Simone GIOVETTI, Paris, juillet 2009
L’Afghanistan sur le point de basculer
Le grand spécialiste de l’Afghanistan lors d’un entretien élucide une série des questions clé concernant l’actualité de ce pays. Tout en brossant son portrait il appelle à la nécessite de redoubler d’effort dans les stratégies de stabilisation et de reconstruction, sans quoi l’Afghanistan risque de sombrer dans le chaos.
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Réf. : Barnett R. Rubin, « L’Afghanistan sur le point de bascule », éditions Nota Bene, 2009, Paris.
Langues : français
Type de document :
« …Il est toujours réaliste de croire que le pays peut progresser lentement en dépit d’une insurrection qui ne montre aucun signe d’essoufflement. Au contraire ».
Une complexité mal connue
Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan il faut d’abord comprendre le contexte géopolitique dans lequel est né l’Etat-nation afghan. Le pays a été délimité dans ses frontières actuelles en fonction des rivalités entre les Empires russe et britannique au cours du XIX siècle. Ils ont fait de l’Afghanistan un Etat tampon dont l’utilité était de séparer les puissances rivales. Dans l’histoire récente à chaque fois que l’Etat s’est écroulé, les puissances voisines et plus lointaines en ont profité pour intervenir au sein du pays pour faire valoir leurs intérêts en appuyant tel ou tel groupe.
Pour comprendre les enjeux à l’intérieur du pays il faut également comprendre la complexité du tissus social afghan. Ce pays a connu successivement la monarchie, le communisme, le fondamentalisme et maintenant la démocratie et compte au sein de son Parlement des islamistes radicaux, des progressistes séculiers, des communistes, des monarchistes et des seigneurs de la guerre.
Selon Barnett R. Rubin l’appartenance idéologique des élus est le critère d’identification idéologique le moins important. Les groupes parlementaires se forment plutôt en fonction des clivages confessionnels et ethniques : il y a bien sûr la différence fondamentale entre sunnites et chiites, puis celle entre les nombreux groupes ethniques, « sans compter que les lignes de partage entre les groupes sont souvent très floues ». Si le référant ethnique est très important, l’ethnicité n’est pas un référant identitaire fondamental et immuable. La religion au contraire est un élément fédérateur qui transcende tous les clivages ethniques. 99 % des Afghans sont musulmans.
Ce que nous faisons en Afghanistan
La principale raison pour laquelle les troupes internationales ont été envoyées en Afghanistan était d’éliminer les bases opérationnelles d’Al-Qaïda et de renverser le régime taliban qui les hébergeait.
Ensuite le choix qui revenait surtout aux Etats-Unis était :
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Soit de punir les responsables des attentats du 11 septembre et partir ;
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Soit de rester pour soutenir les efforts de reconstruction de l’Etat afghan.
La communauté internationale a décidé de rester, car « le refus d’aider l’Afghanistan à reconstruire son Etat et son économie créerait à nouveau un vide qui menacerait à la fois la sécurité internationale et celle des Afghans. Voilà les raisons principales qui sont à l’origine de l’envoi de la FIAS (la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité) ». Les objectifs sont nombreux et de différentes natures : sociale, économique, politique, sécuritaire… Tandis que, comme le souligne justement Barnett R. Rubin, la démocratie n’est pas un objectif en soit. « La démocratie est un concept abstrait qui désigne une certaine catégorie de régime politique mais qui diffère d’un pays à l’autre ».
Un pays otage de ses voisins
Le Pakistan
« Tant que régnera dans les cercles du pouvoir cette idée que l’Inde est une menace grandiose pour le Pakistan, l’Afghanistan ne pourra jamais vivre en paix ».
Pour l’Etat pakistanais une seule question importe : l’Inde. L’alliance indo-afghane est une réalité depuis 1947. Afin de déstabiliser l’Afghanistan et de brouiller son alliance avec l’Inde, le Pakistan a encouragé l’arrivée au pouvoir du gouvernement intégriste pachtoune : les talibans.
L’Inde contribue aujourd’hui de façon considérable au renforcement de l’Etat afghan. Elle est devenue un donateur important, elle entraîne les soldats de la nouvelle armée afghane et a renforcé ses consulats le long de la frontière avec le Pakistan. La culture indienne en Afghanistan joue également un rôle important.
L’Iran et la Russie
Pour l’Iran ce n’est pas tant l’Afghanistan qui préoccupe que la durée indéterminée de la présence des militaires américains sur son territoire
La Russie considère que les talibans constituent une grave menace à la sécurité internationale et à leur propre sécurité
Reconstruire l’Afghanistan
Actuellement l’Etat afghan reçoit moins d’un tiers de l’aide internationale ; le reste est donné directement aux organisations internationales ou aux sociétés privées (l’aide revient en gros aux donateurs à travers les ONG étrangères qui sont financées). Sans compter le fait que à peu prêt 45 % du budget des ONG étrangères en Afghanistan est utilisé pour la « sécurité » des expatriées.
L’auteur souligne également le manque flagrant de coordination et de transparence entre les donateurs.
Education, santé, économie, justice sont à reconstruire. Au chapitre des réussites on peut compter la Constitution afghane. Il y a des institutions qui fonctionnent mal mais qui fonctionnent tout de même : une présidence, un Parlement, une armée, une police…
L’impossible et nécessaire optimisme
Etes-vous optimiste ou pessimiste par rapport au sort de l’Afghanistan ?
« Etre optimiste au sujet de l’avenir de l’Afghanistan serait vraiment une catastrophe… par contre être pessimiste serait trop facile. Abdiquer ne présente aucun défit intellectuel et politique ». Quant aux scénarios possibles, rappel l’auteur, il y a d’abord le scénario catastrophe de l’effondrement de l’Etat afghan. Mais heureusment qu’à présent aucun pays n’a intérêt à voir l’Etat afghan s’effondrer complètement. Ni le Pakistan, ni l’Iran, ni les Etats-Unis… mais pour combien de temps encore ?
Commentaire
La résolution du conflit en Afghanistan est une des clés les plus importantes dont dépendent la paix et la stabilité mondiales. On parle donc d’enjeux de long terme. Les intérêts ainsi que les objectifs initiaux des Américains en Afghanistan semblent avoir changé avec l’arrivée au pouvoir de Barack Obama. La stabilisation de ce pays dépasse donc les exigences initiales liées à la destruction d’Al Qaida. La seule chance de réussite repose dans une politique régionale efficace pour apaiser les tensions entre les pays. Les ouvertures du nouveau président américain en direction de l’Iran et de la Russie semblent aller dans ce sens. La reconstruction de l’Afghanistan restera vain si les puissances régionales continuent d’intervenir.
La stabilisation de ce pays devrait également passer par une négociation avec les talibans, après avoir coupé leurs liens avec les réseaux terroristes. Opération compliquée mais nécessaire. On peut pas rayer les talibans de la société afghane car ils en font partie. Au final ce ne sont pas les talibans eux-mêmes qui présentent un danger pour la sécurité internationale mais leurs liens avec al-Qaïda, les islamistes ouzbeks et tchétchènes.