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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, août 2007

La créativité de la médiation

La médiation possède une caractéristique, inhérente à son processus, qui devrait passionner les Français, amoureux des solutions créatives : sa capacité à générer des solutions innovantes, adaptées et satisfaisantes pour chacune des parties en présence, et qu’aucune autre approche n’aurait permis d’obtenir, ni même d’imaginer.

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Comment est-ce possible ?

Le cas de l’orange est un exemple classique. Deux enfants se disputent une orange. Chacun d’eux veut que ce soit lui qui l’ait : il en a absolument besoin. Chacun met toute son énergie à développer une stratégie pour obtenir l’orange et plus la tension monte, plus les positions deviennent intraitables. L’adulte, fatigué de tout ce tumulte, pense régler le conflit en coupant l’orange en deux et en en donnant une moitié à chaque enfant : les deux fondent en larmes. On s’explique alors (enfin) : l’un voulait la pulpe, toute la pulpe, pour faire un jus ; l’autre voulait la peau, toute la peau, pour faire des orangettes. Une médiation, en rétablissant un dialogue devenu impossible, et en faisant s’exprimer les vrais besoins de chacun, leur aurait permis de générer une solution satisfaisante pour les deux.

Dans ce cas précis, il n’y a d’ailleurs pas à développer une créativité particulière pour arriver à une solution, puisque le dialogue permet assez vite de découvrir la possibilité de satisfaction simultanée de besoins que l’on croyait a priori incompatibles.

Parler de créativité en situation de médiation peut sembler paradoxal. La créativité, c’est trouver des idées, des solutions nouvelles que les autres n’ont pas trouvées. On n’est donc pas créatif en faisant comme les autres, en déroulant le fil d’un raisonnement, en suivant une logique : on n’est pas créatif en faisant un effort, en s’appliquant. On est créatif en se laissant aller, en lâchant prise, en jouant avec les idées, en se laissant faire par elles. Mais pour cela, il faut accepter de s’abandonner à ce jeu. Pas de problème dans les cercles de créativité, ou dans les sessions créatives organisées au sein des entreprises : on est là pour jouer, cela change de la routine, on s’amuse bien, peut-être même est-on payé, mais surtout on ne risque absolument rien pour soi-même : on joue avec les problèmes des autres.

Mais en médiation, c’est son problème à soi qu’on veut traiter et cela change tout. On est le seul à vraiment savoir ce qui est bon pour soi, donc il faut rentrer soi-même dans l’arène de la médiation. Même chose pour l’autre, en face, avec qui on est en opposition frontale. Chacun a besoin de mobiliser toute son énergie pour ne pas se laisser faire et l’emporter sur l’autre; et vous voudriez nous demander de jouer ? de JOUER ?

Pendant toute la période où le conflit s’est progressivement construit, chacun a gravi une à une les marches de l’escalade, en fortifiant sa position, en habitant son point de vue, et en affinant sa solution : c’est la seule possible à ses yeux, et il faudra réussir à l’imposer à l’autre, qui a tort et devra bien l’accepter.

Quand la médiation commence, chacun arrive avec sa solution. Bien sûr, les deux solutions en présence sont incompatibles, exclusives l’une de l’autre, sinon le problème serait déjà réglé depuis longtemps. D’habitude, on allait en justice pour demander au juge de trancher, de dire lequel des deux a raison ; chacun des avocats, avec qui on avait construit sa position, parlait à notre place et s’efforçait de convaincre le juge afin de l’emporter sur l’autre.

Le jugement fait un gagnant et un perdant. Le perdant, déçu de la décision du juge, n’est pas convaincu pour autant qu’il avait tort : il n’a pas vraiment eu l’occasion de s’expliquer avec le juge et d’exprimer tout ce qu’il a à dire sur cette affaire ; s’il a perdu, c’est de la faute des avocats, ou il est victime de l’alea juridique, ou ce n’est que partie remise et on verra bien en appel ! De toutes façons il faut se venger de l’autre en lui faisant encore plus mal sur un autre point. Je me souviens de ce grand constructeur informatique qui avait eu, si je puis dire, le malheur de gagner son procès contre un gros client, l’une des principales banques françaises : il n’a plus vendu d’ordinateur à ce client pendant trente ans, le temps que les équipes de responsables se renouvellent et que l’affaire soit oubliée. Il avait en fait eu surtout tort d’avoir raison contre son client, mais à l’époque la médiation n’était pas connue.

Le gagnant du procès est-il pour autant satisfait ? Certes il n’était pas question de se laisser faire, et il fallait bien se défendre. Mais la victoire laisse souvent un goût amer, car si on a gagné sur le point précis du litige porté à l’arbitrage du juge, on sait bien qu’on n’a pas gagné sur l’ensemble de la relation que nous avons avec l’autre, et que tous les autres points qui composent cette relation vont maintenant devenir plus difficiles à gérer.

Effectivement, le grand perdant du procès, c’est la relation entre les parties. Et s’il s’agit d’un divorce avec jugement imposé, les plus grands perdants sont les enfants, et sauf médiation post-jugement, ils resteront perdants pendant de nombreuses années.

Mais revenons à la médiation.

Toute la première partie de la médiation va amener chacune des parties à revenir à la réalité d’une relation humaine dans laquelle l’autre existe aussi. Bien sûr, pour avoir envie de commencer à s’intéresser au point de vue de l’autre, il faut d’abord avoir été soi même entendu et compris, avoir pu vider son sac et avoir défendu son honneur. C’est tout l’art du médiateur et la grande force du processus de médiation :

  • Faire en sorte que chaque partie soit reconnue, pour les inviter à s’accorder alors une reconnaissance mutuelle.

  • Que chacun comprenne que pour l’autre, de son point de vue, les choses aient pu être différentes de ce qu’elles sont pour soi.

Comprendre ne veut pas dire être d’accord, et comprendre l’autre ne veut pas dire qu’on renonce à son honneur ou son intérêt, bien au contraire : tous les négociateurs savent que la meilleure façon de négocier ses propres intérêts est de s’intéresser au point de vue de l’autre.

Nous en sommes donc au point tournant de la médiation. Chacun a compris que sa solution toute faite était une illusion car la réalité est plus compliquée qu’il ne s’était conforté à le croire dans l’énergie du conflit : l’autre existe et il faudra bien le prendre en compte si on veut construire une vraie solution, solide et durable. On avait deux solutions, et on les a perdues toutes les deux : on est maintenant, à ce moment de la médiation, sans solution.

C’est inconfortable, quelquefois même angoissant, mais le médiateur, loin de s’en alarmer, est satisfait d’avoir atteint cette étape : puisqu’il n’y a plus de solution toute faite, on va maintenant pouvoir, ensemble, en construire une, qui sera une solution commune.

La créativité de la médiation repose sur trois points essentiels :

Ce sont les personnes concernées par le problème, toutes les personnes impliquées, qui participent elles-mêmes à la médiation et à la définition de la solution commune. On est ainsi certain que la solution qui en émergera intègrera toutes les contraintes et tous les éléments à prendre en compte pour que tous reconnaissent cette solution comme « leur » solution.

Quand on me demande si je pense qu’on arrivera à trouver une solution, je réponds souvent : « En tous cas, nous sommes ici, réunies dans cette pièce, les meilleures personnes au monde pour trouver une solution à notre problème. Ou alors, s’il manque quelqu’un, dites-moi qui, et nous l’inviterons à se joindre à la médiation ».

Le processus de médiation crée les conditions qui permettent que des personnes en conflit retrouvent la possibilité d’un dialogue, et deviennent désireuses de coopérer pour élaborer une solution commune. C’est comme pour le diagnostic difficile en médecine. Une personne consulte depuis longtemps, sans qu’on trouve ce qu’elle a. Chaque médecin émet une hypothèse et prescrit une analyse pour la vérifier, mais toujours sans succès. Cela dure jusqu’au jour où la personne rencontre un médecin en qui elle a confiance : elle lui amène alors l’information capitale qui manquait mais qu’elle s’était d’une certaine façon refusée à donner aux autres : c’est la qualité du dialogue qui a permis le bon diagnostic.

Ce point est capital : sans confiance en le médiateur, et sans se sentir en sécurité, personne n’aura envie de fournir des idées à celui qui était encore il y a peu de temps un adversaire. Nous y reviendrons plus bas.

La créativité propre à la médiation, c’est-à-dire la capacité à générer des solutions qu’on n’aurait pas trouvées autrement, repose justement sur la rencontre et la confrontation des parties avec chacune son point de vue différent, ce que permet le processus de médiation. Je veux dire que si on interroge les personnes séparément, même en créant les meilleures conditions de confiance, et en recueillant leurs idées de solution de part et d’autre pour les additionner ensuite, on n’obtiendra pas une solution aussi créative, aussi productive, et aussi adaptée qu’à travers la mise en présence physique des personnes.

Mais pour atteindre la phase de créativité, il faut que le processus de médiation se soit déroulé en satisfaisant pleinement les besoins fondamentaux des personnes en présence : sécurité, identité et réalité d’être.

Le médiateur apporte la sécurité en instaurant le cadre de la médiation, dont il énonce les règles et dont il se porte garant. Cette sécurité libère la parole ; elle crée la confiance et permet l’expression de la créativité sans risques.

Le besoin d’identité de chacun est satisfait par l’écoute active du médiateur. Elle leur permet d’exister, d’affirmer leur différence. Elle apporte la reconnaissance et l’estime, de soi et de l’autre. Elle désarme l’agressivité, une fois que celle-ci a pu s’exprimer.

La réalité d’être des personnes leur est apportée par l’invitation du médiateur à reprendre l’initiative et la responsabilité de la solution, leur solution. Pour cela, il est essentiel qu’il se refuse à apporter une solution toute faite. Il s’agit pour eux de comprendre toutes les données de la situation, qu’ils intègrent en l’acceptant, et de redevenir initiateurs pour agir et se projeter dans le futur.

Dans la phase de recherche de solutions, le médiateur agit comme un coach de la créativité des parties. Ceci n’est d’ailleurs possible que s’il croit véritablement en la capacité des personnes à générer leurs propres solutions, avec bien sûr l’assistance éventuelle de leurs conseils sur les points techniques.

Tout ce que nous venons de voir concerne la médiation curative de conflits. Mais la créativité inhérente au processus de la médiation est aussi intéressante pour la médiation préventive, comme par exemple la médiation de projet. Dans un projet complexe ou à partenaires multiples, on sait à l’avance qu’il émergera des conflits à résoudre : mettre en place une fonction ou structure de médiation comme partie intégrante du projet dès son lancement peut profiter beaucoup à tous les acteurs du projet, avant que les conflits ne s’enkystent aux dépens du projet.

Notons pour terminer que la médiation peut se révéler une approche créative pour la résolution de problèmes. Les seuls problèmes purement techniques sont les problèmes mathématiques, car le langage mathématique est le seul à être non ambigu. Il y a par contre toujours une composante humaine dans les problèmes que nous sommes amenés à résoudre, même quand ils sont présentés sous une forme purement technique, car nous utilisons le langage « humain » pour en parler. Aider à générer des solutions dans les situations bloquées, seul ou à plusieurs, est une compétence qu’on peut développer, avec l’esprit de la médiation et les outils du médiateur.

Alain Roy, Médiateur, Vice-Président de l’ANM, consultant en déblocage de situations, sans solution apparente (tous domaines)roy.al@wanadoo.fr

Note : Pour les amateurs de méthodologie, sur la phase de créativité en médiation.

Le plus souvent, il reste encore trop de tensions pour les inviter à « jouer » selon l’approche classique en créativité. Le médiateur peut alors utiliser la méthodologie de « l’arbre à idées », que le lecteur trouvera résumée dans la seconde édition de l’ouvrage d’Arnaud Stimec « La Médiation en entreprise ». Cette méthode permet de rechercher des idées de solutions, de proche en proche à partir des premières idées formulées.

Il est essentiel que les idées de solutions énoncées pendant la phase de créativité n’engagent encore personne à ce stade. C’est seulement dans la phase finale de la médiation que les parties en présence feront leur choix parmi toutes les solutions imaginées et définiront les solutions sur lesquelles elles s’engagent, pour définir ensemble un accord formel mettant fin au litige.