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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Gaël Bordet, Sénégal, Proche Orient, Paris, 2002

Eau et stratégies économiques : la prise en considération du « principe de vulnérabilité » pour la gestion de l’eau dans le bassin du Jourdain

Eau et Agriculture en Palestine : l’arbitrage délicat entre l’utilisation raisonnable de l’eau et la sécurité alimentaire.

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I. Le concept de vulnérabilité

Ce concept que développe notamment une institution comme la FAO consiste à mettre en adéquation la quantité d’eau dont dispose un pays avec la répartition dans le temps de cette quantité disponible, sa qualité, le niveau de consommation et celui de la demande. Il s’agit, au final, de déterminer le « degré de vulnérabilité » pour l’eau, du pays considéré.

Ce degré de vulnérabilité dépend essentiellement de deux facteurs.

  • Les caractéristiques climatiques, tout d’abord, qui conditionnent aussi bien la quantité d’eau que sa répartition dans le temps.

  • Dans un second temps, le degré de vulnérabilité dépend de la corrélation que l’on peut établir entre la structure de la population et la structuration économique d’un pays, qui joue un rôle prépondérant en ce qui concerne l’évolution de la qualité et de la demande en eau.

Ainsi, en comparant l’évolution de la qualité de l’eau et sa répartition dans le temps entre plusieurs pays, il est possible de déterminer le degré de vulnérabilité d’une région (1).

Le seuil de vulnérabilité est atteint lorsque les ressources internes renouvelables en eau sont inférieures à 1000 m3 par habitant, ce qui représente une double menace :

  • Pour la poursuite d’un équilibre socio-économique durable d’une part ;

  • Pour la préservation d’un équilibre environnemental d’autre part.

II. Agriculture : l’arbitrage délicat entre l’utilisation raisonnable de l’eau et la sécurité alimentaire.

A. L’agriculture au centre des préoccupations

L’agriculture est l’activité économique qui consomme le plus d’eau : plus des deux tiers de l’eau prélevée dans le monde sont destinés à l’irrigation. Plus inquiétant encore, l’agriculture, telle qu’elle est pratiquée dans de nombreux pays dont le pivot de la structuration économique est l’agriculture, est généralement peu rationnelle, peu performante et fait l’objet de très généreuses subventions, ce qui ne participe pas à donner de l’eau l’image d’un bien précieux, donc cher. L’irrigation a reçu notamment près de 30 % des prêts de la Banque Mondiale pour l’agriculture au cours des années 80 et les engagements financiers pris par l’ensemble des agences d’aide pour l’irrigation ont dépassé 2 milliards de dollars américains au cours de la décennie 87-97, tandis que selon les chiffres de la FAO, jusqu’à 60 % de l’eau détournée ou pompée était gaspillée en 1990, ces excédants d’eau participant souvent à la détérioration du sol et du sous-sol en s’y infiltrant, occasionnant ainsi des engorgements et favorisant la salinité des sols. Pourtant, l’irrigation devrait demeurer le principal mode de production agricole dans le premier quart du prochain siècle, surtout dans les pays à forte population agraire – cela concerne les Palestiniens, la Syrie, la Jordanie et certaines régions du Liban ou d’Israël - puisque d’après des estimations récentes, 80 % des disponibilités alimentaires supplémentaires nécessaires seront obtenus par une agriculture irriguée (2).

Si l’agriculture, et à plus forte raison l’agriculture irriguée, demeure le principal utilisateur d’eau, la concurrence de plus en plus sévère avec les autres secteurs de l’économie qui font entrer l’eau dans leur processus de production, et notamment l’industrie, tend à poser de nouveaux problèmes du fait de la raréfaction de la ressource première : cela implique non seulement de repenser la pratique de l’agriculture pour produire davantage, de façon durable et avec moins d’eau, mais également de concilier les besoins de l’agriculture avec ceux d’autres secteurs économiques en pleine croissance.

B. La question de la sécurité alimentaire

La sécurité alimentaire du bassin du Jourdain dépend dans l’avenir de la manière dont seront appréhendées trois données essentielles.

  • En premier lieu, les orientations prises pour la gestion de la terre et de l’eau détermineront le niveau de la production alimentaire des prochaines décennies ;

  • En deuxième lieu, l’agriculture devra s’adapter à la révolution libérale qui a provoqué une modification des structures de production du fait de la rupture opérée avec les pratiques traditionnelles de la gestion étatique, désormais en décalage (voir les raisons : prix de l’eau, coûts, irresponsabilité des consommateurs…) avec le réalisme économique que requièrent les difficultés liées à l’amenuisement des réserves d’eau - le corollaire de ces évolutions est un changement important de l’organisation sociale et du mode de vie dans les régions rurales ;

  • Enfin, en troisième lieu, les évolutions des structures de production répondent elles-mêmes dans une large mesure aux pressions du « marché international », aux interactions croissantes entretenues sur celui-ci entre les pays pauvres, contraints de se conformer aux règles du commerce international, et leurs partenaires économiques placés en position dominante…

Une gestion rationnelle et durable des ressources hydriques ne peut se concevoir indépendamment des orientations de l’agriculture car la modernisation de l’agriculture et son adéquation aux besoins locaux dépendront de la manière dont seront gérées les ressources en eau à l’échelle régionale et à celle des systèmes hydrographiques. Par exemple pour le bassin du Jourdain, un plan d’allocation rationnelle des ressources en eau devra être mis en place dans les plus brefs délais, qui tiendra compte non seulement des capacités hydriques et technologiques locales, mais encore des habitudes culturelles régionales et des exigences des marchés internationaux, sous peine de voir se développer de nouvelles distorsions, susceptibles à moyen terme d’hypothéquer un équilibre socio-environnemental déjà fragilisé.

Actuellement, outre les usages domestiques, la priorité est donnée à l’irrigation car la volonté affichée des riverains du Jourdain d’assurer leur autosuffisance alimentaire nécessite le développement d’une agriculture extensive. Or, la préférence absolue pour l’auto suffisance alimentaire affichée par les dirigeants du Proche Orient est de plus en plus systématiquement contestée par certains analystes occidentaux pour toutes sortes de raisons parmi lesquelles les gaspillages induits par cette politique, ou le mauvais rapport entre le coût de production et les bénéfices obtenus. En effet, il faut environ 1000 mètres cubes d’eau de mauvaise qualité pour produire de quoi nourrir un individu pendant une année, ce qui représente un investissement important pour les pays du bassin du Jourdain. C’est la raison pour laquelle certains Etats de la région envisagent de recourir à l’importation « d’eau virtuelle », ce qui revient à importer les aliments dont la production demande de grands investissements en eau : l’eau économisée de cette façon peut être affectée à d’autres usages.

Ainsi, par exemple, si nous partons du principe que pour obtenir une tonne de blé il faut 1000 tonnes d’eau, importer un million de tonnes de blé revient donc à importer un milliard de tonnes d’eau. Cette option pour l’eau virtuelle est d’ores et déjà développée par la Syrie et par la Jordanie pour combler leur déficit alimentaire mais dans des proportions encore modestes. La liste suivante qui établit une comparaison entre les pays du Proche-Orient permet de constater que le niveau des importations est encore très raisonnable pour les riverains du Jourdain, ce qui montre une nouvelle fois la place déterminante qu’occupe l’agriculture dans cette région.

PaysEau virtuelle contenue dans les produits alimentaires importés (en milliers de m3)
Egypte18 171
Arabie Saoudite13 863
Iran11 519
Jordanie3 467
Yémen3 375
Koweït2 784
Irak2 180
Syrie1 014
Bahreïn680
Turquie3 468
IsraëlProche de l’équilibre
Territoires palestiniens?
Liban?

L’importation d’eau virtuelle fait pourtant l’objet d’un large débat, car si les pays qui subissent de lourdes pénuries d’eau, semblent gagner sur tous les tableaux en important un produit largement subventionné, qui, de plus, fait économiser une ressource précieuse, (…) le fait de dépendre du commerce international pour une ressource aussi vitale n’est pas socialement acceptable et ne constitue pas non plus une bonne stratégie politique.

Economiquement, cette dépendance présente deux inconvénients majeurs :

  • D’une part, les variations à la hausse des prix des produits alimentaires auraient des répercussions difficilement supportables pour les pays importateurs ;

  • D’autre part, l’accroissement des importations signifierait une baisse des quantités produites localement et une déstructuration du tissu agraire dans les pays importateurs.

Tel est le vrai dilemme qui se pose aux riverains du Jourdain et à partir duquel, de l’avis de nombreux experts, il convient de réorganiser l’agriculture. Les pays concernés auront à faire des choix, et déterminer s’il faut donner la priorité à une certaine sécurité alimentaire en produisant davantage de produits de base comme le blé, ou s’il s’agit au contraire de développer les cultures - fruits, légumes - commerciales à forte rentabilité. Cette question se pose notamment pour Israël, qui en développant une agrumiculture destinée à l’exportation et une agriculture irriguée extensive représentant 50 % de sa surface cultivable, limite d’autant les capacités de production de l’agriculture palestinienne. Or, l’agriculture contribue pour 3 % au PNB israélien, tandis que le secteur agricole palestinien pèse environ 20 % de l’économie des territoires et malgré cela, seulement 6% des terres arables sont cultivées (3).

C. Les contraintes qui pèsent sur les structures industrielles de production

Bien que les quantités d’eau utilisées dans l’industrie ne représentent qu’entre 5 et 7 % de l’ensemble de la consommation totale d’eau dans le bassin du Jourdain, c’est, après les usages domestiques, le secteur qui a le plus fort taux de progression en terme de consommation d’eau depuis quelques décennies. En Israël, la part de l’eau consommée dans l’industrie a doublé entre 1960 et 1990.

L’essor industriel est soumis à toute une série de contraintes externes qui empêchent son essor, à l’exception d’Israël. Tout d’abord, il entre en concurrence avec les activités agricoles qui occupent une place prépondérante dans cette région, et dans un contexte de pénurie, le choix se fait bien souvent au détriment de l’industrie. Ensuite, les coûts de production sont beaucoup plus élevés dans l’industrie que dans l’agriculture car non seulement les technologies requises sont plus lourdes pour la production industrielle, le traitement de l’eau y est souvent plus contraignant (l’irrigation ne nécessite pas de moyens techniques très développés même la micro-irrigation) et les quantités d’eau plus conséquentes : une conserve de légumes demande 3 litres d’eau, il faut 100 litres pour un kg de papier, 4 500 litres pour une tonne de ciment, 280 000 litres pour produire une tonne d’acier…

Notes

  • Se reporter également à la fiche de notions intitulée : « Le principe de vulnérabilité ».

  • (1) En tenant compte des différences naturelles et culturelles dans l’interprétation des données : ex, un pays tempéré dont l’agriculture repose sur une culture pluviale, comparé à un pays qui pratique plutôt l’irrigation.

  • (2) Source IIMI, 1992

  • (3) Source : Institut de Recherche appliquée de Jérusalem (dir. Jad Isaac), 1999. Cet institut est une organisation à but non lucratif qui œuvre pour l’équilibre durable dans les Territoires palestiniens.