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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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La scène politique irakienne aujourd’hui en 2006

L’équilibre actuel des forces politiques irakiennes (2006).

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Après les élections de Janvier 2005, la presse internationale a exprimé ses inquiétudes face à la montée d’un pouvoir chiite en Irak. Sur le terrain, l’équilibre des forces est bien plus mêlé et fragile, la recherche d’un consensus autour d’un pacte national reste au cœur du problème. La question du communautarisme ne se résume en aucun cas à un problème de confession ou d’ethnie. En effet la fin des grandes idéologies nationalistes arabes ou communistes après la guerre froide qui pouvaient éventuellement représenter une alternative, a laissé le champ de la lutte pour le pouvoir vide de tout réfèrent à un parti. Aujourd’hui, le champ politique loin de prendre la voie de la laïcisation comme le requiert une démocratie, s’oriente vers une lutte pour le pouvoir au nom des différences communautaires dues aux erreurs majeures commises dans le passé.

Le paysage politique irakien est passé après 2003 d’un espace monopolisé par le Baath à un espace disputé. Le confessionnalisme est certes devenu très développé mais il ne faut pas simplifier les choses au point de penser qu’il existe des blocs unis, même si pour simplifier j’ai divisé la scène irakienne en blocs. Il faut garder à l’esprit qu’il existe des diversités idéologiques et organisationnelles, ainsi que des luttes internes pour un seul objectif : le pouvoir, et non comme certains tendent à le penser, pour un certain esprit prosélyte.

Afin de comprendre les enjeux que représentent les communautés en Irak aujourd’hui, il faut savoir que ce sont elles qui sont devenues le moyen d’expression d’une identité à préserver.

Ainsi la liste chiite qui est diverse, utilise cette identité comme référent commun d’un passé d’oppression et de privation du pouvoir, malgré leur majorité de fait.

De la même façon, la liste kurde se rassemble autour d’un réfèrent géographique sur le Kurdistan autonome. Ces deux communautés s’appuient sur un sentiment d’oppression collective et d’exclusion des instances depuis la formation de l’Etat irakien.

Chez les sunnites, l’appartenance communautaire s’appuie notamment sur un sentiment d’exclusion et d’injustice depuis 2003, peu structurée sous Saddam Hussein elle se positionne en temps que telle sur la scène politique irakienne.

Enfin la liste d’Iyad Allaoui se structure autour d’un projet anti-confessionnel et laïcisant.

I. Les Chiites

Les chiites qui rappelons le, représentent la plus importante communauté en Irak, ont de tout temps tenté d’être présents dans le champ politique irakien de différentes manières. Ils ont été nombreux à adhérer au parti Baath (parti sécularisant) avant d’être évincés par le pouvoir arabo-sunnite qui organisa une purge en son sein, il en a été de même avec le parti communiste irakien qui représentait le plus important du Moyen-Orient jusque dans les années 70, avant d’être lui même pourchassé. Les années 80 ont mis fin pour un temps à la réislamisation de la communauté du fait de la guerre Iran-Irak, preuve majeure du patriotisme irakien transcendant l’appartenance au chiisme. Jusqu’à la chute du régime de Saddam, il n’y a jamais eu de tentative de réislamisation de cette communauté, de par la terreur menaçant les hautes autorités chiites(leur influence ayant largement diminué) et du fait que les Irakiens se considèrent avant tout comme des Irakiens. La guerre de 2003 a donc permis de supprimer l’épée de Damoclès au dessus des autorités religieuses, l’expression d’une frustration de privation de pouvoir depuis la création de l’Irak d’une communauté majoritaire, mais aussi l’utilisation du fait communautaire à des fins politiques.

Le bloc chiite (alliance unifiée irakienne) est formé d’une vingtaine de partis avec des indépendants d’orientations idéologiques très differentes à propos des relations entre la religion et l’Etat, le statut des oulémas ou vis-à-vis de l’occupant américain.

  • 1. La mouvance populiste de Moqtada Sadr

L’une des forces les plus importantes actuellement de ce bloc politique est le mouvement Sadr II. Ce mouvement est apparu à la chute du régime de Saddam et s’est révélé être très largement majoritaire sur la scène politique irakienne. C’est la version populaire du chiisme qui s’est exprimé durant le pèlerinage massif des 40 jours après l’Achoura. Cette mouvance est très influente dans les assemblées provinciales et mobilise un grand nombre de partisans, notamment des jeunes. Le leader Moqtada Sadr, trop jeune pour bénéficier d’une quelconque reconnaissance officielle de la part du clergé chiite, tire sa légitimité, non de la théologie mais de la continuité avec son père, l’ayatollah Mohammed Sadek Sadr assassiné par Saddam en 1999. Son prestige, il le doit à son réseau d’agents religieux et social dans le pays ainsi qu’à son opposition à l’occupation américaine. Son discours aux forts accents populistes touche essentiellement les classes urbaines pauvres et les jeunes. Ce mouvement est clairement anti-américain et s’affirme comme un mouvement de l’intérieur par opposition aux nombreux partis en exil qui sont revenus en 2003. C’est Moqtada Sadr qui organisa un soulèvement populaire en Avril 2004 après la chute du régime de Saddam en s’appuyant sur l’Armée du Mahdi, sorte de milice qu’il a lui-même crée. Ce fut une erreur tactique car sa base est certes populaire mais ne peut rivaliser avec les autorités chiites traditionnelles.

  • 2. Le parti Da’wa

Le parti Da’wa a pour légitimité sa longue histoire de lutte contre le régime de Saddam Hussein : il s’agit du parti islamiste irakien le plus ancien. Sa figure emblématique était l’ayatollah Mohammed Bakir Sadr, assassiné en 1980. C’est une organisation assez décentralisée et divisée depuis les dernières élections en deux branches. Mais ce parti se revendique comme étant totalement indépendant de l’Iran. Son programme politique est précis et accepte de coopérer avec les partis laiques. Le problème irakien doit être résolu grâce à une décentralisation suivant la division des anciens vilayets ottomans et non basé sur les communautés.

  • 3. L’ASRII

Le parti ASRII (Assemblée Suprême de la Révolution Islamique en Irak), est quant à lui davantage centralisé et réputé pour son conservatisme. Il est pour l’émergence en Irak d’un système politique basé sur le Wilayat al faqih (conseil des oulémas dans politique) et donc d’une gouvernement à l’iranienne. Crée avec le soutien de l’Iran pour fédérer l’opposition chiite, il contrôle lui aussi une grande partie des assemblées provinciales. L’ASRII a été clairement favorable au renversement du régime de Saddam par les Américains. Elle est très réticente à l’idée d’un fédéralisme qu’elle assimile à une idée occidentale.

  • 4. Le CNI

Au sein du bloc chiite est également présent le Conseil national irakien d’Ahmed Chalabi qui n’a pas d’orientations claires bien qu’il se réclame d’une perspective séculière tout en s’étant rapproché des partis islamistes.

La liste n’est pas exhaustive, il existe d’autres partis minoritaires au sein du bloc chiite.

Un élément non négligeable est influant pour les forces politiques en Irak : l’ayatollah Sistani qui est devenu depuis l’invasion américaine une personnalité politique incontournable.

Tout a commencé lors de la guerre en 2003 durant laquelle l’ayatollah était loin d’appeler à la lutte armée alors même que des soldats « infidèles » envahissaient l’Irak. Une majorité de chiites était arrivée à la conclusion que seule une intervention extérieure pouvait les libérer du régime en place. C’est cette ambiguïté qu’exprima Sistani. Puis, en juin 2003, il prit une position remarquée : « les élections au suffrage universel, déclara-t-il, sont nécessaires pour légitimer tout nouveau gouvernement, la constitution devant être rédigée par des Irakiens élus, et pour respecter l’identité islamique du pays ». Depuis, l’ayatollah s’est imposé comme un acteur central sur la scène politique et a permis de pacifier la situation pour sortir de la crise que Moqtada Sadr avait entraînée en Avril 2004. Il a aussi participé à la réorganisation de la société irakienne dans les régions chiites.

II. Les Kurdes

Depuis la fin de la guerre du Golfe, un champ politique autonome existe au Kurdistan irakien mais les deux principaux partis sont évidemment le Parti Démocratique du Kurdistan(PDK) de Barzani se réclamant du socialisme et l’Union Patriotique du Kurdistan(UPK) prônant un islamisme réformé. Ces deux partis se sont à maintes reprises affrontés provoquant même une guerre civile dans les années 70.

III. Les partis à tendance séculière

Ce sont les grands perdants ,ils ne se réclament ni d’une identité confessionnelle, ni d’une identité ethnique. Il s’agit essentiellement d’exilés revenus au pays appartenant aussi bien au Parti Communiste irakien, qu’au mouvement démocratique national (MDN) ou à l’alliance nationale irakienne(ANI). Ils sont en perte réelle de vitesse.

IV. Sunnites

Il existe :

  • Le parti islamique irakien qui est idéologiquement proche des Frères musulmans et qui était basé à Londres mais opposé à l’intervention américaine de 2003 ;

  • Le Comité des oulémas musulmans crées à la chute de Saddam Hussein qui est une force politique incoutournable.

Globalement la lisibilité du bloc sunnite est difficile en raison de liens supposés ou réels des forces politiques concernées par l’insurrection et peu d’informations sont disponibles. L’ancrage de l’idéologie nationaliste arabe en Irak a dès le début été difficile car elle permettait de justifier la domination sunnite sur les chiites.