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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris,, octobre 2007

Le projet égyptien de faire fleurir le désert crée la controverse.

Avec l’eau du Nil et face à la bombe démographique, l’Egypte veut irriguer le désert de Toschka pour procurer des emplois et décongestionner les villes. Mais, certains y trouvent à redire… notamment les autres pays du bassin du Nil sachant que l’Egypte et le Soudan raflent la moitié du débit du fleuve en vertu du traité de 1958.

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Réf. : Agence Reuters, site du The New York Times du 08 octobre 2007 consulté ce jour : « Egypt plan to green Sahara desert stirs controversy ».

Langues : anglais

Type de document : 

L’immense majorité des 74 millions d’Egyptiens vivent aujourd’hui sur les 5 % de surface habitable du pays, le long du ruban du Nil et sur la côte méditerranéenne. Les prévisions avancent que la population doublera d’ici 2050. Or, Le Caire est déjà une des villes les plus peuplées de la terre.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement s’emploie à encourager les gens à aller travailler dans le désert et a alloué 70 milliards de dollars pour y bonifier 3,4 millions d’acres au cours des dix prochaines années. C’est ainsi qu’il incite les diplômés de l’enseignement supérieur à s’y installer.

Mais, pour faire fleurir le désert et le rendre attractif et habitable, il faut de l’eau. Or, cette eau précieuse n’est guère abondante en Egypte où la pluie est une rareté. Il faut alors puiser dans l’eau peu abondante du Nil.

Ces projets ont soulevé une controverse chez les protecteurs de l’environnement qui disent que ce n’est ni pratique ni soutenable de faire de l’agriculture dans le désert et que, au final, cela pourrait conduire à un désastre.

Les opposants font valoir que, en milieu désertique, il y a une forte et rapide évaporation de l’eau étant donné les températures très élevées qui y prévalent et ajoutent que, s’il est vrai que l’on fournira ainsi des emplois, il n’en demeure pas moins que cette utilisation de l’eau n’est pas très rationnelle.

L’étendue et l’importance des bonifications projetées pourraient augmenter la tension régionale autour des accords régissant le partage des eaux du Nil. En effet, faire fleurir le désert pourrait amener l’Egypte à prendre plus d’eau que ce qui est convenu dans les traités internationaux.

Le projet Toschka de bonification du désert dans le sud permettrait d’augmenter les terres cultivables de 40 % d’ici 2017 et demanderait 5 milliards de m3 d’eau par an. Ce qui ne plaît guère aux pays du sud de l’Egypte déjà peu satisfaits (c’est un euphémisme !) des accords sur le partage de l’eau du fleuve. En vertu du traité de 1959, l’Egypte et le Soudan ont droit à 55,5 milliards de m3 d’eau par an, soit plus de la moitié du débit total du Nil.

Ainsi, l’Ethiopie, où naît le Nil Bleu, n’a pas officiellement parlant, une allocation d’eau du Nil bien que son agriculture dépende fortement du fleuve et qu’elle souffre de famines récurrentes.

Pour Sandra Postel, directrice du Projet de Politique Globale de l’Eau basé aux Etats Unis : « Le projet Toschka va compliquer le défi de parvenir à une allocation plus juste des eaux du Nil avec l’Ethiopie et les autres pays du bassin du fleuve. L’Egypte pourrait bien être en train de mettre en place un scénario qui, au final, pourrait lui faire du tort ».

Mais, certains analystes, rompus aux subtilités de la délicate « hydropolitique », suggèrent que calmer sa propre population est un impératif majeur pour le pouvoir en Egypte face auquel le mécontentement des pays voisins est de peu de poids.

La surpopulation est en train de mettre à rude épreuve les infrastructures urbaines et le gouvernement est préoccupé par l’activisme des groupes d’opposition comme les Frères Musulmans qui ont remporté le cinquième des sièges au Parlement lors des dernières élections et qui surfent sur la vague de mécontentement qui agite le pays.

Pour M.Mostafa Saleh, professeur d’écologie à l’Université d’Al Azhar, « le gouvernement pense qu’il doit réduire le nombre d’habitants dans les zones surpeuplées car cela exerce une pression trop forte sur les ressources telles les terres arables. C’est pourquoi il cherche à disperser la population sur d’autres parties du territoire national ».

Certains critiques du projet avancent qu’il est plus profitable de promouvoir le tourisme dans le désert que d’y pratiquer l’agriculture qui risque de détruire des habitats de vie sauvage fragiles, lesquels pourraient précisément attirer les touristes. De plus, notent-ils, il y a dix ans, un projet de bonification du désert au sud du Caire a détruit l’oasis de Wadi Raiyan et sa population de gracieuses gazelles à cornes.

« En Egypte, affirme le Pr Saleh, l’eau est la ressource la plus critique et nous devons être sûrs d’en tirer le maximum de bénéfices. A cet égard, l’agriculture n’est pas le meilleur choix pour ce pays. Le tourisme basé sur la nature pourrait rapporter bien plus ».

Au Centre du Développement du Désert (CDD), l’eau d’irrigation arrive par un canal de 15 km connecté au Nil. Elle irrigue des récoltes et des fourrages destinés à une race robuste de vaches hybrides. Les experts du Centre pensent que le meilleur moyen d’apporter la prospérité au pays est cette agriculture du désert car elle est proche des marchés européens et ne craint nul ravageur dans ce milieu torride. Pour Richard Tutwiler, directeur du CDD à l’Université Américaine du Caire (UAC), il n’y aura pas de problème d’eau avant dix ans et de conclure « De plus, il n’y a pas de gel et le soleil est là, tout le temps. Les plantes perdent la boule. »

Commentaire

Cet excellent article fait un tour assez complet de la question du projet Toschka qui a fait couler beaucoup d’encre.

Il est clair que les pays du bassin du Nil ne sauraient être heureux de voir l’Egypte puiser encore plus d’eau dans le fleuve commun. Et effectivement, les tensions risquent de monter. A moins que l’on ne s’oriente vers des cultures moins gourmandes en eau et que l’on lutte contre l’évapotranspiration, la salinisation des sols et les pertes du précieux liquide en général.

Il faut cependant ajouter qu’il s’agit d’investissement en provenance du Golfe. Les promoteurs veulent, bien sûr, faire fructifier d’abord leurs avoirs, mais, sous-jacent à ce désir classique qui taraude le capitaliste standard, il y a aussi le fait que ces investisseurs vivaient en plein désert (avant le boum pétrolier) et que faire fleurir le désert est un exploit qui tente leur ego d’autant que la propagande israélienne prétend qu’Israël est le seul à le faire au Moyen – Orient !

On notera cependant que l’on vise en priorité les marchés européens alors que l’Egypte reçoit des aides alimentaires américaines et autres et que le prix du pain fournit constamment prétexte à des troubles sociaux.

Quant aux emplois fournis par Toschka, il est peu probable qu’ils puissent être assez nombreux pour diminuer la grogne des masses de jeunes et des laissés pour compte de l’Egypte, étant donné leur nombre.

De plus, il n’est pas certain que le tourisme demande moins d’eau. Au Maghreb, le touriste moyen consomme 5 à 6 fois plus d’eau que le local d’après les experts. Or, avec le tourisme de masse et les transports aériens low cost, la manne touristique exigera, elle aussi, de grandes quantités d’eau là où sévissent les températures caniculaires de la dépression de Toschka.

Contre l’hydre de la démographie, le salut réside dans l’instauration de la démocratie, la transparence du personnel politique et une répartition plus équitable des ressources du pays : en fait, seules l’élévation du niveau de vie et l’éducation sont en mesurer de contrôler efficacement les naissances. Ensuite, il faut établir un dialogue sincère avec les autres pays riverains du Nil, dialogue qui permette d’abaisser les tensions et de vivre en paix dans cette Vallée du majestueux fleuve qui a vu fleurir tant de civilisations majeures.