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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Gaël Bordet, Paris, 2002

Partage et gestion de l’eau pour la paix

brève configuration de quelques grands défis…

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I. Premier défi. Définir les liens entre Eau - Conflit - Paix.

A. Définitions du conflit :

  • Sens commun : « le conflit est la rencontre d’éléments, de sentiments contraires, qui s’opposent » (Le Robert).

  • Sens sociologique : d’après Max Weber, le conflit repose sur « l’intention de faire triompher sa propre volonté contre la résistance du ou des partenaires » (Economie et Société).

On voit très bien, à travers l’une comme l’autre de ces deux définitions, qu’il serait illusoire de vouloir réduire la notion de conflit à une lutte armée. Le conflit est bien plus que cela : il peut tout aussi bien être social, politique, culturel, ou idéologique, il n’en perdra pas pour autant ses caractéristiques, à savoir la volonté des acteurs d’obtenir vis-à-vis d’autrui une position, sinon hégémonique, du moins dominante. Dans ce sens, le conflit est moteur du changement social, il est constitutif des sociétés et joue un rôle social premier. Un conflit peut, surtout, être le marqueur sociologique de fonctions sociales complexes (comme les analyses de Lewis Coser l’ont bien révélé). Ainsi, les relations conflictuelles qui peuvent se matérialiser autour d’un litige ou d’un contentieux relatifs à la maîtrise d’un cours d’eau ou d’une source sont généralement révélateurs d’enjeux qui dépassent le simple accès à cette ressource rare et précieuse.

B. Configuration : conflit et eau.

Tout d’abord, à propos d’une ressource rare et vitale comme l’eau, nous avons le plus généralement affaire à des actions de concurrence qui n’entraînent pas nécessairement de conflit.

La « concurrence », toujours selon Max Weber, est une forme d’action sociale non nécessairement réciproque, « dénuée d’intention significative de lutte et qui oppose des groupes ou des individus en vue de valoriser leurs chances de vie ou de survie » (Economie et Société). La compétition est un processus social permanent, régulé le plus souvent par les lois du marché ou/et par une instance juridictionnelle (*). A l’opposé, le conflit, qui implique toujours une action réciproque entre les parties, est temporaire et situé temporellement ainsi que spatialement.

Il arrive, et ce n’est malheureusement pas rare, que la rivalité pour la maîtrise d’un cours d’eau ou d’une source se cristallise autour d’un conflit.

Or, la volonté de maîtriser une source d’eau n’est jamais la motivation unique ni même essentielle d’un conflit. Il arrive par contre que l’eau devienne l’un des enjeux d’un conflit et plus souvent encore, l’un de ses instruments privilégiés (un moyen de pression ou/et la justification ou l’explication abusive d’un conflit). C’est dans ce sens là qu’il convient de recourir aux concepts d’« hydropolitique » et d’« hydrostratégie », celle-ci pouvant s’entendre offensivement comme défensivement, Israël, par exemple, ayant alternativement privilégié l’un ou l’autre de ces deux aspects, se plaçant aujourd’hui qu’il maîtrise les sources du Jourdain par l’occupation territoriale, dans une stratégie défensive en tentant de déconflictualiser la question en en faisant un enjeu économique et technologique. Dans cette stratégie de l’Etat hébreu, comme dans celle qui a présidé à la conquête territoriale, l’eau n’a jamais été qu’un facteur parmi d’autres du conflit (avec l’« insécurité », le référentiel religieux, etc.).

L’eau est également un grand révélateur des enjeux sociaux, économiques, culturels et politiques qui agitent, souvent de manière latente, les sociétés.

C’est le cas, par exemple, de la société espagnole dont les lignes de fracture et les clivages politico-culturels recoupent de façon surprenante les contentieux relatifs au partage et à la répartition des eaux des principaux fleuves (voir les fiches d’expérience sur le bassin de l’Ebre et sur le projet d’aqueduc franco-espagnol). L’eau, du fait de ses caractéristiques socio-culturelles et économiques, du fait également de la fonction symbolique et religieuse qui lui est assignée, semble être le catalyseur parfait des revendications les plus diverses. Une approche sociologique interactionniste symbolique, comme celle de Goffman, permettrait certainement dans bien des contextes d’identifier et de comprendre un peu mieux certains des enjeux plus profonds, dépassant le simple cadre d’un conflit social pour l’eau.

Au fond, comprendre les facteurs qui ont pu faire émerger un contentieux au sujet de ressources hydriques, c’est comprendre très souvent les tensions sociales qui animent les sociétés, car les conflits autour de l’eau correspondent le plus souvent à « la résolution des tensions entre les contraires » (Georg Simmel) et ils ont généralement pour fonction sociale un besoin urgent de libérer des tensions latentes qui n’ont bien souvent qu’un rapport indirect avec l’eau. Tout au plus les conflits pour l’eau se réduisent-ils au périmètre d’une source ou d’un centre d’approvisionnement, et s’apparentent davantage à un acte désespéré qu’à une action armée politiquement motivée.

Faute de tenter de saisir cette complexité du social, un grand nombre d’« experts » de l’eau, géopolitologues pour la plupart, brandissent bien vite le spectre de la « guerre pour l’eau ». L’analyse des enjeux de société se limitent alors à une dialectique vaine, qui pourrait se réduire à cette interrogation hors de propos : « Alors ? Guerre ou pas guerre pour l’eau ? « . Et tous ceux qui sombrent dans cette querelle nuisible, de se passer le(s) mot(s) qui tuent : « bataille pour l’eau », « fleuve de la discorde », « or bleu »…

2) Deuxième Défi. Savoir distinguer les enjeux plus que les hiérarchiser.

Trois terrains, trois problématiques paradigmatiques, trois cadres d’action différenciés.

  • a) Présentation des enjeux propres aux trois terrains majeurs abordés dans ce dossier.

Le bassin du Jourdain : problématique de la régularisation politique. C’est la seule région, le Jourdain, qui n’ait pas encore adopté de commission de bassin. Pour les riverains du Jourdain, l’enjeu premier est celui de la régularisation politique. La coopération hydraulique soutiendra l’effort de paix, mais ne pourra vraisemblablement pas l’initier…

L’Afrique, et plus précisément le Sénégal. Ce qui attend cette aire géographique - mais je ne crois pas en l’occurence qu’une « typologie » par la variable « géographie » soit pertinente - repose souvent sur les défis de la rationalisation de la gestion de l’eau. Les conflits d’usage et la concurrence des usages seront nombreux et profonds. C’est également le cas en Amérique latine, où les usages urbains et agricoles de l’eau dessinent les contours de la désaffiliation sociale et économique (voir la fiche de document intitulée : « L’eau dans les villes d’Amérique latine, inégalités sociales et concurrences des usages »).

L’Europe méditerranéenne, enjeux d’intégration socio-économique : les défis qui attendent l’Union Européenne. Centralisation, décentralisation, autonomies politiques, reconstructions et partenariats régionaux, identités culturelles, autant de problématiques qui s’inscrivent dans le cadre de la gestion de l’eau.(Voir l’ensemble des fiches d’expérience sur l’Espagne et aussi la fiche document intitulée : « Les conflits pour l’eau en Europe méditerranéenne »).

Encore une fois, cette configuration des enjeux est arbitraire et lacunaire, peut-être d’ailleurs n’est-elle pas si pertinente que cela, mais au moins elle se donne pour but de présenter une série d’enjeux parmi d’autres.

Il ne faut pas oublier que d’autres défis - porteurs d’enjeux différents - sont à relever : le problème des inondations (voir le cas de la Camargue dans la fiche document intitulée : « Les conflits pour l’eau en Europe méditerranéenne »), celui de la santé (voir la fiche d’expérience intitulée : « L’eau, un problème de santé publique dans les Territoires Palestiniens »), les enjeux d’urbanisation (voir la fiche de document intitulée : « L’eau dans les villes d’Amérique latine, inégalités sociales et concurrences des usages »), celui essentiel du rôle social de la femme (voir la fiche d’expérience intitulée : Le rôle des femmes en Afrique dans la gestion des ressources en eau : le regard de l’OCDE »), les pratiques touristiques,etc.

  • b) A terrains singuliers, compréhension et actions différenciées.

Les structurations sociales et économiques de chaque région étant singulières, il paraît inconcevable et vain de vouloir analyser les difficultés qui s’y présentent dans une approche comparative diachronique. C’est le fait des théories du développement que d’agir, et de réagir surtout, ainsi, en privilégiant malheureusement une conception évolutionniste - degrés de civilisation et de modernisation économique, phases, stades de développement, etc.

Plutôt que de vouloir appliquer le mot d’ordre des mousquetaires, « Tous pour un(e) méthode, un(e) méthode pour tous », à cette question du partage et de la gestion rationnelle de l’eau, oeuvrons plutôt pour que se mettent en place des modalités d’action adaptées et si possible pensées et voulues par les populations concernées (voir la fiche document intitulée : « Les techniques traditionnelles de conservation de l’eau et des sols en Afrique ») .

Bien évidemment, cela ne signifie aucunement qu’il s’agit de cloisonner, de compartimenter et donc de rejeter a priori des méthodes et des technologies importées. Non. Il s’agit plutôt de ne pas les appliquer en fonction de préjugés ou d’idéologies, seraient-ils les mieux pensants du monde. Il convient dès lors de s’interroger concrètement sur les modes d’application les moins contraignants et les moins destructurants de technologies externes à des terrains qui n’étaient pas initialement destinés à les recevoir. Cela ne va pas sans difficultés(voir les fiches d’expérience intitulées : « L’avenir est-il à la médiation virtuelle ? Ou comment favoriser un partage rationnel de l’eau entre agriculteurs grâce à l’ingénierie hydraulique : l’exemple du fleuve Sénégal » et « Ps-Eau : des médiateurs à l’écoute de l’Afrique »). A des problématiques différentes, on ne peut que répondre par des solutions différentes.

3) Troisième Défi. S’organiser à l’échelle internationale pour construire la paix.

S’organiser à l’échelle de la planète, ne veut pas dire effacer et nier les différences et les spécificités des enjeux. Cela signifie surtout qu’il s’agit de tout mettre en oeuvre pour se donner les moyens de comprendre les enjeux particuliers, puis pour créer les instruments et les institutions d’une gestion plus efficace et concertée des problèmes.

Les hommes sont à égalité devant le phénomène du déficit en eau consommable. Certes, selon des modalités diverses et dans des contextes différents. Les hommes sont donc plus ou moins égaux. Pourtant les enjeux concernent toute l’humanité : la bataille pour l’accès à l’eau de bonne qualité pour chaque homme et chaque femme, partout et en quantité suffisante est un défi planétaire.

Les solutions ont donc besoin d’un relais mondial, de réseaux d’experts et d’acteurs (voir la fiche d’expérience intitulée : « Rencontres internationales du Mémorial de Caen en 1999 sur l’eau et la paix au Proche-Orient »), d’un Tribunal Mondial (voir la fiche d’expérience intitulée : « A Valence, depuis un millénaire, un Tribunal des Eaux règle les litiges entre agriculteurs »), de technologies appropriées, etc.

Notes

  • (*) : Voir la fiche d’expérience intitulée : « A Valence, depuis un millénaire, un Tribunal des Eaux règle les litiges entre agriculteurs » ou encore celle intitulée : « L’avenir est-il à la médiation virtuelle ? Ou comment favoriser un partage rationnel de l’eau entre agriculteurs grâce à l’ingénierie hydraulique : l’exemple du fleuve Sénégal »