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, Paris, 2005

Culture et paix : la société civile et les initiatives citoyennes de construction de la paix.

La portée sociale de la notion de "citoyen" prend aujourd’hui de l’ampleur : à notre époque, bien que la société civile devienne ici et là un acteur effectif de construction de paix, cela n’est pas sans risques.

Keywords: | | | To analyse conflicts from a social point of view | | | | | |

I. L’écoute des aspirations populaires est une préoccupation récente des politiques : l’exemple de l’Europe

L’écoute des aspirations populaires au sens large est une donnée relativement moderne en politique. Les régimes antiques et médiévaux autres que les tyrannies et les dictatures reposaient sur une assise populaire limitée aux classes supérieures. Les Athéniens, inventeurs de la démocratie, avaient restreint le droit de vote aux seuls citoyens, statut réservé aux hommes nés d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyen. L’acquisition de la citoyenneté se faisait alors par filiation patrilinéaire et matrilinéaire et excluait les étrangers, les esclaves et les Athéniens déchus de leurs droits civiques.

La Rome antique intègre progressivement le peuple (la plèbe) au pouvoir tout en maintenant une distinction avec la classe supérieure, les patriciens : la plèbe est admise à toutes les magistratures en l’an 300 av. J.-C. à la suite de luttes chroniques contre les patriciens. C’est une première reconnaissance du pouvoir de la société civile. Toutefois, les patriciens subsistent comme une noblesse héréditaire privilégiée jusqu’à la fin de l’empire. On voit que Rome, conformément à son pragmatisme légendaire, a accordé une place politique à la société civile et est restée à l’écoute de ses aspirations pour assurer une paix sociale. De même, les Romains ont engagé les premiers des actions de propagande : monnaies à l’effigie de l’empereur, slogans à forte connotation civique (SPQR : pour le sénat et le peuple romain), satisfaction des besoins primaires (« du pain et des jeux »)…

On s’aperçoit que deux des civilisations antiques nous servant de référence ont fait cas dans une certaine mesure de la société civile. Toutefois, cette attention est par la suite abandonnée, puisque rares sont les civilisations postérieures à s’être préoccupées des aspirations populaires. L’état d’esprit de la population ne commande pas la politique. Les royautés et les empires médiévaux s’appuyaient sur un système dynastique prenant parfois conseil auprès des seules classes privilégiées.

II. Le pouvoir des sociétés civiles

La place des sociétés civiles en politique est théorisée au moment des lumières, et apparaît concrètement au moment de la révolution française, lorsque le peuple renverse le pouvoir en place pour en établir un nouveau dont il gardera le contrôle (pendant une très courte durée cependant).

Quoi qu’il en soit, la place prise en politique par les sociétés civiles est devenue une évidence incontournable, et elle se développera de manière continue. On associe ainsi le pouvoir du peuple aux mouvements de démocratisation.

Toutefois, il faut distinguer le pouvoir du peuple aux urnes (la démocratie) et le pouvoir de contestation du peuple dans la rue (la résistance civile).

En effet, le pouvoir de la société civile consiste principalement en sa capacité à mobiliser les forces sociales pour s’élever physiquement ou symboliquement contre des décisions qui lui sont néfastes. Les moyens d’action de la société civile sont variés, ceux-ci peuvent se révéler très puissants lorsqu’elle développe sa capacité de mobilisation et coordonne ses réseaux : manifestations pacifiques, révoltes, lobbying, boycott… Ces activités, se trouvant souvent en marge du politique, possèdent ce caractère spontané et innovant dont sont dépourvus les partis et les institutions politiques.

Dans cette perspective, les exemples de réalisations en matière de paix à mettre au compte de représentants de la société civile, ces nouveaux « tribuns du peuple », sont légion, et se retrouvent sur tous les continents, dans toutes les classes sociales. La portée sociale de la notion de "citoyen" prend aujourd’hui de l’ampleur : à notre époque, la société civile devient ici et là un acteur effectif de construction de paix. Des phénomènes de résistance civile et pacifique à la guerre se multiplient, même si la société civile prend des risques :

  • des citoyens s’engagent dans des initiatives de secours de victimes de guerre, de reconstruction de paix ;

  • des communautés mettent en œuvre des pratiques traditionnelles de construction de paix ;

  • des acteurs sociaux se battent pour plus de justice sociale dans des contextes d’inégalités extrêmes ;

  • des intellectuels, des artistes, des entrepreneurs, des responsables religieux, des leaders sociaux, des étudiants ou des paysans s’engagent aujourd’hui pour construire un monde plus pacifique.

III. Le risque d’instrumentalisation

Il faut toutefois se garder d’encenser systématiquement les initiatives populaires et ce pour plusieurs raisons :

Les actions politiques des sociétés civiles peuvent être orchestrées ou du moins mises à profit par ceux qui en relaient la voix. La « volonté du peuple » est un argument massue interdisant toute conteste une fois que le peuple est défini comme souverain. Cependant, le peuple peut d’une part se tromper et d’autre part se faire diriger par des démagogues. Déjà, Socrate s’élevait dans ce sens contre les sophistes qui avaient la capacité de convaincre le peuple à coups d’arguments fallacieux.

Aujourd’hui, les médias investis par les pouvoirs économiques ont la possibilité d’instrumentaliser à leur guise leur auditoire pléthorique. Il est possible de suggérer une idée puis de laisser croire qu’elle est apparue de manière spontanée dans la tête de ses défenseurs. Ce type de communication suggestive très élaborée deviendrait un mode de direction politique créant l’illusion d’un pouvoir populaire.

Enfin, on peut nuancer les initiatives de la société civile par son manque de maturité politique. Karl Marx avait avancé l’hypothèse selon laquelle les dominés adoptent toujours, consciemment ou non, la culture et les codes du dominant. Cette assertion si souvent vérifiable dans l’histoire peut battre en brèche le potentiel révolutionnaire du peuple, l’associant à un certain conformisme social. Loin de vouloir revenir à un pouvoir tenu par les élites éclairées, il faut absolument prendre conscience du risque de manipulation des masses et du pouvoir occulte que peuvent en tirer ceux qui détiennent les clefs de la communication.