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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juin 2003

La communauté internationale et la question tibétaine

La question tibétaine stigmatise les conflits existant au sein des gouvernements entre leur nécessaire engagement politique et des intérêts plus matériels.

Mots clefs : L'opinion publique, facteur de paix | Médiation internationale pour la paix | Initiatives de coopération politique internationale pour la paix | Médiateur | Autorité politique | Gouvernement des Etats-Unis | ONU | Communauté Internationale | Union Européenne | Médias et paix | Dalai Lama | Gouvernement tibétain en exil | Commission européenne | Gouvernement indien | Gouvernement chinois | Nehru | Gouvernement du Népal | Gouvernement britannique | Utiliser la voie diplomatique pour gérer des conflits | Favoriser l'intervention d'un tiers pour sauver la paix | Agir à l'échelle internationale pour préserver la paix

Comme le dit lui même le Dalaï Lama, le monde n’est plus aujourd’hui qu’un tout petit espace au sein duquel le sort de tous les pays est lié. Cependant le cas du Tibet semble démentir cette affirmation. Effectivement qu’est ce qui, au delà des mots, a été fait par la communauté internationale en faveur du Tibet ? Protestations timides, prises du position ponctuelles, jamais la Chine n’a été condamnée par les instances internationales. Quant aux divers gouvernements, si ils expriment parfois leur désapprobation, celle-ci n’est jamais suivie d’actes réels. On peut alors se demander les raisons d’une telle inaction, voire d’un tel silence, et se poser la question des responsabilités de chacun.

I. Les réactions des gouvernements en 1949

Lorsque les troupes chinoises entrèrent au Tibet, le gouvernement tibétain lança des appels à l’aide aux puissances étrangères. L’Inde était le pays extérieur le plus impliqué dans le conflit sino-tibétain. Effectivement le Tibet servait de zone tampon entre les deux géants asiatiques, et bien qu’à cette époque les deux gouvernements eussent de bonnes relations, l’Inde préférait un Tibet libre à une frontière commune avec la Chine. Cependant lorsque les troupes chinoises entrèrent au Tibet, la réaction du premier ministre indien Nehru fut plus que timide. Il demanda aux grandes puissances leur avis, elles lui répondirent que cette affaire ne les concernait pas. L’Inde décida alors de ne pas intervenir, de peur de déclencher à son égard l’hostilité des Chinois. Avec le recul, beaucoup jugent que l’Inde fit une grossière erreur en laissant le Tibet sans son soutien. Effectivement en échange de sa non-intervention, le sous continent aurait pu demander à la Chine une contre-partie. Mais même si il y avait eu un processus d’échange entre le Chine et l’Inde, cela aurait-il été bénéfique pour le Tibet ? Il est permis d’en douter.

Quant au Népal, autre voisin du Tibet ; à la Grande Bretagne, ancienne puissance colonisatrice dans la région ; et aux Etats-Unis, première puissance mondiale, ils ne firent qu’exprimer leur sympathie à l’égard du Tibet, sans apporter aucune aide précise. La grande Bretagne préféra d’ailleurs agir à son encontre en faisant pression sur l’ONU pour que la question du Tibet n’apparaisse pas à l’ordre du jour.

II. L’attitude de la communauté internationale aujourd’hui

L’abandon dans lequel fut laissé le Tibet en 1949 était en grande partie le résultat de la politique d’isolement dans laquelle il s’était enfermé depuis des décennies. Les conséquences sont lourdes aujourd’hui car aucun pays ne reconnaît officiellement le gouvernement tibétain en exil. Seule l’Inde , qui a accordé le droit d’asile au Dalaï Lama en 1959, ainsi qu’à son entourage, aux membres de son gouvernement puis aux milliers de Tibétains réfugiés, exprime aujourd’hui une position claire à l’égard du gouvernement tibétain en exil. De cette position découle d’ailleurs en grande partie le conflit qui l’oppose à la Chine aujourd’hui. Les gouvernements qui entretiennent des relations diplomatiques avec la Chine reconnaissent même de manière implicite la domination chinoise sur le Tibet. Et il en va de même avec les quelques pays, une vingtaine, qui ont des relations diplomatiques avec la république de Taiwan. Cette absence de reconnaissance est un obstacle pesant aux démarches du Dalaï Lama auprès des gouvernements étrangers.

A cette impossibilité pour le chef Tibétain en exil d’avoir des contacts officiels avec les représentants de ces gouvernements s’ajoutent les pressions exercées par la Chine à l’encontre de tout gouvernement désireux d’entrer en contact avec lui, de l’accueillir sur son territoire ou de le recevoir de manière officielle. Ainsi lorsque celui-ci reçu le Prix Nobel en 1989, les autorités de Pékin menacèrent la Norvège de représailles si celle-ci recevait le Dalaï Lama suivant le protocole habituelle pour la remise du Prix, c’est à dire si le Dalaï Lama pouvait, comme tout lauréat, s’entretenir avec le roi de Norvège. Mais malgré cela la cérémonie se déroula selon le protocole habituel, et la Chine ne mit pas ses menaces à exécution. Cet échec des pressions chinoises tient à la forte sympathie dont bénéficie le pontife tibétain auprès d’un grand nombre de gouvernements, même si cette sympathie n’a jamais débouchée sur un réel engagement des puissances occidentales auprès du gouvernement tibétain en exil.

III. L’ONU et l’Union Européennes ont elles vraiment joué leur rôle ?

Comme nous l’avons vu, l’ONU céda aux pressions britanniques pour enlever la question du Tibet de son ordre du jour. On se doute à partir de là qu’elle ne fut pas très active dans la résolution du conflit. Ce fut d’ailleurs une attitude générale de toutes les institutions internationales de l’époque.

Cependant en 1959 une des organisation affiliée aux Nations-unies, la Commission Internationale des Juristes, publia un rapport dénonçant tous les arguments avancés par la Chine pour asseoir sa domination sur le Tibet et accusant les autorités chinoise d’y perpétrer un génocide. Les trois axes majeurs du document sont les suivants :

  • 1) Non-respect systématique par la Chine des obligations fixées par l’« Accord en 17 points » de 1951.

  • 2) Violation systématique des droits de l’homme et des libertés du peuple tibétain.

  • 3) Tueries de masse et autres actes pouvant mener à l’extinction des Tibétains en tant que membres d’une identité nationale et religieuse définie, et ce dans une telle mesure que peut être évoqué le terme de génocide.

La parution de ce rapport fut suivie de déclaration de l’Assemblée générale des Nations-unies sur les droits des tibétains en 1959, 1961 et 1965, puis le silence sur le Tibet fut de nouveau de mise avec l’entrée de la Chine à l’ONU en 1971.

Mais en 1989, mise au pied du mur par les émeutes tibétaines et le massacre de la place Tian An Men, la communauté internationale n’eut d’autre choix que de prêter oreille aux propos du Dalaï Lama. Le 15 mars, le Parlement européen adopta un texte condamnant la politique de répression brutale du gouvernement chinois au Tibet. Ce fut le premier revers diplomatique qu’essuya la Chine. Elle qualifia d’ailleurs immédiatement ce texte d’« impudent ». Le 23 août 1991 l’ONU prit la suite de l’Union Européenne et, malgré les fortes pressions des diplomates chinois, la sous-commission des droits de l’homme basée à Genève vota à quinze voix contre neuf une résolution condamnant sans appel la répression chinoise. Cette résolution marquait la fin du régime d’impunité dont bénéficiait la Chine depuis 1965.

Mais aucun des nombreux textes condamnant la Chine adoptés par l’Union européenne et de nombreux autres pays n’ont jamais été suivis d’actions. Au contraire l’importance croissante de la Chine sur la scène internationale fait reculer les grandes instances. En l’an 2000, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU demanda aux organisateurs du Sommet mondial du millénaire pour la paix (28-31 août 2000) rassemblant des représentants de toutes les religions de ne pas inviter le Dalaï Lama, cédant ainsi aux pressions chinoises. C’est également le même phénomène qui se passe à chaque réunion de la Commission des droits de l’homme à Genève chaque année.

IV. Les Tibétains en exil comme membres de la communauté internationale

Différents arguments sont évoqués pour justifier l’inaction de la communauté internationale envers le Tibet. De la crainte d’un conflit ouvert aux excuses d’ordre économique en passant par le poids de la Chine dans les instances internationales aujourd’hui, toutes les explications ont déjà été données pour justifier de l’attitude des gouvernements occidentaux et des organisations régionales et mondiales. Mais il est une opinion qui n’est que très rarement évoquée, c’est celle du manque d’implication de la communauté tibétaine en exil dans la résolution de son propre conflit. Il nous a paru intéressant d’aborder ce point, malgré les controverses qu’il peut soulever, car ce sujet doit être une tribune ouverte et non l’expression d’opinions uniques.

Dans un numéro de la revue Actualités Tibétaines publiée en France par le bureau du Tibet, Claude Levenson, écrivain et journaliste passionnée du Tibet, reprend les propos du Dalaï Lama qui déclare, dans son discours auprès du Parlement européen à Strasbourg le 23 octobre 1996, que le problème tibétain est principalement un problème politique, de domination coloniale d’un pays sur un autre. Or la communauté internationale, qui a développé de nombreux mécanismes tel que la commission des droits de l’homme ou le comité de décolonisation, reste malgré tout formée par des Etats qui défendent chacun leur propre intérêt. Et toutes les campagnes que les citoyens et hommes politiques de ces Etats mettront en place ne suffiront pas à sauver le Tibet sans une implication réelle, personnelle et individuelle des Tibétains eux-mêmes. « L’exemple des Tibétains à Pékin lors de la Conférence internationale de l’ONU sur les femmes en témoigne d’abondance : tant que les principaux intéressés eux-mêmes se contenteront d’exploiter leurs fonds de commerce d’exilés, à se noyer dans des querelles mesquines et des intrigues peu glorieuses qui desservent leur cause, sans prendre la mesure exacte de ce qui se passe dans leur propre pays occupé, sans assumer leurs responsabilités face à leur avenir, en se reposant uniquement sur le Dalaï Lama pour toutes les décisions, tous les autres efforts risquent de demeurer stériles (…). L’effort commun de recouvrer sa liberté doit devenir aussi l’affaire des Tibétains que la vie a lancés sur les chemins de l’exil, sans attendre que d’autres fassent à leur place ce qui devrait être leur priorité au delà de toute ambition personnelle ».

Si la vivacité du ton employé par Claude Levenson peut choquer, et même si les critiques exprimées nous ont paru extrêmes, nous avons cependant souhaité leur faire échos pour souligner le fait que la communauté en exil n’est pas un ensemble de gens sans pays mais une réelle force de proposition et de changement pour l’avenir du Tibet. Il est important de tenir compte de ce fait et d’accompagner cette communauté dans son effort de réflexion ainsi que dans son implication sur la scène internationale car une chose est sure, c’est que le Tibet ne trouvera pas sa paix sans les Tibétains.