Henri Bauer, San José, Costa Rica, July 2003
Présentation des enjeux du processus de pacification de l’Amérique Centrale à la fin du XXème siècle, et du rôle du Costa Rica
À la fin des années 1970, et au début des années 1980, la politique en Amérique centrale était proscrite par des conflits armés internes d’une violence sanglante. Au milieu des années 1980 la région entamait une dynamique de règlement politique des conflits par le biais du processus de paix « Esquipulas »
Introduction
Le 9 juillet 2003. San José, Costa Rica. Mon séjour ici est marqué par deux sentiments très forts, l’un de respect, l’autre de remerciement.
Du respect car, comme me l’explique Mme Rebeca Monestel, de la Fondation Arias pour la Paix et le Développement, « l’armée du Costa Rica se compose de ses étudiants ». Elle reprend l’idée exprimée par M. Oscar Arias lors de l’obtention du Prix Nobel de la Paix en 1987 « Mon peuple est un peuple sans armes. Nos enfants n’ont jamais vu un avion de combat, un char, un bateau de guerre ». En effet, en 1948, le Costa Rica a fait un choix politique majeur : remplacer l’armée par le système d’éducation, les militaires et les soldats par les professeurs et les étudiants. Un choix difficile, autant au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’en pleine guerre froide ou aujourd’hui dans un contexte de guerre anti-terroriste… un choix qui fait la grandeur du Costa Rica et la fierté de ses habitants ?
Des remerciements aussi car l’initiative de paix pour une Amérique centrale ravagée par la violence est venue du peuple du Costa Rica en la personne de M. Oscar Arias. Remerciements pour les millions de personnes exilées, déplacées, réprimées qui ont pu être libérées de la guerre. Remerciements aussi pour moi-même.
Voilà le « sens » de mon séjour à Costa Rica : sa tradition démocratique, sa culture de paix, son rôle international dans la construction d’un monde plus équitable et plus pacifique. Lors de ce séjour au Costa Rica, j’ai rencontré beaucoup de personnes et d’institutions travaillant pour la paix, les unes plus intéressantes que les autres. Ici, je ne présente que trois rencontres :
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celle avec Mme Rebeca Monestel, de la Fondation Arias pour la Paix et le Développement ;
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celle avec Mlle Miriam Villela, de l’initiative pour une « Charte de la Terre » ;
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celle avec M. Abelardo Brenes, professeur chercheur à l’Université de la Paix des Nations-unies au Costa Rica.
Il me semble qu’il s’agit là de trois « échantillons » du peuple Costaricien, de sa culture et de son rôle international dans le domaine de la paix, de la pensée et de l’éthique. Ils sont la source des réflexions livrées ci-dessous autour des trois grandes questions suivantes :
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la construction de la paix ;
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la pensée critique capable de proposer des modèles alternatifs de relations ;
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l’élaboration d’une éthique commune à toute l’humanité.
Ces réflexions sont issues de situations concrètes traversées à la fois par une violence profonde et des initiatives de paix importantes.
En effet, le « terrain » de ces réflexions est constitué d’une part, par le conflit armé et d’autre part, par la pacification de l’Amérique centrale à la fin du XXe siècle.
À la fin des années 1970, et au début des années 1980, la politique en Amérique centrale était proscrite par des conflits armés internes d’une violence sanglante. Les affrontements entre groupes ennemis ravageaient le Guatemala, le Salvador, le Nicaragua, avec des conséquences sur le Honduras et le Costa Rica : l’Amérique centrale se détruisait elle-même par une violence atroce, dans un contexte de guerre froide.
Au plus profond des affrontements armés, des efforts pour arriver à la pacification par la négociation politique continuaient à être menés tant à l’intérieur des sociétés centre-américaines qu’au sein de la communauté internationale. L’Amérique centrale entamait dans les années 1980 une dynamique de règlement politique des conflits par le biais du processus de paix « Esquipulas ». Ce processus a été déployé grâce à des réformes politiques importantes visant à initier les régimes centre-américains aux procédures de la démocratie et à la signature des accords de paix du Nicaragua (1988), du Salvador (1992) et du Guatemala (1996).
L’ensemble des réformes des sociétés centre-américaines porté par le processus Esquipulas a concerné deux grands domaines, imbriqués l’un dans l’autre :
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la démocratisation du pouvoir ;
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la pacification des rapports sociaux.
Le premier grand chantier était, donc, celui de la démocratisation du pouvoir.
I. La démocratisation du pouvoir
L’Amérique centrale des années 1970 - 1980, à l’exception du Costa Rica démocratique, marquée par l’autoritarisme et la violence, commençait dans les années 1985 à rechercher la démocratie.
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Au Guatemala, la transition effective a été entamée en 1983, lorsqu’un coup d’État militaire contre le général Ríos Mont, leader des généraux anticommunistes durs, portait au pouvoir le général Mejía Vítores, leader des militaires pro-démocrates. Ce dernier a engagé une importante procédure de réformes institutionnelles. En 1984, a été organisée une Assemblée nationale constituante, en 1985-1986, des élections présidentielles. C’est le Parti de la Démocratie chrétienne qui a remporté la victoire. Un Président civil, Vinicio Cerezo, a été élu grâce à des procédures démocratiques. Les autorités civiles commençaient par cohabiter avec le pouvoir militaire, avec l’intention de le substituer par la suite.
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Au Salvador, la droite de la droite continuait à vouloir imposer le système autoritaire par la force. Les guérilleros du « Frente Nacional Farabundo Marti » (FMLN), se battaient contre l’armée pour prendre le pouvoir. Alors que le pays était déchiré par une violence incontrôlable, le leader de la société civile, Napoleon Duarte, s’est présenté comme candidat à la présidence dans le cadre du parti Démocratie chrétienne. En 1984, il remporta la victoire.
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Au Honduras, les élites nationales ont voulu répondre aux aspirations populaires tout en respectant les intérêts des USA, très forts dans le pays. En 1980, le pays renouait avec les institutions civiles, élisant une Assemblée nationale constituante. En 1985, a été élu à la Présidence José Azcona, du Parti Libéral.
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Au Nicaragua, suite à la victoire de « la révolution sandiniste » contre la dynastie des Somoza en 1979, les sandinistes étaient au pouvoir, avec à leur tête, Daniel Ortega. Des élections présidentielles ont été organisées en novembre 1984. Ortega est devenu Président élu démocratiquement.
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Au Costa Rica, où un régime démocratique était en place depuis 1948, lors des élections présidentielles de 1986, le Parti de Libération nationale a remporté la victoire. M. Oscar Arias, son ancien secrétaire général, politologue et démocrate reconu, est devenu Président.
La tradition démocratique du Costa Rica faisait de ce pays une sorte de modèle pour les autres pays centre-américains, le savoir-faire en matière de dialogue, de négociation politique et de démocratie plaçait le Président Arias dans une position privilégiée pour conduire, avec ses collègues centre-américains, le processus de démocratisation de la région. Le fait -nouveau- que les Présidents des cinq pays centre-américains étaient au pouvoir grâce à une élection démocratique, a favorisé la convergence de leurs approches. Une réalité leur semblait évidente : les défis politiques étaient communs à la région : à défis communs, réponse commune ?
En 1986, ils ont décidé de se rencontrer pour aborder l’avenir de l’Amérique centrale de façon concertée. A l’initiative de M Vinicio Cerezo, Président du Guatemala à l’époque, un Sommet des cinq Présidents centre-américains s’est tenu à Esquipulas (Esquipulas est un village guatémaltèque situé dans la zone frontalière entre le Guatemala, le Honduras et le Salvador. Il est construit autour d’une basilique catholique où un « Christ noir » est objet de culte et de pèlerinage à l’échelle centre-américaine). Ils signèrent la « Déclaration d’Esquipulas I » dans laquelle ils s’engageaient à trouver une solution pacifique aux conflits. Notons qu’en Amérique centrale, les affaires relatives aux rapports de chacun des États avec les États étrangers - englobant, entre autres, la conduite de négociations en vue de signer des accords ou de conclure des traités - sont centralisées entre les mains du Président. Les exigences de cohésion et d’unité d’expression de la politique extérieure, ainsi que l’héritage d’un système présidentialiste fort, ont conduit à cette centralisation, reconnue par les Constitutions nationales des cinq États.
À la fin du XXe siècle, les pratiques institutionnelles pour mettre en place des régimes démocratiques s’affermissent en Amérique centrale. Liberté d’expression, respect du droit d’association, pluralisme des partis, élections, transitions démocratiques sont devenues, non sans difficultés, les réussites d’une démocratisation en cours.
Le deuxième grand chantier du processus était celui de la pacification des rapports sociaux : concernant la paix, tout était à construire.
II. La pacification des rapports sociaux
A. Les défis de la paix dans les années 1980 - 1990
Pour les nouvelles autorités politiques centre-américaines le deuxième grand chantier à affronter était donc la résolution des conflits armés internes. La violence, devenue non seulement extrême mais aussi institutionnelle, était la première menace à démonter.
À la question de la pacification, elles donnaient une réponse animée par une triple dynamique : dialogue, cessez-le-feu, dialogue. Les gouvernements exhortaient les parties en conflit à une concertation pour cesser les affrontements. Ils s’engageaient à réaliser toutes les actions nécessaires pour obtenir un cessez-le-feu effectif dans le cadre constitutionnel, ainsi qu’à créer les mécanismes qui permettraient le dialogue avec les groupes opposants. Ici se trouve résumée la première volonté des Présidents : leur objectif était pacifier la région. Une instance ad hoc fut constituée dans chacun des États en conflit : la Commission nationale de Réconciliation, chargée de vérifier le déroulement du processus de pacification.
Entre les extrémistes de droite et de gauche, une troisième voie :
Les nouvelles autorités démocratiques voulaient chercher une alternative aux modèles conservateur et révolutionnaire, les seuls qui s’imposaient à la société et qui, par là même, imposaient l’affrontement comme seule façon de vivre ensemble. Ces deux modèles, en effet imbriqués l’un dans l’autre et produisant ensemble un système de violence irrationnel, peuvent être caractérisés de la façon suivante :
Le modèle « conservateur » était celui des dirigeants de la droite anticommuniste. Il était caractérisé par :
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la monopolisation du pouvoir politique par une élite dominante noyautée par les militaires ;
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la répression de toute opposition politique ;
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la quête de satisfaire les attentes des autorités politiques des États-Unis en vue d’obtenir leur soutien politique et financier dans un contexte de guerre froide. Celles-ci, à leur tour, exerçaient leur influence dans leur arrière-cour. La théorie politique mise en œuvre était celle de « la Sécurité nationale ».
Le modèle « révolutionnaire » était celui des dirigeants de la gauche révolutionnaire. Il peut être caractérisé par quatre éléments. - Il était porté par un conglomérat de membres des élites politiques, militaires et intellectuelles qui s’unissaient par les idéaux révolutionnaires des uns, réformistes de la majorité.
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En affirmant qu’elles voulaient gouverner pour les plus démunis de la société, ces élites cherchaient la conquête du pouvoir politique. - Elles considéraient que, à cause de la rigidité du modèle autoritaire et de ses techniques de répression de l’opposition, elles ne pourraient prendre le pouvoir que via une révolution.
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Elles comptaient sur le soutien de l’internationale communiste et de quelques pays amis.
Dans une dynamique de diabolisation réciproque, chacun des deux groupes cherchait la destruction de l’autre. Via la mobilisation de jeunes gens envoyés combattre les uns « pour la liberté », les autres « pour la justice », généraux conservateurs et commandants révolutionnaires renforçaient et exacerbaient les divisions sociales ainsi que la violence. La population civile, elle, fournissait les victimes.
Avec le soutien des autres Présidents centre-américains et des forces démocratiques, M. Oscar Arias, Président du Costa Rica 1986 – 1990, affirmait haut et fort que la polarisation extrême de la société et ses combats contre elle-même n’allaient pas dans la bonne direction. Il proposait aux responsables politiques de la région de ne pas se laisser entrainer ni par l’un ni par l’autre des groupes d’extrémistes. La nouvelle stratégie consistait à ouvrir une alternative politique démocratique : institutionnaliser une troisième voie politique, entre l’extrême droite anticommuniste et l’extrême gauche révolutionnaire, est devenu un projet viable, soutenu par les nouvelles autorités centre-américaines.
Le pouvoir politique sur le pouvoir militaire. Au Guatemala, au Salvador, au Honduras, au Nicaragua, l’armée était la première force politique et nul changement ne pouvait être fait sans elle. La question clef était : qui gouverne ? Les rapports de force entre les militaires, chefs des armées, et les civils, chefs du gouvernement, étaient très complexes. Puisque l’armée détenait la plus grande partie du pouvoir réel et disposait d’une richesse financière considérable, une branche militaire avait l’intention de continuer à gouverner derrière des présidents civils. Cependant, bien qu’il était admis qu’une force publique était nécessaire pour garantir l’existence de l’ordre social et la sécurité du pays, l’histoire récente révélait l’écart fondamental entre ces principes et leur application : des pratiques militaires étaient, souvent, en contradiction avec le droit constitutionnel. Sous les gouvernements autoritaires, les armées étaient devenues une instance politique ainsi qu’une institution de répression. La décision des nouvelles autorités politiques d’ouvrir des dialogues de paix avec les groupements armés opposants, a dévoilée de profondes divisions à l’intérieur des armées. Elles étaient un embrouillement de tendances en concurrence et en luttes intestines.
L’affrontement au sommet entre les trois tendances militaires les plus puissantes présentes pendant l’élaboration du document est devenu officiel.
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La première de ces tendances était celle des militaires anticommunistes d’extrême droite aux méthodes autoritaires qui, ayant déjà accompli leur mission de nettoyage social et de répression de l’opposition, voire d’élimination, ne cherchaient que leur impunité. Ils exigeaient d’inclure dans le document le point sur l’amnistie, en vue de s’assurer une retraite sans passé et sans risques. C’était une stratégie fonctionnelle : accepter le passage aux gouvernements civils, signer des accords de paix avec les anciens ennemis et, en échange, garantir leur impunité.
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La deuxième tendance était celle des militaires à tendance démocratique. Ils voulaient prendre part à la transformation politique de leurs pays en « militaires au service de la démocratie et soumis au gouvernements civils ». Cela leur permettrait de prendre le contrôle des armées après la retraite des « durs ».
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La troisième tendance était celle des militaires capitalistes. Le « combat contre le communisme » avait fonctionné aussi comme moyen d’enrichissement économique. L’armée avait donné à ses officiers l’accès à la richesse. Ils n’ont exigé des autorités civiles que la liberté de faire des affaires. Ils ne voulaient surtout pas apparaître dans le document, et il en a été ainsi.
Dans une situation aussi complexe, les Présidents décidaient avec, sur certains aspects, l’accord des militaires. Sur d’autres, leur tolérance et sur d’autres sujets encore, malgré leur désaccord, notamment concernant la volonté affirmée des nouvelles autorités civiles à prendre le pouvoir en main et à gouverner. Il s’agit du message invisible du document - mais bien présent, adressé aux militaires : les nouveaux gouvernements voulaient vraiment gouverner. Un exemple fort est donné dans le Traité Esquipulas II lui-même : une des décisions apparait là, semble-t-il, hors du contexte, le point 8 sur les réfugiés et les personnes déplacées : « Les gouvernements centre-américains s’engagent à prêter attention d’urgence aux flots de réfugiés et de personnes déplacées provoqués par la crise régionale, en leur assurant protection et assistance, spécialement en ce qui concerne la santé, l’éducation, le travail et la sécurité… ». Cette décision ne trouverait-elle pas ici sa place ? Au contraire, elle est placée là pour manifester la volonté des nouvelles élites d’écarter du pouvoir les vieilles élites militaires. En effet, alors que les militaires considéraient que ces populations n’étaient composées ni de réfugiés ni de personnes déplacées ; qu’il ne s’agissait que « de groupements de guérilleros communistes qu’il fallait anéantir », les nouveaux gouvernants les considéraient comme des populations civiles pour lesquelles l’État avait la même responsabilité que pour tout autre citoyen. L’objectif des Présidents était de montrer qu’ils voulaient vraiment gouverner.
B. Le « plan de paix Arias »
Les initiatives pour la pacification de l’Amérique Centrale avaient été entamées avant l’arrivée de M Arias au pouvoir au Costa Rica.
En même temps, M. Oscar Arias avait entamé ses efforts pour la paix avant même sa prise de fonctions. Il s’était rendu dans les quatre autres pays de l’Amérique centrale et d’autres pays de l’Amérique du Sud et rencontré les plus hautes autorités pour les inviter à se réunir au Costa Rica dès sa prise de fonctions en vue d’entamer des dialogues sur les défis majeurs de la paix des sociétés latino-américaines. Une fois réunis à San José, il a proposé la formation d’une « Alianza Continental para la Democracia y la Libertad » avec, comme projet, le combat commun pour la démocratisation et la pacification de l’Amérique latine, afin que tous les citoyens puissent jouir de leurs droits sociaux, économiques et politiques, sans aucune domination par le biais de la violence. Ce premier plan Arias visait tout particulièrement le Nicaragua sandiniste qui n’était pas, à ses yeux, un régime démocratique. En même temps, ce plan avait le soutien des Etats-Unis. Depuis, M. Arias a continué sa quête active de partenaires en vue de constituer des alliances pour la paix.
Après la signature du document « Esquipulas I » en 1986, le président du Costa Rica, M. Oscar Arias, présenta aux gouvernements centre-américains son plan (les arguments développés ici s’inspirent du « Plan Arias » ainsi que d’un ouvrage publié par M. Arias où il développait les fondements théoriques de ses approches : O. ARIAS, El camino de la paz, Editorial Costa Rica. San José 1989).
Les autres Présidents centre-américains, avec le soutien des démocrates de leur pays, ont répondu en mettant en avant une approche un peu alternative à celle de M Arias. Ils proposaient, en fait,
un chemin politique : la pacification de la région exigeait sa démocratisation. La paix n’était pas le produit de la victoire militaire des uns sur les autres. La signature des accords de paix n’était pas non plus suffisante. Il fallait entamer une réorganisation des régimes politiques des pays pour qu’un État de droit soit effectivement en vigueur. Il fallait aussi réaliser une véritable réforme des rapports sociaux à l’intérieur des pays pour canaliser pacifiquement les conflits internes.
Paix et démocratie étaient indissociables. Tant qu’il y aurait des régimes autoritaires, de droite ou de gauche, producteurs de phénomènes d’exclusion, de manipulation ou d’oppression politique des populations, la violence trouverait ses sources. Les dirigeants centre-américains étaient alors engagés dans les mécanismes de construction de la paix tout en s’attaquant aux causes de la violence.
Cette approche révélait une originalité concernant les relations de l’époque entre les autorités centre-américaines et celles des États-Unis. Le discours officiel de l’administration Reagan laissait entrevoir l’existence de ce qui en Amérique centrale était appelé alors « le Plan Reagan ». La Maison-Blanche avait des intentions précises afin de régler, à sa façon, la crise centre-américaine.
Les différences des deux approches, l’approche centre-américain-l’approche Reagan, peuvent être résumées comme suit :
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Le plan Reagan affirmait que les conflits centre-américains étaient très différents les uns des autres et que chaque pays avait besoin d’une solution adéquate et à des vitesses différentes. Le Plan des centre-américains privilégiait quant à lui les causes communes et les phénomènes transversaux. Selon ce plan, la mise en application des dispositions devait être faite dans les cinq États et de façon simultanée. Il était hors de question d’envisager des procédures de pacification et de démocratisation qui favoriseraient la division de la région.
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Le plan Reagan affirmait que les sandinistes nicaraguayens n’étaient que des agents du communisme international et que leur gouvernement était un ennemi de la démocratie, qu’il fallait donc le démanteler. Le plan des centre-américains reconnaissait au contraire la légitimité de tous les gouvernements centre-américains, y compris du gouvernement sandiniste. C’était au peuple nicaraguayen de soutenir son gouvernement ou de l’évincer, par le biais des élections démocratiques.
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Le plan Reagan affirmait que pour évincer du pouvoir les sandinistes il fallait soutenir la CONTRA, le mouvement armé rebelle nicaraguayen, véritable représentant de la démocratie au Nicaragua. Le Plan des centre-américains ratifiait quant à lui l’illégitimité de tous les mouvements armées subversifs d’Amérique centrale : l’URNG (Guatemala), le FMLN (Salvador) et la CONTRA (Nicaragua). Par là même, l’interdiction de tout soutien à un quelconque mouvement subversif armé de la part de n’importe quel État.
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Le plan Reagan affirmait qu’il fallait réformer en profondeur le système politique nicaraguayen pour y introduire la démocratie jusque là inconnue, alors que ceux des autres pays pouvaient continuer à évoluer doucement vers davantage de démocratie. Le Plan des centre-américains affirmait au contraire que tous les régimes centre-américains devaient être réformés pour avancer dans la voie de la démocratisation.
Il ne s’agit pas uniquement d’oppositions sur des questions techniques. Il s’agit de la proposition de deux plans de paix différents, chacun relié à deux approches géopolitiques divergentes.
Face aux difficultés qu’il rencontrait, dues non seulement aux oppositions mais aussi aux hésitations des uns et des autres, M. Arias disait à l’époque : « la première condition pour la paix est de la vouloir de toute son âme ». En 1987, les Présidents de l’Amérique centrale ont finalement opté pour leur propre approche, contre le plan Reagan.
C. Les tensions entre États-Unis – Amérique centrale
Comment était-il possible que le projet des Présidents centre-américains, baptisé ensuite « Plan Arias », ait été adopté alors que les autorités centre-américaines étaient présentées comme très proches, voire dépendantes des États-Unis ? En effet, notamment les élites de Honduras et du Salvador, suivies des élites traditionnelles du Nicaragua, cherchaient à se rapprocher chaque fois plus des États-Unis et à « mériter » leur soutien. Cependant, les efforts de pacification de la région étaient animés surtout par les élites politiques et économiques du Costa Rica et du Guatemala. Bien qu’intéressées, elles aussi, par les relations avec les États-Unis, surtout commerciales, elles prenaient des distances vis-à-vis de l’approche mise en avant par l’administration Reagan. Les patrons costariciens et guatémaltèques affirmaient qu’il s’agissait d’une approche particulière liée à un groupe spécifique qui était à l’époque à la Maison-Blanche, donc transitoire.
Au sujet de la politique extérieure des États-Unis pour l’Amérique centrale, malgré les divergences mises en avant par les élites politiques américaines, une unité d’approche existait. Le point de départ était du domaine de la géopolitique. Il consistait à affirmer que les États-Unis avaient le droit d’intervenir dans leur arrière-cour. À l’intérieur de ce cadre théorique fondamental se développaient deux approches qui divergeaient dans leurs méthodes d’action mais qui convergeaient dans leurs objectifs.
Dans son discours du 27 avril 1983, prononcé devant les deux chambres réunies, le Président Reagan proposa que l’aide américaine à l’Amérique centrale soit destinée à contribuer à la démocratisation politique et à soutenir le développement économique de la région. Ces objectifs seraient atteints par le renforcement des armées qui, grâce à la supériorité de moyens, empêcheraient les communistes de continuer à allumer des tentatives révolutionnaires. Les dirigeants du parti démocrate américain affirmaient qu’ils partageaient ces objectifs, mais que l’utilisation de la force comme moyen pour les atteindre n’était pas le plus convenable. Ils affirmaient qu’il fallait s’attaquer aux « causes » de la rébellion par la voie de réformes profondes d’un système injuste qui, aux États-Unis, ne serait pas toléré.
Ces deux approches, dont la différence tenait surtout à l’utilisation ou pas de la force comme moyen de solution des conflits, étaient aussi mises en avant en Amérique centrale par les quatre groupes les plus importants à l’époque :
L’élite militaire de l’armée et celle des commandants guérilleros, qui affirmaient que seule la défaite militaire de l’adversaire pouvait amener la paix. Les élites politiques et économiques, qui privilégiaient la voie des réformes sociales et de la pacification par le dialogue. La méthode de « la paix par la force » et la méthode de « la paix par les réformes » s’opposaient. Cependant, il ne s’agissait pas de deux dynamiques distinctes aux frontières bien définies. Des liens se tissaient entre les tenants de chacune des deux méthodes.
En effet, les divergences n’appartenaient pas uniquement aux populations centre-américaines. Elles traversaient aussi les élites politiques des États-Unis. Il est même possible de parler de deux modèles divergents.
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Le modèle de la paix par les réformes. Ce modèle peut être illustré par la politique des États-Unis pour l’Amérique centrale mise en place par l’administration Carter. Les relations avec l’Amérique centrale étaient alors encadrées dans une lecture géopolitique à perspective « Nord – Sud ». La politique Carter se plaçait sous le signe du respect des droits de l’homme et de la mission des États-Unis d’être le défenseur de la démocratie.
L’équipe de gouvernement Carter affirmait que, dans les années à venir, la guerre froide n’allait plus être la première source de conflits pour les États-Unis, et que concernant les pays d’Amérique centrale, il fallait faire basculer la bataille militaire sur d’autres terrains, par l’application des moyens suivants :
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vis-à-vis des gouvernements centre-américains, il s’agissait d’exercer une certaine pression économique tout en gardant une certaine distance, pendant qu’une nouvelle élite politique était formée selon les principes démocratiques et libéraux et préparée professionnellement pour gouverner.
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Vis-à-vis des mouvements révolutionnaires, les combattre avec des moyens militaires exagérés faisait de leurs leaders des « martyrs » tout en nourrissant l’ardeur des combattants et en faisant monter la température du conflit. Il fallait les combattre par l’idéologique en présentant le socialisme comme un contre modèle afin que les mouvements armés perdent le soutien de la population et qu’ils tombent d’eux-mêmes.
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Vis-à-vis de la population, il fallait une politique de communication professionnelle pour convaincre la société civile de l’inutilité de l’opposition violente et de la non pertinence du modèle socialiste, et pour lui montrer que l’élection des autorités via les urnes était le meilleur chemin, sinon le seul accepté, pour réaliser les réformes politiques recherchées.
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Le modèle de la paix par la force. Ce modèle peut être illustré par la politique des États-Unis pour l’Amérique centrale mise en place par l’administration Reagan. Les relations avec l’Amérique centrale étaient alors encadrées dans une lecture géopolitique à perspective « Est – Ouest ». Pour l’administration Reagan, il ne s’agissait pas d’une lutte de la société pour la justice sociale ou pour aboutir à des réformes à l’intérieur du régime. Les centre-américains étaient manipulés par le communisme international. Le conflit était le produit d’une stratégie soviético-cubaine en vue d’imposer un régime communiste dans la région.
Les dirigeants républicains soutenaient que l’entente avec l’Union soviétique n’était qu’une mascarade du Kremlin destinée à jouer un tour à la Maison-Blanche. Pendant que les USA négociaient avec l’URSS, le PC soviétique perçait l’Amérique centrale via le sandinisme, au pouvoir au Nicaragua, et soutenait les mouvements de guérilla au Salvador et au Guatemala. Le soutien politique, financier, militaire et logistique fourni par le Pentagone aux gouvernements centre-américains amis avait permis à ceux-ci d’imposer un système de répression militaire en toute impunité. Bien que des pratiques utilisées couramment, comme la torture, les massacres, etc. allaient à l’encontre des principes démocratiques fondamentaux reconnus et acceptés officiellement par les uns et les autres, les militaires se justifiaient en disant que c’était le prix à payer pour la « normalisation » de la société. Pour les États-Unis, il s’agissait d’empêcher le communisme de s’emparer de ces pays.
Ces deux positionnements ne sont que « des modèles théoriques ». De nombreux politologues et historiens ont privilégié l’analyse des différences entre la politique de l’administration Reagan et celle de l’administration Carter par rapport à l’Amérique centrale. Il est aussi intéressant de dévoiler les continuités et les articulations de l’une par rapport à l’autre. Les théories qui soutiennent que les années Reagan ont été les plus meurtries pour l’Amérique centrale alors que les années Carter avaient été les plus heureuses peuvent s’ouvrir à une autre perspective d’analyse en mettant en lumière des nuances importantes.
Ses deux modèles permettent de comprendre les divergences d’approches au sein de l’administration américaine, ils dévoilent aussi une unité fondamentale : les États-Unis étaient persuadés qu’ils avaient l’autorité légitime d’intervenir dans les affaires politiques internes de l’Amérique centrale, ce qui donnait aux luttes centre-américaines une dimension géopolitique.
Deux remarques peuvent être faites :
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D’une part, la politique USA en Amérique centrale n’était pas « unilatérale ». Celle-ci rencontrait des élites locales avec des intérêts politiques et économiques précis, le plus souvent divisées et en lutte entre elles. Ces élites, ou quelques-unes d’entre elles, intériorisaient, renforçaient et même utilisaient la stratégie des USA par des mesures d’amplification, d’interprétations, de détournement, etc. Les USA profitaient des divisions et des luttes internes des élites locales lesquelles, à leur tour, se tournaient vers les USA pour atteindre leurs objectifs. Les élites centre-américaines n’étaient pas simplement des destinataires de la politique USA, souvent elles contribuent à la construire.
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D’autre part, le milieu des élites dirigeantes des États-Unis est plutôt complexe. Bien que dans les présentations des relations entre les États-Unis et l’Amérique centrale, très souvent les composants de l’un et de l’autre sont unifiés pour des raisons aussi de compréhension logique, il est convenable de prendre en compte les distinctions, les divergences et les oppositions internes de l’un et de l’autre. Dans cette perspective, il faut expliciter que le fait d’aborder « les États-Unis » ou « l’Amérique centrale » comme étant des unités délimitées et distinctes est aussi un travail de construction conceptuelle. Dans le cas de la présentation de « la politique des États-Unis », par exemple, même s’il est question d’une certaine unité logique, il est question également de convergences et de divergences entre, par exemple, la Maison-Blanche et le Congrès ; entre les grandes institutions nationales, telles que le Département d’État, le Pentagone, la CIA ; entre Démocrates et Républicains, etc. Les relations des États-Unis avec l’Amérique centrale dans les années 1980 – 1990 permettent d’approcher les États-Unis non pas simplement dans des termes d’uniformité et de régularité, mais aussi dans des termes de différenciations, d’adaptations aux enjeux, parfois même de concurrence interne extrême.
C’est dans ce contexte complexe, concurrentiel et conflictuel que les autorités centre-américaines ont opté pour leur plan contre le plan Reagan.
Après la signature du Traité d’Esquipulas II commence à se mettre en place une évolution importante de la politique américaine pour l’Amérique centrale.
En 1990, l’administration Bush exprima son soutien au processus Esquipulas.
Malgré les fluctuations, il est possible d’établir un fil conducteur de la politique américaine pour l’Amérique centrale se fondant sur une appréciation politique précise des autorités politiques des États-Unis : elles considèrent avoir un droit légitime d’intervention dans leur arrière-cour. En 1989, dans un célèbre discours devant le Congrès américain, le président Bush a bien exprimé la vision que les États-Unis se faisaient de l’Amérique centrale : « Les problèmes de l’Amérique latine et de l’Amérique centrale affectent directement la sécurité et le bien-être de notre peuple. L’Amérique centrale est beaucoup plus proche des États-Unis que beaucoup d’autres endroits problématiques du monde qui nous intéressent… El Salvador est plus proche du Texas que ne l’est le Texas du Massachussets, le Nicaragua est plus proche de Miami, de san Antonio, de san Diego et du Tucson que ces villes ne le sont de Washington ». George Bush, « Central America : Defending Our Vital Interests », discours devant le Congrès, 29 novembre 1989. Le texte est issu de : State Department Bulletin, 15 décembre 1989, pp. 36-40. Traduction de H. Bauer.
Pour sa politique vis-à-vis de l’Amérique centrale, l’administration Bush avait pris en compte un rapport élaboré pendant l’administration Reagan. Le Président Reagan avait créé en 1983 une Commission nationale sur l’Amérique centrale, composée de sénateurs des deux partis, sous la direction de M. H. Kissinger. Leur rapport proposait les bases de la politique des États-Unis envers l’Amérique centrale en quatre points. Il s’agissait de trouver une solution politique au conflit centre-américain. Pour empêcher la renaissance de mouvements armés, il était convenable d’ouvrir un processus de démocratisation de la région. Puisque la situation économique de l’Amérique centrale était pénible pour la majorité de la population, il s’agissait d’établir une coopération économique capable de contribuer à empêcher le succès des discours populistes ou des aventures révolutionnaires. Tout cela en préservant l’autorité morale des États-Unis : il faudrait signer des accords avec les gouvernements centre-américains pour qu’ils déclarent avoir demandé l’aide des États-Unis. Bien que M. Reagan n’ait pas donné suite à ce rapport, M. Bush s’en est servi.
Au milieu des années 1990, la politique étrangère des États-Unis pour l’Amérique centrale cherchait à favoriser l’instauration de modèles politiques démocratiques insérés dans le cadre de l’économie libérale. Le principal objectif des États-Unis n’était plus uniquement stratégique, il était aussi économique : ils regardaient les pays de l’Amérique centrale avec les yeux du marché.
D. La signature des accords de paix
La pacification du Nicaragua
Le conflit nicaraguayen, 1970 – 1990, concrétisait les efforts politiques d’adéquation du pays à la démocratie via la modification interne de l’élite dominante : pour s’adapter aux nouvelles contraintes politiques, les élites nicaraguayennes voulaient se débarrasser de la dynastie Somoza, qui gouvernait le pays depuis les Mycéniennes dans une démarche patrimonialiste extrême.
Le sandinisme a été le moyen de transition. Faisant suite à un mouvement populaire révolutionnaire imbriquant des revendications socio-économiques, des théories politiques et des éléments religieux, le sandinisme avait pris le pouvoir au Nicaragua en 1979. Un gouvernement révolutionnaire a été instauré avec, à sa tête, M. Daniel Ortega.
Par la suite, grâce aussi à l’appui du gouvernement USA, notamment à l’époque de l’administration Reagan, le gouvernement sandiniste est devenu l’objet d’une opposition armée de plus en plus forte déployée par la nouvelle armée contre révolutionnaire : la « Contra ». Les nouveaux dirigeants sandinistes, faute de ressources, de personnel préparé à gouverner, et assiégés par une opposition de plus en plus puissante, entraient dans une crise interne évidente offrant ainsi à l’opposition la possibilité de la victoire par les urnes.
En mars 1988, l’élite nicaraguayenne, traversée par le clivage entre les sandinistes et les libéraux, arriva à un compromis pour arrêter les combats. Le président Ortega signa les premiers accords avec les responsables des « Contras ». En 1989, se déroulèrent la troisième et la quatrième Réunion des Présidents centre-américains. Ils y prirent des décisions pour réduire l’importance et la puissance de l’armée sandiniste et pour convertir les mouvements d’opposition armée du Nicaragua en mouvements d’opposition pacifique.
Il ne s’agissait pas seulement d’un changement formel, c’était un signe du changement général en Amérique centrale : après des années de recours à la violence, le débat politique commençait à prendre le pas sur l’affrontement militaire. Cela a marqué le début de la fin de la guerre civile centre-américaine.
La pacification de El Salvador
Au Salvador, comme de façon paradoxale, les actions militaires s’intensifièrent après Esquipulas II. Les guérilleros entamèrent une « offensive finale » en 1989 qui révéla l’égalité des deux forces en lutte : ni les guérilleros ni les militaires ne pouvaient remporter la victoire.
En avril 1990, des négociations entre le gouvernement et la guérilla commencèrent sous l’égide des Nations unies qui y ont joué un rôle majeur. En 1991, les dialogues s’intensifièrent. En janvier 1992, les accords de Chapultepec, Mexique, ont exigé et défini les procédures pour le cessez-le-feu, le remplacement des chefs militaires, la réduction des effectifs de l’armée, la conversion au débat politique des anciens commandants guérilleros et le désarmement des anciens guérilleros. C’était la fin de la guerre civile salvadorienne.
La Commission internationale chargée de faire la lumière sur les crimes de guerre, travaillant sous l’égide des Nations unies, fournit un rapport accablant pour l’armée accusée d’être directement responsable d’assassinats, de massacres, de répression institutionnelle. Le FMLN fut aussi rendu responsable, dans une moindre mesure, de faits graves. Cela a marqué le début de la destruction symbolique du succès des extrémistes en Amérique centrale.
La pacification du Guatemala
La situation guatémaltèque était apparemment moins complexe parce que la guerre civile était militairement terminée. En effet, suite à une stratégie militaire de répression massive de la part de l’armée, dirigée successivement par les généraux Carlos Arana, Kjell Laugerud et Lucas García, le gouvernement du général Ríos Mont a mené une répression extrême contre les groupes guérilleros avec des attaques contre des populations civiles non armées provoquant des gravissimes violations aux droits de l’homme.
Une stratégie de répression militaire implacable a été pratiquée entre 1982 et 1983. Cette stratégie a été déployée par la disparition des opposants, par la torture, par des massacres, par la technique de la terre brûlée, au prix de nombreuses victimes civiles morts dans des conditions atroces. Après une année et demi de combat militaire féroce qui n’a pas épargné des populations civiles faisant des nombreuses victimes par la pratique de techniques militaires des plus cruelles, en 1983, le mouvement guérillero était réduit de façon importante. Une grande partie des combattants avait péri dans les combats. Ceux qui avaient survécu ont essayé de se regrouper en petits groupes de rebelles, mais ils ressemblaient à des petits groupes de délinquants plus qu’à un mouvement guérillero classique. D’autres sont partis se réfugier au Mexique ou dans la forêt. Leurs commandants avaient pris le chemin de l’exil. Les populations mayas, désormais bien contrôlées par l’armée, ne coopéraient plus avec un mouvement guérillero vaincu militairement et agonisant. Bien qu’une telle répression a été perçue par l’armée comme une victoire militaire, elle s’est avéré comme l’une des raisons de leur postérieure défaite politique face aux nouveaux leaders civils.
En 1983, les militaires avaient vaincu militairement les guérilleros. Après la défaite militaire de la guérilla il y avait encore des accrochages entre les petits groupes de guérilleros et l’armée nationale. Le concept conflit armé était encore utilisé bien que, plus qu’à représenter une réalité militaire, il servait à justifier certaines actions militaires tant de la part des généraux (de la répression, des massacres) que des commandants (des séquestrations, des attentats), ainsi qu’à légitimer les aides financières que recevaient de l’extérieur les uns et les autres.
Des généraux discrédités par la cruauté de la répression et des commandants guérilleros militairement vaincus et fautes de soutien laissaient la place aux nouvelles élites politiques. Des dialogues ont été entamés entre le gouvernement et la guérilla dès 1986. Pendant dix ans de négociations difficiles entre les parties en conflit mais aussi entre celles-ci et des représentants de la société civile, des accords sur de questions spécifiques se succédaient.
En janvier 1996, le « Partido de Avanzada Nacional » , nouveau parti dirigé par les grandes élites économique du pays, a accédé au pouvoir. M. Alvaro Arzú est devenu Président. Alors que les espoirs de pacification paraissaient diminuer, grâce à des négociations efficaces au sommet, les accords de paix ont été signés au Guatemala le 29 décembre 1996.
Repères chronologiques de la pacification :
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1983 Formation du groupe CONTADORA.
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1984 Publication du Rapport Kissinger sur l’Amérique centrale.
San José I : première réunion des ministres de la CEE, de l’Espagne et du Portugal, avec les cinq gouvernements centre-américains.
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1986 Esquipulas I : premier sommet des Présidents centre-américains.
L’Acte de Contadora pour la paix en Amérique centrale est soumis aux gouvernements centre-américains.
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1987 Esquipulas II : deuxième sommet des Présidents. Adoption du plan Arias.
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1988 Signature des accords de paix au Nicaragua
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1988 - 1991 Réunions du Sommet d’évaluation et de planification : Alajuela, Costa del Sol, Tela, San Isidro, Montélimar, Antigua, Puntarenas, San Salvador.
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1992 Signature des accords de paix au Salvador.
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1996 Signature des accords de paix au Guatemala.
Grâce à la réussite du processus d’Esquipulas, inspiré dans l’expérience de démocratie et de paix du Costa Rica et animé constamment par M. Oscar Arias, ce dernier a reçu en 1987 le Prix Nobel de la Paix.
3. Le Costa Rica et la paix en Amérique centrale au début du XXIe siècle
A. Les défis de la paix au début du XXIe siècle
L’optimisme politique qui salua le succès du processus de démocratisation et de pacification de l’Amérique centrale, ainsi que la signature du Traité d’Esquipulas, portait en lui la certitude que l’Amérique centrale réussissait sa re-intégration à la communauté internationale. Puisque la région marchait sur les voies de la démocratie et de la paix, elle ne pouvait se diriger que vers l’avenir rassurant des pays occidentaux.
Cette réussite est due au fait que le processus, avec au cœur le Traité d’Esquipulas, n’avait pas la prétention de produire une sorte de constitution centre-américaine chargée de construire des nouvelles sociétés, les participants savaient qu’il ne s’agissait pas d’un processus aux pouvoirs miraculeux qui allait tout transformer. Il avait la fonction d’être un outil pour une utilisation bien concrète, il a réussi ses objectifs justement parce que ceux-ci étaient précis et pressants. La pacification visait le cessez-le-feu, la pacification des rapports sociaux et le remplacement de l’affrontement armé par le débat politique. La démocratisation visait le remplacement des chefs militaires par des autorités politiques civiles, la légitimation et l’affermissement du régime démocratique, la participation politique de la société civile.
Dans ce sens, il est évident que l’expérience du Costa Rica a servi de modèle : il s’agissait bel et bien d’un processus dont le déroulement s’effectuait pas à pas. Il ne s’agissait pas de proposer des projets utopiques qui, bien que cherchant des réformes importantes et nécessaires, seraient impossibles à réaliser en peu de temps. C’est l’un des grands apports que l’expérience du Costa Rica a fait au processus de démocratisation et de pacification de l’Amérique centrale : pour être efficace, il est nécessaire de se donner des objectifs précis et des moyens adéquats. Il s’avère aussi pratique de travailler pas à pas, d’instaurer des changements concrets, avec la participation active des populations concernées – avec leurs modes d’action, leurs représentations, leurs déchirements, même si cela demande un peu plus de temps et d’efforts. C’est une méthodologie de résolution de conflits qui s’oppose aux démarches de mobilisation urgente et massive des populations vers des projets utopiques, dont l’histoire de l’Amérique centrale avait montré comment les aboutissements de telles démarches peuvent s’avérer plus destructeurs que le point de départ.
Cependant, malgré le succès du processus Esquipulas en termes de démocratisation et de pacification, la société centre-américaine révèle, en ce début de XXIe siècle, la persistance de quelques menaces redoutables. Je n’en présente que trois, parmi d’autres, concernant chacune l’une des trois questions essentielles du processus Esquipulas.
Le premier élément concerne la question politique et des menaces à la démocratie. Le processus Esquipulas a abouti à la signature des traités de paix au Nicaragua, au Salvador et au Guatemala. Les trois pays sont sortis de la guerre civile. Non seulement l’Amérique centrale ne se « colombianise » pas mais elle se stabilise politiquement : la démocratisation fait son cheminement.
Cependant, ces réussites peuvent être menacées. La persistance des inégalités sociales extrêmes pourrait faciliter une mobilisation des thématiques sociales permettant de rendre compte de « l’échec de la paix ». En effet, plusieurs amériques centrales coexistent de façon plus ou moins conflictuelle. Les différences sont très importantes, par exemple entre le Guatemala et le Honduras, entre le Costa Rica et le Nicaragua. Mais aussi au sein des populations, par exemple au niveau politique entre les sandinistes et les libéraux nicaraguayens, au niveau culturel entre les Mayas et les Garifunas guatémaltèques, au niveau économique entre des couches ayant un niveau de vie plus que confortable évoluant dans la somptuosité et le luxe, et des couches ayant un niveau de vie misérable évoluant dans l’indigence et l’exclusion. C’est ainsi que les indicateurs établis au niveau national pour chacun des cinq pays masquent d’une façon très efficace des inégalités importantes entre les régions, les couches sociales, le sexe, etc… Les chiffres moyens concernant les revenus, le niveau d’instruction, l’espérance de vie, le taux de chômage, etc. ne permettent pas de déceler l’existence d’une Amérique centrale à plusieurs mondes. Divers groupes peuplant la petite Amérique centrale vivent encore aujourd’hui dans des univers très différents. Masquer cette réalité permet de ne pas repérer les tensions sociales et les conflits potentiels. Le recours à la violence pourrait se développer comme une compensation symbolique aux insuffisances sociales de la démocratie. Une question peut être posée au sujet des relations entre inégalités extrêmes et démocratie politique : le régime démocratique arrivera-t-il à transformer les rapports sociaux dans le sens du respect des droits de l’homme, de la négociation et de la paix ? Ou au contraire, les inégalités extrêmes produiront-elles des nouveaux conflits capables de s’attaquer aux acquis de la démocratie ? Il n’est pas possible de prédire l’issue de cette contradiction apparente. À moins que ce qui est perçu par le regard occidental comme une contradiction ne le soit pas pour les centre-américains eux-mêmes. Il est possible que les relations entre le régime démocratique et les inégalités extrêmes soient alors instaurées dans un cadre politique de cohabitation tranquille, grâce notamment à des systèmes de domination symbolique aussi invisibles qu’efficaces.
Le deuxième élément concerne la question de la construction de la paix et la menace des nouvelles formes de violence. Le processus d’Esquipulas prévoyait la réinsertion sociale des forces irrégulières armées ainsi que la réduction des effectifs des armées. Il a fallu d’abord promulguer une loi d’amnistie pour les combattants de toutes les tendances. Les Contras nicaraguayens ont intégré le parti UNO, le FMLN salvadorien est devenu parti politique tout comme l’URNG guatémaltèque. Mais les lendemains du désarmement de ces groupements ne furent pas aussi simples. La réinsertion n’a pas réussi au mieux et, par la suite, tous ces hommes qui ne savaient que faire la guerre se sont trouvés sans avenir, à la rue. Ils continuèrent à « exercer leur métier » : la violence. Des armées privées de narco-trafiquants, des milices au service de grands propriétaires, des bandes de délinquants… se sont ainsi organisées. Celles-ci sont venues nourrir les pratiques de recours à la violence développées au sein de la société civile pendant des années d’affrontements armés. Une grande partie de l’insécurité et de la délinquance qui traverse l’Amérique centrale provient de cette culture de la violence nourrie par l’arrivée de ces gens au chômage et armés. L’Amérique centrale est encore traversée par une violence quotidienne diffuse, sans contrôle de la part des États. La violence institutionnelle comme expression de vieux conflits a été démantelée. Des nouvelles formes de violence s’organisent imposant ici et là la loi du plus fort.
Le troisième élément concerne l’unification centre-américaine et la manière d’aborder les relations internationales à partir de l’Amérique centrale. Les élites centre-américaines croient s’insérer de mieux en mieux dans la communauté internationale, alors que celle-ci ne peut se définir actuellement que par ses divisions et par son imprécision, autrement dit, par son absence. À l’étranger, le processus d’Esquipulas et les accords de paix signés à l’intérieur de chaque pays constituent la carte de présentation d’une Amérique centrale qui se veut pacifiée et démocratique devant une communauté internationale pour autant inexistante. Le monde du début du XXIe siècle est, en effet, dissocié en plusieurs mondes. Sa prétendue unité autorégulée annoncée à la fin du XXe siècle n’est que le mythe utile pour cacher l’absence de véritables liens mondiaux. Un monde polycentrique tournant autour d’une seule puissance hégémonique, à la fois éclaté et organisé en blocs où la concurrence sauvage entre les puissants s’impose, contraint les pays de l’Amérique centrale à jouer « au monopoly mondial » du partage du pouvoir et des richesses dans des conditions de précarité. Parce que l’Amérique centrale est située à l’arrière-cour de l’hyperpuissance mondiale actuelle, les élites centre-américaines doivent savoir s’accommoder d’une telle hégémonie et intérioriser l’univers symbolique occidental dominant. Celles-ci deviennent des agents importateurs de sens. Le droit et les institutions, les concepts et la technique, le taux de change et la monnaie, les symboles et les rêves, etc. sont l’objet d’une importation nécessaire. Les élites intermédiaires ainsi que les classes moyennes montantes centre-américaines pensent et agissent de plus en plus en fonction des catégories occidentales dominantes. La réforme centre-américaine « pacification-démocratisation » ne constituerait-elle pas une bonne illustration des efforts de reconstitution symbolique de l’occident ?
Sortie des guerres civiles et faisant l’apprentissage de la démocratie, l’Amérique centrale reste aujourd’hui une juxtaposition de plusieurs univers enchevêtrés les uns dans les autres, à l’image du monde dans lequel elle s’insère.
B. Des initiatives innovantes
Le Costa Rica continue-t-il à jouer un rôle à l’échelle centre-américaine dans ce monde bouleversé qui se cherche des nouveaux sens ? Le Costa Rica est-il encore aujourd’hui un « artisans de paix » en Amérique centrale ? Je me permets de proposer une réponse positive par le biais de trois initiatives : la Fondation Arias pour la Paix et le Développement, l’Université de la Paix des Nations unies, la Charte de la Terre.
La fondation Arias pour la paix et le développement
Le Dr Arias a décidé continuer à travailler pour construire paix en Amérique centrale et dans le monde. Il a fondé en 1988 la « Fundacion Arias para la Paz y el Desarrollo Humano » à laquelle elle a consacré le montant du Prix Nobel de la Paix.
Le travail de la Fondation Arias est inspiré par une Charte Ethique : elle a adopté des valeurs venant inspirer son action. Par exemple, la Fondation Arias :
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est une institution privée à but non lucratif.
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née au cœur du conflit centre-américain des années 1980, elle privilégie dans son travail la région centre-américaine.
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aborde les conflits dans une démarche de « gestion ». La Fondation ne veut ni annuler ni nier les conflits, mais plutôt que ces derniers soient l’occasion du dialogue et de la négociation entre les parties concernées.
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cherche des modalités de gouvernance où les acteurs concernés puissent participer à l’élaboration et à la prise de décisions.
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favorise la mise en pratique de l’égalité des droits entre hommes et femmes ainsi qu’entre les différentes populations.
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instaure la transparence absolue dans ses relations et dans ses finances.
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travaille dans une démarche d’association et d’alliance afin de favoriser la formation des capacités individuelles et collectives.
Dès ses origines, la Fondation Arias a mis en place trois programmes :
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Le « Centro para la Paz y la Reconciliacion ». Son objectif consiste à travailler pour la paix et la sécurité entre les hommes par le biais d’actions qui contribuent à diminuer les conflits entre les personnes, les groupes sociaux, les pays, en mettant l’accent sur le désarmement et la démilitarisation comme moyens de construction de la paix. Le grand défi de ce centre est celui de favoriser efficacement le dialogue et la négociation et de faire des propositions afin de répondre aux conflits régionaux.
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Le « Centro para el Desarrollo Humano ». En considérant que l’un des problèmes majeurs de la région centre-américaine concerne les inégalités extrêmes entre les populations et la pauvreté dans laquelle la majorité est obligée de vivre, la fondation Arias se consacre particulièrement à travailler avec les populations les plus démunies, notamment les femmes. En effet, les femmes sont les plus exclues dans tous les domaines : économique par le biais de la pauvreté, politique par le biais de l’exclusion, culturelle par le biais de l’analphabétisme, professionnel par le biais de la discrimination, sexuelle par le biais de l’exploitation, etc. L’objectif de ce centre est de favoriser l’émergence et de soutenir les capacités économiques et politiques des femmes, ainsi que de promouvoir la reconnaissance des droits des femmes, notamment de la part des responsables politiques par le biais de politiques adaptées à ce défi.
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Le « Centro para la Participacion Organizada ». L’objectif de ce centre est de promouvoir la démocratisation et la gouvernance en soutenant l’émergence et l’organisation responsable de la société civile. La construction de modèles économiques et sociaux alternatifs grâce à la participation concertée des autorités politiques, des responsables économiques et très spécialement de la société civile pourra favoriser l’établissement d’un nouveau contrat social.
Sa mission consiste aujourd’hui à « contribuer de façon permanente à l’intégration des nations, à la consolidation de la justice et au renforcement de la démocratie dans la région centre-américaine, tout en promouvant la démilitarisation et la réduction de l’armamentisme global ».
Aujourd’hui, la Fondation Arias est composée d’une équipe de professionnels reconnus au niveau international. Ses projets touchent des domaines différents en vue de construire la paix dans une démarche de transversalité. Grâce à ses nombreux partenaires, elle soutient la création de l’« Alianza Estratégica para el Desarrollo de la Humanidad ». Dans le sens de la grande tradition du peuple du Costa Rica, notamment de son fondateur, la Fondation Arias représente aujourd’hui l’un des acteurs incontournables de la paix dans la région centre-américaine et l’un des partenaires les plus innovants dans la construction de la paix dans le monde.
L’université de la paix des Nations unies
Vendredi 11 juillet 2003. L’Université de la Paix est installée sur une extension d’environ 310 hectares au cœur de la réserve biologique « El Rodeo », dans la vallée centrale du Costa Rica, à environ une heure de san José. Il s’agit, en fait, d’un parc enclavé dans une zone agricole. La route y conduisant constitue une belle promenade permettant de « rompre » avec le monde de la ville… Elle traverse des plantations de ce café tant apprécié dans le monde, des plantations d’avocats, sur une région vallonnée où l’on croise des chevaux, des poules, des paysans… Une fois dans le « campus », en haut d’une petite colline, toutes les nuances du vert s’imposent et les poumons se remplissent d’air pur.
M. Abelardo Brenes, enseignant chercheur à l’Université m’accueille très gentiment. Nous parlons de l’Université, de l’Amérique centrale, de la paix dans le monde, des défis actuels pour la pensée. Un tour dans les installations du campus, notamment à la bibliothèque, la rencontre d’autres professeurs, le dialogue improvisé avec des étudiants, me permettent de constater qu’il s’agit bel et bien d’un laboratoire pour l’élaboration d’une pensée innovante au service de la construction d’un monde plus pacifique.
C’est en 1980, lorsque la région centre-américaine était ravagée par les guerres civiles, que l’Assemblée générale des Nations unies a décidé de créer l’Université de la Paix et de l’instaurer au Costa Rica. Ceci pour plusieurs raisons : il s’agissait d’une région très conflictuelle, où la violence faisait des ravages, où la construction de la paix était urgente. Le Costa Rica était le seul pays de la région centre-américaine connaissant une situation de paix depuis de nombreuses années ; la population du Costa Rica porte une culture de démocratie et de paix bien enracinée dont elle se sent fière ; c’est le peuple du Costa Rica et son gouvernement qui ont proposé aux Nations unies d’installer l’Université dans leur pays.
L’Université de la Paix a entamé ses travaux au cœur du conflit centre-américain en ayant comme objectif de contribuer à la pacification de la région. Les grands domaines de travail étaient la culture de paix, le respect des droits humains et la gestion des ressources naturelles. Les questions traitées concernaient donc les régimes autoritaires, les dictatures, la doctrine de la sécurité nationale, la doctrine marxiste révolutionnaire, les mouvements guérilleros, la guerre froide, les guerres civiles, les droits de l’homme, la démocratie, les modalités de construction de paix, les accords internationaux, etc. Ces questions étaient abordées dans le cadre d’une formation universitaire supérieure et d’un travail de recherche scientifique étroitement liés au travail sur le terrain.
Bien que dans les années 1980, le travail de l’Université était méconnu hors de l’Amérique latine, celui-ci contribuait efficacement aux réussites du processus de démocratisation et de pacification de la région, « Esquipulas », notamment par l’élaboration d’outils intellectuels et de instruments de pensée venant enrichir les perspectives et les propositions de paix. M. Oscar Arias, premier acteur du « plan de paix » pour l’Amérique centrale et prix Nobel de la Paix en 1987, est aujourd’hui le Président du Conseil d’Honneur de l’Université.
À la fin des années 1990, l’Université est entrée dans un processus de réadéquation à un contexte international qui évoluait énormément amenant avec lui des défis nouveaux pour la paix. En 1999, a été mise en place une réforme profonde, l’Université a choisi de renforcer son rôle d’acteur international d’éducation et de formation à la paix par le biais de deux évolutions majeures.
D’abord, par la réadaptation de ses contenus de travail. Le pensum a été totalement réadapté. Des personnes d’horizons et d’expériences différentes ont constitué une nouvelle équipe d’enseignants chercheurs. Les domaines de travail sont aujourd’hui la gestion de conflits liés aux ressources naturelles, la solution aux controverses par le biais du droit international, l’analyse sur les droits humains, l’éducation à la paix, les questions de genre homme-femme, la quête de modèles alternatifs de développement et des questions liées à la sécurité internationale. De nouveaux chantiers sont abordés, concernant notamment les questions de sécurité environnementale, les relations entre les moyens de communication et la paix, le désarmement et la non-prolifération nucléaire. En 2003, a été ouvert un Département d’Éducation à la Paix spécialisé dans l’analyse des conflits internationaux et des enjeux de la paix mondiale.
Ensuite, par son ouverture à l’international. Deux bureaux internationaux ont été ouverts, l’un à Genève, l’autre à New York, ayant comme fonction l’instauration de liens avec d’autres institutions travaillant pour la paix dans le monde, notamment dans le domaine du symbolique. Par la suite, des bureaux régionaux ont été ouverts en Afrique, en Asie centrale, en Asie pacifique et en Amérique du Sud. Un « Centre mondial pour la résolution de conflits » a été également instauré à Bogotá, en Colombie, au cœur du conflit le plus long et le plus meurtrier de l’Amérique latine contemporaine. Cette ouverture à l’international se déploie aussi par des partenariats avec d’autres organismes travaillant pour la paix dans le monde, destinés à enrichir les échanges symboliques de ressources pour la paix au niveau mondial : plusieurs réseaux fonctionnent actuellement avec des universités et centres de recherche sur les cinq continents. L’ouverture internationale se développe aussi grâce à des rencontres avec des responsables politiques, économiques, intellectuels, etc. à l’échelle mondiale.
L’Université de la Paix des Nations unies s’insère dans une dynamique plus large. Comme le disait M. Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations unies et Président honoraire du Conseil de l’Université, même si le monde possède d’innombrables ressources, il est aujourd’hui traversé par la pauvreté, l’injustice et la violence : afin de favoriser la paix dans le monde, la mise en œuvre d’un mouvement mondial d’éducation à la paix est impérative. En effet, la construction de la paix compte aujourd’hui parmi les défis majeurs pour l’avenir de l’humanité et de la vie. Voilà la perspective globale dans laquelle s’insère l’Université de la Paix des Nations unies au Costa Rica.
L’initiative pour « La charte de la Terre »
Mlle Miriam Villela, Directeur exécutif de l’initiative de la Charte de la Terre, me partage ses réflexions lors de notre rencontre en ce vendredi 11 juillet 2003 : « Il y a aujourd’hui une quête importante de modalités de pensées nouvelles, il y a aujourd’hui un intérêt croissant pour créer un sens de la citoyenneté mondiale, un sens de la responsabilité universelle ».
La Charte de la Terre est une déclaration des principes fondamentaux pour construire une société mondiale dans la justice, la durabilité et la paix. Ce n’est ni une institution, ni un organisme, ni un mouvement. C’est une synthèse des valeurs, des principes et des aspirations cherchant à aider tous les hommes à prendre conscience de leur d’interdépendance et de la nécessité d’assumer une éthique de la responsabilité partagée pour le bien-être des êtres vivants en général.
Mlle Villela poursuit ses réflexions : « la Charte de la Terre est un processus et un document. Un document, une déclaration d’interdépendance et de responsabilité universelle. Mais aussi un processus visant à nous orienter vers le développement durable… Cette initiative veut utiliser ce document comme un instrument utile à promouvoir une nouvelle vision dans le sens du développement durable qui inclut, comme élément principal, la paix ».
Nous sommes bien dans le domaine éthique. Je cite un document que j’ai lu au siège de la Charte de la Terre : « Nous nous trouvons à un moment déterminant de l’histoire de la Terre, un moment à la fois très inquiétant et très prometteur. Avec les dangers que représentent la guerre, l’injustice sociale et économique et les dangers pour l’environnement, l’humanité doit déterminer comment assurer un futur durable. Les progrès dans les communications au niveau mondial et la mondialisation accrue des économies et de la culture prouvent la nécessité d’adopter une vision et une approche intégrées pour aborder les problèmes interreliés auxquels nous sommes confrontés. Ils font aussi appel à un nouveau sens des responsabilités et exigent des actions concertées, qui requièrent des changements fondamentaux dans les valeurs, le comportement et les attitudes des gouvernements, du secteur privé et de la société civile. La Charte de la Terre est un instrument permettant d’aborder ces thèmes et de stimuler le changement ».
Je dirais qu’il s’agit de l’expression d’un espoir ainsi que d’une invitation adressée à tous les hommes et à tous les peuples à participer activement dans la construction d’une société mondiale plus solidaire et plus responsable.
Quelles sont les origines de cette initiative ? En 1997, la Commission mondiale des Nations unies sur l’Environnement et le Développement a émis un appel pour la création d’une Charte éthique qui présenterait des principes fondamentaux et communs à l’humanité pour un développement durable. La rédaction d’un avant-projet de la Charte de la Terre faisait partie du travail inachevé du Sommet de la Terre de Rio en 1992. En 1994, Maurice Strong, le Secrétaire général du Sommet de la Terre et Président du Conseil de la Terre, et Mikhaïl Gorbachev, Président de la Croix verte internationale, ont lancé une nouvelle initiative de la Charte de la Terre avec l’appui du Gouvernement hollandais. Une Commission de la Charte de la Terre fut créée en 1997 pour superviser le projet.
Après une consultation très étendue concernant des milliers de personnes et des centaines d’organisations de toutes les régions du monde, la Commission de la Charte a émis une version finale du document en mars 2000. Cette initiative a entamé une étape importante de son cheminement avec le lancement de la Charte de la Terre au Palais de la Haye, le 29 juin 2000. L’objectif majeur consiste à établir un socle éthique commun à la société mondiale émergente et à aider à construire un monde durable fondé sur le respect de la nature, les droits humains universels, la justice économique et une culture de la paix.
L’objectif actuel de l’initiative est double : promouvoir la diffusion, l’adhésion, et la mise en application de la Charte de la Terre par la société civile, le monde des affaires et les gouvernements, d’une part, d’autre part encourager et soutenir l’usage éducatif de la Charte de la Terre dans les écoles, les universités, les communautés religieuses et de nombreux autres milieux et contextes.
Je termine cette présentation en citant le préambule de la Charte de la Terre : « Nous nous trouvons à un moment déterminant de l’histoire de la Terre, le moment ou l’humanité doit décider de son avenir. Dans un monde de plus en plus interdépendant et fragile, le futur est à la fois très inquiétant et très prometteur. Pour évoluer, nous devons reconnaître qu’au milieu d’une grande diversité de cultures et de formes de vies nous formons une seule humanité et une seule communauté sur Terre partageant une destinée commune. Nous devons unir nos efforts pour donner naissance à une société mondiale durable, fondée sur le respect de la nature, des droits universels de l’être humain, la justice économique et une culture de la paix. Dans ce but, il est impératif que nous, les Peuples de la Terre, déclarions notre responsabilité les uns envers les autres, envers la communauté de la vie ainsi qu’envers les générations futures ».
Le Costa Rica a été le pays choisi pour accueillir le siège de cette initiative. Cette décision était aussi de l’ordre du symbolique : l’histoire du pays, sa culture et ses valeurs favorisaient un tel accueil et pouvaient donner à l’initiative une dynamique de cohérence. Le Secrétariat de la Charte de la Terre fut établi dès sa naissance, en 1997, au Costa Rica.