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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, 2002

La contribution française à la construction de la paix dans les Balkans : les enjeux sanitaires de la reconstruction de la paix

L’exemple des relations pour la paix entre la France et le système de santé bosniaque.

Mots clefs : Aider des victimes de guerre | Action civilo-militaire pour la paix | Promotion de la santé | Société Civile Locale | Militaires | Reconstruire une société | Sarajevo | Bosnie | Les Balkans | Ex-yougoslavie

La guerre n’épargne rien. Les professionnels de la santé de Sarajevo ont ainsi payé un lourd tribut au conflit qui a ravagé la région au milieu des années 1990 : pertes humaines, destructions matérielles… C’est tout un système qu’il a fallu reconstruire, mission impossible à réaliser sans la contribution et la participation de la communauté internationale. L’occasion d’une démarche de partenariat et de coopération culturels entre des acteurs soucieux d’engager le pays sur la voie de la paix. C’est ainsi qu’une mission ponctuelle du SAMU français a été envoyée sur place afin de dresser un bilan de la situation et d’aider la Bosnie à dégager de nouvelles perspectives sanitaires.

Le bilan de la guerre de Bosnie (1992-95) a été particulièrement lourd en ce qui concerne le système de santé, notamment à Sarajevo : bâtiments détruits, installations et infrastructures endommagées, matériels hors d’usage ; personnels tués, blessés ou réfugiés… Tant du point de vue matériel qu’humain, le secteur de la santé n’avait plus les moyens de fonctionner correctement. Le reconstruction s’annonçait une tâche immense, nécessitant d’importants moyens, aussi bien financiers qu’en termes d’expertise et d’organisation.

Au-delà des pathologies traditionnelles, les causes d’urgence médicale étaient nombreuses, découlant de manière directe ou indirecte du conflit :

  • L’état des routes et du parc automobile était source d’accident de la route ;

  • La dispersion des armes et l’existence de terrains minés rendait probable l’existence durant une période assez longue de blessures sérieuses ;

  • Etant donné les conditions de vie difficiles d’une partie de la population en raison de la reconstruction, des accidents du travail et domestiques étaient à prévoir.

A cela s’ajoutaient les traces profondes laissées par le conflit : troubles du comportements, désordres psychiatriques, alcoolisme, toxicomanie… sans compter les difficultés d’adaptation des populations, notamment déplacées ou réfugiées, au nouvel environnement post-conflit, ayant modifié l’organisation sociale de la société bosniaque. Pour Marc Giroud, directeur du SAMU de Pontoise et expert international dans le domaine de la médecine d’urgence, qui a dressé le bilan, il était légitime de s’attendre à ce que les structures d’urgence soient beaucoup sollicitées. D’où l’importance de repenser le système, ce à quoi le ministère de la santé de la fédération de Bosnie-Herzégovine s’est employé avec l’aide de la communauté internationale (Organisation Mondiale de la Santé, SAMU français…). L’objectif était d’autant plus délicat que l’organisation locale, fondée sur le modèle soviétique, était marquée d’obsolescence et caractérisée par de nombreuses carences : absence de coordination entre les services, manque de coordination entre les différents acteurs de l’urgence…

Dans le cadre du récent concept des actions civilo-militaires, qui vise la restauration la plus rapide possible des services fondamentaux aux personnes – reconstruction de routes, d’infrastructures sanitaires, d’écoles, … - une mission d’évaluation de la médecine d’urgence à Sarajevo a été confiée au Samu français, sous la responsabilité de Marc Giroud. Il s’est agi pour elle, en phase avec les préoccupations de la Bosnie, d’évaluer les besoins et d’envisager des solutions. Cette mission d’expertise, chargée d’éclairer par un regard extérieur le travail à accomplir, a débouché sur un certains nombres de recommandations concernant les mesures à prendre en vue de réorganiser en profondeur le système. Quatre éléments principaux en ressortent :

  • Privilégier le recueil de données et leur évaluation, afin de classer par ordre d’importance les actes à réaliser ;

  • Optimiser et maximiser l’utilisation des moyens déjà existant, en privilégiant leur réorganisation, selon une approche qualitative plutôt que quantitative : création d’un site unique d’accueil des urgences, pallier au manque de coordination entre les acteurs, élever le niveau de la médecine pré-hospitalière…

  • Renforcer la formation des personnels de l’urgence et favoriser des programmes de prévention auprès des populations concernant les accidents du travail, de la route ou domestiques ;

  • S’ouvrir à de nouveaux modes d’intervention tels que la télé-médecine ou le recours aux moyens de transports héliportés militaires pour les zones isolées ou éloignées.

Marc Giroud retire plusieurs enseignements de cette expérience : le programme aura été selon lui l’occasion pour les acteurs locaux de se rencontrer, de s’ouvrir à une nouvelle approche des techniques et de l’organisation de la médecine d’urgence et de s’inscrire dans une démarche partenariale, l’échange relevant finalement de la coopération culturelle. Ce dernier point signifie aussi que ce genre d’intervention n’est pas évident dans la mesure où il vient parfois heurter les conceptions et habitudes traditionnelles prévalant dans la région concernée. Seule la légitimité liée à l’efficacité de l’action du Samu français a permis de dépasser cette difficulté et conduit les interlocuteurs bosniaques à s’inscrire dans cette logique de coopération progressive.

Il semble par ailleurs que la réussite de la mission ait été en grande partie dûe à la collaboration, en termes logistiques notamment, entre les militaires et les civils. Cette coopération constitue aux yeux des acteurs un cadre favorable à la préparation le plus en amont possible du retour à la paix. Néanmoins, dès l’origine, l’objectif doit être le passage de relais dès que possible aux acteurs locaux, dans un souci d’appropriation du processus de reconstruction. Enfin, Marc Giroud relève la dimension éthique de ce partenariat, qui traduit plusieurs exigences :

  • L’élévation du niveau d’autonomie des bénéficiaires de l’aide ;

  • La recherche de la pérennité de l’action, au-delà de son caractère limité dans le temps ;

  • Le respect de la sensibilité et de la dignité des personnes assistées.

Pour le directeur du SAMU de Pontoise, le partenariat ne sera efficace et productif qu’à condition qu’il tienne compte de ces exigences.

Commentaire

L’inscription de la mission confiée au Samu français sous la responsabilité de Marc Giroud dans le cadre des actions civilo-militaires (ACM) révèle une forme récente, datant du milieu des années 1990, de gestion des crises. Celle-ci se veut, par l’implication du militaire, de la diplomatie, de l’entreprise et de l’humanitaire, une vraie politique d’assistance aux opérations de reconstruction et de développement des pays ayant connu une période critique. La mise en œuvre de la paix suppose désormais un décloisonnement entre des acteurs tendant jusqu’ici à agir de manière individuelle. Il s’agit en premier lieu, de rétablir les services fondamentaux (santé, éducation, alimentation), de créer des conditions favorables au retour à la vie civile et économique des populations, de restaurer la confiance et de sortir de la logique et de l’horizon de la guerre. Ceci est la face visible des actions civilo-militaires, qui trouvent une traduction exemplaire dans le programme de coopération technique et culturelle mené par Marc Giroud.

Cependant, pour impliquer les acteurs, notamment les « institutionnels » (Etats, entreprises), les ACM doivent aussi répondre à leurs intérêts, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils puissent bénéficier des dividendes de la paix par un repositionnement diplomatique, économique et financier. Là est, sinon l’ambiguïté, du moins le délicat équilibre à trouver entre participation au processus de reconstruction et recherche d’un retour sur investissement. Ces contraintes rendent d’autant plus malaisée la coopération entre des acteurs dont la vocation n’est pas la même. Demeure pourtant une certitude : les nouvelles exigences en matières de résolution des conflits supposent cette collaboration, dans la mesure où aucun de ces acteurs ne peut prétendre apporter seul une réponse globale à la guerre.

Notes

  • Actes du colloque organisé conjointement par l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale et la Fondation pour les Etudes de Défense à l’Ecole militaire, le 17 décembre 1997, sur le thème de La gestion des sorties de crise : actions civilo-militaires et opérations de reconstruction