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Analysis file Dossier : La transformation politique des conflits

, Grenoble, June 2006

Institutionnaliser le pouvoir des leaders traditionnels

Légitimité et démocratie en Afrique.

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Considérons la démocratie comme un système pour gérer les conflits et permettre l’expression d’opinions divergentes. Ces systèmes participent de la gouvernance et de la démocratisation. En premier lieu, un bilan de l’introduction de la démocratie en Afrique sur le modèle occidental est loin d’être positif. Plutôt que de susciter une plus grande responsabilité des dirigeants vis-à-vis des populations, les élections démocratiques en Afrique représentent trop souvent une opportunité d’enrichissement personnel pour les élus et pour leurs réseaux. En second lieu, lorsqu’une une guerre civile survient, la communauté internationale intervient pour accompagner la transition vers la démocratie. Celle-ci suit le modèle d’une brève période de libéralisation, de la tenue d’élections et dans certains cas d’une longue période de consolidation démocratique par le renforcement des institutions gouvernementales et de la société civile. Or, ce modèle n’est sans doute pas le mieux adapté pour assurer la paix. La rupture avec les systèmes traditionnels de gouvernance et de résolution des conflits pendant la période coloniale et postcoloniale a créée un vide au niveau de la gestion d’un grand nombre de conflits sur le continent. Ces systèmes traditionnels, peuvent-ils encore servir comme source d’inspiration dans les institutions censées de gérer les conflits ? Cette fiche explore quelques expériences d’institutionnalisation des leaders traditionnels dans la politique formelle en Afrique (Somalie, Somaliland, Afrique du Sud)

L’échec de la démocratie à l’occidentale

“La démocratie ne peut pas être comme une bouteille de Coca que chacun est obligé de boire.” (1)

Nombreux sont les exemples où le modèle occidental d’une démocratie parlementaire n’a pas donné les résultats escomptés, comme le montrent les nombreux coups d’Etat dans les années 1970 et 1980 (Côte d’Ivoire, Ethiopie, Zimbabwe, Tchad, Libye, Soudan, Cameroun), l’institution des partis uniques (Erythrée, Malawi, Tanzanie, Zambie, Kenya, Mali et Gabon) et la désintégration de plusieurs pays dans les années 1990 (Somalie, Rwanda, Zaïre, Liberia et Sierra Leone). Plusieurs auteurs africains attribuent ces échecs au fait que le modèle démocratique appliqué ait été importé de l’Occident et ne correspond pas aux réalités africaines. Cela ne veut pas dire que la démocratie en soi - comme forme de gouvernement dans lequel la souveraineté appartient au peuple - est incompatible avec les cultures africaines, cette critique ne s’applique qu’à la tentative de calquer un certain modèle. Deux de ces auteurs critiques cités ici sont l’ancien président de la Tanzanie Julius Nyerere, et Jannie Malan. J’insiste ici sur les facteurs culturels. Les facteurs structurels sont déjà mentionnés dans la partie précédente sur les relations au pouvoir. Celles-ci ont évolué avec la colonisation et la modernisation.

Ces réalités s’articulent autour des éléments culturels suivants :

  • Importance du consensus

  • Respect des Anciens

  • Système de croyances

Les systèmes traditionnels sont basés sur le principe du consensus, alors que la démocratie occidentale est fondée sur la loi de la majorité : la population accepte de céder l’ensemble de la prise de décision aux vainqueurs au détriment des vaincus. La procédure électorale n’est pas (nécessairement) perçue comme un progrès par l’ancienne génération, si tant est que les jeunes générations l’acceptent comme telle. Barbara Kingsolver, dans le « Poisonwood Bible » décrit très bien les perceptions possibles de la démocratie importée. Dans son livre, le chef d’une tribu locale congolaise - Tata Ndu - parle avec Tata Price - un missionnaire américain - au début des élections démocratiques :

“In the hazy heat Tata Ndu paused to take off his hat, turn it carefully in his hands, then replaced it above the high dome of his forehead. No one breathed. “White men tell us: Vote, bantu! They tell us: You do not all have to agree, ce n’est pas nécessaire! If two men vote yes and one says no, the matter is finished. A bu, even a child can see how that will end. It takes three stones in the fire to hold up the pot. Take one away, leave the other two, and what? The pot will spill into the fire. […] But that is the white man’s law, n’est-ce pas?” he asked. “Two stones are enough. Il nous faut seulement la majorité.” (2)

Un concept clé de la sagesse africaine pour la résolution des conflits, et qui a joué un grand rôle dans la transformation des conflits en Afrique du Sud, est le concept d’Ubuntu. Malan définit ainsi ce concept : « un être humain n’est un être humain qu’à travers les êtres humains ». Ainsi, tout être humain ne devient véritablement être humain que grâce à sa relation avec d’autres êtres humains. Sous ce regard, les querelles et les conflits entre humains sont dommageables pour l’ensemble du réseau relationnel et doivent donc être traités d’une manière constructive. Une démocratie ne peut fonctionner que si tous ses participants osent exprimer leurs désaccords et que ce débat est respecté par le pouvoir. La tradition africaine du respect pour les Anciens peut heurter un système démocratique quand le président - du fait de sa position et de son âge - s’attend à être obéi quoi qu’il arrive. Une démocratie où le président n’accepte pas d’être contredit et où personne n’ose le contredire ne permettrait pas d’équilibrer le pouvoir en place. Le chef Tata Ndu, dans le livre de Kingsolver, commente aussi l’érosion du respect des Anciens dans le système démocratique:

“Our way was to share a fire until it burned down, ayi? To speak to each other until every person was satisfied. Younger men listened to older men. Now the Beelezi tell us the vote of a young, careless man counts the same as the vote of an elder.” (3)

Dan Connell, un journaliste américain qui a suivi la lutte de libération en Erythrée, son passage à l’indépendance et à la démocratie, constate cette même difficulté de continuer à écouter la population, une fois au pouvoir. Il note qu’un mouvement de lutte contre l’oppression, qui était à une époque une expérience de la démocratie populaire, est devenu une source d’oppression. Son président Isaias Afwerki et ses alliés proches ont supprimé l’idée de co-gouvernance.

Finalement, les systèmes de croyances peuvent aussi heurter la démocratie en vigueur. Ansay, Deutsch et Mwana wa vene décrivent ainsi le système de croyances dans la culture africaine : « L’Africain a toujours chéri l’accord entre les diverses sphères ou niveaux de réalités : divinités supra-naturelles, Ancêtres, voisins, animaux, plantes… Le monde visible et le monde invisible sont en constant échange. Il n’y a pas de discontinuité entre ce monde et le monde de l’au-delà. Il n’y a pas, si l’on a mené une vie misérable ici-bas, de récompense au ciel, de compensation dans l’au-delà. » Cette conscience de la continuité entre la vie et la mort s’accorde mal des courts mandats électifs et des responsabilités qui cessent avec la fin des mandats. On aurait pu espérer que cette conscience mène à une plus grande responsabilité vis-à-vis de la population et de la nature. La réalité nous montre le contraire.

Démocratie de parti unique comme tentative de préserver les valeurs culturelles

L’échec de la démocratie à l’occidentale comme le montrent le phénomène des partis uniques, les guerres et la désintégration des Etats doit désormais être compris dans ce contexte structurel et culturel. Regardons de plus près le monopartisme qui peut être expliqué d’un point de vue économique et idéologique. L’ancien président kenyan Arap Moi aurait dit - selon Nuyere - qu’il « était ennuyé que le FMI et la Banque mondiale voulaient à tout prix le multipartisme, alors qu’il n’en avait pas les moyens.” (4) L’argument le plus important est-il celui des moyens eux-mêmes ou de leur emploi ? L’Etat est celui qui dispose des plus grands moyens et qui décide de leur allocation. Les postes de fonctionnaires sont attribués aux membres du parti vainqueur, du fait de l’existence des réseaux de loyauté (5). Il reste donc peu d’alternatives pour les partis de l’opposition. Le seul moyen à leur disposition est de rejoindre le réseau des vainqueurs pour espérer entrer dans l’administration. Ensuite, pour faire disparaître toute compétition au pouvoir, il suffit d’éliminer le noyau dur des fidèles de l’opposition. Le système du parti unique est dès lors instauré. L’Ancien président tanzanien, Nyerere confirme ce développement lors d’un entretien en 1995:

“Quand le Tanu [parti qui a libéré le Kenya de l’autorité coloniale] a été lancé, il est très vite monté en puissance, dominant toute la vie politique du pays. Et c’est paradoxalement, à travers les élections que ce mouvement est devenu, par la force des choses, un parti politique. Avant l’indépendance, il y avait eu des élections et le Tanu avait raflé tous les sièges. Ensuite, au cours d’une autre élection, nous avons obtenu soixante-dix sièges. Seul un siège nous a échappé. [..] Sur les soixante et onze sièges à conquérir, nous n’avions rencontré aucune opposition pour cinquante-huit d’entre eux, et les douze restants, nous les avons conquis sans difficulté. [..] Une Commission avait été créée pour rechercher les meilleures options pour organiser de vraies élections, parce que le Tanu écrasait toutes les autres formations et remportait tous les suffrages. Cette commission a répondu que la meilleure stratégie à adopter, pour permettre à la population de choisir entre plusieurs candidats, serait de mettre à chaque élection trois membres du parti en concurrence, l’élu devant obtenir un maximum de voix.“Ce n’est donc pas parce que nous étions idéologiquement opposés au multipartisme que nous avons évolué vers l’institutionnalisation du système monopartiste.” (6)

Cette expérience montre une des limites de la démocratie : le monopartisme peut être le résultat d’élections nationales (c’est la « démocratie de parti unique »). Nyerere défend d’ailleurs l’idée que le parti unique a aidé à construire la nation.

Idéologiquement, le parti unique était défendu comme un retour aux temps pré-coloniaux, lorsque le consensus était la manière de gérer la politique. Le mouvement pour la « démocratie africaine » était inspiré par un désir de réintroduire les modèles traditionnels africains orientés vers le consensus et l‘unité. Suivant cette ligne, le système de parti unique était à la fois justifié et encouragé. Selon Mpalanga, « les pères fondateurs de cette démocratie de parti unique louaient ce système comme un retour au passé heureux lorsque les Anciens s’asseyaient sous l’arbre à palabres et parlaient jusqu’à ce qu’ils trouvent un accord » (7). L’auteur constate cependant que le bilan de l’Etat monopartiste est négatif, il est devenu autoritaire et générateur de conflits internes.

Structures traditionnelles compatibles avec des Etats modernes

“Les changements doivent être positifs, modelés et instaurés par l’Afrique et ne pas être seulement une réaction aux événements qui l’affectent. Car le choix n’est pas entre le changement ou le refus du changement, le choix pour l’Afrique réside entre changer ou être changée.” (8)

Si la recherche du consensus, le respect des Anciens et les systèmes de croyances se heurtent à une gouvernance de nature démocratique (occidentale) en Afrique et si le monopartisme n’a créé que des régimes autoritaires, quelles nouvelles structures et quelles méthodes de résolution de conflits sont imaginables ? Dans leur collection de textes ressemblés pour la contribution à l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, Ansay, Deutsch et Mwana wa vene de l’Institut de la Vie à Bruxelles citent plusieurs sources de paix en Afrique.

  • Premièrement, la médiation par des grands sages africains à l’occasion de conférences internationales (N. Mandela, J. Nyerere, L. Sedar Senghor, T. Mbeki, Mustapha Niassé) : les grandes conférences nationales sont décrites par les auteurs comme une convocation du peuple à chercher et à inventer des manières de vivre ensemble.

  • Deuxièmement, des traditions, des systèmes d’organisation, remontant parfois au 16ème siècle, qui se trouvent face à de nouveaux défis, comme des Bashingantahe au Burundi (9), le gacaca au Rwanda (« la justice sur le gazon », revisitée par l’Etat moderne, a l’immense et difficile tâche de faire connaître la vérité sur le génocide, et les événements qui l’ont accompagné, mais aussi celle d’exercer son potentiel de guérison) (10) ou encore la Commission Vérité et réconciliation, en Afrique du Sud (instance ad hoc pour la restauration de la dignité des victimes et la réconciliation de la société toute entière). Au Burundi, comme le note Ph. Ntahombaye dans cette collection, la tradition, le médiateur et la conciliation font partie du système judiciaire (loi de 1987, art.209) « contrairement aux autres pays comme la France où la médiation est considérée comme une technique extra-judiciaire ». Mais les médiateurs institutionnels ne sont cependant pas absents du paysage français (11).

Ils voient ensuite que les systèmes de croyances contribuent à une volonté de résolution des conflits. Tout conflit - selon eux - est « une atteinte à l’ordre et à l’unité de la création et au réseau qui relie les dieux, les Ancêtres, les hommes… L’effort de l’homme africain sera toujours de restaurer l’unité, l’harmonie, les relations rompues par le conflit. Sa démarche de pacification ne se limitera pas à un règlement froid, distant, technocratique mais visera à une réconciliation des cœurs et des esprits. » (12) Même si ces éléments font bien partie de la culture africaine, dans la vie quotidienne nous remarquons que les injustices structurelles ébranlent cette volonté de voir l’unité. Ce concept est opérationnel dans l’utilisation du terme ubuntu par Nelson Mandela et par l’Archevêque Tutu en rapport avec la défense de l’idée de « nation arc-en-ciel » et avec le travail de la Commission Vérité en Afrique du Sud.

Vers de nouvelles structures…

Tout changement du système de gouvernance exige des évolutions au sein de la société. Des individus nouveaux dans un système inchangé n’auront aucun effet parce que les relations de pouvoir resteront les mêmes. Le système est imbriqué dans la société, ce qui explique la stabilité des systèmes de pouvoir et la difficulté d’imposer la démocratie (13). Donc il faut prendre en compte les relations au pouvoir et les réalités culturelles. Retourner aux systèmes traditionnels peut être un point de départ du développement des institutions futures. Quelques exemples des institutions récentes qui se sont inspirés des systèmes traditionnels :

  • Le Guurti en Somaliland ;

  • Les chefs traditionnels en Afrique du Sud ;

  • Les gacacas au Rwanda.

Conseil des chefs traditionnels au Somaliland

La Somalie offre l’occasion à Besteman d’analyser une nouvelle forme décentralisée de la structure étatique. L’auteur présente deux types de modèles : au lieu d’un Etat-nation, avec un territoire délimité, un gouvernement central soutenu par sa population et une capitale, elle propose une fédération régionale comme un modèle plus adapté aux réalités sociales de certains pays africaines. La fédération serait constituée d’unités géographiques dirigées par des pouvoirs locaux forts. Cette forme offre la possibilité d’une plus grande implication des dirigeants et une plus grande représentativité. Alors que la communauté internationale essaie d’intégrer les différentes factions somaliennes dans un nouveau gouvernement central, au Somaliland, la paix est pensée et mise en œuvre avec des acteurs uniquement locaux. Cette ancienne province du Nord-ouest de la Somalie offre un exemple intéressant de système politique associé à un conseil des chefs traditionnels, le Guurti. Ce dernier garantit que les clans perdants pendant le processus électoral seront néanmoins représentés au sein du pouvoir législatif. La construction de l’Etat après une situation de guerre nécessite une coopération des communautés locales et leurs structures doivent être implantées dans la réalité locale. Désormais, la participation de la communauté internationale est primordiale dans le processus de construction de l’Etat, si elle se fait dans le cadre d’un soutien aux initiatives locales.

Intégration des dirigeants traditionnels en Afrique du Sud

L’Afrique du Sud présente un exemple où des tentatives ont été faites pour partager le pouvoir de l’Etat central avec des autorités locales et traditionnelles. Le gouvernement a su faire progresser la démocratie même si des antagonismes persistent, notamment ceux opposant l’Afrique du Sud rurale et traditionnelle et l’Afrique du Sud urbaine et moderne. Le gouvernement a « dé-féodalisé » les zones rurales tout en gardant des caractéristiques de la culture africaine noire. Les autorités traditionnelles étaient, avant 1994, légalement le premier niveau d’administration en zone rurale noire et constituaient souvent plus de 50% des parlements des bantoustans. Cette élite rurale administrait la population et était chargée du maintien de l’ordre public ainsi que de la prestation de services publics de base (santé, éducation, eau, électricité, transport, gestion foncière etc.). Bien que ces chefs étaient alors soumis au gouvernement blanc selon une forme du principe de l’indirect rule (14) colonial, ils restaient la principale autorité dans les zones rurales.

La loi prévoit l’établissement d’un Conseil traditionnel qui doit être composé de membres choisis par le chef, d’un tiers de femmes et d’autres membres élus démocratiquement. Ce Conseil et sa composition témoignent d’une modernisation de l’institution car l’obligation d’un Conseil introduit l’encadrement du chef et sa composition la rend compatible avec les principes constitutionnels (non-discrimination et démocratie). Mais les pouvoirs de ce conseil restent indéfinis : la loi prévoit seulement qu’il ait un rôle ouvert, c’est-à-dire que les administrations peuvent lui déléguer des missions non énumérées par la loi. Cette clause « compte tenu des vues de l’ANC sur la chefferie traditionnelle […] fait figure de concession creuse. » (15) Toujours est-il que ce Conseil institutionnalise le rôle consultatif de la chefferie traditionnelle.

Un point essentiel de ce projet de loi est la prise en compte du problème de légitimité des chefs traditionnels, faits et défaits par l’administration coloniale et le régime d’Apartheid, selon leur soumission au régime en place. Il instaure une nouvelle forme de reconnaissance étatique des chefs par le biais de l’octroi de certificats, sous certaines conditions : l’assurance que la désignation du chef s’est faite conformément aux règles coutumières, qu’il n’a pas de casier judiciaire et qu’il n’est pas mentalement déficient. En bref, l’Etat s’accorde le pouvoir de démettre les chefs tribaux. La nécessité de l’aval étatique renforce le contrôle de l’Etat sur cette institution et amenuise ainsi son pouvoir. Pour autant, cette reconnaissance est bien le témoin du caractère incontournable de la chefferie traditionnelle dans la société sud-africaine. Et si on constate un manque de données sur la perception et le soutien dont bénéficient les chefs, ce qui nous empêche de connaître la réelle légitimité de cette institution, certains ont pu observer une évolution récente, celle de l’apparition d’une nouvelle génération de chefs, jeunes et éduqués, qui s’intéressent au développement local et cherchent à s’adapter au nouveau contexte démocratique (16).

Vasu Gounden estime que le grand avantage des dirigeants traditionnels en Afrique du Sud est qu’ils garantissent un pouvoir visible dans les provinces rurales. Dans un Etat qui fonctionne, infuser les méthodes traditionnelles reste néanmoins délicat. L’intégration des chefs risque de créer deux classes de justice. Le meilleur exemple de recours aux méthodes traditionnelles est le système de gacaca pendant la phase de (re)construction de l’Etat au Rwanda. Dans ce pays, le système judiciaire entier étant détruit, l’Etat n’aurait jamais pu organiser un procès de masse s’il avait mis en œuvre un système judiciaire moderne. En plus, les tribunaux gacaca étaient utilisés comme une forme indigène de “restorative justice” et servaient comme stratégie de réconciliation et de construction de la nation (17). La conclusion qu’on peut tirer des exemples ci-dessus est que les systèmes traditionnels de résolution des conflits en Afrique peuvent inspirer les institutions étatiques actuelles. Le défi consiste à trouver un équilibre entre complémentarité et compétitivité.

Notes

  • (1) : Citation de Nyerere dans Gakunzi et Obe Obe, 1995, p 65.

  • (2) : Citation de Barbara Kingsolver The Poisonwood Bible p 333

  • (3) : ibid

  • (4) : Gakunzi et Obe Obe, 1996, p 66

  • (5) : Veen, R. van, 2004

  • (6) : Gakunzi et Obe Obe, 1996, p 65

  • (7) : Mpangala 1992 : 25-26, traduction de l’auteur.

  • (8) : Nyuere in Gakunzi et Obe Obe, 1996, p 65

  • (9) : A. Ntabone dans Ansay, M. , et Mwana wa vene (ed.), Racines de Paix en Afrique, A la rencontre des traditions de paix dans la région des Grands Lacs, Contribution à l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire (étape 2004-2010), 2005.

  • (10) : P. Rutayisire dans Ansay, M. and Mwana wa vene (ed.), Racines de Paix en Afrique, A la rencontre des traditions de paix dans la région des Grands Lacs, Contribution à l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire (étape 2004-2010), 2005.

  • (11) : Six, J.F. Dynamique de la médiation, Desclée de Brouwer, Paris 1995, p 285.

  • (12) : P. Rutayisire dans Ansay, M. , and Mwana wa vene (ed.), 2005 p 202-203.

  • (13) : Ces idées sont influencées par Hisham Matar, un écrivain libyen dans l’article: “De Dictatuur zit ook in de Libiërs zelf”, Trouw 15 juin 2006.

  • (14) : Principe de gouvernement en vigueur dans de nombreuses colonies britanniques qui consiste à contrôler un territoire à travers ses autorités coutumières. Celles-ci restent en place en échange de leur soumission.

  • (15) : Vircoulon, Thierry. « Que faire des chefs coutumiers dans la nouvelle Afrique du Sud ? » en Afrique du Sud démocratique ou la réinvention d’une nation¸ L’Harmattan, 2004, p 63.

  • (16) : Dijkema, C. et Lagrange, M. « Partage du pouvoir: que faire de la chefferie traditionelle en Afrique du Sud » dans Processus de transition et réfome de l’Etat, Irénées (www.irenees.net), 2005

  • (17) : Rusagara, F.K. Gacaca as Reconciliation and Nation-building Strategy in post-genocide Rwanda dans Conflict Trends, ACCORD, 2005.