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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de document

, France, 2014

Le Prince, traité politique de Machiavel

De Principatibus : Cinq siècles d’une actualité guère démentie.

Mots clefs : | | |

Réf. : MACHIAVEL Nicolas. Le Prince, Traduit de l’italien par Gaspard d’Auvergne, Poitiers : Ed. Enguilbert de Marnef, 1553

Langues : italien

Type de document : 

Rarement traité politique aura inspiré autant de lectures et interprétations que Le Prince de Nicolas Machiavel, dont on célèbre cette année, le cinq centième anniversaire de parution.

L’originalité et l’actualité de cet ouvrage tiennent tant à son contexte historique et sociopolitique de publication (la Renaissance en Italie), qu’au thème même qui y est grandement et gravement abordé : la conquête et la conservation du pouvoir politique.

Haut diplomate florentin maintes fois accrédité auprès de puissances étrangères, Machiavel fait l’exaltante - et très souvent pénible - expérience du pouvoir. Observateur avisé de son temps, il ne s’en réfère pas moins aux Anciens, inspirateurs de l’appréhension perspicace du pouvoir qu’il offre à découvrir : « Le soir venu, je rentre à la maison et j’entre dans mon cabinet […] Décemment habillé, j’entre dans les cours antiques des Hommes de l’Antiquité : là, aimablement accueilli par eux, je me nourris de l’aliment qui par excellence est le mien, et pour lequel je suis né. »

Autant que les dirigeants politiques du continent, chacun de nous est dédicataire du Prince, et semblable en cela à Laurent le Magnifique. Les turbulences de l’éveil au pluralisme démocratique nous confrontent quotidiennement aux tiraillements de sens, ainsi qu’aux nécessités générales de notre existence. Une des possibilités de réappropriation du sens novateur de la pensée machiavélienne peut être ici et maintenant, la contemporanéité du pouvoir démocratique comme « lieu vide » et non appropriable. Face aux totalitarismes constituant l’arrière fond de ses réflexions sur la conflictualité machiavélienne, Claude Lefort fixe ce cap là qu’il faut bien essayer de suivre en large survol, au regard des réalités du continent.

Mythes et réalités du champ démocratique en Afrique

Le Prince peut être compris comme une contestation même de l’absolutisme du pouvoir politique, l’auteur nous en faisant déjà entrevoir les limites, dans l’examen des parcours d’excellence qu’il dresse des entrepreneurs de premier plan dont fait partie César Borgia.

Le pouvoir démocratique serait alors, à l’aune des processus de décrispation politique en cours en Afrique, une des voies les mieux à même de créer le « vide » d’absolutisme, par ses mécanismes de fonctionnement. Un « vide » qui se fondrait entre autre, sur le principe et la matérialité d’une réelle alternance censée réduire les risques de confiscation courants de l’exercice du pouvoir.

Le maintien quasi absolu au pouvoir de certains leaders politiques est devenu principe d’action, au gré de manipulations dont est rendue familière l’opinion, dans un rapport de forces brutal (volontairement) institué et entretenu par les classes dirigeantes de la sphère politique.

La difficulté de fond réside en permanence ici, dans l’improbable conclusion d’un consensus de base, ce pacte originel à partir duquel se construirait le cadre général d’expression des acteurs du jeu démocratique. La forme de totalitarisme du parti unique ayant prévalu continue de se manifester, dans la violation systématique des règles du jeu, la menace constante et l’intimidation conduisant au renoncement du statut vocationnel de citoyen, par la récusation des principes de délégation et de représentativité.

Un des exemples les plus emblématiques en est le trafic permanent des dispositions constitutionnelles, pour assurer de manière indéfinie et sur la base d’une rhétorique des incapacités, le maintien en fonction des chefs d’État et leurs alliés.

Ce phénomène courant incarne le pourrissement transactionnel à l’œuvre, et pose le double problème d’une appréhension allégorique du droit de la part des gouvernants du moment, et de l’insécurité globale même dans laquelle ils craindraient de se retrouver après l’exercice du pouvoir.

Voilà qui ne tombe guère sous le coup du sens : n’ayant point travaillé à promouvoir les vertus du droit, c’est naturellement qu’ils en exècrent les rigueurs qui en seraient l’antithèse et qu’ils auraient à subir !

La toute puissance du prince devrait concomitamment se fonder selon Machiavel, sur sa « Virtu » (une forme d’extraordinaire vaillance), et « Fortuna » (l’impondérable fortune), laissant entrevoir au gré du rapport de forces du jeu politique, un certain aléa tenant à l’imprévisibilité des choses, à leur contingence. Cette incertitude normalement prégnante dans le parcours de tout entrepreneur politique, l’est davantage pour toute communauté sociale et politique, qui ne doit s’y soumettre à gré.

Au cœur de la conflictualité sociale et politique, qui s’établit nécessairement entre la volonté de puissance d’un individu ou d’un groupe d’individus, et son inadéquation avec certaines attentes sociales globales, il est à trouver les moyens d’une contractualisation opportune qui assure la paix sociale. Nous en sommes plus interpellés encore, dans la résolution des crises politiques et conflits armés qui ont cours, comme d’ailleurs dans l’enracinement même de règles communes qui fondent le projet de vivre ensemble.

Dans le projet même de l’édification de ce « vide » du pouvoir démocratique, se pose enfin la question de sa dimension symbolique, de ses modalités de réappropriation dans (et par) la Cité. Il n’en demeure pas moins vrai, que la mise en route d’un processus électoral classique n’est pas l’argumentaire de pertinence le moins contestable, dans l’enchaînement lent et laborieux de la construction du lien social. Il n’en est plutôt qu’un des premiers jalons. Les situations au Mali, en Guinée-Bissau, en Sierra Leone, au Liberia et en RCA en rendent compte. Il faut bien organiser un ensemble d’élections, selon les exigences des standards internationaux, qui sont ceux des traditionnels bailleurs de fonds. Mais après, la société doit continuer à se construire, dans les arcanes de ses nuances infinies et fragiles équilibres. La prise en compte de toute la complexité de ce substrat socio anthropologique est inévitable, obéissant à des règles intangibles, dont certaines manifestations d’exigences s’imposent : l’exercice des droits fondamentaux et la satisfaction des attentes de base des populations.

Le rôle des acteurs même de ces dynamiques de fond se pose alors, dans la complexité des histoires collectives et individuelles du champ de la vie sociale.

Les acteurs du champ démocratique en Afrique : le cas du Cameroun

Il n’est point dans mes préoccupations d’identifier ici quelque personnalité politique à un des personnages dont nous suivons les parcours dans Le Prince. Une telle démarche est tout simplement inenvisageable, car ne procédant en rien de mes outils et perspectives d’investigation. Au Cameroun où il n’est pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne, certaines figures archétypales peuvent pourtant prêter à simple évocation.

L’exclusif monopole du champ politique s’apparente bien à la position actuelle du chef de l’État, dont la propre itinérance puise à plusieurs sources. César Borgia de circonstance, il a disposé d’un nombre considérable d’atouts en sa manche, dont la capitalisation - au gré de ses projets politiques personnels et des contraintes de l’espace - mérite rapide relation.

De la dévolution quasi filiale du pouvoir en 1982, doublée alors d’un extraordinaire crédit de légitimité populaire, son parcours connaît moult phases, dans la marche forcée et nécessaire vers l’inévitable (mais jamais totalement accompli) parricide nécessité par le désir d’émancipation. Aux troublants événements de 83/84 feront écho les violences du début des années 1990. S’il peine alors à dénouer l’énigme de certains enlacements, son maintien au pouvoir une trentaine d’années durant traduit bien à sa manière, une extraordinaire capacité de survie, dans ce pays aux multiples et ténébreuses « complications ». Cette forme de Virtu (par un avis compétent qualifiée de « spectrale ») aura raison de bien d’adversaires, épuisés de leurs propres incompétences et appétits immodérés, de la pauvreté mythologique de leur entreprise politique.

Puisqu’il n’est guère possible de prévoir l’imprévisible, Fortuna prendra ses aises, exposant le prince aux intermittences de ses propres hésitations et atermoiements. S’alliant ainsi les bonnes et infortunées grâces d’un personnel politique dont le manque de charisme et certaines compromissions sulfureuses servent à gré ses projections tactiques.

De ces épisodiques affidés et commensaux, véritables marques de fabrique du « système local », vont poindre les premiers chants du cygne. S’autorisant libertés qu’en leurs fonctions et attributions multiples et dispendieuses ils n’ont cessé alors de fouler aux pieds, ils se frappent la poitrine de prétentions, vouant aux gémonies celui qu’hier ils servirent avec zèle et volonté, n’ayant guère été les Zadig du corridor de la tentation d’oser bien faire, en cette Babylone tourmentée…

Pris dans leur propre piège - je vous épargne ici relation du mythe de l’Epervier et de l’honnête volaille -, celui d’une histoire qu’ils méconnaissent, ils se retrouvent comme Ulysse par devant le cyclope rendu. Chacun pensant alors qu’il sera la prochaine victime de Polyphème. « Personne » pensent-ils devoir lui répondre, qui hésite à boire du vin de Maron. Le boira-t-il ? Ne le boira-t-il pas ? Là est aujourd’hui toute la question qu’ils se posent dans cette longue attente qui ne s’accommode guère de vains pronostics.

Là est aussi toute la préoccupation du peuple, perdu en ces conjectures, vivant dans la crainte de l’ultime chaos, et prenant des dispositions - autant qu’il puisse en prendre - pour sauver ce qui peut l’être encore. Bravant même -curieux sacrilège!- les usages ordinaires d’une certaine morale (celle qui demeure, quand il n’y a plus du tout), et se repaissant d’avance de l’effacement du prince dont il est annoncé au moins une fois, le départ définitif, en toute discrétion.

Le paradoxe de cette grave affaire tient aussi à cela : chacun y allant de ses combines et habituelles truanderies, rendant le prince seul responsable de tout ce qui se passe, dans le sentiment de démission collective qui fait le lit à ce statut quo qui jamais, n’a été facteur dynamique dans la remise en cause d’un système de pouvoir monopolistique. Alors que César survit à toutes les prédictions, il doit bien avoir à cœur - et beaucoup de mal - à compter ses preux qui, inexorablement, se réduisent comme peau de chagrin.

Le Cameroun vit dans la peur : la peur de tout, la peur de lui-même, la peur de ses propres rumeurs et infamies révélées et supposées, la peur du vide conséquent au départ du prince tant stigmatisé par ces temps, bien qu’il l’aimât jadis d’une affection sincère: celle des peuples.

Les contraintes intrinsèques au système sont sans doute à apprécier au-delà de ce rapide survol d’une situation et d’histoires personnelles spécifiques. La pensée de Machiavel se situe aussi à mon sens, par-delà les raccourcis et facilités d’interprétation qui assoient le cynisme et la veulerie au ban des vertus civiques fondatrices. Elle est avant l’heure, capacité d’indignation.

C’est à cela que sans cesse nous sommes invités, pour réduire toutes formes de totalitarisme et instaurer véritablement ce « vide » du pouvoir démocratique qui est aujourd’hui comme à l’époque sourde et violente de Machiavel, l’une des conditions essentielles du progrès.

En cela, Le Prince est une œuvre résolument sacrificielle.