Henri Bauer, Bogota, Colombie, juillet 2003
Le premier défi pour les acteurs de paix en Colombie : leur volonté de construire la paix.
La violence s’est emparé de la Colombie. Bouleversé par les atrocités du conflit et habité par la crainte, chaque colombien essaie de survivre dans l’incertitude du lendemain. La violence est tellement présente et diffuse dans la société colombienne que les Colombiens ont fini par apprendre à vivre avec elle afin de pouvoir exorciser leur peur. Ils réussissent à banaliser la violence.
Comment construire effectivement la paix dans une situation dans laquelle on a appris à vivre avec la guerre ? Qui pourrait en être capable alors que la guerre peut constituer financièrement une bonne affaire ? Ce sont, à mon avis, deux grandes questions sur le conflit colombien : celle de la volonté politique de faire la paix, celle des retombées économiques de la guerre.
Les efforts effectués par de nombreuses personnes au sein de ces ONG sont dignes d’admiration. Non seulement par le travail qu’elles réalisent alors qu’elles sont traversées, elles aussi, par l’angoisse et par la peur, mais aussi parce qu’elles savent qu’elles risquent leur vie. Cependant, il semble que de nombreuses ONG travaillant pour la paix en Colombie partent de la question « Comment être de bons acteurs de paix dans une situation de guerre ? », plutôt que de travailler à partir de la question « Comment en terminer avec cette guerre ? ».
Voilà l’une des caractéristiques de la construction de la paix dans une situation de guerre : les personnes et les organismes qui veulent travailler pour la paix, mais qui sont prises tous les jours dans une situation de violence extrême, côtoyant les horreurs de la guerre, vivant dans l’angoisse et dans la peur de perdre la vie à tout instant, ont beaucoup de difficultés à trouver en eux-mêmes et dans leur environnement social local les ressources symboliques nécessaires pour construire paix avec des méthodes pacifiques.
Les acteurs travaillant pour la paix au cœur de la guerre sont pris dans les filets des conflictualités. Immergés dans une situation d’une violence sanguinaire et cynique, ces « acteurs de paix » sont tellement bouleversés et marqués par la cruauté de la guerre qu’ils n’ont à leur disposition que les outils de la violence pour se représenter le monde.
Au-milieu de cette atmosphère de guerre, où la violence est comme un brouillard envahissant les esprits, masquant facilement tout le reste, le grand défi des acteurs de paix en Colombie concerne fondamentalement leur volonté politique d’arrêter cette guerre et de construire véritablement la paix.