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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Morgane Auge, Pierre Bardin, Emmanuel Bargues, Christelle Bony, Claire Grandadam, Nicholas Zylberglajt, Paris, juin 2006

L’Amérique latine et les dictatures avant 1976 : différents chemins d’une même logique

Les dictatures latino-américaines trouvent un point de convergence dans le Plan Condor orchestré en grande partie par la dictature chilienne.

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Le Plan Condor : point de convergence des dictatures latino-amérincaines

La réunion fondatrice de la coordination des dictatures militaires latino-américaines du Chili, du Paraguay, de l’Argentine, de l’Uruguay, du Brésil et de la Bolivie des années 1970-80 a lieu de fin novembre à début décembre 1975, à Santiago du Chili, et a permis de poser les bases d’une coopération militaire et policière des pays participants. Dans le cadre de ce plan, les opposants politiques étaient arrêtés dans un des pays participant à l’alliance secrète et envoyés vers leur pays d’origine, ou bien restaient détenus dans ces pays. Certains affirment que le premier théâtre d’opération du Plan Condor a été le Brésil, première des dictatures militaires des années 1970-80. En ce qui concerne l’Argentine, selon la CONADEP, (Commission d’enquête argentine sur les disparus de la dictature militaire) douze Argentins ont disparu au Brésil dans le cadre du Plan Condor. Le célèbre pianiste argentin, Miguel Angel Estrella, a été arrêté en Uruguay en 1978 puis emprisonné en Argentine jusqu’en 1981, d’où, grâce à la pression internationale, il a été libéré puis s’est exilé en France. La coopération entre les différents régimes a aussi permis des opérations de plus grande envergure, qui ne se limitaient pas au territoire latino-américain, mais qui se sont étendues en Europe et en Amérique du Nord. Ainsi, l’ancien ambassadeur du gouvernement Allende aux Etats-Unis, Orlando Letelier, a-t-il été assassiné à Washington en septembre 1976 par des agents chiliens.

Brésil

Le renversement du président brésilien Joao Goulart en 1964 est à situer dans le cadre plus général de l’influence croissante des forces armées latino-américaines, alliées des Etats-Unis, dans un contexte de guerre froide. Entre 1964 et 1985, le Brésil a été gouverné par une succession de régimes autoritaires mêlant, à la différence d’autres pays latino-américains, des hauts commandants militaires, des technocrates et hommes politiques civils. Relativement tolérant au début, le régime autoritaire brésilien du président Artur da Costa e Silva (1967-1969) bascule dans la répression des opposants politiques. De 1969 à 1973, celle du mouvement guérillero se poursuit alors que, parallèlement, un durcissement politique se produit dans d’autres pays latino-américains souffrant de la polarisation des forces politiques. C’est seulement une fois les mouvements de lutte armée démantelés que le régime entreprend une libéralisation relative, sous la présidence de Geisel (1974-1979).

Chili

Au Chili, l’année 1970 marque l’arrivée du socialiste Salvador Allende au pouvoir, avec 36,3 % des voix. Un gouvernement sans majorité parlementaire ne permet guère de soutenir les politiques du président Allende. Mais le système politique chilien, jusque-là assez pluraliste et stable, semble d’abord bien se maintenir malgré l’arrivée d’un gouvernement socialiste. L’Union Populaire entame une réforme agraire et nationalise les mines de cuivre, mais la situation économique est affectée par un fort taux d’inflation. Les trois premières années de la présidence Allende sont marquées par une polarisation politique de la société chilienne et des tentatives de complots de la part du haut commandement militaire. Les autorités américaines et les factions les plus à droite des commandements militaires, voient dans le gouvernement Allende le danger d’un « Cuba bis ». D’autres courants fondent au contraire l’espoir d’un changement radical. En 1973 les élections législatives accordent 43 % des voix à l’Union Populaire grâce au soutien des ouvriers et paysans. Elles renforcent sa légitimité populaire et lui confèrent un soutien plus large au Parlement. Mais le gouvernement Allende produit également des divisions importantes au sein de la société chilienne. Entre mars et juillet, la situation se détériore, et les actions armées de factions de droite comme « Patria y Libertad » se multiplient. Les grèves et occupations d’usines prolifèrent. Allende décide de renforcer les pouvoirs des forces militaires dans l’espoir de garantir une certaine stabilité institutionnelle et d’empêcher les tentatives de coup d’Etat militaire. Or, les conspirations se multiplient. Le coup d’Etat, coordonné et planifié sous le commandement du Général Augusto Pinochet, un militaire qui était jusque-là considéré comme un constitutionnaliste, a lieu le 11 septembre 1973. La répression est très rapide, particulièrement brutale et très médiatisée dans le monde. Le coup d’Etat marque les esprits, notamment à cause du suicide d’Allende, considéré par certains comme un martyr de la cause révolutionnaire, par d’autres comme l’idéal d’une gauche arrivant au pouvoir par des moyens démocratiques et par d’autres encore, à l’inverse, comme l’illustration du danger marxiste en Amérique Latine.

Argentine

Le cas argentin s’inscrit dans ce contexte. En 1966, le coup d’Etat militaire du général Juan Carlos Onganía avait proclamé l’avènement de la « Révolution Argentine » et commencé à concrétiser la polarisation et le mécontentement au sein de la société. Contrôle social, persécutions politiques et dissolution parlementaire ont marqué le régime militaire d’Onganía. En 1969, se cristallise une opposition syndicale explosive, qui culmine dans le « Cordobazo », soulèvement étudiant et ouvrier dans la ville de Cordoba et symbole de la résistance d’une partie de la société argentine. A partir de ce moment-là, la violence politique monte d’un cran et augmente considérablement, avec d’un côté, la répression du gouvernement militaire, et, de l’autre, la mobilisation de groupes de lutte armée d’extrême gauche. Le successeur d’Onganía, le général Alejandro Lanusse, légalise le péronisme et permet le retour d’exil du Général Perón, considéré par certains commandants militaires comme une solution pouvant rassembler la société argentine. Juan Domingo Perón est élu à la présidence en septembre 1973, et sa femme Isabel devient vice-présidente. Le retour de Perón est marqué par l’interdiction de l’Armée Révolutionnaire du Peuple (ERP) et la persécution de militants de gauche. La mort du Général Perón en juillet 1974 amène sa femme, Isabel, à la présidence. Influencée par son ministre José López de Rega, Isabel Perón durcit le régime. La société argentine est alors le théâtre d’affrontements très violents et de plus en plus radicalisés, entre mouvements de lutte armée de gauche et organisations paramilitaires de droite. Le mandat d’Isabel Perón court en principe jusqu’en 1977, mais chacun s’attend à une prise de pouvoir effective par les militaires. En effet, le 24 mars 1976, la junte militaire s’empare du pouvoir et le général Videla, commandant en chef, devient président. Pour beaucoup d’historiens, il s’agit du coup d’Etat le mieux prédit de l’histoire, du moins argentine.