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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Morgane Auge, Pierre Bardin, Emmanuel Bargues, Christelle Bony, Claire Grandadam, Nicholas Zylberglajt, Paris, juin 2006

L’hétérogénéité des situations des Argentins

Les situations des exilés argentins ont été très diverses de par leurs conditions de départ et d’arrivée, mais aussi de par le degré d’implication qui a été le leur dans les réseaux de solidarité en France.

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Les conditions de départ des Argentins

L’exil des Argentins en France débute en 1974, mais prend des proportions beaucoup plus importantes à partir du coup d’Etat en 1976. Les conditions de départ des victimes de la répression ont été, tout comme l’expérience de l’exil en soi, très diverses. Nous pouvons toutefois relever quelques parcours récurrents. Cinq principaux parcours peuvent être ainsi identifiés :

  • Une grande partie des Argentins qui vivaient déjà dans la clandestinité dans leur pays, se sont déplacés jusqu’à Puerto Iguazú, pour atteindre le Brésil par voie terrestre. Une fois arrivés dans ce pays, notamment à Rio de Janeiro, ils contactaient des réseaux et/ou les services du Haut Commissariat aux Réfugiés pour organiser leur départ vers différents pays d’accueil, optant souvent pour la première opportunité qui se présentait.

  • Une autre possibilité consistait à s’adresser en Argentine aux consulats étrangers, notamment italien, suédois, espagnol et israélien. Dans ce cas, les personnes partaient directement d’Argentine pour l’Europe.

  • Les Argentins d’origine juive pouvaient bénéficier de la possibilité de retour en Israël offerte à tous les juifs du monde. Un grand nombre d’Argentins ont pu bénéficier de ce mécanisme.

  • Certains se sont retrouvés sur la route de l’exil après avoir invoqué le droit d’option. L’article 23 de la Constitution argentine stipulait en effet qu’en cas de désordre interne ou de menace externe, le pouvoir exécutif avait la possibilité d’arrêter et de transférer des personnes à travers le pays, sauf si ces personnes préféraient quitter le territoire national. Le Derecho de Opción est donc une dérogation au droit de l’exécutif d’arrêter ou de maintenir une personne en prison sans procès pendant un état de siège, situation qui prévalait depuis novembre 1974. Mais la Junte militaire supprime le droit d’option sitôt après le coup d’Etat. Face à une pression internationale importante, ce droit sera toutefois rétabli peu après de façon limitée, permettant à certains prisonniers, sous réserve de l’accord du pouvoir exécutif et après une période d’au moins 90 jours passée en prison, de quitter le pays. Malgré ses limites, ce droit a permis à quelques centaines de prisonniers politiques, souvent emprisonnés avant même le coup d’Etat, de quitter le pays, soit après une courte période de liberté surveillée, soit dès la sortie de prison. Plusieurs Argentins ont pu se réfugier en France après avoir invoqué le droit d’option. Mme Morel-Caputo, à l’époque vice-consul de France, indique ainsi qu’entre 1980 et 1983 « chaque mois, [elle a rendu] visite aux détenus politiques qui demandaient à bénéficier du droit d’option pour la France. [Elle] a ainsi pu se rendre dans toutes les prisons de la ville de Buenos-Aires (Casero, Devoto, Ezeiza) et en province (La Plata et la prison de haute sécurité de Rawson, Patagonie). (…) Dans le suivi des dossiers, [elle] était en contact avec toutes les organisations de droits de l’Homme en Argentine, en particulier les Grands-mères de la Place de Mai. »

  • Enfin, une grande partie des exilés argentins se sont débrouillés comme ils ont pu, arrivant en Europe avec un simple visa touristique et sans contact.

L’arrivée

Entre 1974 et 1983, selon les estimations les plus crédibles, 3000 Argentins sont arrivés en France, dont 900 ont bénéficié du statut de réfugié octroyé par l’Office Français des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). Marina Franco souligne que « l’exil argentin (…) présente une grande hétérogénéité selon l’ampleur des groupes affectés : militants politiques et syndicaux, professionnels, intellectuels et une grande quantité de personnes sans militance politique significative » (1).

Arrivés en France, les Argentins ont été confrontés à une série de difficultés pratiques auxquelles il leur fallait trouver des solutions rapides. Les exilés arrivant avec leurs enfants devaient trouver un logement correspondant à leurs nécessités, une école assez flexible pour permettre l’intégration d’enfants ne parlant pas la langue française et en situation d’instabilité émotionnelle.

  • L’école :

Les mairies ont souvent joué un rôle fondamental dans ce domaine, mettant à la disposition des nouveaux arrivants toute une série de soutiens facilitant l’entrée dans le système éducatif français. Tel a été le cas, par exemple, de la Mairie de Fontenay-sous-Bois qui a organisé une rapide intégration des enfants d’exilés latino-américains dans le milieu scolaire. Les familles argentines ont eu la possibilité d’inscrire leurs enfants dans la quinzaine suivant leur arrivée, ce qui leur permettait de dédier une plus grande partie de leur temps à l’accomplissement de toutes les procédures nécessaires à leur installation, notamment à la recherche d’un logement et d’un emploi. Il ne faut pas oublier que lorsqu’une famille arrive avec des enfants à sa charge, l’intégration dans une société nouvelle ne se résume pas à celle de simples individus, mais concerne un groupe. L’effort à fournir se multiplie, l’interaction entre l’intégration d’un membre de la famille et celle d’un autre est tout à fait importante. Des parents ne peuvent pas s’intégrer dans une nouvelle vie si leurs enfants s’en sentent exclus et vice-versa. Aussi, le fait de voir leurs enfants fréquenter des écoles où ils étaient bien accueillis a-t-il représenté un grand réconfort pour ces familles, qui y puisaient l’énergie nécessaire à la résolution d’autres problèmes.

  • Le logement :

Une autre épreuve à surmonter consistait en la recherche d’un logement. Des mairies, comme celle de Fontenay-sous-Bois, ont fourni une aide importante, mettant à disposition des appartements HLM dans un délai relativement court et à un prix extrêmement intéressant. Ces communes avaient souvent compris que leur aide ne devait pas être ressentie comme de l’assistanat, mais comme la mise à disposition de moyens permettant de s’intégrer le plus vite possible à la société française, élément important dans la reconstruction psychologique des exilés.

Une fois le logement trouvé, il fallait le meubler. À ce propos, au travers d’anecdotes évoquées lors des entretiens, nous avons pu observer combien les liens de solidarité entre les Argentins eux-mêmes ont été forts. Ainsi, toutes les semaines, un petit groupe faisait-il le tour des quartiers ouest parisiens pour récupérer du matériel électroménager usagé et des meubles que les familles bourgeoises françaises sortaient sur le trottoir dans l’attente du ramassage des ordures encombrantes. Ces Argentins s’employaient ensuite à faire en sorte que les meubles et le matériel électroménager usagés puissent de nouveau servir. Les enfants étant à l’école et le logement étant aménagé, une nouvelle vie pouvait commencer.

  • L’apprentissage linguistique :

Un troisième aspect pratique essentiel était celui de l’apprentissage de la langue. La capacité à communiquer dans une nouvelle société est fondamentale pour pouvoir s’intégrer et vivre normalement au quotidien. Les nouveaux arrivants se voyaient souvent proposer la possibilité de prendre des cours de français. Cependant, la quantité de démarches à accomplir, le temps consacré à la recherche d’un emploi et à la prise en charge d’une famille rendaient impossible un apprentissage académique régulier de la langue française. En règle générale, ce n’a été qu’au bout de la première année de résidence en France que les réfugiés et exilés ont commencé à pouvoir communiquer avec une certaine aisance. Autrement dit, l’apprentissage de la langue s’est bien davantage fait par la pratique que grâce à des cours.

Un aspect de la question souvent signalé, vécu comme toujours présent, est celui de l’accent. Parler français avec un accent argentin peut faire partie de l’identité des réfugiés et exilés. L’accent et une certaine difficulté à parler français ont suscité certains complexes, surtout au début : pour les exilés, les Français ne pouvaient que se poser la question de savoir ce qu’il y avait derrière cet accent. Mais la conservation de leur accent a été aussi ressenti comme une façon d’exprimer un vécu spécifique, une histoire. La langue, comme l’a dit Noam Chomsky, le célèbre linguiste américain, est une “fenêtre dans l’âme”. Alors, quelle était cette âme ? La langue représentait, et représente toujours, une synthèse du vécu : des exilés Argentins, mais en France, parlant le français, mais avec un accent argentin. En apparence secondaire, la langue a joué et joue encore un rôle très important dans l’expression de l’intégration des Argentins dans la société française.

Notes :

(1) : Marina Franco, « Testimoniar e informar: exiliados argentinos en París (1976-1983) », Amérique Latine Histoire et Mémoire, Numéro 8-2004 - Médias et migrations en Amérique Latine, [En ligne], mis en ligne le 18 avril 2005.