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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Klingenthal, octobre 2009

Regards sur l’Afrique de l’Ouest

L’Afrique de l’Ouest, à l’instar de l’ensemble du Continent, se trouve à la croisée des chemins, interpellée par son passé et s’interrogeant sur son devenir.

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L’on se souvient que dès le début des années 90, l’Afrique de l’Ouest s’est embrasée, en proie à des conflits intra-étatiques aux effets dévastateurs pour la société, l’Etat et la stabilité régionale. Ces conflits ont également mis en exergue la notion et la force de l’ethnicité. Ils ont révélé de profonds problèmes en termes de cohésion sociale et de dysfonctionnements dans la gouvernance politique et économique dans un contexte nouveau de transformation démocratique de la région et du Continent. D’une violence inégalée en Afrique si l’on excepte le génocide rwandais, ces crises ont engendré des souffrances indicibles en particulier à l’endroit des femmes et des enfants, posant ainsi les questions cruciales de justice transitionnelle et de lutte contre l’impunité.

Au cours de cette période, l’on a également découvert une corrélation directe entre l’exploitation illicite des ressources naturelles et les conflits armés (phénomène connu sous l’appellation de « blood diamond »). Et pour couronner le tout, le phénomène des coups d’Etat a été remis au goût du jour, avec tout ce qu’il comporte d’abus.

Face à ces défis inédits, les peuples et les dirigeants de l’Afrique de l’Ouest se sont mobilisés notamment dans le cadre de leur organisation régionale, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a joué un rôle moteur dans tous les efforts de recherche de solutions à ces conflits. Au prix d’énormes sacrifices, consentis notamment par la société civile, la région a pu progressivement retrouver une certaine stabilité qui s’est maintenue au cours de la décennie écoulée.

Dans sa quête de paix et de stabilité, l’Afrique de l’ouest a bénéficié du soutien solidaire de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et des partenaires internationaux dont en particulier l’ONU qui y a déployé trois importantes opérations de maintien de la paix (au Libéria, en Sierra Léone et en Côte d’Ivoire) ainsi qu’une mission de soutien à la paix en Guinée Bissau, soit la moitié de ses missions en Afrique. Certaines de ces missions voient actuellement leur mandat transformé pour mettre l’accent sur la consolidation de la paix et l’accompagnement des efforts des pays concernés pour asseoir les bases d’une gouvernance politique et économique plus saine. C’est pour mieux soutenir ces efforts au niveau régional, mobiliser le système des NU à cet effet, encourager et appuyer des initiatives portant sur des questions transfrontalières susceptibles de concourir au renforcement de la paix et de la stabilité, que l’ONU a décidé en 2002 d’établir le Bureau du Représentant Spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest basé à Dakar mieux connu sous son acronyme anglais : UNOWA.

Aujourd’hui, les acquis en matière de paix et de sécurité qui restent à consolider sont sous la menace de nouveaux risques. Bien que débarrassée des conflits ouverts et violents, la région est à nouveau face à des situations pleines de dangers pour la paix et la stabilité. Alors qu’elle doit encore traiter les causes profondes de ses conflits précédents, de nouvelles menaces sécuritaires pèsent sur elle.

I. Les causes profondes des conflits en Afrique de l’Ouest

Souvent présentées comme des guerres ethniques, les conflits en Afrique de l’Ouest trouvent leurs sources principalement dans les conditions de vie des populations, par endroits inacceptables, elles-mêmes résultat d’une répartition inégale et inéquitable des revenus. Elles ont pour noms : pauvreté, urbanisation galopante, chômage endémique des jeunes et exclusion traduisant des dysfonctionnements graves dans la gouvernance mise en place par les régimes politiques établis après les indépendances, eux-mêmes mis à mal par la vague réformatrice des années 80.

L’Afrique de l’Ouest est la région la plus pauvre d’un continent lui-même le plus mal loti qui soit. Située entre le désert du Sahara et la côte atlantique, l’Afrique de l’Ouest est une région dont l’économie, basée principalement sur l’agriculture et les matières premières est tributaire des fluctuations des cours des marchés mondiaux et des variations climatiques. A la fois victime des effets des pluies et de ceux de la sécheresse, la région est fréquemment confrontée à un déficit de récoltes qui l’expose à des crises alimentaires récurrentes. A cela s’ajoute l’inflation des prix des denrées de première nécessité qui a, il y a quelque temps, occasionné ce que l’on a appelé les « émeutes de la faim ». La région est d’autant plus vulnérable que sa situation alimentaire est tributaire à 50% de la production agricole d’un seul des pays qui la constituent : le Nigeria.

La pauvreté est entretenue et accentuée par le phénomène de l’urbanisation galopante qui engendre une multiplication des bidonvilles, témoignages d’une urbanisation mal planifiée et mal gérée. Il y a deux ans déjà, une étude de l’UNOWA portant sur l’urbanisation en Afrique de l’Ouest établissait que la croissance urbaine en Afrique était presque le double de la moyenne mondiale et que l’apparition de bidonvilles y constituait la règle. En Afrique de l’Ouest, la population urbaine varie entre 16 % et près de 60 % suivant les pays, et dans la plupart des pays la proportion de citadins est supérieure à 40 % de la population totale. Cette urbanisation anarchique exerce une pression sur des ressources déjà limitées. L’on assiste alors à une croissance exponentielle du chômage des jeunes notamment (c’est-à-dire 60 % de la population totale de la région) et à la dégradation des conditions de vie. Les Etats ne sont bien souvent pas en mesure de subvenir aux besoins en termes d’infrastructures et de services de base (eau potable, électricité, santé, etc.). Longtemps considérée comme un phénomène essentiellement rural, la pauvreté s’urbanise à la suite des populations. Nombre de gouvernements et d’organisations travaillant à la réduction de la pauvreté concentrent leurs efforts sur les zones rurales, négligeant les bidonvilles tout aussi pauvres.

Par ailleurs, l’absence de structures sociales adéquates occasionne une perte de repères. Ainsi se trouve constitué le ferment de la violence urbaine avec tout ce que cela implique de dérives. UN Habitat l’a bien compris qui, dans son rapport annuel de 2007 déjà, attirait l’attention sur le fait que les bidonvilles sont le lieu où « se préparent les conflits du futur ».

La vulnérabilité ainsi créée et entretenue, fournit un terrain fertile pour les activités illicites et le développement des activités criminelles dans la mesure où les populations qui en sont victimes constituent des proies faciles pour les trafiquants et autres marchands de mort. Ainsi la migration clandestine et des trafics en tous genres prospèrent-ils depuis quelques années dans une région qui connaît, par ailleurs, de sérieux dysfonctionnements des services de défense, de sécurité et de justice, autant de défis qui soulignent la gravité des problèmes de gouvernance que la région doit affronter si elle veut asseoir les bases d’une stabilité durable.

II. Les nouvelles menaces

Profitant de cette extrême vulnérabilité de l’Afrique de l’Ouest, de la porosité de ses frontières et de la fragilité de ses institutions de sécurité, les différents réseaux criminels semblent avoir fait de cette région leur terre de prédilection. Elle est devenue, en très peu de temps, une importante zone de transit de la drogue d’Amérique vers l’Europe. Si l’on n’y prend garde, elle risquerait de devenir une zone de production comme le font craindre les récentes découvertes d’éléments constitutifs de laboratoires clandestins en Guinée.

Dans la bande sahélienne, aux anciennes activités criminelles liées au trafic de cigarettes et d’armes se sont greffés des trafics d’émigration clandestine et d’activités terroristes y compris la prise d’otages. Les groupes terroristes opérant dans la Maghreb connus sous l’appellation Al Quaeda au Maghreb Islamique (AQMI) ont intégré dans leurs rangs certains éléments originaires des pays du Sahel. Ce qui laisse planer le danger d’une « tropicalisation » de ces groupes. Par ailleurs, les groupes terroristes ne se contentent plus de sous-traiter certaines de leurs activités dans cette région par des groupes criminels locaux qui procèdent à des enlèvements, comme en témoigne l’attentat suicide de Nouakchott au mois d’août dernier et les récents événements de Maiduguri au Nigeria. Une telle évolution fait craindre l’expansion des activités terroristes en Afrique de l’Ouest.

La piraterie n’est pas en reste qui investit l’Afrique de l’Ouest en particulier le delta du Niger et le golfe de Guinée. Le Bureau des Nations Unies qui a pris la mesure de cette nouvelle menace s’emploie à encourager une coopération régionale dans ce domaine.

L’on ne saurait par ailleurs taire le phénomène de l’émigration clandestine, qui est devenu une source de grande préoccupation dans les pays européens en plus du drame humain que pose la traversée tragique de groupes de jeunes africains livrés à la merci de gens sans scrupules. L’Afrique de l’Ouest est la région du Continent qui alimente le plus les réseaux migratoires. Les migrations sont une des conséquences de la pauvreté et de la vulnérabilité et, d’après certaines études, les effets du changement climatique les encourageraient également.

Face à ces défis, divers plans régionaux sont adoptés qui peinent à être mis en œuvre par manque de volonté politique suffisante pour mobiliser les efforts nécessaires pour faire face collectivement à la menace commune et aussi par manque de moyens et de capacité. Le fossé se creuse de façon inexorable entre les nantis et ceux, de plus en plus nombreux, qui s’estiment lésés et exclus pas un système politique jugé inique.

Confrontés à ces difficultés, les pays de la région réagissent de manière inégale. Une telle approche parcellaire des problèmes tend parfois à les déplacer et à les différer plutôt qu’à y apporter des solutions durables. En réalité, les problèmes en Afrique de l’Ouest ont une dimension régionale indéniable, requérant une approche tout aussi régionale. Cette approche est précisément au cœur du mandat de l’UNOWA qui, de concert avec la CEDEAO et en liaison avec l’Union Africaine, s’emploie à aider les pays de la région à promouvoir des solutions durables aux problèmes qui menacent leur sécurité et leur stabilité communes.

III. Rôle de l’ONU

Le Bureau des Nations Unies en Afrique de l’Ouest mène des actions préventives au moyen des bon offices du Secrétaire Général et de son Représentant Spécial à l’image de ceux entrepris pour faciliter la résolution pacifique du différend frontalier entre le Cameroun et le Nigeria, ceux déployés en liaison avec l’UA et le Sénégal pour dénouer la crise en Mauritanie et ceux en cours, en coopération avec l’Union Africaine et la CEDEAO, pour promouvoir une solution aux crises constitutionnelles en Guinée et au Niger. Le Bureau s’est également investi dans la promotion du dialogue, facilité par le président Blaise Campaoré du Burkina-Faso, entre les parties prenantes togolaises dans la perspective de la tenue des élections présidentielles prochaines. Il apporte son appui à la CEDEAO, notamment en renforçant ses capacités et enfin, il imprime la synergie d’action au système des Nations Unies dans la région.

Les questions transversales telles que les droits de l’Homme et le genre ne sont pas en reste. L’UNOWA s’efforce de sensibiliser les Etats de la région et d’appuyer les efforts de la CEDEAO afin qu’ils en tiennent compte dans leurs différentes politiques.

Je voudrais, à ce stade, illustrer mon propos par deux exemples de ce que fait le Bureau que je pense bénéfiques à nos présents travaux. Il s’agit de la réforme du secteur de la sécurité et de la lutte contre le trafic de drogues, deux défis majeurs de la gouvernance dans cette région.

La réforme du secteur de la sécurité en Afrique de l’Ouest est d’une importance capitale du point de vue des efforts en faveur de la gouvernance. Dans les pays sortant de conflit, le processus est enclenché. Dans les autres, la nécessité de la réforme est de plus en plus connue. Comme prélude à son programme de soutien à la réforme du secteur de sécurité dans la région ouest africaine, le Bureau a initié un premier travail sur le rôle des forces de sécurité pendant les élections. Cette initiative est partie du constat selon lequel l’intervention des forces de sécurité dans le déroulement des élections n’a pas toujours contribué à créer un environnement favorable au triomphe des valeurs démocratiques. Elle a ainsi organisé un séminaire régional sur le rôle des forces de sécurité dans l’organisation des élections en Afrique de l’Ouest, à la suite duquel elle a élaboré un document de référence à l’usage des pays de la région. Cet ouvrage préconise une contribution des forces de sécurité au bon déroulement des élections. Il s’agit de les sensibiliser à leurs devoirs et responsabilités en appui à la démocratie et à la gouvernance. Les pays de la région ont commencé à s’approprier les conclusions de ce séminaire régional en vue de leur application au niveau national. Toujours dans le domaine de la réforme du secteur de la sécurité, le Bureau travaille également à l’élaboration d’une approche régionale qu’il proposera aux pays dans les mois à venir.

S’agissant de la lutte contre le trafic de drogue, le Bureau, en collaboration avec le Bureau de l’ONU pour la lutte contre la drogue et le crime (ONUDC), le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU (DPKO) et Interpol, soutient la mise en œuvre du Plan d’action que la CEDEAO a adopté en décembre 2008. En outre, les organisations citées ont lancé ce qu’elles ont appelé le West Africa Coast Initiative (WACI) qui est un programme d’appui à l’opérationnalisation du Plan d’action de la CEDEAO à travers le renforcement des capacités des pays concernés et la mise en place d’unités contre le crime transfrontalier. Quatre pays pilotes (Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Liberia, Sierra Léone) où l’ONU dispose d’éléments de police dans ses missions de paix, ont été retenus dans un premier temps.

Conclusion

Voici rapidement brossé, le tableau qu’offre la partie Ouest de l’Afrique où se concentre une variété de problèmes. Encore fragile et vulnérable, la région est un exemple parlant de ce que la paix n’est pas simplement l’absence de guerre. En même temps, la région s’efforce de surmonter ses multiples fragilités et vulnérabilités à travers notamment le renforcement de la coopération régionale et l’approfondissement de son partenariat avec la communauté internationale en général et les Nations Unies en particulier.

D’ordre à la fois structurelles et conjoncturelles, les causes profondes des conflits et les menaces potentielles et réelles pour la paix et la stabilité, telles que mentionnées plus tôt commandent que l’on s’y arrête et travaille à leur minimisation, et, à terme, là où cela est possible, à leur éradication.

L’Afrique de l’Ouest est à la croisée des chemins. Les avancées enregistrées une décennie plus tôt sont, pour certaines, sérieusement remises en cause : c’est le cas notamment de la gouvernance politique. La récente résurgence du phénomène des changements anticonstitutionnels de pouvoir et la réponse des organisations africaines et de leurs pays membres laissent perplexes.

Il est plus qu’urgent pour la communauté internationale et en particulier pour l’Union Africaine, la CEDEAO et les Nations Unies, de repenser leurs politiques de prévention des crises et leur capacité à aider les pays africains à surmonter leurs problèmes liés à la gouvernance démocratique. La cohésion et l’unité d’action de la communauté internationale doit être au centre de cette démarche.

Face à cette situation, il est impératif de porter également un regard critique sur les stratégies de développement en place afin de mieux les adapter aux réalités du terrain et à la dimension régionale des problèmes en Afrique.

Le rôle de forces de défense et de sécurité en démocratie devrait également être ajusté aux exigences de gouvernance démocratique.

La gouvernance y compris la gouvernance locale doit être au cœur des efforts collectifs visant à consolider la paix et jeter les bases d’une stabilité durable en Afrique de l’Ouest et sur le Continent.

Notes

  • Cette fiche est extraite de la rubrique « Lettre du mois » du site web de l’Alliance internationale des militaires pour la paix et dans la sécurité (www.world-military.net).

  • Tous les textes et autres illustrations contenus dans www.world-military.net sont sous licence Creative Commons 2.0 France License : paternité, pas d’utilisation commerciale, pas de modification.