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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Cheffi Brenner, , Paris, janvier 2006

Comment articuler des mécanismes de niveaux différents si, aux niveaux inférieurs, les mêmes droits ne sont pas justiciables ?

Mots clefs : Formation de médiateurs | Médiation internationale pour la paix | Elaboration d'une justice internationale

Cette question technique prolonge la précédente. Le débat a dégagé l’idée que le fait que les mêmes droits ne soient pas justiciables selon les niveaux de justiciabilité n’était pas antinomique de la complémentarité entre ces derniers, au contraire.

Les solutions qui sont apparues ont été des règles procédurales claires et l’organisation d’une dynamique entre les différents niveaux.

Des règles procédurales claires

  • Le principe de subsidiarité

L’application du principe de subsidiarité apporterait une solution à ce problème. « C’est dans le cadre du système juridique national que doivent d’abord s’exercer les recours ouverts aux personnes dont les droits de l’Homme ont été violés, les mécanismes internationaux ne devant intervenir, quant à eux, que subsidiairement, lorsque le système de protection national s’avère insuffisant ou défaillant ». (Régis de Gouttes)

« Il conviendrait alors de prévoir des procédures exceptionnelles dans lesquelles les communications pourraient être examinées, avant épuisement des voies de recours internes, ces cas exceptionnels étant encadrés par des garanties procédurales bien établies. » (Philippe Texier)

Il en résulterait par ailleurs une uniformisation de la protection des droits de l’Homme, l’échelon international intervenant à ce moment là comme complémentaire du niveau national.

  • Le principe d’efficacité optimale et celui d’interaction et de coopération

Devrait être appliqué également le « principe d’efficacité optimale » de chacun des niveaux de procédure, ce qui implique une bonne répartition des rôles respectifs : à chacun de remplir pleinement son office au niveau national, puis au niveau international, et le « principe d’interaction et de coopération » entre les échelons national et international, ce qui doit permettre d’éviter une confrontation ou des conflits entre les systèmes nationaux et internationaux.

La prise en compte de ces trois principes (subsidiarité, efficacité optimale et interaction et coopération) apparaît d’autant plus indispensable aujourd’hui que notre ordre juridique mondial est devenu très complexe, avec la multiplicité des procédures et des voies de recours existantes en matière de protection des droits de l’Homme, aux niveaux interne, régional et universel, ce qui peut poser des problèmes de chevauchements, de double emplois, voire de conflits de normes et de procédures, chaque organe suivant en effet sa propre dynamique et ayant tendance à aller jusqu’au bout de son champ de compétence. (Régis de Gouttes)

Un mécanisme universel comme élément d’une dynamique palliant les vides juridiques

  • La relation entre les différents niveaux de traitement des communications adressées par des plaignants doit se comprendre comme dynamique.

Des échanges se produisent qui enrichissent chaque niveau de jurisprudence. Si le justiciable moyen ne peut être que frappé de stupeur face à cette complexité, la multiplicité des procédures reste une bonne chose de par cet enrichissement. (Marina Eudes)

« Les droits économiques, sociaux et culturels ont suscité, au cours des trente dernières années, tant au niveau universel que régional, la construction de mécanismes de justiciabilité d’une grande capacité créatrice pragmatique : plusieurs instances, cours et comités conventionnels, ont exploité de façon astucieuse la dimension judiciaire du principe de non discrimination pour « couvrir » un bon nombre des droits économiques, sociaux et culturels, des mécanismes combinant l’intervention d’experts indépendants et celle des États ont été testés (notamment le système de la Charte sociale européenne) ; des dispositifs par paliers organisant une gradation, de la médiation à la sanction, ont été imaginés (par exemple le système des « points de contact nationaux » de l’OCDE). S’ajoute à cette inventivité multilatérale celle qui s’est épanouie dans les espaces politiques nationaux, avec par exemple les rapporteurs thématiques issus de la société civile dans plusieurs pays d’Amérique latine. » (Michel Doucin)

Lorsque des défaillances apparaissent à l’un des niveaux, les autres concourent à les pallier. Ainsi, si « la plupart des constitutions Ouest-africaines, sans doute sous l’influence de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, consacrent indifféremment les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels […] en pratique, en l’absence de lois organisant une possibilité de saisine des tribunaux sur la base des droits économiques, sociaux et culturels reconnus par la Constitution, cette ressource constitutionnelle reste purement théorique. » (Vincent Zakane)

C’est pourquoi un mécanisme universel permettrait de donner un réel contenu à ces possibilités.

  • L’interconnexion astucieuse des différents droits permet d’élargir la jurisprudence des cours.

Les échelons supérieurs peuvent jouer un rôle pédagogique. La Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (1) montre la voie aux juridictions nationales en interprétant largement les droits dont elle a la surveillance et en argumentant de façon détaillée ses conclusions. Ainsi, à propos de la communication 159/96, Union interafricaine des droits de l’Homme v. Angola, relative à des expulsions massives d’Angola de ressortissants d’Afrique de l’Ouest, en 1996, elle a considéré qu’ « elles constituaient une violation caractérisée des droits de l’Homme, qu’elles soient dues à la nationalité, à la religion, à la race ou à toute autre considération. Ce type de déportation touche à toute une série de droits reconnus et garantis par la Charte, tels que le droits de propriété (article 14), le droit au travail (article 15), le droit à l’éducation (article 17 paragraphe 1), et résulte de la violation par l’Etat de ses obligations définies par l’article 18 paragraphe 1 qui stipule que « la famille est l’unité naturelle et de base de la société. Elle est protégée par l’Etat qui prend soin de sa santé physique et morale. » En déportant les victimes, et ainsi en les séparant de leur famille, l’Etat a violé et viole la lettre de ce texte » . (Viktor Oware Dankwa)

De même, concernant des allégations de violations de droits de Negro-Mauritaniens à exercer, jouir et pratiquer leur culture, y compris leur langue, la Commission a-t-elle fait remarquer que « la langue est une part intégrante de la structure culturelle ; il est certain qu’elle en constitue le pilier et les moyens principaux de son expression. Son emploi enrichit la personne et leur permet de prendre part à la vie de la communauté et ses activités. Priver la personne d’une telle participation revient à la priver de son identité. » (Viktor Oware Dankwa)

Lorsque, comme au Sénégal, les possibilités de recours, au niveau interne, sont limitées, l’existence d’un mécanisme d’appel sur le plan international ne pourrait qu’encourager la justice nationale à être plus effective dans ce domaine. Si c’est aux États parties qu’il appartient au premier chef de garantir, notamment par le biais d’un pouvoir judiciaire indépendant, le respect du droit international à l’échelon national ainsi que l’application des lois et règlements nationaux pertinents, l’adoption d’un protocole facultatif peut constituer un complément important. (Mamadou Badji)

S’il apparaissait qu’un droit, en dépit d’une interprétation jurisprudentielle large, n’était justiciable ni au niveau national, ni au niveau régional, on pourrait aussi imaginer que le Comité n’en tiendrait compte que lors de l’examen du rapport périodique de l’État et ne traiterait les communications individuelles et collectives reçues que dans ce cadre. Pour les pays qui ne remettent pas régulièrement leurs rapports, il faudrait alors prévoir un droit d’autosaisine du Comité.

Une solution pourrait être d’imaginer de mettre en place des périodes de transition après ratification du Protocole, donnant le temps aux États de mettre en oeuvre des mécanismes de recours nationaux pour les droits du PIDESC qui ne sont pas encore couverts à ce niveau. Ce dispositif existe pour l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). (Jacob Schneider)

Enfin, souvent les plaintes portent à la fois sur des droits économiques et culturels et sur des droits civils et politiques, il faut donc créer des passerelles afin que l’indivisibilité de ces droits passe du discours à la pratique. (Léopold Donfack Sokeng)

Au total, une articulation permettant l’exercice optimal des compétences de chaque échelon, combinée à un mécanisme universel, viendrait pallier les difficultés techniques que semblent poser a priori des compétences judiciaires limitées ou différentes aux niveaux national et régional.

Notes :

1. La Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples a été établie par la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples qui a été ratifiée par tous les 54 Etats d’Afrique, à l’exception de Madagascar.