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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Gaël Bordet, Sénégal, Proche Orient, Paris, 2002

Le contentieux israélo-arabe pour l’aménagement des eaux du Yarmouk, l’un des principaux affluents du Jourdain

Les difficultés que rencontrent les riverains du bassin jordanien pour s’entendre sur un mode de coopération s’attachent aussi aux difficultés du processus de paix israélo-arabe.

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L’avenir des relations israélo-jordaniennes, malgré l’adoption d’un traité de paix en 1994 qui a institué une coopération multilatérale, demeure en grande partie conditionné par la question de la répartition des eaux du Jourdain et de ses principaux affluents… dont le plus important, le Yarmouk. Ce fleuve prend source dans le Djebel druze en Syrie, avant de devenir jordanien 50 km plus loin à Maqarin, et de se jeter finalement dans le Jourdain à hauteur de Naharayim où son débit est alors de 538 millions de mètres cubes.

Le 02 mars 1999 lors d’une conférence qui s’est tenue à Ramallah en Cisjordanie, une équipe de 15 scientifiques israéliens, palestiniens, jordaniens, américains et canadiens, a alerté les dirigeants de la région sur la nécessité d’intensifier les coopérations inter étatiques. Face à une croissance démographique annuelle de l’ordre de 3 % dans le triangle géographique formé par Israël - la Jordanie et les Territoires palestiniens, sont confrontés à une pluviométrie insuffisante, elle-même à l’origine d’une sécheresse chronique - les Etats du bassin ont tendance à privilégier la défense de leurs intérêts nationaux et à prendre des mesures unilatérales.

C’est ainsi qu’en 1998, Israël a notamment envisagé de réduire de 50 % le quota d’eau (55 millions de mètres cubes des eaux du Yarmouk) annuellement distribué à la Jordanie au regard de l’accord de 1994. Cette mesure a provoqué une vive réaction de la part du gouvernement jordanien. Pour motiver sa décision, Israël a invoqué une forte baisse des eaux du lac de Tibériade (déficit de 60 %), qui selon certaines estimations, auraient atteint leur niveau le plus faible depuis 1908. C’est ainsi que le Commissionnaire israélien pour l’eau, Meir Ben Meir a proposé aux Jordaniens de « partager le déficit d’eau de leur source commune, le Yarmouk, Israël ne pouvant à lui seul porter le fardeau de la sécheresse » (1), ce qui n’a, semble-t-il pas satisfait la Jordanie dont le ministre de l’eau a précisé que « l’engagement contracté avait force obligatoire et qu’en aucun cas, Israël ne pouvait demander à la Jordanie de partager son fardeau » (2).

Ces attitudes illustrent toutes les difficultés que rencontrent les riverains du bassin jordanien pour s’entendre sur un mode de coopération qui, tout en prenant une forme contractuelle qui réponde aux critères du droit international, permette également une certaine souplesse et autorise certains aménagements conjoncturels : nous percevons encore derrière ces blocages diplomatiques les réserves et la prudence qui s’attachent au processus de paix israélo-arabe.

Le projet de construction d’un barrage syro-jordanien sur le Yarmouk représente une autre pomme de discorde. Depuis l’occupation du Golan par Israël, qui a par la même occasion étendu sa souveraineté sur le bas Yarmouk, les Syriens tentent de se réapproprier la maîtrise du cours de la rivière en creusant des puits profonds destinés à contrôler le débit en amont et à offrir de vastes zones de retenues. Ainsi, grâce à ses ouvrages de détournement des eaux du Yarmouk, la Syrie est finalement parvenue à disposer d’un quota d’eau supérieur à celui prévu par le Plan Johnston.

Dans le même esprit, les autorités syriennes ont planifié la construction de 28 barrages sur les affluents du Yarmouk, dont beaucoup sont déjà opérationnels, ce qui portera la capacité totale de stockage annuel entre 200 et 250 millions de mètres cubes. Cette politique de conquête de l’eau risque de se concilier difficilement avec les intérêts divergents d’Israël : le Yarmouk occupe en effet une position stratégique vitale dans l’alimentation de l’Etat hébreu puisqu’il rejoint le Jourdain dont il est l’un des principaux affluents.

Cet aménagement des affluents syriens du Yarmouk représente également un souci pour la Jordanie qui voit se réduire d’autant ses capacités hydriques et qui, si le plan syrien est poursuivi, ne disposera plus que de 200 millions de mètres cubes annuels au lieu des 450 prévus par le plan Johnston.

C’est dans ce contexte difficile que le projet syro-jordanien de construction d’un grand barrage a été étudié sur le fleuve transfrontalier à hauteur de Maqaren, près de la frontière syro-jordanienne où il rencontre la rivière Allan, laquelle s’écoule par la suite sur le territoire jordanien.

Après avoir craint un temps que ce barrage au nom évocateur, Al-Wahda (« l’Unité »), ne puisse être réalisé du fait de la quantité d’eau détournée en Syrie, rabaissant ainsi à un seuil critique les quantités disponibles sur leur territoire, les Jordaniens ont finalement répondu positivement au projet sans toutefois vouloir précipiter les événements. Certains experts jordaniens présentent d’ailleurs ce projet comme un ouvrage vital dans la perspective d’une réduction de la pénurie d’eau, ainsi que dans l’optique d’une politique d’assainissement du réseau fluvial du Royaume. En tout état de cause, ce projet, quelle que soit l’issue qui lui est réservée, va certainement contribuer à resserrer la coopération économique entre la Jordanie et la Syrie, comme le laisse envisager la levée par la Jordanie fin juillet 1998 du boycott qui pesait sur les exportations syriennes suite aux pressions exercées par les industriels jordaniens sur le gouvernement du Royaume, soucieux de relancer le commerce et de voir le volume des exportations jordaniennes croître en direction de la Syrie.

Les différentes études de faisabilité réalisées par le comité de discussion syro-jordanien font varier le coût de ce barrage entre 300 et 560 millions de dollars, selon la nature de l’aménagement retenu, ce qui nécessitera une participation de fonds arabes et étrangers. Cependant, le coût, qui représente certes un frein majeur à la construction du barrage, n’est pas le seul obstacle et tout laisse penser que le contentieux politique régional pèsera également de tout son poids. En effet, l’accord de principe signé entre la Syrie et la Jordanie en novembre 1998 restera vraisemblablement lettre morte tant que les Israéliens n’auront pas obtenu les garanties suffisantes concernant le débit du Yarmouk.

A n’en pas douter, la question de l’aménagement du Yarmouk et de ses affluents conditionne dans une large mesure le processus de paix israélo-syrien ; le rapport d’influence auquel se livrent les trois Etats concernés par l’organisation de ce système hydrographique semble actuellement tourner à l’avantage d’Israël, qui dispose de moyens de pression variés à faire valoir.

Israël dirige les débats à plusieurs titres. Tout d’abord, la Jordanie dispose d’une marge de manœuvre limitée du fait des obligations qui la lient à l’Etat hébreu depuis le traité de paix signé avec lui en 1994. En effet, l’annexe de ce traité, relative à la répartition de l’eau provenant de sources communes, engage la Jordanie, riverain d’aval, à respecter les droits d’Israël, riverain d’amont, en ce qui concerne le partage des eaux du Yarmouk qui sont d’une importance capitale étant donné le caractère stratégique de la rivière dans les économies des deux pays, notamment en ce qui concerne l’irrigation. Le traité stipule notamment que « toute modification artificielle du cours du Yarmouk, ou tout aménagement réalisé sur ce fleuve doit faire l’objet d’un accord mutuel » (art.V, al.1), tandis qu’un Comité commun de décision a d’ailleurs été créé pour tracer les lignes directrices de la coopération et veiller au respect des termes de l’accord. Une distinction est opérée selon les périodes de l’année. Quant à l’article I, il précise le quota d’eau qui revient à chacun des contractants : durant l’hivernage, Israël dispose d’un quota réévalué d’environ 20 millions de mètres cubes annuels par rapport à son quota estival, ce supplément étant devenu indispensable à son alimentation ; or, c’est ce quota qui serait menacé, selon les Israéliens, en cas de construction du barrage al-Wahdah…

Vis-à-vis de la Syrie, à présent, Israël entend bien négocier son retrait du Golan, ce qui impliquerait certaines concessions de la part des autorités syriennes, et peut-être un renoncement au projet « al-Wahdah ». D’autre part, au regard du droit international et de la répartition initialement retenue dans le plan Johnston, les droits de la Syrie sur le Yarmouk sont réduits, puisque, après l’attribution d’un quota aux deux autres riverains, la Jordanie se voit attribuer l’usage exclusif de la rivière. Même si le plan Johnston n’est jamais entré en vigueur, il est généralement reconnu comme un compromis très valable, sanctionné par la pratique et que ne vient pas contredire le traité israélo-jordanien de 1994.

Enfin, en guise de préalable à toute négociation concernant la construction d’un nouveau barrage, il apparaît inévitable que les riverains s’entendent sur un mode d’aménagement global du Yarmouk et de ses affluents, car le plan syrien d’exploitation intensive de ces cours d’eau ne pourra se concilier, à terme, avec les intérêts israéliens et jordaniens : la Syrie pompe actuellement 200 millions de mètres cubes par an, alors que le comité technique de la Ligue Arabe durant les négociations du plan Johnston, et malgré les réévaluations qu’il conviendrait d’effectuer, ne lui en attribuait que 90. L’ampleur prise par cette exploitation ne peut qu’encourager Israël à s’opposer fermement à la construction du barrage al-Wahdah, d’autant qu’il n’est pas certain que ce barrage soit justifié vu le faible débit qui lui parviendrait et les doutes qui subsistent quant à la qualité de l’eau. Ce point demeure, outre les réticences israéliennes et le coût de l’ouvrage, l’un des principaux obstacles à la réalisation du projet, comme l’a souligné l’équipe américaine chargée de la médiation entre Israël et la Jordanie dans les années 89-90. Malgré l’évolution des rapports entre les deux Etats, la situation n’a guère changé depuis lors et la Syrie sera vraisemblablement contrainte de réduire les quantités d’eau exploitées en amont pour que la construction du barrage se révèle techniquement envisageable et politiquement recevable.

Notes

  • (1) : Propos recueillis par le Service Arabe de la BBC et rapportés par la Foreign Policy Association, Juillet 1999.

  • (2) : Idem.