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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juin 2011

Présentation des acteurs et panorama de différentes approches de la paix

Typologie des sites et mise en évidence de trois grands « courants » : la paix par la transformation de la gouvernance, la paix par la prévention et la transformation des conflits, la paix par la prospective.

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Cette limite reconnue, les « courants » mis en évidence sont ainsi les suivants :

I. La paix par la transformation de la gouvernance

Au sein de ce premier courant, on peut distinguer deux approches : l’approche stato-centrée et l’approche systémique.

A. L’approche stato-centrée

Il s’agit des analyses de la paix qui prennent l’Etat comme acteur central des relations internationales et acteur primordial dans le domaine de la paix. Ce type d’approche ne se limite pas à ce que l’on appelle le courant réaliste des relations internationales. L’approche stato-centrée est plus globale : elle concerne des sites, américains notamment, qui portent sur le leadership américain dans le monde, estiment que les Etats-Unis continuent et doivent continuer de jouer un rôle primordial sur la scène internationale et dans le domaine de la paix. La paix sera entrevue alors à travers les orientations à donner à la politique étrangère américaine. On pourrait trouver l’équivalent avec des sites européens qui intègrent dans leur analyse le souhait de voir l’UE jouer un rôle particulier (Fondation R. Schuman, International Alert par exemple). Le CFR, de tendance démocrate, en est un bon exemple.

Mais on retrouve l’approche stato-centrée également chez ceux qui s’intéressent essentiellement aux menaces, nouvelles ou pas, qui pèsent sur les démocraties et associent la paix à la défense de l’ordre organisé derrière des frontières. La Jamestown Foundation pourrait être intégrée dans cette visée.

L’approche stato-centrée est également celle d’autres tendances. En alerte précoce, dont on donnera une présentation plus détaillée dans la seconde partie de ce rapport, certains acteurs se sont spécialisés sur la politique des Etats, politique intérieure notamment. Ainsi, International Crisis Group est une ONG qui fonde son travail sur le suivi attentif des périodes pré-électorales et qui est soucieuse des écarts politiques à l’égard des droits de l’homme, et du signal faible ou fort selon les cas d’une entrée en processus de crise.

Dans le domaine universitaire, l’approche de Ted Gurr de l’Université de Maryland, qui a donné lieu notamment à la mise en place d’indicateurs spécifiques, les « Country Indicators for Foreign Policy », est une manière de caractériser l’Etat de droit en creux, et donc de mesurer l’écart entre la réalité politique observée et le régime démocratique défini comme régime de paix. Par ailleurs, Ted Gurr est aussi l’un de ceux qui observent qu’aujourd’hui les conflits sont fréquemment infra-étatiques et que c’est donc à l’échelle étatique que le travail sur la paix et la prévention des conflits doit être mené. Le vocabulaire des sciences politiques parlant des « Failed States » ou « Weak States » manifeste la communauté des points de vue. On ajoutera que les évolutions du droit international, avec la responsabilité de l’Etat de protéger sa population, s’inscrit également dans cette compréhension que l’Etat est aujourd’hui une menace potentielle à l’encontre de la sécurité de la population.

De même, l’approche par le multilatéralisme s’inscrit dans cette mouvance puisque, in fine, elle traite de la collaboration, de la coopération entre des acteurs qui sont des Etats : l’OSCE, l’International Peace Institute, l’Institut Royal belge des Relations Internationales (IRRI) peuvent être cités comme exemples.

B. L’approche systémique

Cette seconde approche se retrouve par exemple dans le Center for Systemic Peace, dans des ouvrages comme « Turbulent Peace » (United States – Institute of Peace Press, 2001), dans le travail para-gouvernemental de l’USAID ou encore du Centre W. Wilson ; c’est aussi celle de la Multi-track-Diplomacy. Cette approche opère en fait une double synthèse : celle des acteurs et celle des enjeux. Celle des acteurs dans la mesure où cette approche tient compte des Etats, mais aussi de l’ensemble des acteurs privés (entreprises, ONG, groupes terroristes, etc.). Les enjeux sont perçus de manière globale et intègrent tant ceux de la sécurité collective que de la sécurité humaine. C’est donc la question de la régulation des relations internationales, donc de la gouvernance mondiale, qui est première. L’Internet Governance Forum, à priori très éloigné des centres traitant des relations internationales, relève également de cette approche, par sa volonté d’articuler les travaux d’acteurs de statuts et de légitimités différentes.

Le trait commun à ces acteurs, que l’on retrouve également chez les prospectivistes (cf. Millenium Project) est de défendre la légitimité de l’ONU comme instance favorisant le travail entre les Etats et plus généralement entre acteurs travaillant à la pacification des relations internationales. C’est également de couvrir l’ensemble de la temporalité des relations internationales indexée à la préservation et la promotion de la paix. Le livre déjà cité, Turbulent Peace, en est un exemple probant, comme l’indique son ordonnancement interne. Sa première partie est consacrée à la compréhension du contexte global dans lequel s’enracinent les conflits et évoque l’approche systémique des conflits par ses thèmes : « empires and Geopolitical Competition », « Environmental Change, Security, and Conflict », « Military Technology and Conflict », « Impact of Globalization on Strategy », « transnational Criminal Enterprises, Conflict, and Instability », dans son approche des acteurs : « States and Society » et de par les outils proposés : « Negociation, Mediation, and Other Political . Instruments », « Institutions and Regimes of Security and Conflict Management », « Peacebuilding : from Settlement to Reconciliation ». Voilà autant d’entrées possibles pour Irénées.

On le constate, c’est l’ensemble des relations internationales qui est objet de la paix, dans ses acteurs, ses objets, sa temporalité et ses instruments, avec en prime une articulation entre sécurité militaire et sécurité humaine (l’ouvrage est voué à l’usage des éducateurs et enseignants ; il pourrait inspirer Irénées car aucun livre du même genre n’existe en langue française)

II. Second courant : la paix par la prévention et la transformation des conflits

Le premier courant se concentre sur l’Etat perçu comme acteur central des relations internationales et également, à travers une analyse des régimes politiques et des pratiques, une menace pour la sécurité des populations. Il porte sur l’interaction non maîtrisée entre les principaux acteurs des relations internationales, donc sur la gouvernance. Le second courant n’est pas ordonné autour d’une analyse des acteurs et de la régulation de leurs pratiques, mais sur la temporalité des relations internationales. On constate que de nombreux sites se spécialisent sur les conflits et plus spécifiquement sur le processus d’entrée en crise. Autrement dit, au sein de relations internationales fort complexes, certains organisent en quelque sorte un découpage entre des séquences temporelles des relations internationales et se concentrent sur la séquence de crise. L’approche par la gouvernance intègrera les crises financières et la nécessité d’une régulation supra-étatique, tandis que l’approche par la prévention se limitera à analyser l’impact d’un risque financier ou économique dans un contexte donné.

En fait, ici encore, plusieurs approches existent. La première se concentre sur une approche sécuritaire, au sens militaire du terme, des risques ; elle est celle de certains organismes internationaux et intègre la politique de sécurité par interposition de forces armées.

La seconde, celle de Saferworld ou d’International Alert, porte plus sur l’alerte précoce et la prévention des conflits en s’interrogeant davantage sur les évolutions internes des sociétés. En 2004, l’ONG Saferworld a ainsi publié un Rapport « Strengthening Global Security through adressing the root causes of conflict » ; Il s’agit bien de sécurité globale et de traiter des « racines profondes » des conflits ; beaucoup d’’ONG se retrouvent dans ce Rapport ; 33 en furent signataires (et notamment : Austrian Study Center for Peace and Conflict Resolution, Association for Future Projects and Conflict Resolution, Berghof Research Center for Constructive Management, BOND, Civil Society Conflict Prevention Network, Dutch Expert Centre for Alternatives to Violence, European Centre for Conflict Prevention, Irish Peace Institute, Mercy Corps Scotland, Pac Christi International, Search for Common Goods, le SIPRI, Trocaire).

Les quatre grandes problématiques du Rapport méritent d’être évoquées pour leur caractère emblématique : « Linking crisis management with conflict prevention », “Addressing the root causes of violent conflict”, avec 5 thématiques spécifiques : “ensuring that conflict prevention is integrated ad a key priority into the country strategy papers”, “assessing the impact of existing and future trade policies”, “promoting transparency of payments made by Europeans extractive industry companies in conflict-prone countries and transparency of income among recipient governments”, “identifying focal points in DG Employment and Social Affairs, DG Trade ad DG Development to increase coordination on the role of business in conflict”, “acknowledging and responding to the security implications of HIV/AIDS he specifically to close relationship between aids and armed conflict”. Mais l’ONG entend travailler également sur les transferts d’armement et le crime organisé et enfin associer la société civile à la prévention des conflits.

International Alert, signataire du document, associe une approche complémentaire : celle de la transformation des conflits. Partant du point de vue que tout conflit est inhérent aux relations sociales, et indexant sa réflexion au modèle démocratique comme régime traitant les conflits de manière non-violente, l’ONG estime : « la paix n’est pas simplement l’absence de guerre. En développant des méthodes de résolution des conflits internes violents, nous nous sommes engagés à rechercher un accord juste et durable par des moyens entièrement pacifiques, en reconnaissant que les conflits non-violents peuvent présenter une force constructive vers le changement. Nous essayons d’habiliter les gens à faire la paix en soutenant les efforts locaux en aidant au développement et au renforcement des capacités locales. De plus, nous cherchons à créer des espaces de dialogue à différents niveaux et secteurs des sociétés en conflit et nous cherchons à travailler en collaboration et complémentarité avec des organisations, des gouvernements et autres institutions. En fin de compte, la construction d’une paix durale implique la transformation de situations caractérisées par la peur et la violence pour créer un environnement dans lequel la paix, le respect pour les droits humaines et une démocratie participative peuvent se développer et où les différends et les disputes peuvent être réglées de manière non-violente ». L’ONG affirme ainsi « le rôle prépondérant des individus dans la transformation des conflits », « l’intérêt humanitaire », l’importance primordiale des « droits humains, principes et lois humanitaires », le « respect de la diversité des cultures » (Document : « Principes–Transformation des conflits »). Les réseaux FEWER, FAST, se situent dans la même perspective.

Cette idée de transformation des conflits est aussi celle du Conflict Information Consortium qui condamne non pas le conflit en tant que tel, mais son mode de résolution violent et destructeur.

Le Center for International Development and conflict Management (CIDCM) se situe dans une mouvance proche : « CIDCM Scholars and practitioners have sought to address the tough issues, especially conflicts over non-negotiable basic needs such as security, identity, and distributive justice. Heralding the more recent focus on intra-state conflicts, which are difficult, if not impossible to manage solely by military or traditional diplomatic means, CIDCM Faculty believe that ‘peace-building and development-with-justice are two sides of the same coin’”. (site: www.cidcm.umd.edu/about/)

Le CIDCM a développé trois programmes d’alerte précoce, en partenariat avec d’autres institutions ou réseaux : “the Genocide Early Warning Project” (in collaboration with the State Failure Project), FEWER, et le ““CERTI Project” (Complex Emergency Response and Transition Initiative, in collaboration with Tulane University)”(cf. fiche acteur).

Ajoutons que c’est ce courant qui a le plus développé et utilisé les banques de données : State Failure (Université de Maryland), Country Indicators for Foreign Policy (Norman Paterson School of International Affairs), Minorities at Risk (Université de Maryland), Situation up-dates from Reliefweb (OCHA), Refworld (UNHCR), Global Events Data (Université de Maryland), Compendium of Operational Frameworks for Peace-Building and Donor Co-ordination (Canadian International Development Agency). On peut y ajouter les banques de données suédoises du SIPRI et de l’université d’Uppsala.

Le Center for Systemic Peace (www.systemicpeace.org/inscr/inscr.htm) dispose également de banques de données en ligne. Aucun site français n’a réunifié ces banques de données.

III. Troisième courant : la paix par la prospective

Bien sûr, chaque courant tente d’anticiper les éventuelles atteintes à la paix. Toutefois, il existe des nuances importantes dans ce rapport au temps, qui portent notamment sur les acteurs et les enjeux.

Au sein de la prospective, deux approches coexistent :

A. L’approche par le risque

Le risque est à distinguer de la menace et renvoie à une réflexion plus générale sur la modernité. L’approche générale est celle de Beck, étendue aux relations internationales : nous vivons dans des sociétés du risque, le risque étant aujourd’hui la caractéristique fondamentale. Alors que l’idée de menaces renvoie à une identification précise des acteurs-adversaires, l’idée de risque introduit la notion d’incertitude et de probabilités, tout en contribuant à élargir le spectre des champs à surveiller. Parmi les sites travaillés, ceux du Center for 21st Century Studies et de la Jamestown Foundation relèvent de cette approche. Le Center for 21 Century Studies tente d’identifier les enjeux du 21ième siècle qui constituent des risques : l’urbanisation, les mobilités internationales, la finance, la sécurité climatique, mais aussi la bioéthique, les enjeux autour des médias et de la culture digitale. On mesure ici l’un des aspects essentiels de la prospective : une anticipation sur un futur n’existant pas encore mais dont on imagine les menaces potentielles, non pas à l’encontre d’un groupe en particulier mais plutôt des sociétés. Ainsi de la réflexion sur la bioéthique, la culture digitale. Risque, sécurité et sûreté sont ici en interaction.

Au sein de cette approche peut être évoqué un sous-courant, guère éloigné, insistant plus sur les évolutions constatées en raisonnant en termes de « défis ». L’approche est moins négative, pessimiste ; la différence entre cette tendance et celle du risque porte ainsi sur le rôle de l’heuristique de la peur, qui partage la communauté des penseurs du risque. L’approche par défis a aussi pour mérite de renvoyer à l’idée d’une commune humanité qui doit surmonter collectivement les enjeux identifiés. Sa faiblesse est peut-être de ne pas insister suffisamment sur le cadre politique des débats. Ainsi le Millenium Project a identifié « 15 Global Challenges facing humanity » : « sustainable development and climate change », « clean water », « population and resources », « democratization », « long-terme perspectives”, « global convergences of IT », “rich-poor gap”, “health issues”, “capacity to decide”, “peace and conflict”, “status of women”, “transnational organized crime”, “energy”, “science and technology”, “global ethics” : on le constate, il existe une entrée spécifique “peace and conflict”, l’ensemble des autres approches renvoyant in fine à la survie de l’humanité, à l’intégrité future de la vie sur terre et à l’harmonie entre les groupes sociaux ou nationaux. Cette approche emprunte également au systémisme. Elle se poursuit par une méthode de scénarios structurées en matrice autour de 6 thématiques principales issues de la notion de sécurité humaine et pour laquelle une participation d’autres centres ou acteurs est demandée : « demographic and human resources », « environmental change and biodiversity », technological capacity », « governance and conflict », « international economics and Wealth », « integration and whole futures ».

B. L’approche par les mutations

On peut évoquer également une approche par les mutations, qui est centrale dans la réflexion des prospectivistes. L’idée principale est de suivre les changements radicaux de nos sociétés, notamment dans les domaines scientifiques et technologiques. Un travail de médiation intellectuelle est alors nécessaire pour articuler cette approche prospectiviste à la réflexion sur la paix : ce sont les futures atteintes à notre intégrité qui sont alors anticipées. L’Institute for Alternatives Studies ou la Foundation on Economics Trends, le Foresight Network peuvent être classés au sein de cette mouvance.

Trois ouvrages récents viennent illustrer ces courants prospectivistes : celui de George Friedmann fondateur du Stratfor, intitulé « The Next 100 Years » (Anchor Books, NY, 2009) et celui de Nicole Gnesotto et Giovanni Grevi : « Le monde en 2025 » (Laffont 2007). On doit y ajouter un ouvrage dont Irénées pourrait s’inspirer : l’Atlas des Futurs du Monde (Virginie Raisson, R. Laffont, 2010).

IV. Conclusion

Lorsqu’on s’attache à la manière dont les sites analysent la paix, en dépit de la diversité des courants, on se rend compte d’une certaine homogénéité dans l’approche. Sans doute un travail de délimitation des notions, événements, personnages et lieux serait-il utile pour entrevoir le champ de la paix, dans sa profondeur historique et conceptuelle. En tout état de cause, il est possible d’avancer que la paix est moins une science qu’un art, qu’elle repose sur une articulation de pratiques qui devancent tout autant qu’elles peuvent concrétiser des concepts ou théories et relève globalement de l’approche dite de la sécurité humaine ;

Cette notion élargie de la sécurité intègre les dimensions personnelle, collective, économique y compris alimentaire, sanitaire et environnementale, autour de trois problématiques fondamentales :

  • Une conception juridique de la sécurité ;

  • Une dimension humanitaire de la sécurité (discrimination combattants / non combattants) ;

  • Une conception socio-économique orientée autour de la notion de développement durable. D’où la préconisation de changements radicaux telle qu’une politique axée sur les droits humains, le développement économique et social, la démocratie politique, le désarmement et le respect de l’environnement.

Dans cette perspective, l’Etat a le devoir, la responsabilité de protéger les individus. On passe d’une souveraineté de contrôle à une souveraineté de responsabilité. La sécurité humaine ne parle donc plus uniquement de sécurité nationale ou étatique. Cette remise en cause porte sur la prédominance du modèle traditionnel de la sécurité internationale qui comportait trois composantes : les menaces à la sécurité proviennent des autres Etats, les réponses aux menaces sont surtout de type diplomatique, l’Etat est le principal agent et bénéficiaire de la sécurité.

La sécurité humaine part plutôt d’une définition de l’insécurité comme l’ensemble des menaces politiques, économiques, sociales, environnementales et culturelles qui confrontent les individus dans leur vie quotidienne.

A. L’émergence de la notion de sécurité humaine

Selon K. Annam, « L’être humain est au centre de tout. Le concept même de souveraineté nationale a été conçu pour protéger l’individu, qui est la raison d’être de l’Etat, et non l’inverse. Il n’est plus acceptable de voir des gouvernements flouer les droits de leurs citoyens sous prétexte de souveraineté ». (Juin 1999. Le Monde). L’émergence de la sécurité humaine a plusieurs sources : le Norvégien Johan Galtung, dans les années 60, lie la paix à la quête de justice sociale et aux facteurs de coopération et d’intégration entre groupes humains susceptibles d’effacer la violence structurelle qui émane des structures étatiques. John Burton, en 1972, explique nombre de conflits par la privation des besoins humains individuels. L’approche libérale américaine à la fin des années 70, avec Lester Brown et Richard Ullman, tente de redéfinir la sécurité en fonction de toutes les menaces à la qualité de la vie des habitants d’un Etat.

Une quatrième contestation : « Qu’est-ce que la sécurité ? » provient d’auteurs qui tel Nicholas Onuf, estiment que la sécurité doit transcender les souverainetés. Dans les années 90, les constructivistes avancent que la sécurité humaine correspond à une reconstruction des normes ainsi qu’à un changement de comportements au sein du système international. L’Agenda de la Paix de l’ONU en 1992 puis en 1996, le Rapport du PNUD contribuent à populariser la notion : « pour la plupart des gens, un sentiment d’insécurité surgit davantage des craintes engendrées par la vie quotidienne que par un événement apocalyptique mondial ». Le rapport du PNUD recommandait une transition conceptuelle profonde de la « sécurité nucléaire » vers la « sécurité humaine ».

Plus globalement, le recours à cette notion s’explique par une évolution au sein de la communauté internationale : l’importance des ONG et de leur travail, la mondialisation de l’économie et affaiblissement du rôle de l’Etat, les guerres infra-étatiques plus nombreuses, la diffusion des valeurs démocratiques et le régime des droits de l’homme.

Au–delà de la sécurité humaine certains auteurs évoquent la « sécurité sociétale » en lui attribuant deux sens :

  • L’acteur principal qui menace la sécurité est l’Etat, ou trop déficitaire ou trop autoritaire ;

  • Il existe une dimension identitaire de la sécurité : lorsqu’il y a superposition entre un Etat et une pluralité d’identités, les risques de déstabilisation sont grands. Les menaces à la sécurité des communautés (ethnique, socio-économique, religieuse) constituent un risque d’insécurité sociétale.

A cet élargissement de la notion de sécurité a correspondu une montée en puissance du courant du « peace-building » dont on peut brièvement rappeler quelques uns des mots d’ordre :

  • 1) Il convient d’intégrer le plus de personnes et de secteurs possibles dans les processus de prévention de conflit ou de sortie de crise ;

  • 2) Il faut appuyer les capacités locales pour la paix : le renforcement durable de la paix passe par la participation active de groupes locaux s’investissant dans la construction de la paix. Le soutien à ces capacités locales peut emprunter plusieurs formes : l’éducation, la formation, le renforcement de l’esprit de volontariat au sein d’une société, l’importance de ces acteurs locaux dans les média.

  • 3) Peace-building et réconciliation se comprennent comme des processus : la paix suppose un travail de longue haleine, qui englobe progressivement de nombreux secteurs de la société. L’idée d’un accord de paix comme « pas décisif », « étape décisive » pour la paix s’est montrée fausse à de très nombreuses reprises.

  • 4) La lutte contre la violence passe par la promotion de l’éducation et la lutte contre l’exclusion sociale.

  • 5) Dans des situations conflictuelles, le raisonnement par comparaison est important. Il s’agit de promouvoir l’échange d’expériences (idée chère à Irénées), de briser l’enfermement des oppositions identitaires, en un mot, il faut comparer pour désenclaver.

  • 6) La paix ne peut se faire sans le consentement et l’inclusion des autorités locales.

  • 7) Elle passe par une action de renforcement des coalitions issues des organisations civiles.

  • 8) La paix passe également par une réflexion sur l’économie de guerre mais aussi de sortie de crise. Le rôle des entreprises est à cet égard important.

La fin de la guerre froide, la mondialisation puis la montée en puissance d’actes terroristes, et plus récemment l’évolution de pays arabes et une récente crise de lq sûreté nucléaire sont autant de tendances et d’événements qui concernent au premier titre la paix. Leur diversité en illustre également la difficulté à en cerner avec précision la notion, tant les composantes qui la sous-tendent sont nombreuses et en même temps, interagissent fréquemment les unes avec les autres.

Le courant de la paix systémique et celui de la prévention des conflit permettent une approche des contours d’un art de la paix, entendu comme combinaison de pratiques opératoires.

B. La paix comme combinaison de pratiques opératoires

Trois axes essentiels en structurent la pratique, quels que soient les pays étudiés ou les régimes sur lesquels ils reposent : un axe culturel et symbolique, un axe social et économique, et enfin, un axe politique.

1/ Axe culturel et symbolique

La montée de la violence dans les démocraties occidentales, les multiples divisions auxquelles donnent lieu les débats autour de l’immigration ou de l’islam en Europe, la montée du Tea Party aux Etats Unis, appuyé sur des réseaux catholiques néoconservateurs, sont les symptômes d’une crise du vouloir vivre en commun. C’est la démocratie comme « communauté imaginée » (Benedict Anderson) qui manifeste ses faiblesses et qui soulève le problème des Etats bouleversés par la mondialisation : celui de l’identité collective de la communauté. L’identité, entendue ici comme existence ou restauration symbolique de la personnalité individuelle et collective, est entrée en crise. Cela concerne le rapport entretenu avec le passé (question de la reconstruction du passé, de la France au Chili), la responsabilité et l’équilibre à retrouver entre oubli et amnistie, et de manière générale, la culture et l’éducation : que souhaite-t-on transmettre ? Pour qui et comment ?

2/ Axe social et économique

Le deuxième axe concerne pour des Etats en sortie de crise ou en situation de transition, la reconstruction sociale et économique et dans les sociétés occidentales, la place de l’Etat Providence et de la régulation de l’économie.

La question économique interroge le type de développement envisagé, la place du travail dans une société, mais aussi celle de la production des richesses (lesquelles ?), et de leur partage. La question économique est indissociablement une question sociale qui questionne la stratification de nos sociétés, la mixité qui tente de s’y déployer de manière positivement discriminante, mais aussi la place de l’Etat, Etat centralisateur et omniscient, Etat réduit aux acquêts ou Etat régulateur. C’est tout l’enjeu de la réflexion autour des nouvelles formes de démocraties (de la démocratie représentative à la démocratie participative), de la conception de la citoyenneté, du rapport entre citoyen-expert et politique que l’on pose.

3/ Axe politique

Au niveau international, cet axe concerne la place de l’ONU, sa structuration et les lieux de nouvelles gouvernances qui se cherchent.

Au niveau des Etats, cet axe concerne la reconstruction de la société politique, question urgente dans maints Etats, tous régimes confondus : quelle logique de représentativité prévaut dans l’élaboration de cette société politique, jusque-là entrevue entre régimes consociatif ou intégratif ? C’est bien sûr la place du droit qui est aussi questionnée.

Cet art de la paix est valable quelle que soit l’approche de la paix que l’on choisit : l’approche par la composante des conflits, l’approche par la typologie des conflits, l’approche par la crise (entrée et sortie de crise), ou encore l’approche par la culture et la symbolique du conflit.

  • L’approche par la composante des conflits :

Cette approche intègre trois variables :

  •  

    • la nature humaine ;

    • la réalité économique ;

    • la dimension symbolique

  • L’approche par la typologie des conflits : (acteurs qui poursuivent un but par un acte violent).

Cette seconde approche a trois entrées :

  •  

    • par les acteurs ;

    • par la finalité du conflit (but) ;

    • par la nature de la violence (guerres civiles – guerre génocidaire – guerre de conquête…, id est : le type d’acte commis) ;

  • La troisième approche concerne ce que l’on peut appeler le nominalisme de crise, à savoir la manière dont l’autre est nommé comme ennemi. La plupart des crises et conflits contemporains manifestent très clairement trois manières de mettre à distance :

    • par un processus d’extranéité (réduction sociale) ;

    • par un processus d’étrangeté (Chrétiens au Liban ; Musulmans en France).

    • par un processus d’exclusion symbolique (ex : apostasie).

  • L’approche par le culturel et le symbolique concerne tout à la fois :

    • le Nomos (loi) : valeurs, idéaux, culture ( se retrouver entre soi, rester identique, pas de mixité) ;

    • le Logos (rationalité – discours mis en place pour désigner le problème et le coupable) : langage, échange ;

    • enfin le Topos c’est-à-dire le lieu qui cristallise le conflit.

  • Enfin, l’approche par la sortie de crise, plus classique comporte trois références quasi temporelles traitées dans de nombreux think tanks :

    • la paix par l’intervention ;

    • la paix par l’accord de paix ;

    • la paix par la reconstruction.