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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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À la rencontre de quelques initiatives de paix au Guatemala, 2003

Guatemala au début du 21ème siècle, de la signature des Accords de Paix à leur mise en oeuvre

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Mardi 12 août 2003, Guatemala, Terre maya aux hommes de maïs. Terre de sang aux hommes de courage. Je suis venu pour refaire ce qui, au début des années 1980 était « la route de la violence » : serait-elle devenue en ce début du siècle « une route de paix » ?

Je suis à Quiché. Chez cette population rebelle, indomptable, qui a su lever la tête face à ceux qui ont voulu l’opprimer, qui a su combattre ceux qui l’ont réprimée dans le feu et dans le sang. Terre de communautés entières massacrées. Terre de peuples disparus. Terre de la terre brûlée. Après avoir traversé Chichicastenango, santa Cruz, je me rends à Uspantan, sur les terres de Mme Rigoberta Menchu, victime de la répression militaire dans les années 1970 – 1980 et Prix Nobel de la Paix 1992.

Le « conflit armé interne » guatémaltèque a connu ici une gravité extrême. À la fin des années 1970, le mouvement guérillero révolutionnaire prenait de l’ampleur, de plus en plus d’hommes et de femmes soutenaient la révolution. Le gouvernement du général Romeo Lucas Garcia a entamé alors une stratégie de répression militaire très forte contre la guérilla et contre tout ce qui lui était proche. Mais l’effet fut celui d’un boomerang : plus la répression grandissait, plus la population entrait en rébellion. La majorité de la population de Quiché préférait alors soutenir la guérilla plutôt que l’armée. Entre 1982 et 1983 le nouveau chef d’État, le général Efrain Rios Mont, a porté cette opération à son paroxysme. L’armée a entrepris une stratégie militaire de répression massive par la disparition des opposants, par la torture, par des massacres, par la technique de la terre brûlée, au prix de nombreuses victimes civiles assassinées dans des conditions atroces. La violence était irrationnelle, sauvage, elle n’était plus guidée par une idéologie, elle était l’expression d’une folie meurtrière. Le Quiché rebelle a alors connu l’enfer.

Avant « la guerre », comme on dit ici, les populations du Quiché vivaient dans des conditions très difficiles : dans la pauvreté et l’exploitation économique, dans l’exclusion politique, victimes d’un système social fondé sur la discrimination... Aujourd’hui, que reste-t-il ? Quid des initiatives contre l’exclusion politique et pour la démocratie ? Quid des efforts pour se battre contre la misère et l’exploitation économique en tissant des liens de solidarité ? Où en sont les projets pour chercher un minimum de justice sociale ? Que sont devenues les organisations quichés pour le respect de leur culture ?

Les conditions de vie des populations n’ont vraiment pas changé : même s’il y a des quelques avancées dans le domaine des infrastructures et du commerce, permettant à quelques familles quichés d’accéder à un certain degré de richesse, la pauvreté, l’exclusion et la discrimination restent le lot quotidien de la majorité.

Si. Un changement important est survenu. Dans le sens où aux problèmes d’avant la guerre sont venus s’ajouter d’autres expériences encore plus dramatiques : des milliers des morts, des disparus, des déplacés, des veuves et des orphelins, des communautés totalement disparues, des liens sociaux totalement rompus par la méfiance réciproque, des esprits habités par la peur, traumatisés... Je passe la nuit dans la région, hanté par tant de souvenirs...

Le conflit armé interne

Parce qu’il s’agit d’un conflit séculier. Le Guatemala d’aujourd’hui est né d’un immense choc autant culturel et politique que militaire, entre Indiens mayas et « conquistadores ». Depuis les populations mayas ont été victimes d’un système social, économique et politique basé sur leur discrimination et reproduit pendant des siècles autant dans les institutions que dans les mentalités des uns et des autres. L’histoire du pays a été traversée par les rebellions d’une population soumise et la répression des dirigeants.

Cette histoire s’est répétée tout au long du XXe siècle. Au début des années 1940, alors que les inégalités économiques continuaient à s’accroître et que la population était dominée par une dictature militaire, cette population a entamé un mouvement social qui avait trois grands objectifs : lutter contre les inégalités économiques en instaurant des relations sociales sur des valeurs de solidarité et de justice. Combattre l’exclusion politique en instaurant des modalités nouvelles d’exercice du pouvoir basées sur des principes démocratiques. Favoriser la participation de la société civile dans la gestion de la nation afin de construire de nouvelles relations sociales sur des principes de paix. Grâce au soutien massif que la population à donné à ce mouvement, ce dernier a réussi, en 1944, à remplacé le régime militaire dictatorial par un régime politique démocratique et à mettre en place des réformes sociales, politiques et économiques allant dans le sens des valeurs cherchées. Ce mouvement a été nommé par la société civile « la révolution de 1944 ».

Cependant, cette révolution venait contrarier les intérêts et ébranler et les privilèges d’une minorité habituée à monopoliser la richesse et le pouvoir. Cette dernière, en faisant passer le nouveau mot social guatémaltèque par une stratégie communiste soviétique de pénétration en Amérique centrale, arrière-cour des États-Unis, dans un contexte de guerre froide, à obtenu le soutien logistique de la CIA. En 1954, l’expérience démocratique du Guatemala était anéantie par le biais d’un coup d’État qui a redonné à nouveau le pouvoir à l’alliance composée des élites traditionnelles du pays et de militaires.

Aux conditions sociales, économiques et politiques d’avant 1944 est venu s’ajouter un élément nouveau : la violence. En effet, toute opposition au régime en vigueur été assimilée aux actions du communisme international, les opposants étaient réprimées par la violence. Les disparitions, la torture, les assassinats, étaient des pratiques utilisées par l’armée et légitimées par un État militaire tout-puissant. La liberté, la démocratie, la justice sociale, les droits de l’homme, la paix, étaient des réalités proscrites : elles étaient accusées d’appartenir à une idéologie marxiste et de servir à légitimer l’action des mouvements révolutionnaires communistes. La société guatémaltèque était étouffée sous la botte des militaires.

Alors que les tentatives d’opposition et de quête de démocratie tentaient de s’exprimer dans les sous-sols sociaux de la population, un petit groupe d’officiers de l’armée nationale, en désaccord avec leurs chefs pour des raisons autant idéologiques que de contrôle du pouvoir, est entré en rébellion d’abord politique ensuite militaire, en 1960 ce groupe est devenu le premier groupe armé se revendiquant des valeurs révolutionnaires dans le Guatemala du XXe siècle. Il s’agit de la naissance de la guérilla au Guatemala.

Grâce à un État militaire fort imposé à l’ensemble de la population et à un système de répression féroce de toute opposition, la rébellion armée ne prenait pas d’ampleur. Ce n’est qu’à la fin des années 1970 que la guérilla est devenue mouvement lorsque les leaders guérilleros se sont tournés vers la population maya dont la plupart des représentants vivait dans des conditions économiques, politiques, culturelles, etc. d’une extrême précarité. À la fin des années 1970, la population maya à commencé à se tourner vers la guérilla dans un mouvement presque massif. Entre les années 1970 et 1980, les combats sont devenus de plus en plus importants en nombre et en gravité.

Face à l’ampleur que prenait le mouvement guérillero, l’armée, dirigée successivement par les généraux Carlos Arana, Kjell Laugerud, Lucas García et Ríos Mont, a entrepris une stratégie militaire de répression massive par la disparition des opposants, par la torture, par des massacres, par la technique de la terre brûlée, au prix de nombreuses victimes civiles assassinées dans des conditions atroces.

En 1983, après une année et demi de combat militaire féroce qui n’a pas épargné des populations civiles faisant de nombreuses victimes par la pratique de techniques militaires des plus cruelles, le mouvement guérillero était réduit de façon importante. Une grande partie des combattants avait péri dans les combats. Ceux qui avaient survécu ont essayé de se regrouper en petits groupes de rebelles, mais ils ressemblaient plus à de petits groupes de délinquants qu’à un mouvement guérillero classique. D’autres sont partis se réfugier au Mexique ou dans la forêt. Leurs commandants avaient pris le chemin de l’exil. Les populations mayas, désormais bien contrôlées par l’armée, ne coopéraient plus avec un mouvement guérillero vaincu militairement et agonisant. Bien qu’une telle répression ait été perçue par l’armée comme une victoire militaire, elle s’est avéré comme l’une des raisons de sa défaite politique face aux nouveaux leaders civils.

Après la défaite militaire de la guérilla, dans les années 1990, des accrochages subsistaient encore entre les petits groupes de guérilleros et l’armée nationale. Le concept de conflit armé était encore utilisé bien que, plus qu’à représenter une réalité militaire, il servait à justifier certaines actions militaires tant de la part des généraux (de la répression, des massacres) que des commandants (des séquestrations, des attentats), ainsi qu’à légitimer les aides financières que recevaient de l’extérieur les uns et les autres.

Des généraux discrédités par la cruauté de la répression et des commandants guérilleros militairement vaincus et faute de soutien laissaient la place à des nouvelles élites politiques. En 1986, l’armée quittait le pouvoir, un civil a été élu démocratiquement à la Présidence. La population, quant à elle, a commencé à compter ses morts...

La longue marche vers les accords de paix

Le contexte international changeait aussi de façon importante. La guerre froide agonisait dans l’ébranlement de l’Union soviétique. Les États-Unis mettaient en œuvre une nouvelle politique internationale pour l’Amérique latine basée non plus sur la lutte anticommuniste mais cherchant l’exportation du modèle libéral avec ses exigences en termes de démocratie et de respect des droits de l’homme. Les nations de l’Amérique latine ont décidé d’entamer une dynamique de solidarité, un groupe des pays latino-américains ont constitué le groupe CONTADORA avec l’objectif de favoriser la pacification de l’Amérique centrale traversée alors par des conflits armés internes. Les nouvelles autorités politiques de l’Amérique centrale, plus proches des principes démocratiques que de l’État militaire, ont décidé de s’attaquer aux conflits armés qui déchiraient leurs sociétés en mettant en œuvre un processus de démocratisation du pouvoir et de pacification des rapports sociaux appelé « processus d’Esquipulas ».

Le gouvernement du Guatemala, avec à sa tête M. Vinicio Cerezo du parti de la démocratie chrétienne, a décidé d’entamer des dialogues avec les dirigeants de la « Union Revolucionaria Nacional Guatemalteca » (URNG) réunissant les différents groupes de guérilla.

La société civile guatémaltèque s’est beaucoup investie dans ce nouveau processus. Ayant trouvé un espace politique d’organisation, d’expression et de participation, la société civile s’engageait de plus en plus dans la lutte pour la justice sociale, pour la démocratisation du pouvoir, pour le respect des droits humains, pour la construction de la paix. Ces quatre éléments constituaient un ensemble cohérent et un projet de nation donnant un sens à la société guatémaltèque qui sortait de la guerre.

Il est important de remarquer que les élites économiques du pays traversaient à l’époque une situation de transition cruciale. Grâce à l’essor de l’économie financière ainsi qu’à de nouvelles formes d’économie, l’élite économique s’est partagée en plusieurs tendances. Par exemple, la tendance traditionnelle composée de la vieille élite très accrochée au système autoritaire en vigueur voulant maintenir la population dans un état de pauvreté économique et de soumission.