Larbi Bouguerra, Paris, September 2006
Water and Peace. For clues to resolving the Middle East conflict, consider the case of the embattled Dead Sea
Si l’on cherche des pistes pour résoudre le conflit du Moyen-Orient, le cas de la contestation autour de la Mer Morte devrait être pris en considération.
Ref.: Gidon BROMBERG (directeur du bureau israélien de FoEME), World Watch, vol.17 ; n°4, Juillet –août 2004, p. 24- 30
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Le bassin de la Mer Morte, un enjeu pour la paix
La dénomination de « Mer Morte » bien que juste ne manque pas d’induire en erreur. Il est vrai qu’elle n’abrite point de poissons et que le désert de Judée l’enserre dans ses sables et sa sécheresse absolue. Pour les géographes, c’est un « lac terminal » car c’est dans cette mer que le fleuve Jourdain se jette, au terme de son parcours. Mais là où l’on s’attend à ne trouver que désolation et mort, on constate avec surprise et ravissement que les bords de cette mer sont parsemés de petites sources et d’oasis qui fournissent de l’eau à 90 espèces d’oiseaux, 25 de reptiles et d’amphibiens, 24 de mammifères et 400 plantes. Depuis les temps préhistoriques, à l’aube de la civilisation humaine, et pour des millénaires, elle est devenue un des endroits les plus mythiques et les plus légendaires sur terre. Le Christ aurait été baptisé là où le Jourdain la rejoint et la ville de Jéricho, probablement la plus ancienne ville au monde, se mire (presque) aujourd’hui encore dans ses eaux.
Aujourd’hui, les pélerins en route vers les monastères du désert et les touristes la fréquentent pour ses vertus thérapeutiques et le spectacle unique d’une mer sur laquelle les baigneurs flottent ! L’eau de la mer Morte est en effet 10 fois plus salée que les océans et se trouve à moins 400 mètres au-dessous du niveau de la mer Méditerranée toute proche.
Mais le plus important peut être est le fait que, étant donné le conflit qui fait rage entre la Jordanie, Israël et la Palestine, le bassin de la Mer Morte est un avantage d’intérêt commun. Tout comme le légendaire bébé du roi Salomon, cette mer devrait donner des raisons de se réconcilier à ces trois pays plutôt que de la voir mourir. Or, de nos jours, les anciennes fonctions de ce bassin sont en danger et constituent un test difficile pour une éventuelle coopération. Tout comme la mer d’Aral, la Mer Morte est en train de s’assécher ; l’évaporation jouant un rôle important. Le niveau de la Mer Morte a baissé de 25 mètres au cours des quarante dernières années et ce phénomène continue à l’allure d’un mètre par an en moyenne. Quant à la surface de son plan d’eau, elle a rétréci de plus d’un tiers depuis que les mesures ont commencé, au début du siècle dernier. Pour l’industrie touristique qui offre 50 000 lits et procure 11 000 emplois, c’est là un terrible cataclysme.
En fait, aujourd’hui, la Mer Morte est constituée au nord, par un lac et au sud, par un autre plan d’eau bien moins profond et reliés par un bras de terre, El Lisan (la langue en arabe) qui était jadis une péninsule. Le bassin méridional devrait être en fait à sec maintenant mais l’industrie minière d’extraction du potassium, du magnésium et du brome pompe de l’eau au nord pour éviter cette extrémité. Il en résulte que si le niveau de l’eau continue de baisser au nord, celui du sud ne cesse de monter (pour compenser le dépôt de sel au sud provenant de l’évaporation) et de miner les fondations mêmes des hôtels alentour dont certains ont porté plainte contre les entreprises minières. Au nord, la situation n’est pas moins catastrophique car comme le niveau de l’eau baisse, des trous – parfois de taille impressionnante - apparaissent un peu partout. On n’en compte pas moins d’un millier sur la rive occidentale. Ils font leur apparition, parfois en une nuit, sur les routes, les parkings, les réserves naturelles et dans les bâtiments. De plus, du fait du retrait de l’eau, on note aussi, à présent, sur cette rive, de larges plaques de boue dangereuses pour qui s’aventurerait car elles se comportent comme les sables mouvants.
L’initiative du FoEME pour sauver le Bassin de la Mer Morte : populariser l’idée du développement durable et promouvoir un plan coordonné et intégré de développement
Face à tous ces problèmes, Friends of the Earth Middle East (FoEME) (Les Amis de la Terre Moyen-Orient) a pris l’initiative de réunir des environnementalistes palestiniens, jordaniens et israéliens qui ont à cœur de sauver ce joyau de la Nature et d’en arrêter la dégradation. FoEME veut aussi populariser l’idée du développement durable dans une région où les économies modernes s’opposent quant à l’usage de l’eau. Or, pour atteindre ces objectifs, il faut, dans cette région troublée, amener les gens à coopérer. FoEME s’efforce de montrer aux gens qu’industries, préservation des sites archéologiques et défense de l’environnement sont très interdépendants les uns des autres et donc mutuellement menacés. Ainsi, l’eau du Jourdain qui alimente la Mer Morte est utilisée à 90 % par l’agriculture, l’alimentation des agglomérations et l’industrie et c’est ce qui fait baisser le niveau de la mer et provoque des tensions entre l’agriculture et l’industrie touristique et hôtelière. Pour Nader Khateeb, directeur de FoEME Palestine, « le développement anarchique, l’absence de coordination dans la planification entre les autorités et la compétition non réglementée entre les différents secteurs économiques qui exploitent les ressources de la Mer Morte, font que nous approchons du point de non-retour. »
FoEME veut promouvoir un plan coordonné et intégré de développement pour la région dans son ensemble, plan qui tiendrait la balance juste entre les besoins des uns et des autres et qui orienterait ce développement de manière à protéger au maximum les atouts écologiques de la région et, dans la foulée, cette organisation voudrait voir la Mer Morte déclarée Site du Patrimoine Mondial. La Jordanie, la Palestine et Israël se disent intéressées mais les complications politiques – comment ceci se traduirait sur les plans de développement- empêchent le passage à l’acte.
FoEME tente néanmoins d’éduquer la population pour ne pas faire de la Mer Morte une décharge et tente de rapprocher les points de vue pour les projets de développement de l’extraction minière, des hôtels, de l’eau des villes… et insiste sur le fait que l’eau étant source de vie, dans cette partie du monde où l’eau est rare, des formes de coopération se mettent petit à petit en place en dépit des hostilités affichées. « Par une coopération raisonnable entre voisins, affirme l’organisation, la Mer Morte pourrait parfaitement s’en remettre et vivre. Et s’il y a un espoir pour que cela se produise, il y a un grand espoir pour l’avenir de cette région déchirée dans son ensemble. »
Commentary
Cet article pointe bien le fait que les malheurs qui frappent la Mer Morte n’ont rien d’unique, sur le plan écologique. On en trouve maints exemples dans le monde. Le cas de la Mer Morte est unique par la charge symbolique et légendaire qui l’entoure et par la persistance et la cruauté du conflit qui se déroule sur ses rives.
Cet article est plein de bon sens et nul ne saurait nier les bienfaits de la coopération entre voisins. Mais, comme toujours, les environnementalistes peuvent se rencontrer et discuter scientifiquement, échafauder des projets de développement durable seulement le mot de la fin appartient toujours aux politiques dont l’agenda et les arrière-pensées sont à mille lieues de celles des écologistes et des défenseurs de l’environnement.
Mais le proverbe japonais dit : « Si vous cherchez la source du fleuve, vous la trouverez au commencement d’une goutte d’eau sur la mousse » et même si cet article ne nous paraît pas bien cibler les responsabilités – et les priorités - des uns et des autres dans les causes des atteintes qui frappent cette mer de légende, considérons-le comme une goutte en vue de la construction de ce bien précieux qu’est la paix dans cette région qui a vu tant de sang et tant d’horreurs. Et, au fond, quelle meilleure introduction à la paix que l’eau et donc que la restauration de la Mer Morte?