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Montargis, 2000

Enseigner autrement : l’apport de la médiation en pédagogie

Depuis quelques années la médiation entre dans l’école, plus exactement dans la cour de récréation, pour tenter d’apporter une réponse aux situations de tensions qui s’y développent. Avec le travail d’Annie Cardinet, conseil et chercheur en pédagogie, la médiation est invitée à franchir le seuil de la classe. Dans un livre paru récemment (1), elle met en lumière les enjeux fondamentaux d’une pratique de la médiation en pédagogie.

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En inscrivant son propos entre une préface de Reuven Feuerstein et une postface de Jean-François Six, l’auteur situe d’emblée le cadre de son travail : faire une étude comparée des thèses développées par ces deux théoriciens de la médiation, l’un dans le domaine des outils pédagogiques et l’autre au niveau du concept même de médiation. Au-delà du terme commun, les deux notions recouvrent pourtant des réalités fort différentes. Il ressort cependant de cette confrontation de bien intéressantes perspectives.

L’acte d’apprendre

Professeur de psychologie à l’université de Jérusalem, Reuven Feuerstein a développé, en collaboration avec Ya’acov Rand, une démarche originale destinée à faciliter les apprentissages (2).

Le processus se fait en deux étapes :

  • D’abord, évaluer chez l’apprenant les mécanismes d’acquisition des connaissances (procédures dites « cognitives ») pour en déceler les éventuelles déficiences.

  • Dans un second temps, corriger ce qui peut perturber le bon fonctionnement de la pensée.

Ce « Programme d’enrichissement instrumental » (PEI), fait partie d’un ensemble de méthodes dont le but est de dynamiser — ou redynamiser — l’activité intellectuelle en direction notamment d’élèves en difficulté ou d’adultes en formation (3). À la base, un principe simple, positif, qui considère que tout être humain est capable d’améliorer sans cesse ses capacités à apprendre.

Nombre de ces méthodes font référence à la médiation :

  • Le formateur ou l’enseignant joue le rôle d’intermédiaire, de « passeur » entre le contenu de l’enseignement et la personne qui reçoit cet enseignement.

  • Le pédagogue s’implique dans la relation savoir-apprenant au point d’en devenir le catalyseur. {{Il ne s’agit plus pour l’élève ou le stagiaire d’accumuler des connaissances ni même d’acquérir des méthodes de travail, mais d’entreprendre, avec le pédagogue, une démarche qui va le conduire à la découverte de ses propres mécanismes d’apprentissage.

Certaines difficultés particulièrement tenaces pourront nécessiter de modifier ces outils d’apprentissage ou de combler des lacunes de précédentes médiations, on parle alors de remédiation.

D’une façon générale, toute intervention volontaire d’un tiers entre celui qui apprend et ce qui est à apprendre modifie la relation entre le formé et le contenu de la formation, entre l’élève et le savoir. « Ces situations médiatisées, souligne Annie Cardinet, ont un impact particulier sur le développement de l’intelligence et de la capacité à apprendre ». Il est cependant indispensable que celui qui apprend soit pleinement impliqué dans la méthode. En effet, poursuit l’auteur, « s’il n’a pas cette activité mentale, aucun maître, même excellent, ne pourra faire qu’il progresse. Il pourra lui inculquer des éléments de savoir, changer ses comportements, mais non permettre le développement et la construction d’un savoir spontanément sollicitable. »

Le résultat le plus immédiat de ces actions éducatives est de redonner confiance aux personnes à qui elles sont proposées car elles sont basées sur l’écoute et le respect et visent à l’autonomie. L’individu retrouve le droit de penser, de réfléchir, et l’occasion d’utiliser les moyens intellectuels dont il dispose. Ce programme a été introduit, en 1983, dans l’Éducation nationale puis, en 1986, dans la formation continue. Il a contribué à faire connaître plus largement la notion de médiation pédagogique et à faire prendre en compte la dimension psychologique de la pédagogie.

Rétablir la communication

La médiation telle que l’a notamment décrite Jean-François Six (4) est un processus qui met en jeu, non plus deux personnes et un savoir à acquérir, mais trois personnes au moins : deux parties qui partagent un même problème et une troisième, le médiateur, qui tente d’établir, ou de rétablir entre elles la communication défaillante. Rappelons-le, le médiateur n’a pas pour but de définir un gagnant et un perdant, mais d’aider les protagonistes à retrouver la maîtrise de « leur » conflit pour tenter d’y apporter une solution. Médiation de quartier, médiation dans un groupe, médiation familiale… il existe de nombreux espaces où le médiateur peut exercer ses talents pour faciliter les relations humaines et rendre vie au tissu social dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est grandement endommagé (5). De sa capacité personnelle à être attentif aux propos des uns et des autres, souvent contradictoires, puis à les reformuler pour s’assurer de la bonne compréhension, dépendra la réussite de la médiation. Ni juge, ni arbitre, le médiateur n’est pas chargé de « recoller les morceaux ». C’est par une écoute active qu’il peut permettre aux parties en conflit de retrouver la voie du dialogue. Il sera réceptif non seulement aux faits énoncés mais aussi aux sentiments exprimés ou ressentis. Cette reconnaissance des émotions que vit la personne concernée par un conflit peut permettre à celle-ci de dépasser ses sentiments et d’accepter une négociation.

La médiation est également mise en oeuvre dans bien d’autres domaines tels que juridique, social, scolaire, de l’entreprise, etc. Les pratiques de médiation sont multiples et se situent essentiellement dans le cadre relationnel et social. Jean-François Six s’est attaché à préciser le concept même de médiation, en décrivant son contenu, les formes qu’il peut prendre, le cadre dans lequel il peut exister. Il défend notamment l’idée que la médiation ne se confond pas avec la résolution de conflits. À son avis, elle est d’abord créatrice, rénovatrice, préventive, avant d’être « curative » dans certaines situations conflictuelles. « Bien évidemment, dans la pratique, note Annie Cardinet à propos de cette classification, les choses ne se présentent pas avec autant de différence et de netteté », mais cela a le mérite de proposer un cadre de réflexion et d’expérimentation. Après avoir rappelé les grandes lignes de la théorie de la médiation en secteur juridique ou social, l’auteur entreprend une comparaison minutieuse avec les caractéristiques de la médiation pédagogique décrite précédemment.

Au-delà des précautions nécessaires tenant compte des différences de situations et d’applications, Annie Cardinet constate une « adéquation entre ces deux conceptions ». Selon elle, « les définitions et la classification de J.-F. Six peuvent s’adapter à une médiation entre êtres humains et savoirs ». De même que la médiation sociale peut avoir une dimension préventive (améliorer les relations humaines) et une dimension curative (intervenir en situation conflictuelle), la médiation pédagogique peut être considérée non seulement comme une « thérapie de l’apprentissage » mais aussi, et d’une façon plus générale, comme l’attitude pédagogique la plus créatrice et la plus efficace dans tout acte d’apprentissage. Car tel est bien l’objectif de l’enseignant, du formateur ou de l’éducateur : créer un lien entre celui qui apprend et l’objet de son apprentissage, et lui permettre d’en tisser entre les différents éléments de ce qui devient son savoir.

Une alternative pédagogique

Annie Cardinet reconnaît volontiers que cette démarche demande — ou entraîne — de profondes remises en cause du système éducatif. Ces méthodes demandent, par exemple, d’autres structures que les classes actuelles de 25 ou 30 élèves. Mais elle propose dès maintenant aux enseignants, aux éducateurs et aux formateurs une manière de sortir des schémas habituels pour inventer une nouvelle relation entre enseignant, enseigné et enseignement. Alors que les frontières s’estompent entre l’économique et le social, l’éducatif et le curatif, enseigner peut de moins en moins se résumer à une transmission des savoirs faisant appel à la seule intelligence.

Alors que les enseignants sont confrontés quotidiennement à l’urgence de situations sans avoir les moyens d’y faire face, la médiation pédagogique constitue un éclairage nouveau sur le processus éducatif et sur le rôle des différents acteurs dans ce processus.

Le pédagogue médiateur s’inscrit et inscrit l’apprenant dans un projet social. Il propose des méthodes et des techniques pédagogiques adaptées au contenu de la formation et aux personnalités des apprenants. Il donne à chacun de ses actes une signification et un but, pour responsabiliser et conduire l’apprenant vers l’autonomie. L’ouvrage décrit les différentes phases du processus et les outils utilisés en médiation pédagogique. En fin de compte, la relation entre apprenant et médiateur n’est plus une relation de pouvoir de l’un sur l’autre car, comme le souligne Annie Cardinet, « le véritable pouvoir du médiateur se trouve dans sa capacité, étant donné ses connaissances de l’objet d’apprentissage et de l’acte d’apprendre, à permettre d’acquérir des concepts, des stratégies, des savoirs, d’agir mentalement et pratiquement selon des principes reconnus comme efficients en fonction des diverses situations de problèmes ».

La confrontation entre ces deux conceptions de la médiation se révèle riche d’enseignements et de perspectives. Elle débouche sur une alternative pédagogique dont l’intérêt n’échappera pas à qui s’intéresse aux recherches en matière d’éducation non-violente. Et, à l’image de la médiation sociale qui trouve expression et sens en situation de conflits, la médiation pédagogique répond le plus souvent à une situation d’urgence : « La décision de l’utiliser vient souvent du constat de difficultés diverses face à l’apprentissage ou à l’adaptabilité des conduites », reconnaît Annie Cardinet qui convient, par ailleurs, que la médiation « ne peut être, en matière de résolution de conflits, qu’une manière non violente de ce faire. » Un avis que nous partageons bien volontiers et qui nous conduit à considérer que la médiation, après être entrée dans la cour de récréation, doit pouvoir, dorénavant, trouver une place de choix dans la classe même.

Notes

  • Auteur de la fiche : Guy Boubault, Membre du conseil d’administration et rédateur de Non-Violence Actualité.

  • (1) : Annie Cardinet, Pratiquer la médiation en pédagogie, Éditions Dunod, 1995. Du même auteur : Écoles et Médiations, Éd. Érès, avril 2000.

  • (2) : R. Feuerstein, Y. Rand, M.B. Hoffman, R. Miller, Instrumental Enrichment, An Intervention Program for Cognitive Modifiability, Éditions Scott, Foresman and company, Glenview, Illinois, 1980.

  • (3) : À propos du PEI : Rosine Debray, Apprendre à penser, le programme de R. Feuerstein : une issue à l’échec scolaire, ESHEL, Paris 1989. Lire aussi:Pédagogies de la médiation, Autour du PEI, Éditions Chronique Sociale, Lyon, 1990.

  • (4) : Jean-François Six, Le Temps des médiateurs, Éditions du Seuil, 1990.

  • (5) : Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, La médiation, une justice douce, Éditions Syros, 1992. Lire également La médiation, Éditions NVA, 1993.