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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de défi

, France, juillet 2015

Géopolitique de l’alternance dans les Grands Lacs

De vives tensions sociopolitiques procèdent de la limitation des mandats présidentiels depuis deux décennies en Afrique, et sont au cœur des enjeux actuels du pouvoir.

Mots clefs : Géopolitique et paix | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Burundi | République Démocratique du Congo | Rwanda | Ouganda | Tanzanie

De vives tensions sociopolitiques procèdent de la limitation des mandats présidentiels depuis deux décennies en Afrique, et sont au cœur des enjeux actuels du pouvoir. Trois des cinq pays constituant, au sens strict, la sous-région des Grands Lacs en sont directement concernés (Burundi, République démocratique du Congo et Rwanda), deux autres (Ouganda et Tanzanie) l’étant à moindre titre.

Au Burundi, la décision du Président Nkurunziza de solliciter un troisième mandat électif a provoqué un commencement d’embrasement du pays, qui s’était pourtant engagé de manière résolue, à tourner le dos aux nombreux conflits qu’il a connus depuis une cinquantaine d’années. En prenant ainsi la décision de lever, unilatéralement, l’hypothèque de la construction de la paix dans son pays, Pierre Nkurunziza remet doublement en cause, l’échelle prioritaire de sécurité au Burundi et dans la sous-région.

Une crise burundaise

Les trajectoires de la crise sont liées à l’équilibre des forces sociopolitiques, ainsi qu’au processus de dépassement d’antiques grilles de lecture, ethnopolitiques notamment. Cette crise n’est pas isolée, puisant aux fondements de l’histoire nationale. Ce qui permet d’appréhender l’esprit et la lettre des dispositions de l’Accord d’Arusha du 28 août 2000, et celles de la Constitution de la République du Burundi du 18 mars 2005. Ils préconisent le renversement des anciennes filiations politiques, et s’investissent à mettre un terme à l’impunité, érigée en règle. Ces dispositions sont ici, fondatrices du pacte social et républicain.

La traduction dans les faits est laborieuse. A titre d’illustrations, dans ce pays carrefour des Afriques du centre, de l’est et du sud, la création et le commencement de mise sur pied de la Commission nationale des terres et autres biens (Cntb), chargée d’effectuer l’inventaire des biens spoliés au cours des conflits antérieurs, et d’en organiser la restitution ; puis, la Commission vérité et réconciliation (Cvr) à qui revient le rôle extrêmement délicat de poser les bases d’une histoire du Burundi débarrassée des scories de la mystification, et de mettre un terme à l’impunité, un des sports de prédilection dans ce pays, comme nous venons de l’indiquer.

Il ne faut donc se faire aucune illusion quant aux blocages qui procèdent tant d’une faction du Cndd-Fdd (le parti au pouvoir), que d’autres segments du jeu politique, qui ne veulent pas prendre acte des évolutions – irrémédiables - en cours.

La responsabilité immédiate des tensions du moment incombe au chef de l’État, dont le deuxième et dernier mandat arrive à échéance. Sa remise en cause des fondamentaux de la cohésion nationale, préjuge de sa capacité à défendre sa propre gouvernance pendant ses deux mandats. Elle est aussi historique, le Burundi étant un État engagé dans un processus de sortie de crise pouvant inspirer d’autres cas de figure en Afrique.

Cette responsabilité est enfin éminemment sous-régionale, en raison des interactions ordinairement occasionnées avec les pays frontaliers.

Enjeux d’une prise en main sous régionale

Plus de cent cinquante mille réfugiés burundais se trouveraient en ce moment au Rwanda et en Tanzanie, aux dernières estimations. Cela n’est pas sans provoquer des conséquences dommageables, dans chacun des pays de la sous-région, pris dans l’obligation d’y faire face par nécessité. Que l’on se souvienne dans les crises des cinquante dernières années, du rôle joué par les réfugiés de chacun des pays, dans les processus de changement de régime en Ouganda, au Rwanda et plus récemment, en 1997, dans l’ex Zaïre devenu République démocratique du Congo.

Sur le plan diplomatique, les capacités de persuasion des leaders de la sous-région (membres de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est) sont de moindre effet, pris pour la majorité d’entre eux, pour le moment du moins, dans l’inconfort d’inconstitutionnalité d’un troisième mandat (le Rwanda et la Rdc). Quant au Président Yoweri Museveni, il est loin d’être un modèle de démocrate, s’étant lui-même assuré la délimitation des mandats présidentiels dans son pays. Il ne reste donc, à titre de crédibilité démocratique ou ce qui en tient lieu, que le chef de l’État tanzanien Jakaya Kikwete dont le dernier mandat arrive à terme en octobre 2015.

Il est à craindre, dans le cas de la persistance des crispations au Burundi, que les États voisins assument de manière volontariste leurs responsabilités, la communauté internationale dans son acception la plus convenue, se montrant incapable d’aider à l’inversement des tendances du choix du chef de l’État burundais.

Cette prise de responsabilité s’inscrirait dans l’historicité même des pays de la sous-région. Elle transcenderait les a priori d’un formalisme de mise, qui fait très peu cas, des dynamiques de fond qui mettent en jeu, la vie de millions de personnes. Il est encore de mémoire, les massacres du génocide au Rwanda en 1994, tout comme d’ailleurs les millions d’autres victimes occasionnées par les deux guerres menées à la suite, en République Démocratique du Congo.

Les modalités seraient à déterminer par les différents acteurs étatiques, en considération des intérêts de chacun d’entre eux, mais aussi en prenant en compte les impacts globaux d’une projection qui comporte sa part de risques politiques et sécuritaires. Faut-il le rappeler, c’est dans la perspective d’une réappropriation des trajectoires géopolitiques sous-régionales, que Julius Nyerere prit la décision d’une intervention militaire tanzanienne débouchant sur le renversement d’Idi Amin Dada en 1978 ; de même, les États de la sous-région assurèrent la mise à l’écart de Mobutu Sese Seko en 1997, sur la base d’une perception conjointe des intérêts nationaux et sous-régionaux.

Les conséquences immédiates de ces choix de positionnement ont entraîné, en partie, la déliquescence de certains États de la sous-région (l’est de la Rdc notamment). Il n’en demeure pas moins que ces initiatives peuvent être l’ultime recours de pays, que la dégradation de la situation au Burundi pousserait à légitimer des modalités d’une intervention, puisant aux sources d’impératifs catégoriques de sécurité nationale et sous-régionale.

Notes

  • Article publié dans le numéro 15175 de Fraternité Matin, le 9 Juillet 2015.