diversification et de radicalisation. Le mouvement est utilisé comme un outil, comme un instrument d’action sociale efficace. Dans des pays traversant des situations sociales, politiques, économiques difficiles, les communautés pentecôtistes se multiplient et leurs fonctions se diversifient. Partant de principes religieux ces communautés développent un éventail d’activités nouvelles touchant des domaines divers tels que la politique, l’économie ou l’environnement.
La catégorie des « pentecôtistes » rassemble un grand nombre d’expériences religieuses, très différentes les unes des autres, qui se sont développées au long du XXe siècle. Cependant, un trait commun peut s’établir sur le fait que tous les pentecôtistes considèrent que l’action de l’Esprit saint est à l’œuvre dans le monde d’aujourd’hui. L’histoire de l’humanité est divisée en trois époques. Celle de l’Ancien Testament correspond à Dieu le Père, celle du Nouveau Testament à Dieu le Fils, l’époque actuelle à Dieu l’Esprit.
Ce pentecôtisme est né avec le XXe siècle. En 1900, au Kansas, aux États-Unis. Un petit mouvement de chrétiens s’est mis à « accueillir les dons de l’Esprit Saint » dont parle le Nouveau Testament. Quelques-uns d’entre eux parlaient en langues inconnues, d’autres prédisaient l’avenir, d’autres guérissaient des malades, etc.
Le pentecôtisme a commencé à s’étendre d’abord aux États-Unis parmi la population noire et latino-américaine, notamment en Californie. Ensuite, il a commencé à pénétrer l’Europe via la Grande-Bretagne et l’Allemagne. À la fin du XXe siècle, il s’est largement propagé en Amérique latine. À l’aube du XXIe siècle, il est présent du Mexique jusqu’en Argentine, en passant par ses foyers les plus importants : le Guatemala, la Colombie, le Brésil et le Chili.
Le pentecôtisme, à l’origine protestant, a pris aussi une expression et une voie catholique grâce au mouvement catholique du « renouveau charismatique ». Inquiets de constater un mouvement important de conversion de nombreux catholiques vers le pentecôtisme protestant, les autorités catholiques ont favorisé le développement de communautés charismatiques, notamment parmi les chrétiens latino-américains, à los Angeles comme à Sao Paulo, au Guatemala comme à Santiago, à Medellin comme à Miami.
Des nombreuses réflexions sur le rôle social du pentecôtisme ont été publiées. La plupart affirment qu’il s’agit d’un mouvement avec des intérêts politiques précis. Faisant une lecture particulière de la Bible et utilisant des techniques de manipulation de masse, les dirigeants pentecôtistes et ceux qui les soutiennent, cherchent à former des citoyens passifs qui, au nom de leur foi, vont abandonner toute référence politique et accepter, sans aucun regard critique, un mouvement de « nouvelle colonisation » à trois volets :
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Le remplacement de leur culture locale par la culture de l’occident, notamment des États-Unis.
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Le libéralisme économique et le système de marché comme seul voie économique possible.
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La professionnalisation des dirigeants politiques en dépit de la participation citoyenne au pouvoir.
D’une part, il est vrai qu’au niveau global, le pentecôtisme et le renouveau charismatique n’ont qu’un rôle d’influence très limité : les divisions entre catholiques et protestants mais, surtout, leurs divisions internes, produisent une absence d’unité et d’organisation empêchant l’émergence d’un projet commun.
D’autre part, au niveau local, ce mouvement commence à produire des conséquences intéressantes. Dans des pays traversant des situations sociales, politiques, économiques difficiles, les communautés pentecôtistes se multiplient et leurs fonctions se diversifient. Partant de principes religieux, ces communautés développent un éventail d’activités nouvelles touchant d’autres domaines de la vie sociale des croyants. Elles soutiennent la naissance de coopératives de production, elles deviennent des lieux de formation de leaders sociaux, elles agissent aussi en petits groupes politiques qui prennent le pouvoir local, elles donnent naissance à des ONG travaillant dans le domaine économique, social, environnemental, etc.
La diversité d’origines sociales des nouveaux pentecôtistes, la complexité des situations dans lesquelles ils vivent, sont en train de produire une démarche inespérée de diversification. Ce n’est pas la voie unique du conservatisme qui s’impose. Le mouvement est aussi utilisé comme un outil, comme un instrument d’action sociale efficace. Nombreux sont les leaders religieux qui utilisent le pentecôtisme, ses techniques, son organisation, ses méthodes, en écartant ses contenus, en vue de faire émerger des groupes et des mouvements actifs dans les domaines économique, politique ou religieux.
Le mouvement pentecôtiste, du côté protestant, et charismatique, du côté catholique, est actuellement traversé par trois tendances politiques divergentes :
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Les conservateurs, fidèles aux intentions des premiers dirigeants du mouvement, favorisent le respect des autorités politiques en place, le non-engagement citoyen des croyants et la reproduction du système en vigueur.
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Les libéraux, axés sur les principes philosophiques du libéralisme classique, favorisent le développement de l’économie du marché, tout en profitant du système pour produire leur succès économique.
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Les réformateurs, issus en grande partie des couches moyennes de populations en situation de difficulté, à partir de principes religieux et grâce à des organisations confessionnelles, mettent en place des dynamiques sociales et politiques de réforme, sans que pour autant qu’ils se considèrent des réformateurs.
À l’aube du XXIe siècle, le mouvement pentecôtiste continue à se développer de façon importante. Surtout en Amérique latine mais aussi dans les pays de l’ex-Union soviétique, en Afrique noire, dans les pays latins de l’Europe. Il s’agit d’une réorganisation du christianisme mobilisant des millions de chrétiens avec lequel il faudra compter. Notamment si, dans un contexte géopolitique où les identités culturelles sont utilisées pour la mobilisation de groupes, les différents mouvements religieux se tournent vers le fondamentalisme en utilisant leurs croyances pour se placer, non pas dans une démarche de construction de liens, mais d’élaboration d’ennemis sacrés.
Commentaire
Dans un contexte de retour des identités culturelles et religieuses, ce phénomène ne pourrait-il pas favoriser le regroupement identitaire sous la bannière du christianisme, face à d’autres regroupements identitaires faisant aussi appel à leur appartenance religieuse ?