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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Roby Bois, La Haye, 1999

Religion et Paix en Algérie : lslam, christianisme et humanité plurielle

Le testament spirituel de Pierre Claverie, évêque d’Oran assassiné en août 1996.

Au cours de plusieurs entretiens, Pierre Claverie, évêque d’Oran (Algérie) assassiné en août 1996, délivre son “testament spirituel” : relations intérieures à l’Islam, relations des religions entre elles ; comment vivre une humanité plurielle…

Le témoignage de Pierre Claverie est simple : il est contenu dans le titre de l’article cité, “Humanité plurielle”, article où il salue l’émergence d’une autre manière de vivre ensemble.

I. L’Islam ou les islams

En Algérie nous assistons à une tentative de redéfinition du cadre religieux jusque là paisiblement assumé : consensus mou, ciment de la société, cet ordre religieux tenait lieu de culture et fournissait un apport précieux d’histoire et de civilisation à la nation. Il vole en éclats sous la double pression de la rationalité moderne et des divers courants qui traversent un monde musulman profondément et ouvertement divisé. L’Islam n’est plus le socle inébranlable de l’identité algérienne : il se fissure et, loin d’être un facteur d’unité, il est la source même des plus violentes oppositions. Beaucoup de croyants sont aujourd’hui plongés dans un désarroi sensible à la fois par la radicalisation d’un discours de plus en plus “mythique” sur l’Islam idéal, et par la dérive des valeurs et des comportements.

Des questions profondes sont posées à l’intérieur du monde algérien musulman où la religion est profondément liée à l’identité : être algérien et être musulman, cela va de soi et cela ne pose aucune question. Paradoxalement, cette crise est le premier pas d’une ouverture dans l’histoire contemporaine de l’Algérie… Alors qu’on était paisiblement musulman — cela faisait partie de la culture, de la personnalité, des évolutions historiques — des gens arrivent [du Machrek] et vous disent que vous êtes de mauvais musulmans, que vous n’avez jamais été de vrais musulmans. Au nom de cet Islam idéologique, les personnes, les groupes sont remis en question : “Qu’est-ce donc que l’islam ? Y a-t-il plusieurs islams ?” On prend alors conscience qu’il y a diverses interprétations possibles, tolérables ou intolérables, orthodoxes ou non, mais qu’en tout cas, elles existent et parfois s’imposent ; cette question n’est pas seulement intellectuelle, traitée dans des colloques, elle touche à l’identité profonde du “Qui suis-je maintenant ? Dans quel groupe vais-je retrouver mon identité ?” Il s’agit de s’approprier maintenant son histoire, aussi bien tous ceux qui, islamistes, sont partis dans la montagne au sein des groupes armés, que pour ceux qui résistent à cette forme d’Islam. Il s’agit de s’approprier maintenant son identité. Ce questionnement renvoie les Algériens à leur jugement personnel. Il faut faire un choix : certains partent dans la montagne, certains soutiennent le pouvoir, certains sont des démocrates. Le choix personnel est nécessaire maintenant. Voilà l’avènement dans la société algérienne de ce que le Professeur Talbi appelle la “modernité”, l’émergence de l’individu, de la personne. On ne peut plus se contenter d’appartenir à un groupe et d’identifier son identité personnelle à ce groupe, parce que le groupe a éclaté. Il faut choisir et donc il y a émergence d’un phénomène nouveau et peut-être d’une autre manière de vivre ensemble.

II. Pensée unique ou société plurielle

Cette évolution s’applique aussi, non seulement à la religion, mais à la société globale — la sortie de la violence et la construction d’une paix durable passent par cette recherche — non d’un consensus national — populiste, mais d’une pluralité féconde, acceptée, recherchée : le concert symphonique des voix diverses remplaçant le chant populaire imposé.

III. Un “chemin neuf” pour les relations entre les croyants

Un “chemin neuf” pour les relations entre les croyants découle de cette orientation. Non le classique dialogue institutionnel islamo-chrétien par exemple ; “ces grandes manifestations au cours desquels un bloc musulman et un bloc chrétien échangent des idées formelles risquent d’être une duperie… Le dialogue ne consiste pas à échanger des informations et à réaffirmer des credos respectifs et contraires, mais à poser à l’autre et à se poser à soi des questions radicales”. Se placer “sur les lignes de fractures de l’humanité : c’est là que Jésus s’est posé. Il est mort là”. Ceci implique une approche nouvelle, constructive de paix : rencontrer un homme priant, parmi d’autres priants ; rencontrer les autres priants là—même où eux rencontrent leur Dieu ; derrière la forme de la religion (prière, liturgie, dogmes…) retrouver l’intention qui la nourrit. Là peut naître l’humanité plurielle.

Notes

  • Face à la situation dramatique de l’Algérie (mais aussi de bien d’autres crises dans le monde, où la religion est à la fois une des causes des dégâts et une des clés d’une solution) le “testament” de Monseigneur Pierre CLAVERIE ouvre des pistes : sa passion du dialogue vrai, son analyse lucide, mais sans morosité, sa vison sereine d’une Algérie (d’une humanité) ouverte, plurielle, fraternelle…