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, France, July 2017

Les camps de réfugiés sahraouis, des laboratoires d’expériences sociales

Cette fiche a pour objectif de mettre en lumière l’organisation et le fonctionnement des camps de réfugiés ayant résulté du conflit du Sahara afin de nous demander si ces camps de réfugiés sahraouis sont des formes urbaines d’un nouveau type et des laboratoires d’expériences sociales.

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Le Maroc, depuis son indépendance revendique les territoires du Sahara occidental. En effet, depuis 1973, le Maroc et le Front Polisario (Front Populaire pour la Libération de Saguia el Hamra et Rio de Oro) se disputent la souveraineté sur les territoires sahraouis.

Le Maroc considère cette partie du territoire comme faisant intégralement partie du royaume marocain. Cette partie étant actuellement administrée par le Maroc, elle est régie par les lois et la constitution marocaine. Cette constitution datant de 2011 et faisant suite aux révoltes arabes, s’applique, d’après le droit marocain, également aux territoires du Sahara occidental. De même, suite à cette constitution, le projet de régionalisation avancée a été accéléré de manière à inclure plus profondément le Sahara occidental dans les affaires nationales.

De plus, depuis la décolonisation espagnole, aucun recensement de la population n’a jamais réussi à être convenablement effectué. C’est, entre autre, cette absence de recensement officiel, qui a conduit à l’impossibilité, pour l’instant, d’organiser un référendum d’auto-détermination du peuple sahraoui.

En effet, en 1988, le Maroc et le Front Polisario ont convenu d’organiser un référendum d’autodétermination dans le but de déterminer la souveraineté opérée sur ce territoire. Ce référendum n’a pas eu lieu car les deux parties n’ont pas réussi à régler les désaccords concernant les électeurs pouvant ou non voter lors de ce référendum, ainsi que les désaccords concernant les niveaux d’autodétermination inclus dans le scrutin (intégration, indépendance, ou un juste milieu). Il est vrai que le Maroc a proposé d’accorder l’autonomie à ce territoire tout en restant rattaché au Maroc, alors que le Front Polisario revendique une indépendance totale. La formulation de cette question étant le moyen de pression utilisé par les deux partis en conflit afin de faire durer ce conflit dans le temps.

Les camps dans l’espace et dans le temps

Les Sahraouis se considèrent comme une nation en exil, pas comme des réfugiés. Ils ont formé leurs camps comme des espaces nationaux pour nourrir une société et une société de l’avenir. La mémoire collective sahraouie a été reproduite comme un réservoir de conscience partagée sur les contextes plus larges de la lutte collective et comme un stimulant pour le changement.

Au cours des premières années, les réfugiés sahraouis se sont battus pour survivre dans un désert indomptable et inhospitalier qu’ils appellent la hamada. Malgré les énormes défis posés par le manque d’infrastructures et de services de base, le Front Polisario a fourni un leadership efficace en identifiant trois objectifs clairs :

  • soutenir les soldats qui se battent au front,

  • fournir des produits de première nécessité aux réfugiés,

  • jeter les bases d’une nouvelle société.

Lors de l’installation des réfugiés dans les camps, ceux-ci étaient composés de tentes plantées dans le sable sec et organisées en rangées. C’est un peu plus tard que les tentes ont été complétées par de petites huttes d’argile, qui ont augmenté avec le temps jusqu’à former de véritables petites villes en apparence.

De plus, avec l’aide de la communauté internationale, des écoles et des stations médicales ont été mises en place.

Nous comptons à ce jour 4 grands campements ayant le statut de départements : El Aiûn, Aousserd, Smara, Dakhla, Boujdour (cf carte).

L’organisation des camps

La prise de contrôle du Sahara occidental par le Maroc a entraîné le déplacement d’environ 150 000 à 200 000 réfugiés. Une grande majorité de ces réfugiés a été témoin des bombardements de phosphore et de napalm de 1975 lors de leur fuite.

Suite à cette fuite de réfugiés, plusieurs camps de réfugiés ont été établis dans le sud ouest du désert algérien, partie du désert souvent décrit comme inhabitable, près de la ville de Tindouf.

La République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD), en charge des camps de réfugiés, a su tirer parti des principes enracinés dans la culture sahraoui et nomade. L’un des exemples de la façon dont la RASD a su tirer profit de ces principes est la place accordée aux femmes dans les camps. En effet, comme la plupart des hommes se battaient contre les Marocains, les femmes ont joué un rôle majeur dans la création des camps et dans l’organisation de ceux-ci. C’est cela qui a conduit à ce que les femmes possèdent des droits importants au sein des camps sahraouis. Cela illustre parfaitement la thèse selon laquelle les conflits armés sont des accélérateurs de l’émancipation des femmes, cette thèse étant expliquée par l’absence des hommes, mobilisés pour faire la guerre1.

Dans les camps de réfugiés, les femmes possèdent une autonomie totale dans la gestion des activités quotidiennes du camp. Toute forme de violence, qu’elle soit verbale ou physique, à l’égard des femmes résulte en la marginalisation de l’homme responsable de cela, par la société. Cela implique que ces incidents sont rares et que la gestion de la violence domestique envers les femmes ou les enfants est presque inexistante.

Certains orientalistes avancent l’idée que le peuple sahraoui serait primitif. Or ce peuple a développé des stratégies de moyens de subsistance afin de s’adapter à l’environnement dur de la région. Cet environnement dur se traduit par un désert aride ne fournissant aucune ressource de subsistance. Les réfugiés ont pour cela instauré une stratégie de maximisation des faibles ressources qu’ils ont.

Les ressources financières et matérielles sont rares, ce qui implique que les camps de réfugiés doivent dépendre totalement de l’aide humanitaire. Cette dépendance totale implique un haut niveau d’efficacité organisationnelle. Cette aide humanitaire et l’efficacité de sa gestion contribuent à l’émergence d’une démocratie sociale et participative au sein des camps de réfugiés.

Il a été observé que les camps de réfugiés sahraouis ont été créés avec l’objectif que l’économie ne se baserait pas sur l’argent mais sur les échanges de toutes sortes (troc). En effet, alors que les ONG et le PAM font don de denrées alimentaires, les réfugiés travaillent dans l’administration, dans des écoles ou des hôpitaux, cela sans compensation financière afin de subvenir au bien commun.

Avec le cessez-le-feu, l’économie de ces camps a évolué. En effet, suite au cessez-le-feu, l’Espagne a commencé à payer des pensions aux sahraouis ayant été employés dans l’administration coloniale. Cela a conduit à l’arrivée de liquidités dans les camps. C’est suite à cela que les différences économiques ont pu pour la premières fois être visibles dans cette société. Cette arrivée de liquidités a conduit à la transformation de l’économie des camps, d’une économie du troc à une économie basée sur la monnaie. L’arrivée de cette nouvelle économie s’est renforcée avec le fait que certains Sahraouis vont travailler au Maroc, en Algérie ou en Espagne et envoient de l’argent à leurs familles restées dans les camps.

Contrairement aux camps de réfugiés contrôlés et dirigés par des Organisations Internationales comme le HCR ou des ONG, les camps de réfugiés sahraouis ont, depuis leur création, été dirigés et contrôlés par le Front Polisario. Depuis leur création, ils ont été présentés par le Front Polisario comme des lieux d’expérimentation d’une démocratie sociale et participative.

Toutes les études portant sur le Sahara occidental démontrent que les camps de réfugiés gérés par le Polisario sont des lieux de démocratie et d’idéologie participative.

Une crise sanitaire malgré l’aide humanitaire

La survie des réfugiés est étroitement liée, si c’est n’est qu’elle dépend de l’aide humanitaire apportée par le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) et les diverses ONG humanitaires présentes sur place.

Le PAM fournit l’aide alimentaire aux réfugiés des camps depuis le début du conflit. Le PAM fournit aux réfugiés les surplus alimentaires mondiaux et cette aide est rationnée à hauteur d’une ration alimentaire par personne et par mois. Cette ration selon le PAM comprend 8 kg de farine, 3 kg de riz et d’orge, 2 kg de légumes secs, 1kg de mélange blé/soja, 1 litre d’huile et 1 kg de sucre/thé. Ces rations sont calculées sur la base de 2,166 kilocalories par personne et par jour qui est l’apport journalier en kilocalories recommandés par le PAM.

Ces rations sont loin de subvenir aux besoins de l’ensemble de la population, c’est pour cela que l’action du PAM est complétée par l’aide de plusieurs ONG humanitaires, qui elles aussi apportent une aide alimentaire aux populations sahraouies.

Malgré cette aide, les populations continuent de souffrir de malnutrition et de maladies car l’eau, qui elle n’est pas fournit par l’aide humanitaire, est gorgée de fer, de zinc et d’autres minéraux.

Cette aide humanitaire apportée par les ONG internationales est contrôlée par la RASD qui s’occupe de la distribution de celle-ci. Ce contrôle opéré par la RASD peut être perçu de deux manières différentes, il peut être vu soit comme un moyen d’instrumentalisation de l’aide, soit comme un moyen de maîtrise de cette aide. Ce contrôle crée également une situation de dépendance des réfugiés vis-à-vis de l’aide car ils n’ont aucun autre moyen de subvenir à leur besoin en raison de l’emplacement de ces camps et de leurs conditions géographiques.2

De plus, cette aide humanitaire apportée aux réfugiés sahraouis, en place depuis le début du conflit, n’ayant pas évolué car il n’y a pas de diversification des produits mis à leur disposition provoque des problèmes de santé chez les populations de ces camps. Il a pu être observé une hausse de la malnutrition et des cas d’anémie car l’alimentation de ces populations ne comprend pas tous les éléments nécessaires à une alimentation saine. Cette situation sanitaire inquiétante ne semble pas provoquer de réaction auprès de la population internationale afin de renouveler et de diversifier les rations accordées aux réfugiés sahraouis.

Place des femmes dans les camps

Comme mentionné plus haut, dès la création des camps, les femmes ont joué un rôle majeur dans l’organisation de ceux ci. Les femmes sahraouies sont des acteurs actifs dans la dynamique sociale des camps de réfugiés. Elles ont donc développé des stratégies d’adaptation et de développement afin de surmonter des difficultés de la situation humanitaire.

En effet, depuis le début du conflit, les femmes ont toujours été responsables de la gestion des camps de réfugiés. Elles ont donc imposé un leadership dans plusieurs domaines et ont, notoirement, fait évoluer la situation humanitaire dans les camps de réfugiés. C’est cet élargissement des capacités données aux femmes qui a permis de conduire à un processus d’autonomisation de celles-ci au sein des camps. Cette situation peut être perçue comme une singularité intéressante car les femmes se sont vues accorder des droits importants au sein de ces camps. Cette singularité sahraouie se distingue des thèses de Michel Agier sur l’organisation des camps. En effet, ce dernier avance l’idée que les camps restent des espaces ne permettant pas une autonomie de la population. Selon Agier, les habitants des camps de réfugiés dans le monde sont dépossédés de leur autonomie, sont assistés et contrôlés car dépendants des humanitaires qui contrôlent et gèrent une grande majorité des camps dans le monde3. Or dans les camps sahraoui, la situation est tout autre, car ces espaces sont gérés et contrôlés par la population locale, ce qui a permis à celle-ci de s’autonomiser autour de l’aide humanitaire.

Or, les camps sahraouis se trouvent être un cas à part entière, principalement à cause du conflit armé qu’a connu cette région. De plus, la grande majorité des camps de réfugiés étudiés par Agier se trouvent être des camps gérés et contrôlés par les ONG humanitaires, ce qui est la grande majorité des camps dans le monde, or les camps sahraouis se démarquent de ceux-ci par le fait qu’il sont contrôlés et gérés par la RASD, ce qui apporte une singularité additionnelle à ces espaces sociaux. Cela car la RASD étant imprégnée de la culture sahraouie et nomade a accordé, de fait, une place importante aux femmes. Dès la création des camps les femmes ont accordé une priorité absolue à l’alphabétisation et à l’organisation du système éducatif. Les femmes des camps se sont organisées afin d’enseigner aux enfants à lire et à écrire. Le système éducatif dans les camps est obligatoire, mixte et couvre l’ensemble du premier et second cycle. En ce qui concerne l’enseignement supérieur, les étudiants sont envoyés en Argentine, à Cuba ou en Espagne afin d’étudier et de décrocher un diplôme à l’étranger. Avant 2011, les jeunes sahraouis étaient également envoyés en Syrie et en Libye mais la guerre dans ces deux pays a conduit à arrêter l’envoi d’étudiants dans ces pays. L’envoi des jeunes sahraouis à l’étranger afin d’étudier et de décrocher un diplôme est possible grâce à une série d’accords de collaboration entre le Front Polisario et ces pays. Après avoir étudié à l’étranger, les jeunes diplômés retournent dans les camps afin d’intégrer les différents services communautaires et de veiller à la bonne tenue des camps.

En addition au système éducatif, les femmes sahraouies se sont également attelées à promouvoir le développement humain à travers un système de santé convenable. En effet, l’établissement des camps de réfugiés s’est effectué dans des conditions difficiles ce qui a entraîné une hausse du taux de mortalité à cause d’épidémies et de malnutrition. Les femmes se sont alors attelées à fournir aux camps une organisation sanitaire convenable basée sur les soins en cas de maladie et sur la médecine préventive. Elles ont alors organisé la création de centres de santé et d’hôpitaux. Elles ont, grâce à cela, réussi à inverser la courbe du taux de mortalité et permis d’instaurer un véritable système de santé fournissant toute l’assistance nécessaire aux malades, aux femmes enceintes et à toute personne ayant besoin de soins.

Pour le peuple sahraoui, les femmes sont à la base de l’amélioration et la consolidation des conditions de vie au sein des camps, c’est pour cela que l’autonomisation des femmes est considérée comme essentielle pour le développement du peuple sahraoui.

Sans se méprendre, ce n’est pas parce que les Sahraouis améliorent les conditions de vie sur les camps qu’ils ont renoncé au retour sur leur terre natale. La grande majorité des Sahraouis désirent effectivement que le conflit soit réglé pour pouvoir envisager ce retour.

Pour conclure, les camps de réfugiés sahraouis sont conçus comme des espaces sociaux, organisés et gérés par les femmes qui jouent un rôle majeur depuis l’établissement de ces camps. Mais ces espaces sociaux sont tout de même soumis à une crise humanitaire et alimentaire. Cette crise alimentaire menace-t-elle la bonne tenue des camps et l’organisation de ceux-ci ?

De plus nous pouvons également nous demander si cette place accordée aux femmes pourrait se voir modifiée en cas de résolution du conflit et de retour des populations déplacées sur le territoire marocain. En effet, cette singularité étant présente actuellement dans les camps, nous pouvons nous demander si elle persistera dans le cas d’une résolution de ce conflit. Cela pourrait donner une nouvelle société sahraouie que ce soit dans l’éventualité d’une autonomie ou d’une indépendance.

En cas d’autonomie accordée au Sahara, la société sahraouie, devenant marocaine pourrait être organisée de manière totalement différente du reste du territoire marocain, ce qui créerait une fracture d’organisation sociétale visible entre le nord et le sud du pays.

Notes

  • 1 Françoise THÉBAUD, « Penser la guerre à partir des femmes et du genre : l’exemple de la Grande Guerre », Astérion [En ligne], 2 | 2004, mis en ligne le 05 avril 2005, consulté le 28 juillet 2017. URL : asterion.revues.org/103

  • 2 Vincent Hiribarren, « Dans les camps sahraouis », Libération, Blog AFRICA4, 27 Avril 2016.

  • 3 Michel Agier, « Espaces et temps du gouvernement humanitaire », Pouvoirs 2013/1 (n° 144), p. 113-123.

Sources

  • Elena Fiddian-Qasmiyeh, « The ideal refugees : gender, Islam, and the Sahrawi politics of survival », Syracuse University Press, 2014.

  • Alexandra Novosseloff, Frank Neisse, « Des murs entre les hommes / textes et photographies », La Documentation française, Paris, 2015.

  • Frédéric Niel, « Contre les murs », Institut de relations internationales et stratégiques, Bayard, 2011.

  • Mohamed Cherkaoui, « Le Sahara : liens sociaux et enjeux géostratégiques », The Bardwell press, Oxford, 2007.

  • Sophie Caratini, « La prison du temps. Les mutations sociales à l’œuvre dans les camps de réfugiés sahraouis. Première partie : la voie de la révolution », Afrique contemporaine 2007/1 (n° 221), p. 153-172.

  • Julien Dedenis, « Le Sahara occidental : un territoire revendiqué… des territoires imaginés ? », L’Information géographique 2011/3 (Vol. 75), p. 42-50.

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