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Stéphane Gainot, Paris, avril 2005

Cultures entre elles : dynamique ou dynamite ? Vivre en paix dans un monde de diversité, sous la direction d’Édith Sizoo et de Thierry Verhelst.

La diversité culturelle est un but en soi, mais également un facteur de conflit important : c’est pourquoi il faut replacer le dialogue au service de la paix. La culture est un pouvoir et une puissance à double tranchant.

Mots clefs : Culturalisme et paix | Echanges culturels pour la paix | Emergence d'une société civile mondiale | Mouvements internationaux de citoyens | Elaborer une culture de la tolérance et de la négociation pour gérer des conflits | Amériques | Europe | Afrique | Asie

Réf. : Cultures entre elles : dynamique ou dynamite ? Vivre en paix dans un monde de diversité, sous la direction de Edith Sizoo et Thierry Verhelst, Editions Charles Léopold Mayer, Paris, 2002, 344 pages.

Langues : Français

Type de document :  Ouvrage

Cinq dialogueurs et une association, le « Réseau Culture », ont rendu visite à des partenaires du développement sur quatre continents : des groupes sociaux, ONG, fédérations de base, projets de développement… À l’écoute de leurs réalités profondes, ils ont eu chacun pour objectif d’écrire un texte intitulé « dialogue » qui veut restituer les réflexions et la complexité des actions menées sur place.

Il s’agit d’une approche maïeutique : il faut « permettre à l’autre de sortir toute la richesse qu’il porte en lui », le principe de l’échange prime sur toute autre considération ou jugement. Pour ce faire, on applique une méthodologie de conscientisation qui cherche à entrer dans le jeu de l’autre et l’accompagne un peu dans ses réflexions, même s’il est dans l’erreur. C’est un travail de récupération de la mémoire.

Ces dialogues sont avant tout une réflexion sur la culture en tant que « dynamite ou puissante dynamique » des relations sociales : dilemme constant qui revient à s’orienter vers une voie médiane entre échec de développement (non reconnaissance de la culture dans les projets de développement) et conflit (survalorisation de la culture à outrance). La méthode est simple : chaque culture est unique, il n’y a pas de hiérarchie possible. Il ne s’agit pas de préserver une culture à tout prix, mais d’éviter qu’un rapport de force souvent favorable à l’Occident s’installe entre les cultures. Il faut donc relever le défi de l’aliénation quotidienne et valoriser ce qui aujourd’hui fait la richesse d’un peuple, c’est une démarche positive qui refuse de se lamenter sur ce qui a été perdu. On prépare l’avenir d’une culture en capitalisant le savoir des gens.

I. Afrique

  • Burkina Faso

La problématique est simple : le développement est-il incompatible avec la culture traditionnelle ? Le développement s’est organisé au Burkina Faso autour de « groupements Naam », organisés et répartis sur tout le territoire, qui sont des intermédiaires valables à tout projet de développement : ils possèdent un savoir-faire technique traditionnel en redécouverte. Le Naam est une ancienne structure traditionnelle collectiviste : c’est un équivalent efficace de la coopérative à l’Occidentale qui a souvent échoué, ballottée entre respect du passé et accueil de la nouveauté. Les groupements modernes essaient de lier les traits positifs aux impératifs du changement : lutte contre la désertification, promotion des femmes… L’Afrique serait en marche sans renier son identité.

  • République Démocratique du Congo

L’État africain est artificiel car défini par le colonisateur. Il faut fonder le développement sur une base ethnique et inventer une approche africaine de l’État. Sur fond de violence, d’immigration rwandaise agressive au Nord du pays, chaque entité culturelle doit définir sa voie de développement. C’est un laboratoire de stimulation de la coexistence ethnique, il faut repartir de nouveaux principes culturels sur une base ethnique trop longtemps négligée et revoir une conception étriquée de la notion de l’État-Nation qui nie la diversité : l’État a imposé un universalisme idéal et laïc.

  • Cameroun

Initiative locale dans une perspective d’autonomie en milieu rural. Ce projet part d’un constat : 90% de la recherche et la quasi-totalité des livres circulent dans la langue de l’ancien colonisateur : c’est une coupure sociale par rapport à la langue parlée, une dépendance sur le plan linguistique. Apprendre et diffuser les langues nationales serait le symbole d’une nouvelle Afrique redynamisée.

II. Amérique latine

  • Brésil

Revitalisation de la culture populaire dans la favela, thérapie par la parole, l’art, le théâtre : c’est l’ouverture d’un espace d’expression en dehors de la violence.

  • Pérou

Étude de l’agriculture andine collectiviste, en harmonie avec la cosmogonie inca. Le développement des Andes ne passe pas forcément par le transfert de technologies modernes mais par la diffusion d’un savoir autochtone reposant sur une relation personnelle avec la nature, par la formation des paysans, par des cours d’agriculture andine et par la production de thèses.

  • Mexique

Il s’agit de redonner un alphabet et une langue aux Indiens tzotzils, car on a constaté une « dés-alphabétisation » après la conquête espagnole. Il a fallu réinventer les concepts, être à l’écoute d’une langue qui ne s’exprimait plus et d’un savoir populaire uniquement oral.

III. Asie

  • Inde

« Empowerment » des basses classes : mobilisation politique autour de problèmes concrets, notamment la position des castes dans la conscience sociale.

  • Taipei

Ouverture vers la religion de l’autre dans une démarche œcuménique.

IV. Europe

  • Pologne

Problème de minorités polonaises en Lituanie, allemandes en Pologne, sur fond de tensions religieuses entre orthodoxes et uniates, préjugés par rapport aux juifs… Il faut réintéresser les gens à la vie politique et créer une plate-forme de débat pour les personnes de différentes tendances.

  • Suisse

Recherche métaphysique sur la notion de sacré dans la culture. Surtout, il s’agit de s’interroger sur les limites du savoir officiel en médecine et sur sa capacité à « écouter » le patient.

  • Grèce

Centre de réflexions et d’animations pour la réconciliation gréco-allemande et la gestion du problème du tourisme de masse en Crête.

V. Moyen-Orient

  • Liban

Apporter un espace de réflexion dans un contexte multiconfessionnel et violent.

  • Israël

Réaction des femmes face au conflit armé, organisation de réseaux de femmes dans les territoires occupés, et condition de la femme et du féminisme dans les pays arabes. Il s’agit d’apporter une vision du conflit différente, plus humaniste, et d’organiser des rencontres entre des femmes palestiniennes et israéliennes.

Commentaire

Cet ouvrage est une somme d’expériences différentes et reliées. L’effort est donné au dialogue, à la communication, conditions sine qua non du développement. Bien renseignés sur les structures, les projets et l’idéologie, les « accoucheurs » adoptent le style du dialogue indirect, avec parfois des interviews et des prises à partie qui animent et vivifient le débat.

Beaucoup de thèmes sont abordés, dans un souci de recherche d’une solution globale à l’amélioration de la vie. Souvent, il s’agit à la base d’une constatation d’échec du développement dans une région indigène mal adaptée, dont le contexte particulier précis ne peut être généralisé : la défense des minorités, la lutte entre cultures… La crédibilité des représentants des organisations de terrains (micro) et la réceptivité du message transmis au niveau « macro » (institutions publiques, médias…) est le leitmotiv de ces dialogues proposant des solutions novatrices : la mise en réseaux des organisations, le développement d’une connaissance approfondie du sujet et la pluralité des expériences, une action de longue durée préférée à des projets de court terme, et enfin, l’usage d’un « miroir » (l’interlocuteur porte en lui le problème et son remède) sont les idées forces de ces dialogues. Surtout, l’affirmation de la diversité par rapport à l’homogénéisation et la rationalité me semble être le point-clé de ce recueil.

Car, la diversité est un but en soi, mais également un facteur de conflit important : c’est pourquoi il faut replacer le dialogue au service de la paix, il faut adresser la parole à ceux qui menacent… Cette conviction repose sur des principes très simples et proches de la foi. Lutter contre les certitudes, générant l’intolérance, et retrouver une certaine dose d’imprévu, voilà ce que nous enseignent ces dialogues. La culture est un pouvoir et une puissance à double tranchant.