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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : L’intervention Civile de Paix

Grégory Lassale, Paris, octobre 2006

Guatemala : accompagnement international des consultations communautaires

Exemple d’une mission d’accompagnement auprès des populations indigènes au Guatemala.

Mots clefs : Théorie de la non-violence | Dialogue social pour construire la paix | Consultation populaire | Respect des droits humains | Respect des droits des peuples | Organisation communautaire | Société Civile Locale | Défenseurs des droits de l'Homme | Citoyens guatémaltèques pour la paix | Organisation non-violente | Pratiquer le dialogue social pour maintenir la paix | Réformer les rapports sociaux pour préserver la paix | Favoriser l'intervention d'un tiers pour sauver la paix | Guatemala

I. La consulta communautaire de Sipakapa et ses implications

Il y a maintenant 1 an, la consultation communautaire de Sipakapa, San Marcos, avait montré une nouvelle forme de résistance à la dynamique d´exploitation du sous-sol guatémaltèque dans les zones indigènes. Le processus de "consulta" était un effort juridique et social pour contraindre le gouvernement à écouter la voix des premiers affectés par le projet d´exploitation minière Marlín (réalisé par Montana Exploradora S.A). La consulta se voulait un instrument légal faisant passer un message clair : les populations indigènes de Sipakapa sont contre l´exploitation minière sur leurs territoires. Ils la considèrent dangereuse au niveau environnemental et comme une marque évidente de la non prise en compte des droits indigènes à l´autodétermination.

Au jour d´aujourd´hui, et malgré une décision de la Cour constitutionnelle validant le processus de consulta réalisé, la Montana Exploradora exploite allègrement le sous-sol de Sipakapa et de San Miguel Ixtahuacan, et la consulta communautaire en tant que telle n´a pas valeur juridique.

Pourtant, le processus de consulta a eu le mérite de faire des petits. Au moment où le Congrès guatémaltèque discute une nouvelle proposition de loi (certes peu progressiste) sur les conditions légales de l´exploitation minière, les autorités locales représentant leurs populations s´organisent et travaillent à l´utilisation de leurs droits. Pour montrer à leur tour, aux entreprises et à l´Etat, qu´il n´est plus possible de prendre des décisions les affectant sans tenir compte de leurs droits souverains de décider de leur mode de développement.

Les 25 et 27 juillet, ce sont les populations de 5 communes de Huehuetenango (Concepción Huista, Santiago Chimaltenango, Todos Santos, Colotenango et San Juan Atitan) qui se sont prononcées contre l´exploitation minière sur leurs territoires. En tout, ce sont 28 519 personnes (respectivement : 4 971, 3 090, 6 634, 7 905 et 5 919 votes) qui ont participé au processus de consulta, avec un total de 99,83 % de « non » à l´activité minière. La démarche était collective car l´ensemble de ces 5 communes était affecté par une concession, la concession d´exploration LEXR-023-05 de 92 km², octroyée par le MEM (Ministère de l’Energie et des Mines) à l´entreprise Coyamining S.A afin qu´elle puisse y réaliser des activités d´exploration.

Le 29 août, c´était au tour de la commune de Santa Eulalia, en zone d’exploration, de convoquer sa population à une consulta. Sur 30 000 personnes vivant dans la commune, plus de 18 000 personnes y ont participé.

Il est intéressant de noter l´opacité du processus d´information de la part de l´Etat aux municipalités hébergeant des concessions. Dans les 2 cas, le nom de l´entreprise n´était pas indiqué dans la lettre de notification du MEM destinée aux conseils municipaux. Apparaissait seulement le nom de la personne juridique (respectivement une certaine Maria Isabel Farner de Obrist et un incertain Padre Antonio), ainsi que l´information selon laquelle ces gens allaient venir prochainement pour réaliser des activités d´exploration et qu´il fallait bien les accueillir.

II. Participation d’ACOGUATE et d´accompagnateurs français

ACOGUATE est la coordination terrain opérationnelle de la CAIG (Coordination de l’Accompagnement International). Depuis 2004, un programme dit « Court Terme » a été développé. Il vise à fournir un accompagnement à des organisations ou des activistes menacés du fait de leur travail dans la défense des droits de l´Homme.

De manière générale, le rôle de l’accompagnateur est de :

  • Dissuader : sa présence physique auprès de la personne accompagnée doit avoir un rôle dissuasif, et donc limiter les menaces à l’encontre de l’accompagné.

  • Documenter : il doit observer les éventuelles violations aux droits de l´Homme et les documenter (écrits et photos)

  • Divulguer : il doit permettre à la structure d´accompagnement de transmettre l´information au niveau national et international afin de dénoncer les éventuelles violations.

Courant juin, la coordination d´ACOGUATE a été sollicitée afin de participer au processus en tant qu´observateurs internationaux. Une équipe de 14 observateurs a été envoyée pour la 1ère consulta et 6 pour la 2ème, sur un total de 300 observateurs (nationaux surtout). L´observation, qui était coordonnée par des organisations de la société civile et un programme de l’USAC (Universidad de San Carlos de Guatemala), se voulait un appui technique, moral et juridique à la validation de la consulta. Concrètement, les observateurs étaient dispersés par deux dans les communautés avec la tâche de documenter le processus, le jour de la consulta.

Au sein d’ACOGUATE, la partie juridique de l´observation a généré un fort débat interne. D’une certaine façon, l´observation de la consulta impliquait implicitement sa validation juridique, ce qui va au-delà du mandat de la CAIG. Un consensus sur la volonté de participer a néanmoins été trouvé en raison de la violation évidente aux droits fondamentaux des populations indigènes à être consultées et au vu de l´inquiétante progression des menaces à l´encontre des activistes anti-mines.

III. Démarche de participation citoyenne

Le processus technique, social et légal de mise en place des consultas a correspondu à un gros effort conjoint des mairies, des populations et des organisations sociales. A la demande des populations elles-mêmes, un arrêté municipal a été émis dans chacune des communes convoquant à la consulta à travers l´utilisation du Code municipal guatémaltèque (loi de décentralisation) et de la Convention 169 de l’OIT (Convention signée par le Guatemala en 1996 et imposant aux Etats signataires d´informer et consulter les populations indigènes pouvant être affectées culturellement et socialement par un grand projet, du type exploitation minière). Mais la dimension la plus importante du processus est la consulta en elle-même, explique Rigoberto Juarez du Mouvement social pour la défense des ressources naturelles de Santa Eulalia : « Pour nous il s´agit de la première marque de participation des populations indigènes depuis la conquête espagnole. C´est un premier pas vers la prise de décision collective et d´autodétermination de nos peuples. »

Le jour de la consulta, les votants devaient s´inscrire sur des listes dans leurs différents cantons, et par la suite, les COCODES (Conseils de Développement Communautaires) et maires auxiliaires effectuaient la consulta en elle-même. Le président du COCODE posait la question suivante : « Etes-vous pour ou contre la concession minière LEXR... ou tout autre concession minière sur votre territoire ?  ». Les votants devaient se manifester à main levée et de vive voix. Dans le cas de Santa Eulalia, les enfants aussi étaient amenés à se prononcer, non dans le but de comptabiliser leurs votes, mais afin qu´ils apprennent à participer aux décisions affectant la communauté.

Des délégations ont été constituées afin d´aller à la capitale pour remettre les arrêtés municipaux validant les résultats au président du Congrès, au MEM et au PDH (Procureur des droits de l´Homme). Dans le cas de Santa Eulalia, il était étonnant d´observer le président de la Commission de réforme à la loi sur les mines et le vice-ministre du MEM contraints de signer les 78 actes rédigés par les COCODES, prouvant ainsi la bonne réception de la décision. Le tout, pendant qu´à l´extérieur du Congrès, dans la rue, plus de 300 Santa Eulalienses dansaient au son d’une marimba puis se mettaient à sauter et chanter : « Qui ne saute pas, est un mineur! » (“¡El que no brinca es un min-e-ro!!”).

IV. Les consultas communautaires ont-elles validités juridiques ou non ?

L´organisme chargé d´attribuer les concessions minières, le MEM, a eu une réponse décevante pour les différentes délégations venues remettre les résultats. Le vice-ministre, Jorge Garcia Chiu, a maintenu que ces consultas ne pouvaient avoir un caractère contraignant : « Vous avez le droit de vous consulter... ceci dit, en tant que MEM,nous devons faire appliquer la loi ; quand une entreprise remplit les critères nécessaires, nous avons le devoir de lui accorder la concession qu´elle souhaite... Nous ne pouvons pas annuler ces concessions avec les consultas et dans le cas où les propriétaires des terrains se mettent d´accord avec l´entreprise, celle-ci à tous les droits pour faire ses travaux d´exploration et ensuite demander une concession d´exploitation. »

Dans l´état actuel de la loi, en effet, ni le Code municipal octroyant le droit aux autorités locales de consulter ses populations, ni la Convention 169 de l’OIT, n´offrent une suite juridique aux décisions souveraines des communes. La limite de la Convention 169 de l’OIT réside dans le fait qu’en aucun cas une consulta ne peut avoir droit de veto sur le projet à impulser. Elle permet juste d´ouvrir une négociation entre les deux parties afin de limiter au maximum les effets négatifs sur les populations indigènes affectées. Cela dit, l´Etat guatémaltèque, ne joue pas son rôle de protecteur et d’informateur de ses populations indigènes. Il se désengage, laissant place à un conflit ouvert entre les entreprises et les populations.

Le réel défi des autorités locales, et des organisations sociales qui les soutiennent, est de faire pression afin que la consulta communautaire soit introduite dans la Constitution pour obliger l´Etat à consulter avant le commencement d´un projet.

V. Arrogance des autorités et fossé politique

Outre cette limite juridique, un autre obstacle réside dans l´absence flagrante de considération politique de la part des représentants de l´Etat guatémaltèque. Ainsi, le spectacle offert par le président du Congrès, Jorge Mendez, lors de la réception des pétitions des maires de Huehuetenango :

« - Vous êtes maire de quelle commune ?

  • Santiago Chimaltenango

  • … vous dîtes NON à l´activité minière… Donc vous dîtes Non à l´emploi

  • Quelles sont les autres communes ?  »

Aux paroles de Jorge Mendez, viennent s’ajouter celles du ministre du MEM, qui après avoir écouté silencieusement la présentation de Rigoberto Juarez de Santa Eulalia, a donné une conférence de presse où il a soutenu que ces populations étaient manipulées par des organisations écologistes comme Madre Selva (Collectif écologiste qui participe au renforcement des processus locaux et nationaux de conservation et de défense du patrimoine naturel).

Ces deux positions de représentants de l´Etat témoignent du fossé profond existant entre pouvoir central et pouvoir local, et de la persistance structurelle du racisme qui dénie totalement la capacité des populations indigènes à se prononcer sur des sujets les affectant et de choisir elles-mêmes leur forme de développement. Un discours que les acteurs locaux des consultas ont bien compris et qui vient renforcer leur volonté de développement autodéterminé.