Cyril Musila, Paris, février 2003
Expérience du CCFD et de l’ONG ADIKIVU dans la construction de la paix au Kivu et dans la région des Grands Lacs
Cette expérience se base sur l’idée d’assurer aux populations paysannes les moyens d’accéder à la terre et à ses produits. Les associations paysannes burundaises, congolaises et rwandaises appartenant au réseau animé par le CCFD établissent des passerelles entre ces trois pays opposés en raison de la guerre en RDC.
La situation de conflit que connaît la République Démocratique du Congo (RDC) modifie et brise l’élan de développement amorcé depuis quelques années dans ce pays. S’il est de plus en plus admis qu’une adaptation à cette donne est nécessaire, le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), ONG internationale, et ADIKIVU, ONG locale ainsi que des acteurs de la Société civile congolaise, pour leur part, s’orientent vers une dynamique de prévention et de résolution de cette crise.
Ils partent de l’analyse qu’il y a, à la base de la guerre, une corrélation entre le poids des structures politiques et la carence des structures socio-économiques, entre la gestion du pouvoir politique local et la pauvreté ainsi que l’absence de développement. Le conflit est nourri par des manipulations d’ordre politique (élections, représentations dans les instances gouvernantes, etc.) et par l’instrumentalisation du besoin réel d’accéder aux ressources ou d’exercer un contrôle sur ces dernières. Il est surtout aggravé par les convoitises que ces différentes ressources (terre, minerais, bois, etc.) représentent dans un contexte de pauvreté généralisée. Par ailleurs, un défi majeur est au coeur du conflit dans le Kivu. Il s’agit de l’injustice sociale qui privent la majorité de la population – c’est-à-dire les paysans – de la ressource foncière dont leur vie est liée. Car les commerçants, les Églises et les multinationales qui sont, avec la complicité de l’État, les plus grands détenteurs des terres qu’ils thésaurisent, se retrouvent en face des jeunes désoeuvrés, pauvres, sans terre et sans perspectives. Par conséquent, la rareté de la terre rend conflictuelle toute cohabitation sur des espaces réduits. La violence massive de ces paysans pauvres contre d’autres paysans pauvres – formulée en clivages communautaires et ethniques - est l’expression désespérée de la compétition, de la paupérisation et de l’angoisse sociale.
Pour initier et installer une dynamique durable de paix, ces deux ONG pensent qu’une harmonie est nécessaire entre les modes de gestion du pouvoir : entre le pouvoir institutionnel ou traditionnel et celui que donne l’économie. De même, une articulation entre les institutions de l’État, - telle l’Institut National des Recherches Agronomiques (INERA) qui est perçue plus comme un partenaire des paysans que comme un fonctionnaire - la Société civile et le reste de la société.
Ainsi, dans la région des Grands Lacs où le conflit se focalise sur son aspect foncier, les interventions du CCFD ont la mission d’appuyer la Société Civile du Kivu dans leurs efforts à favoriser l’accès et la gestion de la terre. Cette Société Civile, au sein de laquelle on note la part active de l’ONG ADIKIVU et des associations de femmes paysannes, s’implique personnellement dans des négociations avec les détenteurs des terres afin d’acquérir des terrains qu’elle revend à crédit à des paysans sans terre. Cela a sensiblement réduit les tensions et les conflits entre paysans. Par de tels efforts elles ont donné non seulement des perspectives à des jeunes sans terre, mais surtout elles les ont stabilisés et les ont rendus moins attentifs aux sirènes de recruteurs des “milices” armées. Susciter chez la plupart de ces jeunes l’attachement à une activité économique rentable, leur permettre de maîtriser des techniques agricoles, favoriser l’émergence de nouveaux leaders parmi eux, mettre en valeur le rôle féminin et encourager le travail en réseau (suivi-évaluation, échanges, collaborations entre ONG de différents pays) pour créer des passerelles constituent des moyens de prévenir les conflits et des stratégies de bâtir la paix.
Grâce au réseau de partenariat du CCFD, ADIKIVU qui se trouve en territoire congolais, travaille avec des ONG rwandaises et burundaises dont les pays sont en guerre contre la République Démocratique du Congo. Des passerelles de paix se construisent entre des paysans, alors que leurs Etats se détruisent.
Il faut alors rester vigilants afin qu’ils puissent jouir librement de leurs produits et que l’Etat, l’administration et le contexte de guerre ne les extorquent.
Commentaire
De cette expérience de coopération entre ONG du Nord et du Sud, on peut tirer les leçons suivantes :
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L’absence de perspectives d’avenir pousse les jeunes à s’engager dans les milices armées pour y trouver un semblant d’avenir.
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La nécessité de l’intermédiation entre des acteurs des pays en conflit.
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Le décalage souvent constaté entre les relations politiques des Etats et celles entre leurs populations respectives.
Les actions et les relations initiées par les ONG des trois pays servent à tracer des perspectives de paix différentes de celles de conflit que les acteurs politiques et militaires mettent en place dans la région. L’espoir de paix régionale repose sur ce genre d’initiatives transnationales.
Notes
Source : Archives du CCFD