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Gaël Bordet, Paris, 2003

Processus de paix

I. Définitions du mot « processus »

  • a. Sens commun : Du latin « procedere », marcher, avancer. « Enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes, répondant à un certain schéma et aboutissant à un résultat déterminé » (« Larousse »).

  • b. Sens sociologique : « enchaînement de phénomènes successifs supposés constituer une chaîne causale et dynamique. Le repérage d’un processus social est un objectif de la recherche dans les différents domaines de la sociologie qui se heurte toutefois à des obstacles importants du fait de la complexité des interrelations, mais aussi du fait de l’impossibilité d’isoler totalement un processus et de faire disparaître la marge de contingence » (Ansart et Akoun, « Dictionnaire de sociologie ». Le Robert/Seuil, 1999).

II. Commentaire critique.

Tout « processus », et à plus forte raison tout « processus de paix », comporte, selon le politologue Joseph Maïla, deux dimensions complémentaires et concomitantes :

  • Le « consensualisme » ;

  • Et le « gradualisme ».

Le consensualisme pourrait se définir comme un accord de volontés sur des valeurs (c’est-à-dire des objectifs) communes, en l’occurrence parvenir à une entente réciproque qui prendrait la forme d’un compromis social et politique. Le compromis consensualiste est, par définition, toujours provisoire.

Nous entendons par gradualisme, le mouvement politique et social qui supporte pratiquement le consensualisme et consiste à s’approcher d’un compromis en procédant par étapes successives.

Nous le voyons, à travers cette conception, le processus de paix suppose préalablement de définir les contours d’un projet de société : aucune régularisation politique, aussi volontaire soit-elle, ne saurait passer outre ce préalable. Or, faute d’en prendre acte, un grand nombre de « processus de paix » qui n’ont de processus que le nom, ne sont en réalité qu’une modeste négociation sur des intérêts bien limités. C’est malheureusement le cas au Proche-Orient, entre les Etats arabes et Israël. Car, faute d’avoir suffisamment pris en considération la nécessité de remettre en cause certains fondements culturels, l’ébauche de processus de paix israélo-arabe n’a pu dépasser l’étape technique du consensualisme et du gradualisme, et s’est ainsi trouvé annihilé.

En effet, un processus de paix ne se limite pas à un accord politique passé entre gouvernants et élites politiques pour être ensuite imposé aux populations concernées. Bien au contraire, il suppose l’investissement de ces populations qui ont à comprendre et à porter les enjeux politiques, mais surtout sociaux, économiques et culturels d’un tel processus.

Cela nécessite de fait la mobilisation de tous les acteurs sociaux intermédiaires de la société civile, c’est-à-dire de ceux qui participent en premier lieu à la constitution – ou à la reconstruction – d’une identité nationale et d’une conscience collective pacifistes, bref, ceux qu’on désigne parfois comme les « manipulateurs de symboles et de symboliques sociales ». Ce sont notamment les intellectuels, les chercheurs, les artistes, les scientifiques, etc.

Ces « manipulateurs de symboles » dont le rôle est d’éclairer les populations en leur permettant de comprendre les réalités d’un processus de régularisation politique (ou processus de paix), sont des médiateurs essentiels car ils participent activement à ce que Norbert Elias a pu appeler « processus de civilisation » et qui se trouve être le corollaire indispensable du processus de paix. C’est en effet cette notion de civilisation qui « efface jusqu’à un certain point les différences entre les peuples en mettant l’accent sur ce qui, dans la sensibilité de ceux qui s’en servent, est commun à tous les hommes ou du moins devrait l’être » (N.Elias, références ci-dessous). En cela, la notion de civilisation se distingue de celle de « culture » qui « reflète la conscience d’une nation obligée de se demander continuellement en quoi consiste son caractère spécifique, de chercher et de consolider sans cesse ses frontières politiques et spirituelles » (N.Elias).

Ce mouvement d’identification ou de reconstruction culturelle doit donc être complété par celui de dynamique civilisationnelle, ce qui ne va pas sans poser de problèmes étant donné le caractère parfois contradictoire de ces deux mouvements. La réussite de tout « processus de paix » en dépend pourtant.

III. Pour aller plus loin.

  • Aron, Raymond. « Paix et guerre entre les nations », Calmann-Lévy, 1962. (Le classique ! Incontournable sur cette question : approche sociologique autant qu’historique et philosophique de la dialectique guerre-paix, à travers l’analyse des relations internationales).

  • Bosc, Robert. « Sociologie de la paix », Bibliothèque de la Recherche Sociale, SPES, 1965. (Etude dynamique qui passe en revue les différentes théories internationales, tant sociologiques – replacées dans les courants sociologiques auxquels elles se rattachent – que politologiques et leur approche de la paix. Dessine les grands axes d’une praxéologie – science de la compréhension des enjeux de la paix. Les convictions et l’engagement religieux de l’auteur l’incitent parfois à verser dans un certain « moralisme », mais les analyses que l’auteur livre sont d’une grande qualité).

  • David, Charles-Philippe. « La Guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie », Presses de Science Po, 2000. (approche politique prépondérante, mêlée parfois de questionnements sociologiques. Excellent manuel, très accessible, très analytique et complet, avec une bibliographie exhaustive).

  • Elias, Norbert. « La civilisation des mœurs » et « La Société de cour », Pocket, Agora, 1973. (Deux livres à lire absolument, qui retracent analytiquement ce que l’auteur a appelé « le processus de civilisation ». A travers ce tracé historique et sociologique passionnant, N. Elias pose les fondements de toute étude sur la paix et la civilisation, loin de tout déterminisme ou évolutionnisme. L’homme construit son devenir social).