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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de table ronde Atelier : Dialogue entre militaires et société civile.

Kligenthal, 27 juin 2007

L’enseignement de principes moraux et de comportement démocratique aux militaires : méthodes et structures présentes dans différentes forces armées européennes.

Modération : Colonel (cr) Frank Salis, Ancien porte-parole du Chef d’Etat-Major de l’Armée de terre et du Président du Comité Militaire de l’OTAN, Bonn. Intervenants : Lt Colonel Carl Mathias Wilke, Enseignant au Centre Innere Führung des Forces Fédérales Allemandes, Coblence ; Mons. Dr. Thomas Elßner, Aumônier militaire catholique des Forces Fédérales Allemandes, Coblence ; M. Hamadi Konte, Aumônier militaire musulman près de l’EAI et de l’ENSAM, Montpellier, aumôneries de l’Armée de terre française.

Mots clefs : Engagement de militaires pour la paix | Ethique et responsabilité des militaires | Culture militaire et paix

En tant qu’enseignants, la question se pose de savoir que voulons-nous faire passer comme message, comment voulons-nous éduquer nos soldats ? Quelle est la responsabilité des militaires en particulier dans les moments de guerre. Comment fonctionnent les soldats ?

Lt Colonel Wilke (Enseignant au Centre Innere Führung, Coblence)

  • Colonel Frank Salis : Colonel Wilke, comment les forces armées allemandes, après une guerre, une défaite morale, sont-elles parvenues à affronter un développement totalement nouveau ?

  • Colonel Wilke : Selon la conception des professionnels miliaires dans les forces armées allemandes les principales vertus d’un soldat sont :

    • La Discipline ;

    • La Discrétion ;

    • La Loyauté ;

    • La Responsabilité

    • La Camaraderie ;

    • Le Courage ;

    • La Sincérité ;

    • L’Obéissance ;

    • Le Sérieux.

Tout soldat y est tenu à tout moment et en toutes circonstances. Ces vertus permettent de répondre à la question de savoir COMMENT un soldat se bat?

Les valeurs qui maintiennent le soldat sur pied sont :

  • La Dignité humaine ;

  • La Liberté ;

  • La Démocratie ;

  • La Justice ;

  • L’Egalité.

Ces valeurs permettent, quant à elles, de répondre à la question de savoir POUQUOI un soldat se bat ? Dans d’autres sociétés, les valeurs pourront bien sûr être différentes, par exemple : Socialisme, Honneur, Religion, Tribu/Clan, Roi/Reine, Führer/Duce …

Une anecdote :

Un jour j’ai demandé à un soldat pour quelles valeurs il luttait. Il m’a répondu : « Je ne me bats pas pour des valeurs, mais pour l’argent. » Alors je lui ai demandé de prendre une pièce allemande d’un euro et de regarder les inscriptions dessus : « Unité – Loi – Liberté ».

Les soldats allemands prêtent serment de servir leur Nation avec courage et fidélité : « Je jure de servir la République Fédérale d’Allemagne avec fidélité et de défendre avec courage la loi et la liberté du peuple allemand ».

De même aux Etats-Unis : « Je jure solennellement que je soutiendrai et défendrai la Constitution des Etats-Unis contre tous les ennemies, étrangers ou intérieurs/nationaux ; que je lui manifesterai une fidélité et une allégeance véritables et que j’obéirai aux ordres du président des Etats-Unis ainsi qu’à ceux de mes officiers supérieurs, conformément aux règlements et au Code de la justice militaire. Alors, Dieu, aide moi. » L’hymne national énonce les valeurs et vertus que les soldats doivent défendre.

Histoire allemande : pourquoi avons-nous cette vision nouvelle ?

Le Général du IIIème Reich dans son dernier discours en 1946 a dit : « Je me suis trompé et je n’ai pas été capable d’éviter ce qui aurait pu être évité. Je suis coupable. » Puis, il a élevé deux virtues au rang de valeur en disant : « Je me suis battu pour l’obéissance et la liberté. »

L’obéissance militaire atteint ses limites là où le savoir, la conscience, la responsabilité interdisent d’obéir aux ordres.

En effet, le soldat est tenu d’obéir aux ordres de ses supérieurs mais il existe des exceptions : lorsqu’il se sent blessé dans sa dignité humaine, il a le droit de refuser d’exécuter l’ordre ; lorsqu’on lui demande de commettre un délit, il a non seulement le droit de refuser mais il a l’obligation de ne pas obéir.

A partir de 1950, les autorités politiques allemandes ont conçu une nouvelle vision du citoyen en uniforme :

  • Une personne libre et indépendante.

  • Un citoyen conscient de sa responsabilité envers la communauté.

  • Un soldat prêt à l’engagement.

Qu’entendons nous par « éthique » ?

  • Pourquoi un soldat se bat-il ?

  • Comment un soldat se bat-il ?

L’éthique permet de répondre à la question : « Qu’est ce qu’un soldat doit faire ? »

Selon Max Weber il existe deux formes d’éthique :

  • L’éthique de la conviction : met l’accent sur la motivation et donc sur l’origine de l’action. L’intention est ici plus importante que le résultat de l’action. Ex : « Je veux la paix, donc je ne prendrai pas d’arme dans mes mains ».

  • L’éthique de la responsabilité : met l’accent sur les conséquences de l’action. Le résultat de l’action est ici plus important que l’intention de départ. Ex : « Pour garantir la paix, je serai peut être amené à prendre une arme dans mes mains ».

Un soldat en uniforme n’est jamais parfait, mais il est possible de tendre vers cette perfection avec de l’exercice, des entraînements, de l’activité, en expliquant au soldat ce qu’il faut faire, en l’informant, en l’éduquant. Les soldats doivent être lucides ; il faut donc leur donner l’opportunité de penser librement.

Un Américain avait conçu un petit « exercice-test » sur la manière de prendre des décisions :

Selon lui dans chaque situation le soldat devait avant tout se poser 6 questions :

  • Légalité ;

  • Impératif de Kant ;

  • Filtre d’impartialité ;

  • Feu du public ;

  • Filtre d’utilité ;

  • Et la règle ultime : « Souhaiterais-tu que cela t’arrive à toi ? »

Ces 6 questions doivent permettre de prendre des décisions en respectant les valeurs précitées. Entraîner des personnes capables de décider par elles-mêmes est une responsabilité éthique.

Modérateur Frank Salis : Le soutien de la religion peut être très important quand les soldats se retrouvent confrontés à des situations extrêmement difficiles.

M. Hamadi Konte, Aumônier militaire musulman près de l’EAI et de l’ENSAM, Montpellier, aumôneries de l’Armée de terre française.

« Les musulmans au sein de l’armée française ».

La présence de soldats musulmans dans l’armée française date de plus d’un siècle.

La présence d’une aumônerie musulmane était en gestation au niveau du commandement de l’armée française depuis des années. Mais à chaque fois le projet était reporté pour des enjeux politico-militaires.

Durant la guerre de 1914-1918, 72 000 Algériens, 54 000 Tunisiens, 37 000 Marocains ont servi sur le front français et plus de 40 000 d’entre eux y ont laissé leur vie. 160 tirailleurs sénégalais ont également participé au conflit. Parmi les combattants du Maghreb il y avait aussi des musulmans d’Afrique noire.

Lors de cette guerre nous avons pu remarquer que ces populations étaient particulièrement attachées aux prescriptions coraniques, aussi bien sur le front que dans les casernes. L’armée française s’est toujours efforcée de respecter cette présence musulmane. Et il y eut une véritable reconnaissance de la présence de ces soldats pendant la guerre de 1914.

En 1949, une trentaine de régiments (d’Algérie, du Maroc, de Tunisie etc…) est entrée dans 12 divisions d’infanterie sur le territoire occidental. Il n’est pas possible de nier la force morale des musulmans au sein des troupes.

Le 22 octobre 1941 le Général, délégué Général de la France libre, signe un arrêté concernant les forces musulmanes présentes sur son territoire. Cet arrêté décide de l’affectation à chaque quartier de divisions d’un ministre des cultes catholiques et si la situation le justifie, d’un aumônier protestant, israélien ou musulman.

Jusqu’en 2002, il n’y avait pas d’organisation islamiste en France. Pourtant la réflexion à ce sujet à toujours été constante et permanente. Ce processus a conduit les politiques à prendre leurs responsabilités.

En 1999, M. Chevènement, alors ministre de l’Intérieur a initié la constitution d’un Conseil Français du Culte Musulman (CFCM).

Ce travail a été poursuivi par son successeur M. Daniel Vaillant et achevé par l’actuel président de la France, M. Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.

Et en 2003 le CFCM a été créé. Sa mission :

  • Être un lieu de débat ;

  • Régler la construction des mosquées ;

  • Organiser des fêtes religieuses ;

  • Former des Imams.

Le cadre est donc désormais posé de la désignation d’un aumônier musulman militaire.

Le 16 mars 2005 un arrêté, publié au JO le 18 mars, institue la création d’une aumônerie militaire musulmane. Ce fut un moment historique pour les musulmans de France. Entre cet arrêté et la nomination du premier aumônier, il s’est écoulé un an : un aumônier a été nommé le 8 juin 2006 et a pris ses fonctions le 20 juin de la même année. C’est donc très récent !

Sous le contrôle de mon Général, la France est divisée en 7 zones de défense. Nous sommes encore en gestation quant à la présence d’aumôneries militaires. Nous avons commencé par Paris (île de France), puis nous continuons vers le sud, le sud-est, l’est, le nord et l’ouest. Avec l’aumônier en chef nous sommes 11.

Notre objectif :

  • Arriver à 15 à la fin 2007

  • Arriver à 40 en 2011

Conclusion personnelle :

Mes premières rencontres au sein de l’armée me satisfont pleinement.

On est aumônier militaire, on est citoyen français, on aime la République et l’on défend ses valeurs. L’islam a sa place au sein de la République mais il faut que ceux qui professent l’islam aiment leur pays.

Nous sommes militaires toutefois, nous ne nous enfermons pas dans une logique de communautarisme. Nous ne voyons pas que des musulmans, mais l’ensemble des citoyens car notre mission est d’écouter, d’accompagner et d’éclairer.

Les experts religieux sont extrêmement importants pour pouvoir répondre à certaines questions fondamentales de soldats qui ignorent à combien de batailles ils survivront…

  • Mons. Dr. Thomas Elßner : certaines décisions posent en effet un problème éthique, car elle doivent être prises alors même qu’elles ne seront jamais « bonnes » étant donné la situation : il faut des gens capables d’agir et de décider dans ce genre de situations difficiles.