L’art de la paix. Ouvrage de Michel Rocard. La paix naît, ainsi que la guerre, dans l’esprit des gens.
Réf. : J. Garrisson et M. Rocard, « L’art de la paix », Ed. Atlantica, Paris, 1997.
Langues : français
Type de document :
1. La culture de paix : un état d’esprit ?
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La paix en tant que construction humaine : le concept de « culture de paix »
La culture de paix n’est pas une réalité donnée, mais au contraire le fruit d’une construction qui se fait par plusieurs moyens. De ce fait, l’idée de paix n’est pas quelque chose qui va de soi, de manière universelle : le désir de promouvoir et de garantir la paix reflète un certain état d’esprit, traduit une certaine vision de la paix, de la guerre, du monde, des relations entre les peuples. La paix, en tant que construction, fait donc écho à divers symboles, à diverses représentations culturelles et sociales, à divers modes de penser et d’agir qui ne sont pas partagés par tous.
C’est en cela qu’il est possible de parler de « culture de paix », un concept que l’on pourrait opposer à « culture de guerre », celui-ci traduisant d’autres représentations symboliques, d’autres manières de penser les relations humaines, inter et intra-étatiques : la volonté et l’idée de paix ne sont pas à penser sous l’angle de l’universel, elles peuvent être appréhendées comme un trait culturel parmi d’autres. Mais la paix, en tant que mode de relations entre acteurs, et groupes d’acteurs, n’est pas désirée de manière universelle, ou du moins pas de la même manière ni pour les mêmes raisons.
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L’exemple de la construction de la paix en Europe
L’Europe, par exemple, s’est construite, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale sur la base principale de l’entente franco-allemande, et plus largement sur l’entente des différents peuples européens, avec alors comme principal objectif de ne plus reproduire un conflit comparable aux deux grandes guerres qui avaient ravagés le continent durant la première moitié du XXe siècle. La paix s’est ici comprise et élaborée comme un ciment indispensable à la stabilité des relations internationales : il s’agit d’un concept de paix européen du point de vue culturel auquel nous avons affaire ici.
Ainsi la culture de paix, d’une manière générale, est bien un mode de pensée singulier qui ne peut se rattacher de manière arbitraire à l’universel, faisant appel à des représentations et des symboles que l’on ne peut pas catégoriser comme concepts universellement valables. Non. La culture de paix n’est pas une donnée universelle : celle-ci est une construction humaine, difficile, ardue, jamais terminée, qui fait appel à des méthodes et à des outils précis de construction.
2. Les outils de construction d’une culture de paix
La culture de paix doit s’élaborer sur la base solide d’une justice irréprochable autant que possible, qu’elle soit d’ordre social, économique ou pénale : le gouvernement et les législateurs portent ici une lourde responsabilité, tant les déséquilibres de la sorte, volontaires ou non, génèrent rancœurs, violences et contiennent en eux les germes du conflit.
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Le rôle de l’économie dans la construction d’une culture de paix :
L’économie peut aussi jouer un rôle différent et tout aussi important : en construisant des relations d’interdépendance avec les anciens adversaires, il devient beaucoup plus difficile de reprendre les combats, car blesser l’autre, c’est alors se blesser soi-même. Citons l’exemple de la France et de l’Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, exemple poursuivi dans la construction de l’Union européenne. Lorsque les intérêts sont mêlés, tout à fait prosaïquement, les individus renoncent à la lutte et par là même se rapprochent.
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Le rôle de l’éducation dans la construction d’une culture de paix :
La paix doit s’appuyer sur l’éducation de la jeunesse, nécessairement impartiale et non victime d’amnésie : l’enseignement de l’Histoire est à ce titre particulièrement important, et s’il doit fonctionner comme principe fédérateur, ce ne doit pas être au détriment d’un devoir de mémoire primordial. Il ne s’agit pas de ressasser inutilement des souvenirs douloureux mais de rendre justice au passé afin de cicatriser les blessures. À cet enseignement honnête doit s’ajouter un enseignement éthique soucieux de transmettre des valeurs prônant le respect de l’autre.
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Le rôle des médias dans la construction d’une paix durable :
Par ailleurs, les médias, surtout aujourd’hui, peuvent participer à la construction d’une paix durable : non pas en cachant des événements déstabilisants, mais par le biais d’une déontologie fondée sur l’objectivité, le souci de livrer les informations dans leur entièreté et dans une certaine mesure, l’attention accordée à la pluralité des opinions. Il convient autant d’éviter de dramatiser les situations, d’ériger chaque acte en symbole que d’encourager les comportements violents par une préférence claire laissée à l’expression d’une opinion particulière : tâche éminemment ardue, dans un monde dominé par la recherche du scoop pour l’augmentation de l’audimat.
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Enfin, ce que Michel Rocard appelle « les structures productrices de pensée » ont également leur rôle à jouer, avec en premier lieu les religions et les Églises.
Plutôt que de continuer à distiller le venin de la division dans les âmes de leurs ouailles, elles doivent accompagner le mouvement de réconciliation par leurs messages et la pratique de paix. L’exemple des autorités catholiques en Irlande du Nord est particulièrement probant : tout en défendant les droits civiques de leurs fidèles, elles n’ont cessé de condamner fermement la violence et les attentats terroristes, jusqu’à désigner en péché mortel la complicité ou l’appartenance à l’IRA. Lorsque l’on connaît l’influence de l’Église dans ce pays, ces prises de position n’ont pu que revêtir un poids considérable.
Conclusion
Ces différents outils - justice, éducation, médias, autorités religieuses - construisent la paix à des degrés différents selon la scolarisation, la religiosité ou la technologie des pays concernés. Mais s’ils peuvent permettre dans un consensus général d’ancrer la paix dans les consciences, ils peuvent aussi, et dans une mesure aussi large, contribuer à justifier la violence et à faire renaître le conflit. C’est là toute leur ambivalence, ambivalence irréductible : seuls la volonté et l’état d’esprit des tenants de ces différents pouvoirs peuvent infléchir le cours dans le sens de la construction de paix.
La paix naît, comme la guerre, dans l’esprit des gens.