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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse Dossier : La transformation politique des conflits

Grenoble, avril 2008

Les tribunaux islamiques en Somalie : une bonne politique de la gouvernance ?

Mieux comprendre les sources de la légitimité politique des acteurs « islamistes ».

Mots clefs : Rôle des anciens belligérants dans la construction de la paix | Analyser des conflits du point de vue politique | Islam | Organisation communautaire | Proposer un nouveau projet de société | Mener des négociations politiques pour rechercher la paix | La corne de l'Afrique

A partir de 1991 et à la chute du dictateur Siad Barré, la Somalie a connu une période de chaos voyant l’affrontement permanent de multiples chefs de guerres et autres clans . Un pouvoir central n’a pas su émerger pendant une quinzaine d’années et le Gouvernement Fédéral de Transition (Transitional Federal Government ; TFG) mis en place a été contraint de s’exiler dans la ville de Baidoa dans le sud du pays. L’arrivée des Tribunaux Islamiques (TI) au pouvoir en juin 2006 est un événement considérable dans l’histoire du conflit somalien. Bien qu’ayant pris le pouvoir par les armes, durant son bref règne, (juin 2006 - décembre 2006), l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI) semble avoir acquis une certaine légitimité aux yeux du peuple somalien. Cette légitimité nous a menés à nous interroger sur la question de la gouvernance en Somalie, à savoir si les TI étaient une bonne option de gouvernance pour la Somalie ?

Qu’est-ce que la bonne gouvernance ? Selon l’OCDE, la gouvernance est la manière dont s’exerce l’autorité politique, économique et administrative dans la gestion des affaires d’un Etat. Le concept de « bonne gouvernance » est apparu à la fin des années 1990 dans les conditionnalités liées aux financements octroyés aux pays en développement par les institutions financières internationales et autres bailleurs de fonds. Ce nouveau type de conditionnalité, s’il puise sa logique dans un fondement théorique pertinent, n’est cependant pas sans poser problème dans sa mise en œuvre effective. Il pose notamment la question de savoir si la « bonne gouvernance » est un concept universel et adaptable ou non à toutes les nations. Ce concept n’est-il pas dans certains cas tout à fait relatif ?

Dans ce concept, les grandes institutions intergouvernementales englobent plusieurs principes :

  • l’obligation de rendre des comptes ;

  • la transparence ;

  • l’efficience et l’efficacité ;

  • la réceptivité ;

  • la prospective ;

  • la primauté du droit ;

  • le respect des Droits de l’Homme ;

  • un Etat de droit.

Ainsi, les violations des Droits de l’Homme, la corruption et l’insécurité légale entravent le développement de la bonne gouvernance. La question de la légitimité entre en ligne de compte. Selon le Petit Larousse, la légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, ou en équité. Elle repose sur une autorité qui est fondée sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d’un groupe. Après les longues années de troubles politiques, sociaux et culturels que la Somalie a connues, les TI étaient-ils le régime le mieux adapté au pays ?

Dans un premier temps, nous analyserons le contexte historique de leur arrivée au pouvoir à l’aide d’une étude chronologique des événements. Nous nous attacherons ensuite à développer la doctrine des TI. Enfin nous verrons comment ils sont organisés à travers leur structure et leur gouvernance. Pour finir, nous tenterons d’apporter, chacun à notre tour, une réponse à la problématique initiale, que nous développerons dans une opinion personnelle.

1. Genèse des Tribunaux Islamiques en Somalie

Il apparaît difficile de trouver des informations sur les activités des TI en Somalie avant 2002 (année de création de l’UTI et de son bras armé) ou même avant 2006 et l’éclatement du conflit armé interne entre l’UTI et l’ARPCT. Il semble que l’UTI soit restée discrète jusqu’alors laissant place, de facto, aux multiples chefs de guerres. Néanmoins, il semble que des radicaux islamistes (futurs membres des TI) aient joué un rôle majeur dans la défaite des Américains lors de leurs interventions en 1992 dans la capitale.

Dans un pays majoritairement musulman, la philosophie radicale des TI est présente depuis des décennies en Somalie mais toutefois étant toujours marginalisée. Elle a pu se développer et s’exprimer plus facilement à partir de 1991 et la chute du dictateur Siad Barré. Les TI ont eu à partir de ce moment des activités plus ouvertes.

C’est en 1993 que les premiers tribunaux islamiques sont crées en Somalie. Ils n’ont jusqu’à présent eu qu’une activité souterraine et informelle. Ils restent marginaux et éparpillés dans le pays. Cependant, l’année 2002 voit une certaine unification de ces organes avec la naissance de l’UTI. Cette instance est dirigée par le Cheikh Sharif Cheikh Ahmed autoproclamé à la tête du mouvement. A la même époque, l’UTI se dote d’une milice armée. L’UTI et sa milice deviennent alors un acteur majeur de plus dans le conflit interne dont souffre la Somalie.

Forces en présence et émergence de l’UTI

Ainsi, au printemps 2006, la prise de Mogadiscio (capitale de la Somalie) par les forces de l’UTI a brutalement ramené sur le devant de la scène un pays largement oublié par la communauté internationale depuis 1995. L’échec de l’opération « humanitaire » militarisée de lOrganisation des Nations Unies (ONU), entre 1992 et 1995, avait en effet refroidi les ardeurs de cette dernière.

Depuis octobre 2004, la Somalie possédait un gouvernement théorique internationalement reconnu : le TFG, basé d’abord à Nairobi (Kenya) puis à Baidoa, en Somalie. Il n’avait pas pu s’établir à Mogadiscio, la capitale restant aux mains des « seigneurs de la guerre ». Laborieusement mis en place après plusieurs années de tractations, le TFG était destiné à remplir le vide politique provoqué par la guerre civile consécutive à la chute du dictateur Siad Barré en 1991. Cependant, s’il est reconnu internationalement, le TFG n’a jamais eu aucune autorité dans son propre pays. Il est en outre déchiré par des querelles de personnes entre son Président le Colonel Youssouf Abdullahi, son Premier Ministre Ali Mohamed Gedi et le Président du Parlement Sharif Hassan Cheikh Adan.

Créé sous l’égide de l’ONU, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne et de la Ligue Arabe, le TFG est la matérialisation de l’ingérence internationale dans les affaires intérieures de la Somalie. Nouant ouvertement de bonnes relations diplomatiques avec l’Ethiopie, l’ennemi historique du pays, le TFG est logiquement vu d’un très mauvais œil par la population locale. Bien qu’il soit officiellement reconnu par la communauté internationale, il ne s’agit que d’un gouvernement de jure : depuis plusieurs années, il peine à asseoir sa souveraineté à cause de l’anarchie née de la rivalité entre les seigneurs de guerre et qu’il ne sait contenir. Seul, il s’estime trop faible pour faire face à la « menace islamiste » que présente, selon lui, l’UTI, il a donc fait appel à l’aide extérieure.

Le gouvernement de transition ne dispose pas d’une armée fiable, mis à part la milice tribale Majertine du Puntland. Jusqu’en juin 2006, les seigneurs de la guerre, chefs de bandes militaires claniques issues de l’effondrement de l’Etat en 1991, régnaient en maîtres sur le terrain, la nomination de plusieurs d’entre eux comme « ministres » n’y ayant rien changé. S’appuyant sur les mooryaan, jeunes voyous souvent drogués, ils avaient plongé la capitale Mogadiscio, et plusieurs régions du pays, dans une terreur anarchique. Leurs troupes, peu ou pas payées, se livraient au vol, à l’enlèvement, au viol et à de meurtrières attaques à main armée. Les seigneurs de la guerre n’en faisaient pas moins de fructueuses affaires, notamment dans le trafic du qat (une plante euphorisante), la piraterie, la contrebande du bétail et la téléphonie mobile.

C’est face à cette anarchie que des groupes se réclamant de l’Islam politique créent, en 1993, les premiers tribunaux islamiques, fédérés depuis 2002 au sein de l’UTI dirigée par Cheikh Sharif Cheikh Ahmed. L’analyse clanique, déterminante en Somalie, révèle que la plupart de ces tribunaux sont dominés par des membres de la famille clanique Hawiyé et du clan Haber Gidir. Cette réalité posera sans doute un jour des problèmes au mouvement islamique car, si les Hawiyés sont nombreux, ils n’en sont pas moins divisés (M. Gedi, le premier ministre du TFG, est lui-même Hawiyé), et leur implantation est limitée à la Somalie centrale.

Prise du pouvoir par l’Union des Tribunaux Islamiques

A partir de 2006, devant l’influence et l’ingérence du voisin éthiopien et des Etats-Unis d’Amérique qui soutenaient l’Alliance pour la Restauration de la Paix et contre le Terrorisme (ARPCT), formée par les chefs de guerre et quelques clans, les TI décidèrent de lancer une offensive contre la capitale ; en peu de temps et après quelques batailles clés ils s’emparèrent du pouvoir et annoncèrent leur volonté d’installer la Charia dans tout le sud du pays.

Nous nous attacherons ci-dessous à établir une chronologie des événements depuis cette initiative.

  • 21 et 24 mars 2006 : les premiers affrontements entre les hommes de l’ARPCT et l’UTI font 73 morts à Mogadiscio. L’UTI accuse les Etats-Unis de financer l’ARPCT.

  • 8 et 14 mai 2006 : les TI attaquent l’ARPCT dans le nord de Mogadiscio, déclenchant de nouveaux combats qui font cette fois 150 morts dans la capitale.

  • 5 juin 2006 : les miliciens des TI s’emparent de Mogadiscio.

La ville de Jowhar, dernier bastion des chefs de guerre de l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT), ou les chefs de guerres s’étaient retranchés après leur défaite du 5 juin, est le théâtre d’affrontements sanglants seulement quelques jours après la prise de Mogadiscio. Une fois encore l’UTI s’empare de Jowhar, une ville symbolique, pour asseoir leur pouvoir.

Après ces batailles éclair, les TI contrôlent la plus grande partie de la population et les principales villes (Jowhar, Kismayo, Beledwayn…). Ces derniers instaurent la Charia dans les régions sous leur contrôle. Seules les régions arides du Nord et les régions les plus à l’intérieur des terres dans le sud étaient hors de leur contrôle.

La partie verte sur la carte ci-contre représente la zone sous contrôle de l’UTI à partir du mois de juin 2006 et jusqu’au 26 décembre de la même année avant leur recul.

Le retrait du pouvoir de l’UTI : 12 jours

Aussi rapidement qu’ils sont arrivés au pouvoir, les Islamistes en sont chassés en quelques jours : fin décembre, début janvier 2007. Ainsi, le 26 décembre 2006 : face à la pression des troupes gouvernementales et de l’armée éthiopienne, les islamistes évacuent plusieurs positions dans le sud et le centre, notamment autour de Baïdoa (250 km au nord-ouest de Mogadiscio), Dinsoor (120 km au sud-ouest de Baïdoa) et de Burhakaba (60 km au sud-est de Baïdoa). La ville de Mogadiscio est reprise le 28 décembre 2006. Le gouvernement de transition se déclare prêt à amnistier les combattants des TI et les appelle à déposer les armes.

Ces derniers refusent majoritairement et se replient alors dans le Sud-Est, près de la frontière kenyane où ils subissent une défaite à Kismayo le 1er janvier 2007. Dès lors, l’armée des TI est totalement neutralisée et les derniers combattants tentent de fuir vers le Kenya. La zone verte sur la carte ci-contre nous montre la perte de terrain de l’UTI qui conserve une relative influence dans l’extrême sud du pays.

Le 22 janvier 2007, le Cheikh Chérif Amhed, second des tribunaux islamiques, se rend aux autorités kenyanes, à Nairobi, après une traque commencée en décembre 2006. Chérif Amhed, chef du conseil exécutif de l’Union des tribunaux islamiques, en a été la principale figure publique jusqu’à la prise de Mogadiscio, après laquelle il a laissé la place à Hassan Dahir Aweys.

Il est intéressant de noter que la prise de Kaboul en 2002 n’a pas réglé le problème taliban, pas plus que celle de Bagdad, en 2003, n’a réglé le problème irakien ; celle de Mogadiscio par les Ethiopiens est loin d’avoir réglé le problème somalien. Il ne fait que commencer. Ainsi, le 19 mars 2008 le journal le Monde reporte qu’après des affrontements armés, des combattants islamistes ont pris le contrôle d’un camp militaire éthiopien dans le nord de Mogadiscio, selon des islamistes et une source indépendante. Ces attaques, dirigées par la mouvance islamiste, visent essentiellement les troupes éthiopiennes, les forces de sécurité somaliennes, les troupes de l’UA et des responsables gouvernementaux. Des combattants de l’UTI, alliés à des milices claniques, poursuivent toutefois une insurrection dans la capitale somalienne. On assiste de plus en plus à un vrai conflit de religion : l’UTI s’oppose idéologiquement au gouvernement de transition, plus laïque, ainsi qu’aux chefs de guerres et à certains clans. Les acteurs du conflit se sont multipliés depuis l’attaque ouverte de l’UTI. Il est intéressant de noter une position hautement manichéenne du conflit de la part de la communauté internationale.

En effet, l’UTI semblait, dans ce conflit, être isolée. Cela explique son renversement aussi soudain. Apparemment, leur accession au pouvoir était la conséquence d’une faiblesse du TFG qui souffrait de dissension interne. L’UTI, opportunément, se serait approprié le pouvoir que le TFG et l’ARPCT n’étaient en aucun cas disposés à tolérer.

L’UTI est alors considérée comme illégitime et illégale par la communauté internationale même si appréciée par une partie de la population de la Somalie. L’UTI n’a pas une politique de bonne gouvernance selon la communauté internationale. La prise du pouvoir par la force de la part de l’UTI et sa volonté d’instaurer la Charia l’exclut immédiatement des critères de bonne gouvernance définis dans l’introduction de ce dossier. Peut-être que l’UTI avec le temps se serait conformée à ces critères, en tout cas elle n’en a pas eu le temps car selon la communauté internationale, de part sa structure, l’UTI ne peut prétendre à la bonne gouvernance. Quid de sa légitimité ?

Nous avons vu que leur règne a été bref cependant important, à présent nous allons analyser leur Doctrine.

2. Idéologie

Décryptage des manifestations officielles

Le 6 juin 2006, c’est-à-dire au lendemain de la prise de Mogadiscio, le Secrétaire Général de l’UTI Hassan Dahir Aweys publie un communiqué de presse dans lequel il fait part de plusieurs affirmations, dont les suivantes :

  • Il dément fermement tout lien avec des réseaux islamistes terroristes tels qu’Al-Qaida ;

  • Il assure que l’UTI travaille pour une noble cause, qu’elle est au service des communautés ;

  • Il accuse le TFG de faire de la désinformation auprès des Etats-Unis, notamment de manipuler leur fixation sur le terrorisme international en établissant une confusion entre l’UTI et Al-Qaida, dans l’intention d’obtenir leur appui ;

  • Il fait appel au soutien de la communauté internationale ;

  • Dans son programme, il prévoit la reconstruction d’infrastructures de base et la restauration de la paix en Somalie.

Le 7 juin 2006 il est interviewé par Radio France Internationale. C’est l’occasion pour lui de préciser que l’UTI est plébiscitée par la population et de donner plus de détails sur son projet, à savoir :

  • Oeuvrer pour la stabilité sécuritaire ;

  • Pallier le vide judiciaire (il évoque ainsi la possibilité d’appliquer la loi islamique) ;

  • Négocier avec le TFG.

Avec cette annonce publique, le dirigeant clarifie les objectifs que l’UTI s’est donnés et expose sans ambigüité sa définition de la bonne gouvernance. Dans le cas de la Somalie, il est avant tout question d’agir pour le bien d’une population qui souffre et peine à faire entendre sa voix depuis plusieurs années. L’UTI souhaite ainsi mettre fin au chaos des seigneurs de guerre et rétablir un climat propice à la croissance économique.

Du fait, entre autres, de leurs fonds moins importants, d’autres groupes politiques islamistes modérés et non violents tels que Al-Islah, n’arrivent pas à acquérir le poids médiatique de l’UTI. Pour cette dernière, l’intervention militaire ne semble pas être une mesure prioritaire, elle constitue plutôt une réponse de dernier ressort à l’inaction du TFG. Le seul objectif de cette attaque est le rétablissement de l’ordre. Le but de cette mission, approuvée par le peuple, suffirait à justifier la légitimité de l’UTI et de son intervention. On peut critiquer le fait que l’UTI n’a pas constitué de parti politique élu au pouvoir de façon représentative par la population. De cette façon, elle aurait prouvé que le peuple lui a attribué cette mission et l’a poussée pour qu’elle la réalise en son nom. Au contraire, l’UTI se présente de facto comme une entité qui bénéficierait d’un soutien populaire et estime être la seule à avoir la volonté et la capacité pour changer positivement le cours des choses.

On comprend que l’occupation de Mogadiscio constitue un tremplin sur lequel l’UTI se hisse afin de mieux faire entendre ses revendications à la communauté internationale et au TFG. On remarque qu’au siège de la capitale, les TI s’autoproclament interlocuteur privilégié représentatif de la population somalienne et réclament des négociations avec le TFG. Il est possible d’en déduire qu’à l’origine, il était question de coopérer pour la reconstruction du pays et non de faire un coup d’état pour prendre le pouvoir sur tout le territoire. Or la communauté internationale a interprété la volonté des TI de rétablir l’ordre comme une stratégie pour une minutieuse prise du pouvoir. La communauté internationale aurait pu redouter que l’échec des négociations entre l’UTI et le TFG n’enlise davantage la guerre civile. Elle aurait probablement dû faire preuve de plus d’impartialité dans ce conflit et ne pas se placer d’office dans le camp du TFG afin de ne pas compromettre le déroulement des négociations prévues.

Piliers de l’idéologie

Il est à préciser que pour appliquer le droit, la Somalie disposait de lois constitutionnelles et de principes généraux de l’Islam. Depuis la chute de Siad Barre en 1991, la Somalie ne possédait plus ni constitution ni structure législative et se trouvait « sous la mainmise de chefs de factions et de leurs milices claniques ». Les TI ont constitué une assemblée législative qui a peu à peu bâti une base juridique et administrative, coupant court à l’anarchie, à l’économie souterraine et à la corruption instaurées par les seigneurs de guerre.

Du temps où l’anciennne constitution était en vigueur, l’Islam était la religion d’Etat. Dans les faits, la population somalienne reste très majoritairement musulmane. Pour les juristes, la loi islamique (Charia) ne peut être appliquée que dans les pays d’Islam. Pour quelque 250 groups civiques et religieux, la crise somalienne provient du fait que l’on n’est pas parvenu à agir en accordance avec la loi islamique. L’UTI est donc d’avis que cette loi applicable, d’autant plus qu’elle l’a été par le passé. Néanmoins, l’UTI précise que la décision d’adopter ou non la loi islamique la totalité du territoire appartiendra au peuple. Il convient de préciser qu’en Somalie, il n’existe pas de consensus quant au choix optimal de forme de gouvernement. En évitant délibérément d’aborder le sujet et en se défendant d’avoir tenté de prendre le contrôle sur tout le pays, l’UTI limite clairement son projet au domaine de la justice sociale et ne risque pas de rencontrer de vives oppositions politiques au sein du pays. Ce n’est pourtant pas le cas sur la scène internationale, crispée par la paranoïa vis-à-vis des TI.

Lors du règne éphémère des TI, la mise en place de cette jurisprudence a permis la fin de la criminalité extrême (rackets, pillages, viols, enlèvements…) et, dans une moindre mesure, la reprise plus sereine des activités économiques. L’accès au territoire à des fins humanitaires a été promis aux organisations internationales. D’un côté, la population apprécie le retour au calme : les armes ont été confisquées aux citoyens et les seigneurs de guerre se sont retranchés, les prestations de service de base (éducation, santé, etc) sont assurées, le port et l’aéroport sont ouverts, etc.

D’un autre côté, l’application parfois orthodoxe de la loi islamique (peine capitale et exécutions publiques, non-respect des normes internationales relatives à l’équité du procès, peines arbitraires, flagellations, humiliations, amputations, etc) laisse un goût amer à l’ensemble de la population. En effet, les différentes réglementations (interdiction du qat, interdiction de cultiver le tabac, fermeture des cafés et cinémas diffusant des films indiens et américains, interdiction de regarder la télévision, port du voile obligatoire pour les femmes) prises par les TI sont nouvelles et impopulaires. Les miliciens employés par les TI sont davantage attirés par la perception d’un salaire que par la défense de leurs idéaux. La population se résigne à accepter le règne des TI, jugé moins détestable que celui des seigneurs de guerre, mais moins virtuel que celui du TFG et nécessaire à la sécurité. Dès que l’UTI a fui, l’abrogation de toutes ses mesures liberticides a été immédiate et le vide politique (anarchie, crimes…) s’est à nouveau installé.

La population somalienne étant un groupe ethnique homogène, l’UTI est favorable à l’idée d’un peuple homogène et indépendant vivant sur un territoire unifié regroupant les zones où vivent les Somaliens, y compris celles incluses dans le territoire des pays voisins, une « Grande Somalie ». Les cinq pointes de l’étoile blanche du drapeau somalien symbolisent les zones où vivent les Somaliens : la Somalie britannique (Somaliland), la Somalie italienne (Somalie), la Somalie française (Djibouti), Ogaden (Éthiopie) et le District frontière du Nord (Kenya). On peut se demander si l’UTI s’approprie ce rêve nationaliste simplement pour accroître sa popularité, voire la légitimité de son action, auprès de la population structurée de façon hautement disparate. Auparavant, le gouvernement de Siad Barre avait déjà mis en avant cette idée pour rallier le peuple somalien à sa cause lorsqu’il attaqua l’Ethiopie et tenta de s’emparer de la région d’Ogaden. De plus, plusieurs groupes politiques et fondations islamistes, interdits durant la dictature de Barre, ont refait surface à partir de 1991 et se sont également appropriés cette utopie.

Cette vision est peut-être à rapprocher de l’espace vital revendiqué par Hitler. Outré par l’humiliation que subissait le peuple allemand après la Première Guerre Mondiale (il s’agissait de produire de la richesse pour supporter le coût des dégâts matériels constatés chez les vainqueurs de la guerre), il réussit à transmettre sa frustration à la population appauvrie qui se rassembla pour le soutenir. Animé par ce sentiment d’injustice, il évoqua, entre autres, la supériorité raciale de son peuple et revendiqua un espace vital pur suffisamment conséquent au sein duquel les personnes de race allemande uniquement vivraient de façon plus prospère. Ce bien-être ne pouvait être ressenti sans la conquête de cet espace vital. Cependant, dans le cas de la Somalie, on ne sait pas si, une fois au pouvoir, l’UTI avait l’intention de reconquérir les territoires susnommés et de raviver les hostilités avec le Kénya et l’Ethiopie.

3. Confrontation avec l’Ethiopie & le TFG

L’Ethiopie est un pays limitrophe à majorité chrétienne et allié des Etats-Unis. Ennemi historique de la Somalie, notamment en ce qui concerne la région d’Ogaden, l’Ethiopie est hantée par le cauchemar de voir émerger à ses frontières un Etat islamique et un refuge pour terroristes extrémistes. En effet, un faible nombre de terroristes auraient profité de l’absence d’état en Somalie pour s’y installer, faire transiter du matériel et des troupes et attaquer les pays voisins tels que le Kenya en 2002. La peur de l’Ethiopie serait d’autant plus justifiée qu’il existe des mouvements et des partis islamistes au sein même de son paysage politique. Elle a ainsi justifié son intervention militaire en Somalie par sa participation à la guerre anti-terroriste menée avec les Etats-Unis.

A bien y regarder, on s’aperçoit pourtant il s’agit d’un conflit au-delà de considérations religieuses. On peut se demander si la menace de la Somalie sur la puissance régionale de l’Ethiopie pourrait s’étendre aux plan politique et diplomatique. Si l’UTI renverse le TFG, la Somalie n’aurait alors plus besoin du soutien de l’Ethiopie. Elle deviendrait même un adversaire car l’UTI n’a pas pour but d’apaiser les tensions historiques entre la Somalie, qui deviendrait islamique, et l’Ethiopie chrétienne. D’ailleurs, la Somalie se tournerait vers de nouveaux alliés autres que l’Ethiopie tels que l’Erythrée.

Le TFG, proche de l’Ethiopie, n’inspire confiance ni à l’UTI, ni au peuple somalien. Le Premier Ministre du TFG s’est ouvertement déclaré favorable à la guerre contre le terrorisme. En février 2006, les seigneurs de guerre, des hommes d’affaires et le TFG fondent, avec le soutien de Washington, l’ARPCT. Cette milice a pour but de lutter contre les TI, et donc de rétablir l’ordre en Somalie. L’UTI a fait remarquer que la présence même des seigneurs de guerre responsables du désordre en Somalie au sein de cette alliance discrédite cette initiative. Les seigneurs de guerre n’ont évidemment aucun intérêt à rétablir l’ordre politique, mais plutôt à renverser l’ordre instauré par l’UTI pour profiter de l’absence d’état et reprendre leurs activités lucratives.

Depuis 2003, des islamistes extrémistes assassinent des agents (somaliens ou étrangers) suspectés de collaborer avec les Etats-Unis dans le cadre de la guerre contre l’Islam ; ces assassinats sont effectués sous couvert de la « légitime défense ». En commettant l’erreur de diaboliser l’Islam et de créer un amalgame justifiant la guerre contre le terrorisme, la confession du peuple somali, les Etats-Unis nourrissent le sentiment profondément anti-américain de la population, qui ne comprend pas la raison pour laquelle on s’attaque à sa foi et on la rapproche de l’extrémisme.

Parlant de « talibanisation », les Etats-Unis craignent de ne pas pouvoir diffuser plus largement leur vision occidentale de la liberté et de la démocratie par le biais du TFG, ainsi que de faire basculer la Somalie aux mains d’états possédant une idéologie rivale, tels que les pays de la Confédération islamique. En outre, sachant que l’UTI tire une partie de ses revenus de l’exploitation du pétrole, si elle venait à prendre le pouvoir en Somalie, les Etats-Unis sont parfaitement conscients du fait qu’il est très peu probable que l’UTI les choisisse comme partenaire commercial. Les Etats-Unis sont en fait préoccupés à l’idée de perdre le potentiel fournisseur en matières premières que représenterait la Somalie.

On peut également se demander si l’Ethiopie redoutait plutôt l’émergence d’une puissance capable de mettre à mal son hégémonie dans la région. L’Ethiopie possède pour le moment une économie plus stable et plus prospère que la Somalie. La situation chaotique de la Somalie permet à l’Ethiopie de développer ses activités sans faire face à une sérieuse concurrence. Dans l’éventualité où la Somalie se redresserait et reprendrait une place dans l’économie africaine et mondiale, l’Ethiopie se sentirait menacée et son influence régionale serait en difficulté.

Les seigneurs de guerre ont pu, des années durant, faire fi de la légitimité acquise par le TFG en instaurant leur propre régime de terreur parmi la population. Du côté de l’UTI, le TFG, un organe créé de toute pièce par la communauté internationale, est fortement remis en cause du fait de sa grande incompétence et de son incapacité à remplir ses obligations. Le TFG inspire de la déception du fait de son rapprochement de l’Ethiopie. Il n’est pas responsable devant son peuple : malgré sa présence, il ne semble pas vouloir répondre aux attentes. L’UTI se définit comme un nouvel acteur dans les affaires intérieures somaliennes et est convaincue d’être une solution alternative au TFG qui aura plus de chances de remédier efficacement à la situation.

Succédant à la dissolution du Gouvernement National de Transition (2000-2003 ; Transitional National Government, TNG), l’apparition du TFG est considérée comme une nouvelle tentative d’exercer le pouvoir à partir du haut auquel la population d’en bas est censée se plier sans se plaindre (technocratie). Il n’est pas représentatif de la population et semble être dominé par le clan Darod. Le TFG n’est donc pas le fruit d’une unité nationale et ne fait pas progresser le processus de réconciliation nationale. Cependant, son caractère artificiel exaspère l’UTI. La communauté internationale a trop tendance à intervenir dans les affaires intérieures d’un pays, et quand elle le fait, elle se positionne et ne soutient pas toujours le bon parti. L’UTI se positionne face à la communauté internationale depuis que celle-ci refuse de lui apporter son aide et s’obstine à rester du côté du TFG. Sans le vouloir, la communauté internationale renforce la légitimé de l’UTI aux yeux de la population. L’UTI se sait seule contre tous et puise sa force dans le fait qu’elle a été investie d’une mission confiée par son peuple.

Le 13 décembre 2006, l’Ethiopie ignore l’ultimatum lancé par l’UTI. Il s’agissait du retrait de ses troupes. Le 23 décembre 2006, l’UTI appelle à la guerre sainte contre l’Ethiopie. L’hostilité à la présence de troupes étrangères que l’UTI a manifestée est partagée par la population somalienne. Ils craignent une occupation militaire durable de l’Ethiopie (et l’augmentation du nombre de victimes parmi les civils), une manipulation du TFG par l’Ethiopie et les Etats-Unis, ainsi que le réarmement des seigneurs de guerre dans le cadre de la mise en place de l’ARPCT.

L’UTI se battait simultanément sur plusieurs fronts, ce qui peut amener à penser que sa chute était imminente : elle n’était pas de taille à combattre l’ARPCT, le TFG, l’Ethiopie, les Etats-Unis et la communauté internationale à la fois. Il est néanmoins intéressant de noter que, sans intervention extérieure à la Somalie, il est très fortement probable que l’UTI aurait été capable de vaincre le TFG et les seigneurs de guerres, puis de mettre à bien son projet. La dernière attaque de l’Ethiopie et du TFG n’aurait pas réussi à démanteler le réseau de l’UTI en profondeur, car cette dernière menace publiquement de réapparaître et de mener à bout son projet.

Selon l’UTI, l’ordre est conditionné par le retour et le respect de l’application des lois du pays. Le choix de l’UTI de proposer la loi islamique est vivement décrié par la communauté internationale. Quelles sont les raisons du rejet de cette jurisprudence ? Que peut-elle apporter à la population somalienne ?

4. Stabilité et Charia

Stabilité relative après l’arrivée des Tribunaux islamiques

Depuis la chute du gouvernement de Siad Baré, le pays a connu plusieurs périodes de tensions avec comme corollaire une anarchie totale due à la prise du pouvoir par les milices et seigneurs de guerre. Cette situation a entraîné beaucoup de violence et une multiplication de la circulation des armes au niveau de la population d’où un certain chaos constaté.

L’arrivée des tribunaux islamiques a poussé à la fuite, au démantèlement des seigneurs de guerre mais aussi à l’interdiction des armes créant un climat relativement stable. Ce changement s’est traduit par un soulagement de la population civile qui est la principale victime de cette violence. Devant le vide de pouvoir créé par la guerre civile, les mouvements islamistes dont Al Itihad al Islamiya ont financé de nombreux projets dans les années 1990 et 2000 pour venir en aide aux populations déshéritées.

A partir de 2004, ils ont connu un essor spectaculaire dans la capitale. En 2006, on compte au moins 11 tribunaux à Mogadiscio et chaque tribunal représente un clan ou un sous-clan. Ils sont regroupés au sein du Conseil Suprême (une sorte d’Assemblée parlementaire) et nomment le chef d’Al Itihad, le Cheikh Hassan Dahir Uweis à la tête du comité chargé d’appliquer les décisions du parlement. Dotés de milices bien armées, ils contestent le pouvoir des chefs rivaux (seigneurs de guerre) qui règnent en maître sur la capitale depuis le début de la guerre civile en 1991. Les TI ont été financés par des hommes d’affaires locaux mais aussi par des donateurs du Golf et bien entendu par Al Itihad Al Islamiya. Ils sont composés de façon très diverse (dirigeants, religieux, extrémistes, hommes d’affaires influents…). Ils ont aussi des objectifs variés : certains défendent la constitution d’un Etat islamique tandis que d’autres défendent surtout les intérêts de leur clan.« C’est un mélange très hétéroclite, tant au plan religieux que clanique » explique Rolland Marchal, chercheur au CNRS. On y trouve des confréries soufies comme la Qadiriya, d’anciens frères musulmans ou ce qu’il reste du parti islamiste d’Al Itihad. Il y a aussi une jeune génération de jihadistes, encadrés par des gens qui ont été formés en Afghanistan ou des extrémistes du type Takfir Wal- Hijra. Mais les tribunaux ne sont pas monochromes. Leur composition est très influencée par les clans locaux. Les grands commerçants qui financent les tribunaux veillent aussi à ce qu’ils ne soient pas exclusivement aux mains des salafistes . La composition des tribunaux montre les différentes sensibilités mais cela n’empêche pas la population d’y voir une lueur d’espoir dans la mesure où ils ont apporté ce climat de sérénité et de calme après tant d’années de chaos. Cependant devant tant d’intérêts en jeu c’est-à-dire ceux des seigneurs de guerre, du gouvernement de transition, d’autres puissances et des membres des tribunaux, cette situation ne pouvait perdurer longtemps.

La situation des tribunaux se reflétait dans l’application de la justice.

Une justice basée sur la Charia ou la coutume?

La Charia désigne la loi islamique basée sur le Coran. Du point de vue occidental, l’application d’une telle loi est décriée à cause des nombreuses dérives liberticides recensées par les organisations de protection des Droits de l’Homme. Selon la charia, il n’ya pas de séparation entre l’Etat et la religion.

Avant l’arrivée des tribunaux islamiques, l’application des lois dans le pays se faisait selon des principes fondés sur la coutume et les valeurs occidentales. Devant ce vide laissé par plusieurs années de guerre civile et d’anarchie ils ont voulu changer ces attitudes et amener d’autres valeurs basées sur la religion et la croyance. En ce qui concerne l’application de la Charia, elle est très variable. Les tribunaux sont traversés par de vraies divergences. D’un tribunal à l’autre le discours varie sensiblement :

  • Le tribunal de Hifka-Halane situé dans le quartier Gupta (Sud Mogadiscio) est réputé pour être plus radical. Il est présidé par Cheikh Hussein Mahmoud Jamahaleh.Dans ce tribunal la justice est rendue sur la seule base du Coran car généralement dans les TI, le droit coutumier se combine à la charia.

  • Le tribunal d’Harayale (au nord de Mogadiscio) est lui dirigé par Cheikh Ahmed Mohalim Assan. Selon lui, « les tribunaux sont ouverts pour sauver les fidèles de l’anarchie […]. Nous avons bâti des milices pour faire respecter la loi d’Allah car il n’y avait pas de police. Tous les somaliens doivent suivre l’enseignement du Coran […]. Nous notre rôle est de juger les fautifs. »

Enfin malgré ce que beaucoup pensent, chaque tribunal est issu d’un seul clan et ne tranche que les litiges qui touchent aux siens. Ainsi pour éviter d’interminables vendetta, les juges préfèrent les réparations matérielles. Un meurtre involontaire est payé d’une centaine de chameaux à la famille du défunt, ce qui est symbolique dans un litige impliquant deux communautés différentes. La réparation se fera selon les termes de la négociation et à la charge de tout le clan plûtot qu’à celle du seul fautif. Cela induit aussi des droits ― de regard, de jugement, d’ingérence ―, des devoirs et surtout des prérogatives de la communauté envers tous ses membres.

La justice des tribunaux islamiques en général fait un syncrétisme entre la coutume et la charia qui véhiculent toutes les deux des valeurs culturelles et religieuses partagées par la majorité de la population somalienne. La position de certains chefs religieux sur l’application de la charia peut être justifiée par le fait qu’une communauté doit partager les mêmes valeurs pour que la justice fonctionne de manière équitable et surtout partagée par tous les justiciables. Cependant les différentes tendances observées au sein des tribunaux reflètent la division même de la société somalienne qui ne cesse de subir des influences étrangères dont celles de l’Occident, du Proche Orient, de l’Ethiopie…

Le bilan de la gouvernance instauré par les UTI

Le bilan de la gouvernance instauré par les UTI fait débat entre les auteurs de cette fiche. Il est utile de montrer les opinions personnelles ci-dessous pour ensuite ouvrir le débat pour un public plus large (sur le site modop.org).

Selon Moustafa Kébé, Les TI ont en tout cas réussi à chasser les seigneurs de guerre et restaurer un climat de paix ce qui a été très important après plusieurs années de guerre civile. Mais la question de la Charia est un sujet discutable puisque au sein même des tribunaux il y a quelques divergences par rapport à l’idéologie et à l’application des lois. Ce que l’on peut affirmer c’est la légitimité qu’ils ont acquise au sein de la population. Cependant, en ce qui concerne la question de la bonne gouvernance des TI, c’est une expression très subjective dont le contenu varie selon les contextes et les intérêts de chacun. Peut-on appliquer la démocratie à la Somalie ? Ce que je puis en dire c’est un sujet exogène aux somaliens mais ils ont des valeurs à défendre dont leur coutume et leurs traditions plutôt que d’aller importer chez les autres.

Selon Stevie Hochschlitz, la légitimité que les TI ont acquise semble justifier ce mode de gouvernance. Cependant, derrière Bonne Gouvernance nous entendons également :

  • Le respect des citoyens ;

  • Le degré de développement des Droits de l’Homme ;

  • L’instauration d’un Etat de Droit…

Les TI ne semblent correspondre qu’au premier des critères cités ci-dessus : la Légitimité. Toutefois, la radicalité et la violence de leurs actions, notamment à travers l’application de la Charia, me font penser que les TI ne sont pas adaptés pour gouverner la Somalie. Dans le cas de l’UTI, la légitimité que cette dernière a acquise au sein de la population somalienne n’est, selon moi, que trompeuse et tout à fait relative. En effet, l’UTI repose sur des bases juridiques mais celles-ci sont répressives et non démocratiques. Ces bases juridiques sont les lois exprimées par la Charia. Ce sont de même des bases éthiques et morales discutables en ce sens qu’elles ne respectent pas les Droits de l’Homme. Les Droits de l’Homme peuvent être niés par l’UTI mais je pense que chaque citoyen devrait être capable de revendiquer leur application. Les Somaliens n’ont eu le choix qu’entre le Gouvernement de Transition, les Chefs de Guerre et les Clans ou bien les TI. Il me semble nécessaire qu’il soit ouvert à un régime plus démocratique, pas essentiellement fondé sur les démocraties occidentales mais basées sur leurs traditions. Il est essentiel qu’ils soient libres de choisir leur dirigeant et non qu’ils soient mis devant le fait accompli et d’accepter faute de mieux.

L’UTI a sans doute une vision différente de la bonne gouvernance de celle des grandes instances internationales (leur chef l’a bien exprimée dans son interview donnée à RFI à la suite de leur prise du pouvoir, comme nous le verrons ci-après), cependant, à mes yeux, leurs valeurs ne sont pas respectueuses des Droits Humains qui sont, je pense, la base indispensable pour une autorité qui se réclame de la bonne gouvernance et qui entend servir son peuple. On ne peut pas servir et gouverner un peuple par la violence. Il est essentiel que le peuple soit libre de choisir ses dirigeants et non qu’il soit mis devant le fait accompli et dusse accepte un régime ou un semblant de régime, faute de mieux. Mon opinion est que, l’UTI a mis les Somaliens devant un fait accompli et sa légitimité n’est qu’une tromperie et une fausse légitimité.

Finalement Judy Kaam Foko est d’opinion que tout le mérite de l’UTI consiste à avoir fait en sorte que la lumière soit à nouveau braquée sur un conflit oublié de la Corne de l’Afrique. L’intention de l’UTI de remédier à une situation jugée catastrophique et intolérable, était louable. L’UTI a su apporter une solution là où la communauté internationale a échoué à plusieurs reprises.

Aussi peut-on regretter le refus catégorique de la communauté internationale, notamment celui des grandes puissances occidentales, d’accorder tout type de soutien ou toute forme de dialogue à l’UTI. Ce refus ne saurait être justifié par la prétendue supériorité des valeurs (telles que la défense des Droits de l’Homme) portées par ces puissances, ou par leur peur méprisante des valeurs d’une organisation islamique. Ces mêmes puissances ne peuvent prétendre être les seules entités habilitées à définir la bonne gouvernance, imposer leur vision et rejeter celle de l’UTI.

Les TI ont servi de système judiciaire dans l’unique but de traduire en justice les personnes responsables de crimes et de délits, ce qui a provoqué le retranchement des seigneurs de guerre. Il n’est pas sûr qu’ils avaient l’intention de former un gouvernement, car ils avaient manifesté la volonté de négocier avec le TFG. On ne connaîtra donc malheureusement jamais la nature de la gouvernance (bonne ou mauvaise) qu’aurait instauré un parti politique au pouvoir fondé par l’UTI, ainsi que ses impacts à long terme sur les plans du développement socio-économique, de la lutte contre la pauvreté et de la corruption.

Auteurs de la fiche :

  • Judy KAAM FOKO

  • Stevie HOCHSCHLITZ

  • Moustafa KEBE

Notes