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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : La formation des volontaires de paix

Alternatives non-violentes N° 145, décembre 2007

Retour d’expérience d’une formation proposée par l’ASPR

Cette formation vécue dans le cadre du IPT (International Civilian Peace Training) était proposée par l’ASPR (Austrian Study Center for Peace and Conflict Resolution), à Statschlaining en Autriche ; elle formation s’inscrivait dans le programme européen ALPICOM.

Mots clefs : Former des volontaires de paix | Intervention civile de paix

En France, le Comité ICP offre une formation annuelle à l’intervention en zone de conflits (la formation ICP). Le Comité est aussi chargé de réfléchir à la manière dont cette formation peut évoluer pour mieux répondre aux demandes des organisations d’envoi. Dans ce contexte, cet échange, financé par le projet ALPICOM, avait pour objectif de rencontrer des collègues européens et de mieux comprendre le travail de formation à l’intervention civile de paix d’ASPR.

ASPR est un centre de recherche et de formation sur la paix situé dans le Burgenland autrichien, à quelques kilomètres de la frontière hongroise, l’ancien « rideau de fer ». Créé dès 1982, le centre associatif s’est largement développé dans les années 1990 grâce à un partenariat solide avec l’OSCE (l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) dont les quartiers généraux sont à Vienne, à 120 kilomètres de Schlaining. Ayant anticipé les défis de l’après guerre-froide, de la supervision d’élections à l’observation du respect des droits humains, les fondateurs d’ASPR furent en mesure d’offrir expertise et formations à des agences internationales et gouvernementales prises au dépourvu par la désintégration de l’empire soviétique.

Avec une approche résolument centrée sur le concept de paix tel que le définit Johan Galtung, l’ASPR offre des formations diverses allant du Master aux interventions techniques, presque toutes dispensées en anglais. Ceci permet d’ailleurs de toucher, et de mélanger, des populations du monde entier. À titre d’exemple, le groupe de mai 2007 regroupait 22 personnes de 16 nationalités différentes.

La formation dite IPT (International Civilian Peace Training) se compose d’une introduction de deux semaines dispensée trois fois par an, suivie d’un cours de spécialisation (deux semaines également) sur un sujet tel que la gestion de projet ou la transformation des conflits. Les séminaires, animés par des spécialistes de terrain (OSCE, CICR, etc..), sont interactifs et de très bonne qualité. L’emploi du temps est intensif.

Les deux premières semaines de l’IPT abordent la paix en une succession d’introductions thématiques : analyse de l’interculturalité, analyse des conflits, médiation, gestion de projets, analyse des droits de l’homme et des mécanismes de démocratisation, interactions entre civils et militaires, mines et premiers secours, lecture de cartes et boussoles, conduite de 4x4, simulations, gestion du stress etc. Cette énumération pourrait suggérer une approche superficielle. Ce n’est pourtant pas le cas. Ceci pour deux raisons simples: d’une part grâce à la qualité des intervenants, d’autre part parce que ce cours se présente clairement comme l’occasion de découvrir, à travers ses outils, le terrain des peace studies. Les participants savent qu’ils ont la possibilité de prolonger leur séjour ou de revenir, soit pour suivre un cours de spécialisation, soit pour explorer les ressources fabuleuses d’une librairie de la paix, nichée dans les locaux d’une ancienne synagogue.

Le contraste avec la formation ICP française est frappant: le mot clé à Stadtschlaining est ‘paix’ plutôt que ‘non-violence.’ Par ailleurs, la formation IPT regroupe plus d’intervenants et propose une approche globale partant de l’analyse des contextes conflictuels et évoluant progressivement vers les attitudes personnelles (management du stress, etc.). Ceci est exactement l’inverse de notre approche puisque notre formation se structure en trois modules, le premier consacré aux attitudes et motivations personnelles, le second au travail en équipe et le troisième enfin au projet. Clairement, notre approche découle de l’importance que nous accordons aux attitudes personnelles face à la violence. D’autre part, l’IPT est pragmatique : une part importante des séminaires est consacrée aux cas d’études, simulations en extérieur, conduite de 4x4, lecture de cartes etc.., ainsi qu’à l’interaction avec des gens de terrains, entre autres militaires et policiers. Pour finir, il faut bien reconnaître la magie de l’anglais lingua franca par excellence. En permettant à des personnes de tous les continents de se rencontrer, les questions interculturelles prennent une autre dimension et se vivent non seulement dans la salle de cours, mais aussi dans la gestion de la cuisine collective. Au fin fond de l’Autriche, les réalités linguistiques et culturelles, si souvent obstacles au bon fonctionnement de projets sur le terrain, étaient entrées dans nos vies quotidiennes.

Il ne s’agit pas ici d’attribuer de bons ou mauvais points, ni de suggérer que la formation ICP se mette à l’heure autrichienne-anglo-saxonne. Tout d’abord parce que cela serait impossible. Le projet ASPR résulte de circonstances historiques, géographiques uniques et de ressources humaines hors du commun. Deuxièmement, parce que la formation ICP a ses qualités. Elle est en particulier souvent très appréciée par ceux qui l’ont suivie. Il s’agit plutôt d’utiliser cette rencontre avec une pédagogie autre pour réfléchir à notre projet, à ses forces et à ses faiblesses. En effet, si le développement d’ASPR ne peut se comparer à la formation ICP, des leçons peuvent néanmoins être tirées du succès spectaculaire de cet institut.

Ce que l’histoire d’ASPR nous montre c’est d’abord la nécessité de développer une vision claire qui anticipe les évolutions internationales et les besoins en matière de travail sur la paix. Deuxièmement il faut mobiliser ses ressources tant humaines que matérielles. Enfin il est crucial de s’interroger sur ses partenaires institutionnels. C’est de ses liens avec l’extérieur qu’une formation obtient agrément et/ou reconnaissance sur le terrain.

Pour le Comité ICP, cela signifie relancer le dialogue pour une meilleure compréhension des futurs besoins des organismes d’envoi : Peace Brigades International, CCFD, Equipe de paix dans les Balkans, Nonviolent peaceforce, etc.. Il est important, par exemple, de comprendre l’impact du nouveau plan stratégique de Nonviolent Peace Force (entre autres l’idée de participer régulièrement à des supervisions électorales) sur ses orientations en matière de formation. De plus il est essentiel de contacter et de toucher d’autres partenaires potentiels, de sortir du cercle des initiés à la non-violence. Ceci requiert une analyse des formations professionnelles françaises au travail sur la paix ou en zones de conflits. Alors que les formations à la non-violence gagnent du terrain dans les projets sociaux et éducatifs français (comme en témoigne le succès du Centre de Ressources sur la Non-Violence en Midi-Pyrénées), qu’en est-t-il de la non-violence dans formation de nos fonctionnaires internationaux, travailleurs humanitaires et de développement, chercheurs anthropologues, touristes et soldats (!)? Quelles formations reçoivent-ils en premier lieu et que pouvons-nous offrir? Cette question renvoie aussi à celle de la mobilisation de nos ressources : quelles compétences? Quelles thématiques fortes? Quelles méthodes de travail? Dans le monde global et compétitif de la formation, il est tout aussi important de connaître ses faiblesses qu’inutile de pleurer dessus. Nous devons identifier nos points forts, articuler clairement ce que nous savons faire, ce que nous pouvons contribuer d’unique et de valeur.

Autre leçon intéressante de l’expérience autrichienne: les bienfaits d’un enracinement géographique fort. Nous vivons aujourd’hui dans un monde, de réseaux, de mouvements toujours plus rapides. Les personnes qui nous formons s’apprêtent à partir. D’autres reviennent, entre deux projets, perdus parfois. Nos racines sont devenues aériennes, virtuelles, tous nos efforts investis dans des projets, dans des personnes, entre deux aéroports ou deux gares. Le mouvement, la rencontre d’autrui est l’essence de nos vies modernes, riches certes, mais fatigantes. Ce n’est pas pour rien que le comité d’orientation d’ANV s’offre une journée par an à la campagne pour réfléchir. Sortir du cadre pour se ressourcer! Pour les mêmes raisons, deux semaines au milieu de nulle part, entre l’Autriche et la Hongrie permettent de se recentrer sur les questions essentielles : pourquoi suis-je là ? Pourquoi partir ? Qu’ai-je à donner ? À recevoir ? À sept heures le matin, sur les routes désertes reliant les collines aux forêts de Stadtschlaining, j’ai croisé des joggers du monde entier. Et surtout, je me suis aussi un peu retrouvée moi-même. Nous devons réfléchir au cadre espace-temps que nous voulons trouver (ou créer!) pour une formation forte à l’intervention civile de paix.

Commentaire

Ce retour d’expérience peu servir de base à une réflexion poussée sur l’avenir des formations proposées en France.