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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Emilie Bousquier, Paris, 2006

La coopération européenne au développement au service de la prévention des conflits

Une approche intégrée en vue de la stabilité démocratique.

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I. Les liens entre démocratie, développement et sécurité

A. La démocratie, facteur de paix

L’idée sous-jacente est que les conflits sont souvent liés à l’accroissement de la pauvreté et au creusement des inégalités internes ou internationales, même si d’autres sources de conflit peuvent servir à déclencher les crises ; en sens inverse, les conflits aggravent le sous-développement. Tout conflit provoque une aggravation des problèmes de développement. Les pays occidentaux se sont alors centrés sur l’idée selon laquelle la démocratie est source de stabilité et de paix. « Les crises pouvant surgir entre nations dites « avancées » peuvent provenir de la compétition politique et économique dans laquelle elles sont engagées ou de phénomènes économiques et financiers mal contrôlés. Mais elles n’ont aucune chance, dans un avenir prévisible, de dégénérer en conflit violent » (1). En revanche, dans le monde extra-occidental, les conflits ou les situations de crises peuvent menacer de déboucher sur des conflits violents. C’est pour cette raison que l’Union européenne, plus particulièrement la Commission européenne, s’efforce de recentrer sa politique de développement autour de la réduction de la pauvreté et de la démocratisation des pays en développement. La bonne gouvernance, la démocratie et ensuite la paix se sont progressivement imposées à la Communauté internationale comme des enjeux fondamentaux des stratégies de développement. Toutefois, comme nous venons de le voir, la paix semble être un préalable au développement, « sans stabilité, sans sécurité ou paix, les efforts en matière de démocratisation et de développement apparaissent vains » (2). Cependant, la paix et la stabilité sont parfois difficiles à atteindre. La Communauté internationale, et ici, l’Union européenne se sont accordées pour conclure que la démocratie était le premier but à atteindre dans les pays en développement afin de prévenir les conflits ou de les calmer. L’« imposition » de la démocratie à tous les régimes du monde est néanmoins discutable. La démocratie est-elle réellement le régime idéal ? Peut-elle s’appliquer à tous les Etats ? Est-elle nécessairement toujours compatible avec les différentes cultures existantes sur notre planète ? Autant de questions qui amènent au débat surtout de nos jours. Mais il s’agit du choix de développement de l’Union européenne. D’ailleurs, M. Mitterrand, lors du Sommet France-Afrique à La Baule en juin 1990, s’était exprimé de la manière suivante : « C’est la démocratie qui mènera au développement, pas l’inverse ». On voit bien l’attachement des hommes politiques à cette notion de démocratie qu’ils pensent invincible.

B. La démocratie, un préalable au développement ?

De la démocratie découle la notion de bonne gouvernance, que nous avons étudiée auparavant. Cette dernière renvoie à la manière dont l’Etat gère politiquement les ressources économiques et sociales d’une société. Elle est considérée par les bailleurs de fonds - y compris l’Union européenne - comme un mode d’accès à la démocratie. Mais face aux échecs du développement et la persistance de la pauvreté, ces donateurs ont estimé que l’absence de démocratie serait la cause profonde du retard de développement des pauvres. Nous revenons donc à l’idée selon laquelle la démocratie est au centre de la notion de développement ; une idée qui peut être contestable comme nous l’avons précisé auparavant. Ainsi, « l’assistance à la démocratisation s’est imposée comme l’un des principaux instruments de la politique étrangère des Etats membres de l’Union européenne » (3). Toutefois, ces efforts de démocratisation n’apportent pas toujours les résultats escomptés ; il s’agit d’une tâche difficile à accomplir.

Nous pouvons faire ressortir les liens entre démocratie et développement, relevant de multiples interactions. Cependant, la démocratie n’est pas toujours un préalable au développement. Prenons l’exemple de l’Amérique latine dans la deuxième moitié du XXème siècle, où l’on peut relever plusieurs exemples de succès économiques (Mexique, Brésil, Chili) conduits par des régimes autoritaires.

C. Une approche intégrée de l’UE en matière de prévention des conflits

Mais l’Union européenne prône une approche intégrée en matière de prévention des conflits. De la politique de développement en général à des actions plus ciblées en faveur des victimes, la gamme des instruments communautaires au service de la prévention des conflits est large. La Commission européenne, dans une communication au Parlement et au Conseil, en date du 20 avril 2000, prévoit une approche « intégrée » qui cherche à créer, restaurer ou consolider la stabilité structurelle dans tous ses aspects : développement économique, démocratique et de l’Etat de droit, respect des droits de l’Homme, des structures étatiques solides, respect de l’environnement. « La Commission doit ainsi mobiliser tous ses instruments (politique de développement, commerciale, environnementale…) pour traiter le plus en amont possible les causes profondes des conflits et, par là-même, éviter que les tensions sous-jacentes ne dégénèrent en conflit ouvert » (4). L’Union européenne doit alors prendre en compte les spécificités de chaque pays tout en recherchant une stabilité durable ou structurelle, comme au Salvador ou au Guatemala. Les documents de stratégie par pays sont un élément essentiel de cette approche intégrée. Il s’agit pour la Commission, non pas de se poser en professionnel de la démocratie, mais d’aider avec modestie ceux qui, sur le terrain, travaillent à l’enracinement des valeurs défendues par l’Union européenne. De plus, la Commission prévoit de mieux prendre en compte les facteurs belligènes par la mise en place d’indicateurs d’exclusion politique, sociale, ethnique ou de dégradation de l’environnement : « ces indicateurs couvrent par exemple le degré de contrôle des forces de sécurité par le pouvoir civil, la composition ethnique du gouvernement, la représentation des femmes dans les institutions, le degré d’épuisement des ressources naturelles ; ils doivent permettre pour chaque pays, de repérer en amont les sources de tension et, ensuite, d’identifier les projets comprenant des mesures de prévention des conflits » (5).

Ainsi, l’approche intégrée de tous les instruments de relations extérieures proposée par l’Union européenne dans la prévention des conflits renvoie notamment à l’idée même de la cohérence, de l’ambition de coordonner la politique commerciale, extérieure et de sécurité commune avec celle de la coopération au développement. L’Union européenne doit pouvoir trouver un équilibre entre les réactions à court terme aux crises et les stratégies à long terme ; et dans ce domaine, passer de la réaction à la prévention de la fragilité des Etats qui peut dégénérer en crises ou conflits plus ou moins violents. L’Union européenne, en partant de l’expérience acquise dans le secteur de la coopération, s’est donc dotée d’un dispositif général de prévention des conflits censé harmoniser les atouts de la diplomatie préventive avec celle de la construction de la paix.

II. La politique de coopération de l’Union européenne en Amérique latine : pourquoi consolider la paix dans la région ?

La paix dans une région va faciliter les échanges de cette région avec le reste du monde. Que ce soit des échanges économiques, culturels ou autres, l’Union européenne soutient des relations fortes avec l’Amérique latine, pour les raisons que nous avons analysées auparavant. Mais il est nécessaire de rappeler que la deuxième moitié du XXème siècle n’a pas été de tout repos pour la démocratie en Amérique latine. En effet, plusieurs Etats ont été dirigés par des régimes totalitaires (Argentine, Chili, Guatemala, Nicaragua, Colombie…), qui ont parfois amené des conflits plus ou moins violents, voire de véritables guerres civiles à se développer. Ces régimes autoritaires ont vu leur réputation bafouée par la Communauté internationale ; les Etats-Unis et l’ONU sont intervenus à de nombreuses reprises en Amérique latine dans le but de mettre un terme à cette « épidémie » de caudillos. On peut dire que depuis le début des années 1980, l’Amérique centrale apparaît comme un exemple précoce de « promotion de la démocratie » par des acteurs externes. « La promotion de la démocratie est devenue une des toutes premières priorités des organismes multilatéraux investis dans la région » (6). Les différents « Sommets des Amériques », dans la lignée de celui de Miami de 1994, ont été l’une des formes privilégiées pour la mise en avant de cet objectif. Toutefois, le bilan économique et social de la démocratisation des années 1980 est si décourageant que les Latino-américains appellent cette période la « décennie perdue » dans la mesure où la pauvreté extrême n’a guère reculé, ayant même augmenté dans certains pays. Les pays occidentaux campent sur leurs convictions des bienfaits de la démocratie ; pour eux, cette situation est un mal pour un bien. Selon la CEPAL, la proportion des foyers affectés par cette pauvreté dans le sous-continent serait passée de 35 % en 1980 à 41 % en 1990. Et si, dans certains cas, « la croissance a été au rendez-vous, elle n’a profité qu’à des minorités urbaines déjà favorisées, accentuant le creusement des inégalités et justifiant l’expression ’développement déformant’ » (7).

Cependant, l’action des tiers n’est rendue possible qu’avec le bon vouloir des autorités concernées et des populations qui reçoivent l’aide. En effet, « les résultats positifs d’expériences de développement fondés, dès le départ, sur des initiatives populaires qui reposent sur le capital social des communautés qui les animent. Des exemples de ce passage de la population jusque-là « objet » des projets d’agences internationales à des populations « actrices » de ces projets ont été mis en évidence, notamment en Colombie et au Pérou, ce qui démontre les bienfaits en matière de développement durable d’une démocratisation plus participative » (8).

L’approche intégrée de l’Union européenne en matière de prévention des conflits trouve un bon exemple dans l’action de l’UE en Colombie. Dans le cas colombien, le conflit est malheureusement déjà ouvert, et ce depuis de nombreuses années ; il met aux prises l’armée régulière colombienne, plusieurs mouvements de guérilla et des organisations paramilitaires. Il est aussi compliqué par la prolifération d’autres fléaux tels que les violations des droits de l’Homme, la production et le trafic de drogue, le crime organisé, les prises d’otages… Face à une telle situation qui semble inextricable, « la Commission et les Etats membres s’efforcent de coordonner tous les instruments à leur disposition au service du processus de paix :

  • un soutien politique aux pourparlers de paix (plusieurs Etats membres participent en qualité de « pays-amis et facilitateurs » aux dialogues en cours entre le Gouvernement et les deux principaux mouvements de guérilla) ;

  • une politique commerciale qui cherche à lutter, par le biais de schémas de préférence généralisés, contre la production et le trafic de drogue ;

  • une politique de développement qui se concentre sur les premières victimes du conflit, les personnes déplacées et les populations civiles visant des zones contrôlées par les guérillas » (9).

L’instabilité dans certains Etats pousse l’Union européenne à agir en faveur de la paix et de la démocratisation afin de maintenir la paix et la sécurité internationales mais également en vue d’entretenir des relations commerciales avec ces pays, souvent riches en ressources naturelles, en matières premières.

La thématique de la prévention des conflits est donc une justification importante de la politique de coopération au développement de l’Union européenne en Amérique latine. Les Etats membres de l’Union estiment en effet, que la démocratisation des pays en développement est un vecteur indispensable à la paix et au développement. De la stabilité dans ces régions découlent la paix et la sécurité internationales, l’existence de relations de diverses natures avec les pays développés.

Nous avons analysé, dans cette première partie, les enjeux de la coopération de l’Union européenne en Amérique latine, en mentionnant les différents instruments juridiques communautaires en faveur de cette politique, puis en dégageant les objectifs et les intérêts d’une telle aide la part de l’Union européenne. Cette analyse s’est centrée sur l’action de la Communauté en matière de coopération au développement : comment, avec qui et pourquoi a-t-elle agi ? Il serait donc judicieux de se pencher à présent sur la façon dont la région Amérique latine reçoit l’aide au développement et collabore avec l’Union européenne. En effet, la deuxième partie mettra l’accent particulièrement sur la réaction des bénéficiaires de l’aide en Amérique latine, leur collaboration pour la mise en œuvre des projets communautaires d’aide au développement et enfin sur les perspectives à long terme de cette aide en Amérique latine.

Notes :

(1) Bussière (Robert), L’Europe et la prévention des crises et des conflits – Le long chemin de la théorie à la pratique, op.cit., p. 32.

(2) Nkundabagenzi (Felix) et Santopinto (Federico), Le développement - Une arme de paix, GRIP, Editions complexe, 2003, p. 21.

(3) Peron (Christine), « Promouvoir la démocratie ?  » , Revue Critique internationale, N°24 juillet 2004, p. 107.

(4) Patten (Chris), « Prévention des conflits, gestion de crises : une contribution européenne », op.cit., p. 651.

(5) Idem, p. 653.

(6) Garibay (David), « La démocratie prescrite par les autres : l’Amérique centrale ou les élections à tout prix », revue Critique internationale, n°24 juillet 2004, p. 134.

(7) Marchesin (Philippe), « Démocratie et développement », revue Tiers monde, n°179, juillet-septembre 2004, p. 492.

(8) Idem, p. 504.

(9) Patten (Chris), « Prévention des conflits, gestion de crises : une contribution européenne », op.cit., p. 651-652.