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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Loretta RIZZUTO, Paris, 2008

Les défis de la reconstruction de la paix en Amérique centrale face aux nouveaux conflits et aux nouveaux acteurs de la violence : l’exemple des « gangs »

Les maras représentent une réelle menace pour la stabilité des gouvernements d’Amérique du Nord et centrale à cause de la violence de leurs actions qui échappent à tout contrôle.

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Introduction

A mesure que la pauvreté s’accentue dans le monde entier, les jeunes sans abri et vivant dans la précarité sont de plus en plus nombreux. Le nombre d’enfants des rues n’a cessé de croître dans un grand nombre de pays, en particulier dans les régions en développement dont les villes ne réussissent pas à contrôler leur urbanisation. La majorité de ces jeunes ne vont pas à l’école, car ils ne peuvent pas. Ils sont issus de familles dont les revenus sont extrêmement faibles, et ils sont confrontés à toutes sortes de violence dès leur plus petite enfance. Peu d’entre eux peuvent donc espérer trouver un emploi dans le secteur formel de l’économie. Ainsi, la plupart se tournent très tôt vers le trafic de drogue qui est une activité très lucrative en Amérique Latine, dans l’espoir de pouvoir mener une vie meilleure en aidant leur famille financièrement. Intégrer un gang devient donc une option de survie, c’est pourquoi ils sont si nombreux en Amérique centrale, en particulier au Salvador, au Guatemala, au Honduras, au Mexique et, dans une moindre mesure, au Pérou.

Le terme « mara », synonyme de gang, est un diminutif de « marabunta » qui désigne une attaque de fourmis particulièrement voraces et destructrices bien connues pour agir en communautés de plusieurs milliers. De la même façon, les gangs de jeunes en Amérique centrale sont redoutés pour leur violence et leur organisation de plus en plus structurée qui leur permet d’agir sur des territoires de plus en plus vastes, s’étendant ainsi jusqu’aux Etats-Unis et au Canada. Ils représentent désormais une réelle menace à l’échelle internationale et il devient très difficile de faire obstacle à ce fléau en dépit des mesures répressives adoptées par plusieurs des gouvernement concernés.

Dans quelle mesure le phénomène des gangs est-il révélateur des failles existant dans le traitement de la question sociale des pays d’Amérique centrale concernés ?

Nous étudierons d’abord les origines du phénomène, et le contexte dans lequel il a émergé (I). Nous verrons ensuite comment les maras se sont développées à l’échelle internationale (II) avant de décrire les politiques mises en place pour tenter de les éradiquer, tout en mettant en lumière les débats sur les droits humains et les enjeux éthiques soulevés dans le même temps (III).

I. Les origines des maras : un contexte violent et ségrégationniste

A. Une émigration massive causée par une guerre civile au Salvador

Une guerre civile particulièrement violente éclate en 1980 au Salvador. Elle oppose l’extrême droite, représentée par l’ARENA (Alliance républicaine nationaliste) à la guérilla marxiste du Front Farabundo Marti de Libération nationale (FMLN). Pour soutenir la junte militaire en place, les Etats-Unis se sont engagés au côté de l’armée salvadorienne. Ce conflit durera douze ans, jusqu’en 1992, causant ainsi la mort d’environ 100.000 personnes. C’est dans ce contexte sanglant et difficile que plusieurs milliers de jeunes salvadoriens fuient leur pays pour se réfugier aux Etats-Unis, principalement en Californie. Ils y sont, dans un premier temps, plutôt bien accueillis. Cependant, suite aux émeutes qui ont eu lieu à Los Angeles en 1992 et à la signature des accords de paix au Salvador dans la même année, beaucoup de ces jeunes immigrés ont été expulsés ou « déportés » dans leur pays d’origine, parfois de force, par le gouvernement américain. Ces expulsions ont également été amplifiées après 1996, quand de nouvelles lois visant à freiner l’immigration des latinos virent le jour. Le gouvernement américain était alors hostile à l’ouverture de ses frontières, pensant que les problèmes d’insécurité présents sur son territoire étaient liés à une immigration massive. C’est en effet dans les rues de Los Angeles que la MS13 et la M18, deux des principaux gangs, auraient vu le jour durant les années 70 comme des groupes d’autodéfense des migrants centraméricains et mexicains qui voulaient se préserver de la marginalisation et de la xénophobie dont ils étaient souvent victimes en tant qu’immigrés ou fils d’immigrés. Ils se seraient alors inspirés des « gangs » afro-américains de la côte californienne pour se démarquer et véhiculer à leur tour des codes et des valeurs qui leur étaient propres, qui reflétaient leur culture latino elle-même trop souvent effacée et critiquée aux Etats-Unis.

Une fois de retour dans leurs pays d’origine, ces jeunes auraient donc reproduit à grande échelle ce qu’ils avaient appris dans les rues de Los Angeles et au sein des « gangs » qui leur avaient servi d’« associations culturelles » dans un premier temps, lorsqu’ils étaient loin de chez eux et parfois rejetés par les autres. Pendant les années 1990, ces expulsés, à la double acculturation latino-américaine seraient alors rentrés chez eux auréolés de prestige puisqu’ils véhiculaient de nouveaux codes, comportements, langages, autrement dit, une « nouvelle culture » importée des Etats-Unis, et qui faisait souvent rêver ceux qui étaient restés dans leur pays et dont les perspectives d’avenir se résumaient bien souvent à la rue et à ses activités, étant donné le contexte socio-économique et politique. Le phénomène des « gangs » serait donc un produit de la mondialisation, et de ses « dérives ».

Les avis divergent, cependant, quant à ces premières interprétations. Ces propos ont été nuancés lors du forum international sur la violence juvénile organisé à San Salvador en octobre 2006 avec l’aide de l’ONG WOLA (Washington office on Latin America). Il y a été démontré que la majorité des mareros actuels ne sont jamais allés à l’étranger et que plus de 50 % d’entre eux appartiennent à des bandes qui n’ont jamais mis les pieds au Mexique ni aux Etats-Unis. La formation de gangs en Amérique centrale aurait donc également, ou principalement, des causes à l’échelle nationale, qu’il est intéressant de mettre en lumière.

B. Politiques sociales et ségrégation

Pour le sociologue Carlos Ramos, également coordinateur des actions d’éducation au sein de la FLACSO (Faculté latino-américaine de sciences sociales), « comme toute manifestation de la violence, celle-ci non seulement a plusieurs causes, mais elle compte des éléments que l’on peut dire de causalité, certains éléments détonateurs et d’autres multiplicateurs ». Les bandes seraient donc également, et avant tout, l’expression de l’apartheid social qui caractérise les sociétés d’Amérique Latine et du modèle néolibéral qui s’est imposé dans ces régions de manière parfois virulente au cours des dernières décennies. La notion d’apartheid (« vivre à part » en afrikaans) est apparue dans un premier temps au début des années 1950 en Afrique du Sud en tant que système ségrégationniste qui consistait à séparer les populations noires des populations blanches. Le statut social de chacun était alors déterminé en fonction de sa couleur de peau. Evidemment, plus un individu était noir, plus il était discriminé et tenu à l’écart de la société. Ce système a été aboli le 30 Juin 1991 avec la dissolution des lois qui le régissaient depuis 1948. La notion sera reprise deux années plus tard au Brésil, en 1993, par Cristovam Buarque, professeur, diplômé, entre autres, de l’université de la Sorbonne, tête de file du Parti des Travailleurs, et ministre de l’éducation du Brésil de Janvier 2003 à Janvier 2004. L’apartheid social désigne alors le nouveau visage de l’exclusion sociale, provoquée par les dérives du modèle économique capitaliste : plus les richesses et les privilèges sont concentrés, plus les inégalités s’accroissent. Ces inégalités auraient tendance à devenir permanentes et irréversibles, puisqu’elles se sont fondées au cours de l’histoire en reproduisant un discours de domination, d’oppression et de répression d’un groupe contre un autre. C’est dans ce contexte que le fossé entre les admis et les exclus de la société se serait davantage creusé. D’après un rapport mondial du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Salvador figurait à la 104ème position du développement humain en 2004 (sur 177 pays recensés par le PNUD). On observe dans le pays une distribution très inégale des revenus. En 2000, les 20% des plus riches recevaient et monopolisaient 57 % des revenus. A l’inverse, pour les 20 % des plus pauvres, la participation était de 2,9% pour la même année.

Le phénomène des gangs aurait, en outre, un lien étroit avec celui de l’urbanisation, souvent mal contrôlée dans certains pays d’Amérique latine, et qui induit une ségrégation sur le plan social. Par ailleurs, les populations les plus pauvres n’ont pas accès aux services publics, même les plus élémentaires, elles sont également confrontées à des problèmes de logement mais aussi au chômage ou au sous-emploi. A la différence des bandes de jeunes qui se forment dans les pays industrialisés, les maras se situent en majorité dans les bas quartiers, caractérisés par l’insuffisance de ressources matérielles mais aussi par la présence de familles désintégrées ou privées de toute communication entre parents et enfants. Bon nombre de ces jeunes sont contraints d’abandonner l’école, parfois très tôt, pour pouvoir subvenir à leurs besoins et aider leurs parents dans l’espoir de mener une vie meilleure. Certains se tournent donc vers la mendicité, d’autres vers le trafic de drogue, qui constitue une activité très lucrative dans beaucoup de pays d’Amérique Latine. Intégrer un gang devient alors une option de survie. Les adolescents et les jeunes qui ont coupé les liens familiaux et passent une bonne partie de leur temps dans la rue se réfugient dans l’univers des maras dans l’espoir d’y trouver une véritable identité sociale et une sentiment de pouvoir et de reconnaissance. Les gangs prennent alors le relais des familles, garantissant la protection de leurs membres et leur permettant ainsi d’évoluer et d’exister au sein d’une structure qui les reconnaît et les met en valeur.

C. Un contexte violent

Les maras se développent dans un climat de violence et d’insécurité qui va en s’intensifiant. Avec un taux d’homicides d’environ 30 pour 100.000 habitants, l’Amérique Latine est une des régions les plus violentes du monde. Elle devance largement l’Afrique et le Moyen-Orient, qui affichent des taux inférieurs ou égaux à 10 selon des études de la BID (Banque intéraméricaine de développement) et de la Banque Mondiale. Pendant le seul premier semestre 2007, 2857 homicides ont été commis au Guatemala, la majorité par arme à feu, selon le Bureau de défense des droits humains. On recense, en outre, entre 10 et 13 homicides par jour au Salvador.

Dès leur naissance, donc, les enfants sont confrontés à toutes sortes de violences qui sont ainsi devenues leur lot quotidien. Il y a d’abord les violences familiales, auxquelles sont exposés un très grand nombre d’enfants issus de milieux défavorisés. Viennent ensuite les violences faites aux femmes, harcèlement et sévices sexuels, violence dans les médias, et violence exercée par les Etats qui tendent à régler les conflits par la guerre et la répression etc… Parallèlement à ces phénomènes, on observe également dans beaucoup de pays un accroissement de la petite délinquance et des formes de délits quotidiens. Au Nicaragua, par exemple, 97.500 délits ont été commis en 2003 contre 28.000 en 1990, selon la police nationale. De plus, toujours au Guatemala, s’ajoutent des problèmes de délinquance au sein des populations d’origine indienne qui font l’objet de nombreuses discriminations.

Par ailleurs, la libre circulation et la prolifération des armes à feu, qu’il est facile de se procurer, à des coûts dérisoires, ajoutée à une banalisation de la prise de drogues, dites « dures », comme la cocaïne, et à un contexte de pauvreté qui s’accroît de jour en jour dans certaines régions crée un climat propice à l’explosion de la violence chez les plus jeunes. L’abus d’alcool et le phénomène de désorganisation familiale et sociale sont également des facteurs à prendre en compte pour mieux comprendre le contexte et ses enjeux. Le Salvador compte environ 6,2 millions d’habitants et la pauvreté affecte 52 % de la population. Une étude du PNUD révèle également que 82,9 % des familles qui ont des jeunes dans les « gangs » vivent dans la pauvreté et que dans 72,7 % d’entre elles, la mère est chef de famille. Dans la misère et la marginalisation, les adolescents n’ont donc pas d’autre choix de développement que ce qu’ils trouvent dans la rue.

II. Un phénomène et une influence transnationales

A. Des bandes de mieux en mieux organisées et de plus en plus structurées

Les maras sont un produit de la mondialisation. Les mareros font en moyenne leurs premiers pas dans les bandes entre 10 et 14 ans. Cependant, il n’est pas rare que de jeunes enfants en fassent partie dès l’âge de 7, 8 ou 9 ans, ce qui vaut par exemple à la Mara 18 le triste surnom de « Children’s Army ». On entre généralement dans un « gang » après avoir subi un rituel d’initiation consistant à se faire rouer de coups pendant une durée pouvant aller de 13 à 18 secondes, en fonction des bandes, mais aussi en consommant des drogues, en se battant avec un autre membre du « gang » ou en ayant des relations sexuelles avec un ou plusieurs membres de la « clique », quand s’agit de filles. Les membres des maras ont en moyenne de 12 à 25 ans. Les spécialistes de la question et les autorités estiment à environ 800.000 le nombre de jeunes faisant partie d’une bande, dont 450.000 en Amérique Centrale, et à environ 300 le nombre de maras présentes rien qu’au Salvador et qui contrôlent chacune un quartier. Les deux plus connues et plus « importantes » sont la Mara Salvatrucha (MS13) et la Mara 18 (M18). Toutes deux sont nées dans les rues de Los Angeles vers les fin des années 1970. Leurs noms proviennent des quartiers dans lesquels elles ont vu le jour. Pour la MS13, il s’agissait de la 13ème avenue de Los Angeles, pour la M18, la 18ème. La MS13 compte à elle seule 70.000 membres, dont 10.000 aux Etats-Unis. Toujours selon le sociologue Carlos Ramos, le phénomène s’étendrait du Panama au Canada. Les « gangs » ont en effet développé depuis quelques années un haut niveau de sophistication et d’organisation leur permettant de contrôler et d’agir sur des territoires de plus en plus vastes, même lorsque les chefs se trouvent en prison.

En ce qui concerne leur organisation, les cellules de la MS13 et de la M18 sont dirigées et coordonnées par des leaders transnationaux, souvent résidant ou incarcérés aux Etats-Unis. 80 % des jeunes interviewés en 2003 affirmaient faire partie des « gangs » pour « el vacil » (« déconner »). Cependant, le phénomène des maras semble aujourd’hui prendre des proportions bien plus graves et plus dangereuses qu’on ne peut plus négliger. Même le signe le plus caractéristique d’appartenance au « gang », le tatouage, tend à disparaître afin de privilégier la clandestinité et une meilleure insertion dans l’économie informelle et clandestine. Cependant, pour le père Greg Boyle, jésuite vivant depuis des années au contact de jeunes délinquants au quotidien, il convient plutôt de parler de « crime désorganisé » dans le sens où il s’agit de « jeunes bien trop incapables d’imaginer un avenir quelconque pour atteindre un tel niveau d’organisation. Ce sont des gamins paumés qui n’ont rien d’autre à partager que leur détresse, et, dans leur immense majorité, ils seraient prêts à troquer la bande contre un emploi stable ».

B. Principales activités des « gangs »

Les maras sont réputées pour agir avec une extrême violence sur les territoires qu’ils contrôlent. Leurs activités sont plutôt variées et sont souvent assimilées à des actes de délinquance ou de vandalisme. Pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, les mareros commettent souvent des vols, mais aussi des cambriolages (voitures etc…) à la suite desquels ils peuvent revendre les objets. Pour d’autres, il s’agit également de pratiquer le kidnapping, activité très fréquente dans certains pays d’Amérique Latine, et qui peut rapporter gros en l’échange d’une rançon. On note également quelques cas de prostitution, pratiquée majoritairement par des mareros de sexe féminin, contrôlées et taxées par les chefs qui les ont recrutées. L’activité principale des « gangs » reste cependant le trafic de drogues, surtout de cocaïne, qu’il est très facile de se procurer en Amérique Latine et dont la revente permet de faire beaucoup de bénéfices. Cette activité, très lucrative, est souvent pratiquée par les plus jeunes puisque ces derniers passent plus inaperçus et risquent donc moins de se faire interpeller par les forces de l’ordre. Les chefs, quant à eux, se chargent de taxer les habitants et commerçants des quartiers et zones qu’ils contrôlent, en leur réclamant parfois jusqu’à la moitié de leurs revenus, dans l’optique de leur garantir une « protection ».

Les « gangs » contrôlent ainsi des territoires qu’ils considèrent désormais comme les leurs, et n’hésitent pas à déclarer la guerre à ceux qui tentent d’empiéter sur leur territoire ou d’en reprendre le contrôle. Fréquents sont donc les assassinats et homicides dus à des règlements de compte entre membres de bandes rivales. C’est pourquoi on parle souvent de climat de violence, voire de terreur, puisque pour certains ces activités ne relèvent pas simplement de la petite ou de lavgrande délinquance, mais de véritables organisations criminelles comme la mafia, ou même de réseaux terroristes comme Al Qaïda. C’est en effet ce que croit le gouvernement américain depuis les événement du 11 Septembre 2001 et qui, depuis cette date, tient un discours visant à diffuser et à instaurer un climat de peur au sein la population en reliant tout acte de délinquance au terrorisme. La lutte contre les maras est donc rapidement devenue dans le pays une véritable question de « sécurité nationale » et une cible majeure à éradiquer. Dans cette logique, le président américain Georges W. Bush annonçait, en Mars 2005, la constitution d’un fonds de 150 millions de dollars pour mettre sur pied une « force spéciale » destinée à combattre et à réprimer les bandes. Nombreux sont aussi les fonctionnaires de l’Etat, comme le ministre de la Sécurité du Honduras, Oscar Alvarez, qui affirment quant à eux que les maras ont des liens avec la guérilla colombienne. Ni le gouvernement américain, ni ceux d’Amérique centrale n’ont pu, jusqu’à présent, apporter des éléments tangibles pour prouver ces idées et ces hypothèses.

C. Des enjeux économiques importants

Le sécuritarisme tient aussi à la manière dont les relations internationales de certains pays d’Amérique centrale avec les Etats-Unis s’enchevêtrent aux enjeux commerciaux et économiques, notamment dans le cadre controversé du Traité de libre échange d’Amérique centrale (CAFTA). En effet, le 11 Mai 2005, lors d’une visite à Washington de six présidents centraméricains, dans le but de promouvoir le Traité, Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense des Etats-Unis, avait rappelé que « les progrès économiques et la sécurité sont interdépendants : aujourd’hui les menaces pour l’Amérique centrale et les Caraïbes relèvent d’une combinaison antisociale de gangs, narcotrafiquants, contrebandiers, kidnappeurs et terroristes ; cela ne peut se combattre que par la coopération étroite entre les pays ». De ce fait, les budgets attribués à la lutte contre la délinquance sont par ailleurs à la hauteur des craintes exprimées par l’opinion publique face à ces questions. Dans une étude du PNUD intitulée « Combien coûte la violence au Salvador ? », on y apprend que la violence a coûté au pays environ 1,7 milliard de dollars en 2003, soit environ 11% du PIB. En 2005 elle a représenté 8,2% du PIB. Elle a donc diminué sensiblement mais reste une part importante du PIB. Une très grande partie de ce montant provient des dépenses liées au contrôle et à la répression étatiques, ainsi qu’au marché des services de sécurité. De nombreuses entreprises privées qui voient le jour au Salvador, au Honduras et au Guatemala trouvent dans l’existence des maras un marché très profitable, comme l’ont souligné plusieurs observateurs internationaux dont Julio Rosemblat, alors délégué de l’Organisation des Etats américains pour les enjeux de violence juvénile.

Par ailleurs, l’action répressive menée par divers Etats d’Amérique centrale contre les maras depuis 2003 ferait partie, selon Ramòn Custodio, commissaire aux droits humains du Honduras, de la « stratégie qu’ils suivent pour faire bonne figure aux yeux des Etats-Unis » et obtenir ainsi des crédits et des moyens supplémentaires pour mener à bien leur politique de répression. Et cette stratégie aurait déjà porté ses fruits. En effet, le ministre de la Sécurité du Honduras, Oscar Alrarez, aurait reconnu que son administration a obtenu 2,4 millions de dollars de la part des Etats-Unis pour financer une supposée aide policière. Au Guatemala, le gouvernement aurait par ailleurs commencé à recevoir une aide militaire de la part des Américains d’un montant de 3,2 millions de dollars afin de combattre les maras mais aussi dans le but de renforcer les mesures de lutte contre les narcotrafiquants. Dans cette perspective, plusieurs politiques se mettent alors en place pour tenter de mieux maîtriser les problèmes liés à la délinquance.

III. Quelles réponses aux défis posés par les « gangs » ?

A. Politiques de prévention et de réinsertion

Il est extrêmement difficile de se sortir d’un « gang », surtout lorsqu’on en fait partie depuis la plus petite enfance, comme c’est le cas pour beaucoup. En effet, quand on entre dans une mara, la première des règles est de ne jamais en sortir, ou d’en sortir par la mort, soit en se faisant exécuter par un membre d’une bande rivale, soit, parfois, par un membre de sa propre bande. Cependant, après quelques années passées dans l’univers violent des maras, certains jeunes souhaitent en sortir afin de retrouver une vie plus stable et surtout mois dangereuse. Pour aider ces jeunes à se réinsérer dans la société, plusieurs ONG et programmes ont vu le jour au cours des dernières années. C’est le cas par exemple du programme du Grupo CEIBA, au Guatemala. Il s’agit d’une association non gouvernementale, à but non lucratif, créée en 1989 dans le quartier El Limòn de ciudad Guatemala qui œuvre à prévenir les phénomènes de drogues et de maras en réduisant les facteurs de risques sociaux des enfants et des jeunes vivant en milieu urbain ou rural vulnérable et marginalisé. Grupo CEIBA a choisi d’appliquer une méthode participative, promouvant des processus d’appropriation par la collectivité de la démarche, de ses enseignements et des solutions appropriées aux problèmes. Il fonctionne aussi à partir de la mise en réseau, afin de reconstruire le sentiment d’appartenance et le capital social, qui sont deux facteurs déterminants à prendre en compte pour expliquer, comme nous l’avons déjà vu, l’appartenance à un « gang ».

Le Centre canadien d’études et de coopération internationale (CECI) travaille également sur ces questions depuis 2000, avec l’appui notamment de l’Agence canadienne de développement international d’abord et maintenant du Ministère canadien des Affaires étrangères, ainsi que de diverses agences de coopération internationale dont celle des Pays-Bas et des Etats-Unis. C’est donc dans ce contexte que le CECI parraine une activité de non violence dans les écoles ainsi que plusieurs autres projets de prévention de la délinquance dans des quartiers difficiles du Salvador et du Guatemala. Une autre association, appelée Homies Unidos, fondée par d’anciens mareros, œuvre quant à elle pour la réinsertion « en douceur » des jeunes délinquants sans leur imposer d’abandonner leur bande. Elle est présente à Los Angeles et à San Salvador, deux des villes les plus touchées par le phénomène. Cependant, lorsque l’association dénonce le tout-répressif et tente d’aider les pandilleros à trouver des alternatives à leurs activités délictueuses, ses dirigeants deviennent la cible de tracasseries et de persécutions policières.

Par ailleurs, le pari délicat de la réinsertion est également souvent relayé par les religieux, qui ont un rôle central dans la vie des jeunes délinquants, car eux seuls sont porteurs de messages positifs et encourageants dans les milieux les plus reculés, et surtout, ils sont souvent également les seuls à considérer les mareros comme de véritables jeunes ordinaires dont le parcours dévié est en grande partie dû à leurs conditions de vie. Les jeunes se sentent donc en confiance avec eux, car ils ne se sentent pas « jugés » mais plutôt compris.

Les ressources pour aider ces jeunes dans ce domaine sont cependant trop rares et il devient alors difficile de lutter contre l’exclusion et la pauvreté, qui entretiennent en grande partie cette violence. C’est pourquoi les gouvernements ont décidé d’éradiquer le problème à leur façon, en employant le force et des méthodes très répressives pour plus d’ « efficacité ».

B. Politiques policières et répressives

La dimension délinquante et violente des maras ainsi que les chiffres officiels concernant le phénomène sont souvent exagérés, notamment par les médias, qui contribuent à donner de la légitimité aux politiques de fermeté auprès de l’opinion publique, qui cautionne ces méthodes. Comme nous l’avons vu précedemment, l’attribution de liens entre les maras et les organisations terroristes entraîne des répercussions importantes sur le sentiment de sécurité de la population, qui n’hésite donc pas à justifier et légitimer les opérations et actions purement policières des gouvernements.

Le Honduras a été le premier des Etats à passer à l’action en 2003 avec son opération « Liberté bleue », à l’initiative du président Ricardo Madura. Il a été imité un an plus tard par Francisco Flores avec son désormais célèbre plan « Mano Dura » au Salvador. Ces actions, qui s’inscrivent dans une politique de « tolérance zéro », prévoient notamment des lois spéciales « antimaras » criminalisant et pénalisant le moindre signe d’appartenance à un « gang » (tatouages, accessoires etc…). Elles permettent également l’emprisonnement jusqu’à 12 ans, sur simple présomption d’appartenir à un gang. Par ailleurs, il devenait alors possible de considérer les jeunes de 12 à 18 ans trouvés coupables d’infraction en vertu de cette loi comme des adultes. Ces lois « dures » prévoyaient également des amendes pour le simple fait de se trouver dans un lieu sans papiers d’identité et une augmentation considérable des pouvoirs des policiers, tout en limitant l’indépendance du judiciaire.

Ces mesures répressives ont permis l’arrestation de dizaines de milliers de suspects en moins d’un an, ce qui a d’abord rassuré une grande partie de la population et de l’opinion publique. Cependant, une très large majorité d’entre eux ont très vite été relâchés, faute de preuves. Les objectifs du plan « Mano dura » n’ont donc pas tout à fait été atteints. Dans certains cas, le plan a même échoué, dans le sens où il a permis aux maras de renforcer leurs structures, mais aussi leur cohésion et leur coordination.

C. Dérives, questions éthiques et débats sur les droits humains

L’approbation des lois contre la criminalité liée aux maras au Honduras et au Salvador a ouvert un vif débat entre les partisans de la main de fer et ceux qui préfèrent les stratégies de prévention et de réhabilitation. La loi anti-maras est en effet considérée comme étant anti-constitutionnelle par de nombreuses ONG et défenseurs des droits de l’homme. Elle viole en effet plusieurs conventions internationales sur les droits de l’homme dont le Salvador est signataire et l’ONU lui reproche notamment de traiter les enfants de 12 ans au même titre que les adultes en incluant la possibilité de leur infliger les mêmes « punitions » et traitements. Or, nous l’avons vu, les enfants et adolescents mineurs sont très nombreux, voire majoritaires, au sein des « gangs ».

La lutte des Etats-Unis associée à celle du Salvador et du Honduras contre « l’axe du mal » a également donné naissance à de nouveaux types d’escadrons de la mort qui agissent, avec l’appui des gouvernements, dans les zones dites « contaminées », dans le but de se débarrasser des membres des maras. Dans des pays dont les corps de police sont corrompus et qui ont une longue histoire de violations des droits de l’homme, l’application de la loi « Mano dura » suscite plus de soupçons et de craintes que de présages favorables. La « Sombra Negra » et la « Magnifica » sont ainsi dénoncées et montrées du doigt depuis peu par les défenseurs des droits de l’homme et par l’Eglise Catholique, qui trouvent ces méthodes parfois douteuses et souvent scandaleuses. Entre 1998 et 2003, 2125 jeunes âgés de 3 à 23 ans auraient ainsi trouvé la mort dans des conditions suspectes au Honduras. Ces jeunes font bien souvent l’objet de « nettoyages » policiers, et sont abattus, sans aucune autre forme de procès, en toute impunité, à l’abri des regards, la nuit, dans des champs de canne à sucre. L’opinion publique, mal informée et bernée par les médias, attribue ces violences aux règlements de compte entre mareros. Toutefois, l’indifférence semble depuis peu avoir perdu un peu de terrain depuis que les macabres statistiques publiées par Casa Alianza (organisation qui œuvre pour la réinsertion des jeunes délinquants) connaissent une diffusion nationale et internationale. Par ailleurs, l’ONU a enquêté au Honduras en 2001, puis a publié un rapport cinglant indiquant que les forces de police étaient effectivement impliquées dans ces assassinats. La Commission des droits de l’homme du pays a fait de même, et, en octobre 2002, le président Ricardo Maduro a reconnu publiquement les exécutions de 574 enfants et adolescents.

Conclusion

En définitive, force est de constater que les maras représentent une réelle menace pour la stabilité des gouvernements d’Amérique du Nord et centrale à cause de la violence de leurs actions qui échappent à tout contrôle. Ces jeunes agissent en effet avec toujours plus de violence, contrôlent désormais des territoires s’étendant du Panama au Canada, et sont parvenus à se faire une vraie place dans le secteur informel de l’économie, notamment grâce au trafic de drogue. Cependant, la situation n’est pas surprenante si on tient compte du contexte : la situation économique des mareros est très souvent précaire, des déficiences dans les gestion des migrations existent toujours et on manque cruellement de mesures adéquates pour enrayer et résoudre le problème. Il existe donc peu de solutions. Tant que l’accent ne sera pas mis sur des méthodes visant à aider à la souche les populations les plus pauvres, la situation continuera de s’aggraver. Les bandes sont en effet l’expression de l’apartheid social et des dérives du modèle néolibéral qui, de plus en plus, accentue et agrandit le fossé entre les admis de la société, et ceux qui en sont exclus. La solution qui apparaît la plus adaptée consisterait donc à mettre en place des mesures sociales majeures et efficaces visant à mettre fin aux inégalités qui subsistent et qui ne cessent de s’accroître dans les pays d’Amérique centrale. Il faudrait, pour cela, un vrai effort de la part des gouvernements. Toutefois, tant que ceux-ci resteront liés de façon étroite aux Etats-Unis dans leurs politiques, ils continueront, ensemble, de lutter de façon répressive et extrêmement violente contre ce qui leur semble faire partie de l’« axe du mal ».

Il ne semble cependant pas totalement exclu que les « gangs » pourraient, demain, devenir une arme fatale dans le terrorisme. Les bouleversements culturels qui ont été opérés avec l’immigration a contribué à une véritable perte de repères chez ces jeunes vulnérables qui pourraient, à terme, faire l’objet de méthodes de séduction et de conversion efficaces de la part des grandes organisations terroristes qui sévissent désormais aux quatre coins de la planète. La crise de transition ayant affecté également le domaine religieux dans la vie de ces jeunes, cette éventualité reste toutefois à envisager, même si, évidemment, rien de tout cela n’a encore eu lieu et semble encore improbable aux yeux de nombreux observateurs et spécialistes de la question.

Notes

  • La photo de cet article, publiée la 19 mai 2014 comme ‘Photo du lundi’ par la revue « 6 mois », est extraite d’un reportage de la photographe Meridith Kohut (Voir son site : www.meridithkohut.com)