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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juin 2003

Le bouddhisme tibétain

Le bouddhisme, doctrine montrant la voie de la cessation de la souffrance, est arrivée au environs du VIIème siècle au Tibet et a petit à petit imprimé sa marque sur les hauts plateaux et sur ceux que la légende considère comme les descendants du Bodhisattva de la compassion.

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I. L’apparition du bouddhisme

Le bouddhisme est né dans le nord de Inde, dans l’actuelle région de l’Uttar Pradesh, au VIème siècle avant Jésus Christ. A cette période, l’Inde était en pleine effervescence spirituelle, les différentes écoles hindouistes se multipliant et propageant leur enseignement à travers l’Asie, de la méditerranée à la mer de Chine, via les routes commerciales.

A cette époque, en Inde s’était déjà ancré le concept de réincarnation, concept qui sera par la suite une des croyances fondamentales du bouddhisme. « Née sans doute de la rencontre des conceptions animistes et de la constatation de l’évolution cyclique des faits naturels et des rythmes saisonniers, l’idée d’une mort suivie d’une renaissance est apparue (…) inéluctable. Elle se résume dans la doctrine du samasâra, migration circulaire sans fin. La renaissance s’opère dans une condition sociale, voir animale, en rapport avec les actes passés. D’où l’idée d’une rétribution des mérites et des fautes. Le corps disparaissant à la mort, c’est le karman, considéré comme l’acte moral (dans sa conception et ses résultats), qui est cause des naissances nouvelles dans une condition bonne ou mauvaise, selon la valeur des actes accomplis et accumulés ultérieurement ». Le Bouddha va offrir aux hommes un chemin vers la délivrance permettant d’échapper à ce cycle infernal des renaissances.

II. Le Bouddha

Celui qui portera le nom de Bouddha est un prince né aux environs de Kapilavastu, ville du nord de l’Inde située dans le bassin moyen du Gange, au VIème siècle avant Jésus Christ. La vie de ce prince nommé Siddartha Gautama a toujours été tissée de légende. Ses parents, le roi Souddhodhâna et la reine Mâyâ, souverains de la tribu des Sâkya, étaient sans enfant lorsqu’un jour la reine Mâyâ vit en songe un éléphant blanc pénétrer son flanc droit. Ce rêve, présage de l’arrivée prochaine sur terre d’un être exceptionnel, précéda de peu la naissance du prince Siddartha, qui, selon la légende, sortit du flanc droit de sa mère sans la blesser. L’enfance du prince se passa en fêtes et réjouissances. Il se maria à seize ans avec Gopâ, elle aussi du clan des Sâkya, avec qui il eut un fils, Râhula.

L’univers dans lequel vivait Siddartha était conçu pour lui éviter la vue de toute douleur. Mais un jour, lors d’une sortie à l’extérieur du palais, il fit quatre rencontres qui inspirèrent son désir d’entrer en religion.

  • La première de ses rencontres était celle d’un vieillard ;

  • La deuxième celle d’un malade ;

  • La troisième celle d’un cortège funèbre ;

  • La quatrième celle d’un sage errant.

C’est en voyant ces souffrances que Siddartha sut qu’il devait entrer en religion. Le jour de son Vingt-neuvième anniversaire, il quitta en cachette le palais, aidé de son écuyer Chandaka. Il devint alors à son tour un religieux errant, vivant de la charité des hommes et appelé Sâkiamuni, « le sage des Sâkya ». Sa quête spirituelle l’amena à pratiquer plusieurs doctrines, de l’ascétisme à la méditation, mais aucune ne répondait à son attente. Suivant sa route vers le sud, il arriva près de Gâyâ, à Urulivâ, au bord de la rivière Nairanjana. Ce lieu parut à Sâkyamuni et aux cinq disciples qui l’accompagnaient propice à la méditation. Ainsi pendant plusieurs jours il médita sous un « arbre au chevrier » (ajapâla). Selon la tradition, c’est au cours d’une nuit de pleine lune du mois de vaisâkha (avril-mai), la nuit de son trente-cinquième anniversaire, que le sage Sâkyamuni atteint le Complet Eveil. Il devint le Bouddha, celui qui sait le chemin menant à la cessation de la douleur. Il resta sept semaines sur le site, appelé Bodh Gâyâ, avant de partir enseigner aux hommes sa doctrine, ce qu’il fera sa vie durant.

Son premier sermon est le sermon de Bénarès, considéré comme la « mise en mouvement de la roue de la loi ». Ce sermon fut prononcé lors d’une nuit de pleine lune du mois d’âshâdha (juin-juillet). Pendant la première veille, le Bouddha garda le silence. Pendant la deuxième veille, il mit en garde contre les pratiques religieuses excessives, « les voies extrêmes », prônant l’engagement dans « la voie moyenne ». Au cours de la troisième veille il énonça la doctrine. L’adhésion à la doctrine des premiers disciples qui eut lieu à ce moment précis marqua le début de la sangha, la Communauté. A partir de ce sermon de Bénarès, la Communauté bouddhiste prit vie et la doctrine put être enseignée aux hommes. Le Bouddha poursuivra ses enseignements jusqu’à son extinction. C’est le jour de son quatre-vingtième anniversaire qu’intervint le Mahâparinirvâna du Bouddha, sa « Grande Totale Extinction ». Ce jour là comme le jour de sa naissance, du Complet Eveil et de la Mise en mouvement de la roue de la loi, il est dit que la terre trembla.

III. La doctrine

La doctrine du Bouddha Sâkiamuni est celle de la délivrance de la souffrance. Effectivement la doctrine bouddhiste est fondée sur la souffrance inhérente à la vie humaine et son but est de délivrer l’homme de cette souffrance. Pour cela, il n’existe pas de divinité suprême vers qui se tourner ni aucune aide magique. Le seul moyen de quitter le chemin de la souffrance qui se reproduit vie après vie est de sortir de l’ignorance. Dans son premier sermon, le sermon de Bénarès, le Bouddha énonça la doctrine des « Quatre Nobles Vérités » : vérité sur la douleur, vérité sur l’origine de la douleur, vérité sur la cessation de la douleur et vérité sur le Sentier Octuple (les huit perfections à atteindre pour faire cesser la douleur).

La première vérité est la constatation que l’existence est douleur. La vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, être uni à ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime est souffrance, ne pas réaliser son désir est souffrance. Or l’homme qui revient sur terre vie après vie est sans cesse confronté à cette souffrance. Il doit comprendre quelle est son origine pour essayer de la combattre.

La deuxième vérité explique l’origine de la douleur : l’ignorance. C’est là l’origine fondamentale de la souffrance. L’ignorance entraîne un désir, lui même suivi par une action faite pour le satisfaire. Par l’effet des sensations éprouvées en accomplissant l’action, de nouveaux désirs naissent. Ces désirs sont de deux ordres : le désir d’éprouver de nouveau les mêmes sensations, si l’action a causé des sensations agréables ; ou le désir d’éviter ces mêmes sensations, si l’action a entraîné des sensations désagréables. Les actions produisent des sensations qui font naître de nouveaux désirs, et cet enchaînement se poursuit à l’infini, tant que l’ignorance subsiste.

La troisième vérité concerne l’arrêt de la douleur. C’est la fin de l’ignorance qui entraîne la fin du désir. Le désir cessant d’exister, l’incitation à l’action ne se produit plus. L’action n’ayant plus lieu, les sensations résultant de son accomplissement ne se produisent plus et les désirs, dont ces sensations sont la cause, ne voient pas le jour.

La quatrième vérité porte sur le « chemin qui mène à l’arrêt de la douleur ». Ce chemin est le Sentier Octuple :

  • 1. Vision parfaite ;

  • 2. Représentation parfaite ;

  • 3. Parole parfaite ;

  • 4. Activité parfaite ;

  • 5. Moyen de subsistance parfait ;

  • 6. Application parfaite ;

  • 7. Présence d’esprit parfaite ;

  • 8. Position du psychisme parfaite.

Ayant acquis ces caractères, les hommes prennent conscience de la nature de la souffrance et peuvent combattre l’ignorance. Sortis de l’ignorance, ils pourront enfin sortir du cycle des renaissances, le Samsâra, et donc échapper à la souffrance inhérente à la vie humaine.

Avec le temps, le bouddhisme s’est scindé de façon plus ou moins nette en plusieurs courants, appelés les Véhicules.

  • Le premier est le Petit Véhicule, Hinâyâna. Les disciples du Petit Véhicule visent à atteindre le nirvâna et sortir du sâmsara (le cycle des renaissances). C’est une pratique individuelle, puisqu’ils recherchent uniquement leur propre salut.

  • Le Grand Véhicule, l’autre grand courant du bouddhisme, appelé Mahâyâna, prône l’atteinte de l’éveil, c’est-à-dire l’accès à la boddhéité (la nature de bouddha), mais retarde le nirvâna afin de ne pas sortir du cercle des renaissances.

Par le même chemin que les disciples du Hinâyâna, les disciples du Mahâyâna deviennent des bodhisâtva, Bouddha en devenir mais qui continueront de renaître pour sauver d’autres hommes. Enfin un troisième courant, le Tantrayâna est une pratique du bouddhisme vraisemblablement liée à de vieilles croyances magiques et religieuses demeurées vivantes en Inde et ailleurs. Lors de la propagation du bouddhisme, certains pays furent plus influencés par un Véhicule que par un autre ; ainsi le bouddhisme pratiqué au Sri Lanka est inspiré du Petit Véhicule tandis que celui pratiqué au Tibet est un syncrétisme entre le Grand Véhicule, le Tantrayâna et des croyances ancestrales.

IV. L’expansion du bouddhisme

A la disparition du Bouddha, la Communauté fut agitée par de nombreuses influences. Le nombre des disciples du Bouddha avait cru rapidement et la sangha était composé d’hommes venus de divers horizons, partageant une même foi mais ayant reçu l’Enseignement en différents lieux, sans forme dogmatique et donc jamais avec les mêmes imprégnations. Afin d’éviter un schisme, les disciples se réunirent en un grand concile, avec pour but de régler les questions de doctrine et de discipline religieuse afin de permettre une diffusion harmonieuse de l’Enseignement du Bouddha. De nombreux autres conciles eurent lieu qui fixèrent la doctrine. Cependant les enseignements du Bouddha ne furent consignés par écrit qu’un siècle avant l’ère chrétienne. Ils constituèrent ce que l’on appelle les Sûtra, textes bouddhistes réunis en Corbeille des Textes (Sûtrapitaka).

Comme le souligne Murielle Moullec, le bouddhisme est une « religion missionnaire », puisqu’un des devoirs des bouddhistes et notamment des moines, les bikhus, est de faire don de la Loi. C’est pour cette raison que les moines traduisirent la parole du Bouddha dans un nombre extraordinaire de langues, et ce avant même l’ère chrétienne. Le bouddhisme se propagea tout d’abord vers le nord, en direction de l’actuel Pakistan et de l’Afghanistan. De là, au tout début de notre ère, il gagna les oasis d’Asie centrale, empruntant le trajet de la Route de la Soie, principale voie commerciale dans cette région à cette époque. C’est par cette Route qu’il pénétra en Chine, aux environs du Ier siècle. Ce n’est que trois cent ans plus tard, au Vème siècle environ qu’il atteignit l’Asie du sud-est, le Japon et la péninsule coréenne. Au VIIème siècle enfin, il arriva au Tibet.

V. Le bouddhisme tibétain

La tradition veut que le Tibet soit la terre d’Avalokiteshvara, le « Bodhisattva de la compassion » et que les tibétains soient ses descendants. La légende dit qu’en 127 avant Jésus-Christ, le Tibet serait resté sans souverain, quand un roi indien nommé Rupati survola l’Himalaya et arriva dans la vallée de Yarlung, lieu de naissance légendaire du peuple tibétain. Considéré comme d’essence magique, il fut proclamé roi, et on lui donna le nom tibétain de Nyatri Tsenpo. Avant l’arrivée du boudhisme, la religion indigène et la culture du Tibet était le Bön. Aujourd’hui le Bön n’a pas totalement disparu. Il a été petit à petit assimilé au bouddhisme.

C’est aux environs du VII ème siècle que le bouddhisme arriva au Tibet. Comme dans les autres pays d’Asie, c’est sous le patronages des souverains que le bouddhisme se diffusa, suivant le destin de ces dynasties. Les tibétains considèrent qu’il y eu deux diffusions successives du bouddhisme. Pour la « première diffusion », la légende remplace l’histoire, avec la venue depuis l’Inde de nombreux maîtres, dont les deux fondateurs du bouddhisme tibétain, Sântarakshita et Padmasambhava. Puis l’histoire se précise et les historiographes mentionnent Trisong Détsen, roi-sage, qui imposa le bouddhisme comme religion officielle du royaume du Tibet au VIII ème siècle. Puis au milieu du IX ème siècle, la dynastie des Yarlung s’effondra et le bouddhisme tibétain connut une période noire. Il refit son apparition avec ce que les tibétains appellent la « diffusion ultérieure » (chidar), à la fin du X ème siècle.

Les premiers religieux qui réactivèrent le bouddhisme au Tibet se réclamèrent d’une transmission ininterrompue depuis l’introduction de la doctrine de Bouddha au Tibet. Ce groupe de moines fut par la suite appelé les « Anciens » (Nyamingpa). Dans le même temps, dans un royaume de l’ouest tibétain, des rois pieux descendants de la dynastie des Yarlung qui avaient eux aussi décidé de renouer avec les origines de la diffusion du bouddhisme sur les hauts plateaux envoyèrent des jeunes hommes en Inde et invitèrent des pandits (sages) indiens à venir enseigner au Tibet. C’est à partir de là que la traduction en tibétain des canons bouddhiques commenca. Différentes écoles furent créés depuis ce mouvement. L’une d’entre elle, l’école des Kadampa, « ceux qui suivent les instructions orales », fut créée par le pandit Atisha (958-1054), qui rétablit la doctrine du Bouddha dans sa vision originelle ainsi que les règles monastiques.

Aujourd’hui trois grandes écoles se distinguent dans le bouddhisme tibétain : les Gelugpa, les Sakyapa et les Kagyupa.

  • L’école des Gelugpa, ou école des Vertueux a été fondée par Tsongkhapa (1357-1419) au XVème siècle et appelée par les chinois « école des bonnets jaunes » du fait de la couleur jaune des coiffes de ses membres. C’est l’école à laquelle appartient le Dalaï Lama, école qui suit avec rigueur les règles monastiques.

  • L’école des Sakyapa est appelée par les chinois l’« école des bonnets rouges », également en raison de la couleur des coiffes de ses adeptes. Cette école fut créée vers le début du XI ème siècle, avec la venue au Tibet d’adeptes du tantrisme indien qui s’installèrent dans un grand nombre de monastères tibétains.

  • La troisième grande école est celle des Kagyu, « l’école de la transmission orale ». Le premier maître de cette école, Marpa, n’en fut pas le fondateur, ni même son élève célèbre Milarépa, mais un des disciples de Milarépa.

Au fur et à mesure de la propagation du bouddhisme au Tibet, de nombreux monastères furent construits, véritables centres à la fois religieux et administratifs. Au sein de ces « Universités de la foi » régnait une stricte hiérarchie. Les novices, Trapas, représentaient le grade inférieur, suivis par les maîtres de la foi (Lamas), les réincarnations importantes (Tulkous) et enfin les Rimpoche (littéralement les « Précieux » ).

Le statut du Dalaï Lama procède d’une voie différente. Au XVIIème siècle, le souverain mongol qui contrôlait le Tibet et règnait sur la Chine, Gushri Khan, décerna à Ngawang Lobsang Gyatso, cinquième réincarnation d’un disciple de Tsongkhapa et alors roi du Tibet, le titre de cinquième Dalaï Lama, ce qui signifie « Océan de sagesse », consacrant ainsi les quatre réincarnations qui l’avaient précédé. Le cinquième Dalaï Lama restaura la souveraineté du Tibet et, jusqu’en 1959 et l’occupation chinoise, le Tibet fut une théocratie dirigée par les Dalaï Lama issus de l’Ordre des Gelugpa, détenteur du pouvoir temporel et spirituel.

Un autre personnage important de la hiérarchie bouddhiste au Tibet est le Panchen Lama, ou Baiqen Erdini en chinois. A la différence du Dalaï Lama, il ne possède aucun pouvoir temporel, mais sa stature spirituelle est très importante au Tibet. Les rapports entre Dalaï Lama et Panchen Lama, du fait de leur importance respective, furent souvent conflictuels, et ce surtout depuis le XIX ème siècle, lorsque les empereurs Qing jouèrent de ces rivalités pour créer des dissenssions entre les deux autorités tibétaines et se faire un allié du Panchen Lama. Cela montre s’il en était besoin les liens très forts entre politique et religion au Tibet.

VI. L’emploi injustifié du terme de « lamaïsme »

Lors de lectures sur le Tibet, on rencontre couramment le terme de « lamaïsme » pour désigner le bouddhisme tibétain. Il est important de souligner que l’emploi de ce terme est totalement injustifié. Effectivement le mot lamaïsme signifierait une religion des lamas, laissant de côté toute référence au bouddhisme. C’est pourquoi il est plus juste, pour souligner la particularité du bouddhisme au Tibet, de parler de bouddhisme tibétain. Les Tibétains appellent leur religion chö, ce qui signifie dharma, « ordre des choses, loi », ou sangyé ki chö, « loi du Bouddha ».

Notes

À lire :

  • « La sagesse du Bouddha », de Jean Boisselier, éditions Découvertes Gallimard, 1993.

  • « Le bouddhisme du Bouddha », d’Alexandra David-Neel, éditions Pocket, 1989.

  • « Le bouddhisme », de Murielle Moullec, sous la direction de Lilian Silburn, Fayard, Paris, 1997.

À consulter :