Henri Bauer, Paris, janvier 2004
D’un site ressources pour un art de la paix à la proposition d’une alliance entre artisans de paix
La dénomination « Irenees » fait référence à la responsabilité des citoyens, à leurs capacités d’alliance, à leur engagement dans la construction active du monde : l’art de la paix n’est pas axé sur les raisons des guerres, mais sur la manière de parvenir à la paix.
De tout temps, en tous lieux, des femmes et des hommes ont cru à la paix : ils sont devenus des artisans de paix. Aujourd’hui, dans le monde entier, des millions d’artisans de paix travaillent à toutes les échelles et sous les formes les plus diverses à la construction d’une paix durable et authentique, pour tous.
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Des leaders sociaux, des responsables politiques, des intellectuels, des dirigeants syndicaux, des religieux, des militaires, des scientifiques, des étudiants, des journalistes, des ingénieurs, des artistes, des entrepreneurs, des philosophes, des paysans, etc…
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Des Palestiniens, des Colombiens, des Tibétains, des Vietnamiens, des Européens, des Afghans, des Kosovars, des Israéliens, des Rwandais, des Guatémaltèques, des Iraquiens, des Congolais, des Américains, etc…
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Des artisans de paix qui travaillent sur la gestion de l’eau, la gouvernance locale, le développement durable, la distribution du pétrole, la création de concepts, l’économie solidaire, l’exploitation de diamants, le respect des droits de l’homme, le transport du gaz, l’utilisation des sols, la gouvernance mondiale, etc.
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Des artisans de paix qui travaillent pour prévenir une guerre, pour résister de façon non-violente à la guerre, pour reconstruire la paix…
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Comme vous, ils inventent des pratiques nouvelles pour construire la paix, parfois au prix de leur tranquillité si ce n’est de leur vie. Comme vous aussi, ils agissent le plus souvent de façon aussi discrète qu’efficace.
Vous, artisans de paix du XXIe siècle, vous savez que vous n’êtes pas isolés. Vous vous sentez partie intégrante d’une galaxie en formation : la paix que vous construisez pas à pas, jour après jour, ne reste pas limitée à votre entourage, vous savez la partager. Vous savez que les artisans de paix ne peuvent pas agir en solitaire - que ce soit en raison de réflexes identitaires, de privilèges acquis ou simplement par frilosité. À l’heure de la communication et des réseaux, vous constatez la nécessité d’établir des liens et d’échanger avec ceux qui sont dans votre camp.
Vous avez expérimenté que lorsque vous mettez en commun le « savoir-faire » que vous avez acquis grâce à votre expérience, constitué par vos idéaux, vos ressources, vos difficultés, vos réussites, vos défis, vous enrichissez d’autres personnes et vous en êtes aussi enrichi : peu à peu vous devenez acteurs des nécessaires articulations entre action spécifique et transversalité, entre local et mondial, entre réalisme et utopie : ces croisements de regards, ces liens que vous savez tisser, ces alliances que vous portez ou que vous recherchez, vous permettent de participer à l’enfantement d’un nécessaire art de la paix.
Un « art de la paix » ?
À l’orée du XXIe siècle, le contexte de mondialisation favorise l’essor de deux phénomènes extrêmement importants. En effet, d’une part, le monde est guetté par la naissance de nouvelles formes de violence et de guerre. D’autre part, l’inadéquation des modes et des instances de régulation en vigueur montrent leurs limites quant à la construction de la paix dans le monde. Cela ne signifie pas que la mondialisation soit la cause des conflits actuels, ces derniers sont enracinés dans des terreaux profondément labourés, pour la plupart d’entre eux depuis des siècles.
Face à ces conflits la réaction prioritaire consiste à choisir l’approche sécuritaire et la réponse militaire. La communauté internationale a tendance à s’investir davantage dans la préparation et l’utilisation de la guerre que dans la construction de la paix. Le discours officiel affirmant qu’il s’agit de « s’attaquer aux causes des conflits » sert à légitimer le remplacement de la régulation sociale par la violence militaire. Les résultats de cette démarche, en Palestine, en Colombie, en Iraq, montrent comment celle-ci, en réalité, sert la reproduction de la violence.
C’est parce que l’humanité privilégie la violence comme moyen de relations entre les individus, entre les groupes, avec son environnement, en négligeant ses capacités d’articulation des différences, que l’élaboration d’un art de la paix devient nécessaire et urgent.
Qu’est-ce qu’un « art de la paix » ?
En réalité, cela ne vous est pas étranger. Il s’agit de ce à quoi tous les artisans de paix s’engagent : ramener la nécessité d’apprendre à gérer les conflits au cœur de l’action citoyenne pour remplacer la banalisation de la violence.
Les seigneurs de la guerre savent former des alliances colossales en imposant au monde la « stratégie » comme mode premier des relations entre les peuples tout en faisant de la « polémologie » la seule science chargée de la gestion des relations sociales. La stratégie et la polémologie seules, sans être équilibrées par un art de la paix, peuvent monopoliser le champ des relations, devenant ainsi très dangereuses.
Vous, artisans de paix, le savez bien, lorsque vous agissez pour la paix dans une situation de violence, de guerre. Vous savez que la paix ne peut pas être construite sur un dualisme rationnel qui présuppose la distinction précise entre bien et mal, la lutte entre les deux et, finalement, la victoire du bien sur le mal. La vie ne s’identifie pas au bien. Une chose peut être vraie sans être « bonne ». La vie est à la fois bien et mal, elle est tension, conflit : construire la paix ne signifie absolument pas vouloir créér une civilisation où le mal serait détruit par la puissance du bien. Le mal ne saurait être totalement séparé du bien, ontologiquement, et vice-versa. Les hommes et les femmes avec qui vous travaillez, vous et nous, nous sommes tous un mélange de bien et de mal. L’existence individuelle et sociale qui veut être élaborée par la négation de cette complexité aboutit, paradoxalement, à sa propre destruction.
L’art de la paix concerne, donc, les modes de gestion responsable de la violence dans les relations des hommes entre eux et avec leur environnement. Il ne concerne pas directement la guerre ou la non-guerre. Il s’agit de l’élaboration et de la mise en œuvre de formes de gestion pacifique des différences qui existent au sein de toute relation. Loin de nier les différences ou les oppositions, voire de les supprimer, il s’agit de les assumer pour inventer de nouvelles modalités d’articulation. Si les conflits nés des différences peuvent conduire à l’affrontement violent, l’art de la paix a pour vocation de faire de ces conflits l’occasion d’un enrichissement mutuel.
« On ne peut réduire la construction de la paix à l’étude des causes apparentes de la violence et espérer construire la paix en supprimant ces seules causes. Des rivalités d’intérêt et de pouvoir, des appétits de puissance, l’agressivité humaine, la concurrence, la nécessité de cohabiter au sein des sociétés où coexistent des systèmes de valeurs, des cultures et des peuples à l’histoire différente existeront toujours. Vouloir supprimer ces causes dans l’espoir de construire la paix c’est rêver à la solution ultime qui abolit l’Autre. Cette logique folle est à l’œuvre dans de multiples points du globe. On ne peut contribuer à construire une paix véritable en niant les contradictions et le droit de l’Autre à exister, même s’il est radicalement, irréductiblement, différent de soi. Construire la paix suppose de concevoir des modalités pacifiques de gestion des contradictions et des différences… » (Pierre Calame, « Construire la Paix », Introduction, dossier 56, éditions Charles Léopold Mayer).
C’est en ce sens que la construction de la paix plus qu’une science, plus qu’une stratégie, plus qu’une technique, est un Art.
C’est dans cette perspective que la dénomination « IRENEES » trouve son sens : il ne s’agit pas de la connotation idéaliste, pacifiste et « irénique » que celle-ci a reçue au Moyen-Âge lorsqu’elle a été investie par une certaine philosophie platonique et par l’esprit religieux de l’époque.
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IRENEES est une variante du mot grec « EIRENE » qui, à l’époque d’Athènes, faisait référence à {la paix dans la cité comme une responsabilité politique des citoyens}}.
La paix ne faisait pas appel à la non-intervention ni au pacifisme, elle faisait appel à la responsabilité citoyenne. C’est pour ces raisons que l’art de la paix n’est pas axé sur le « pourquoi des guerres » mais sur le « comment de la paix ». Il s’agit de la paix qui concerne à la fois le domaine de la citoyenneté et du politique, de la gouvernance dirions nous aujourd’hui ; le domaine des valeurs et de l’éthique ; le domaine de la gestion et de la distribution des ressources naturelles ; le domaine de la sécurité et des relations internationales…
La dénomination « Irenees » fait référence à la responsabilité des citoyens, à leur esprit critique, à leurs capacités d’alliance, à leur engagement dans la construction d’un monde qui fait le choix de la paix.