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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Paris, juillet 2008

La paix par l’humanitaire: solidarité, utilité et urgence

La paix par l’action humanitaire est un troisième aspect que l’on peut distinguer des actions de construction de paix. Elle entremêle les actions sanitaires et alimentaires, économiques, environnementales et sociales.

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La paix par l’action humanitaire est un troisième aspect que l’on peut distinguer des actions de construction de paix. Dans l’action des organisations européennes, l’action humanitaire n’est pas celle qui a le plus de visibilité. En général, les ONGs humanitaires ne se présentent pas comme agissant « pour la paix », et les ONG intégrant l’humanitaire dans leur action de paix ne sont pas les plus nombreuses. De plus, il est intéressant de remarquer que de nombreuses ONG clivent leur action humanitaire de leur action pour la paix.

Nous avons choisi de réunir ici sous la notion « humanitaire », les actions réalisées à des fins « humanitaires », c’est-à-dire qui répondent aux besoins humains en cas de sinistres, de crises ou de guerres. Ainsi, en analysant les acteurs de paix européens, nous avons pu établir une action humanitaire répartie en quatre thèmes principaux :

  • L’action sanitaire et alimentaire ;

  • L’action économique ;

  • L’action environnementale ;

  • L’action sociale.

Ces thèmes s’entremêlent dans les programmes des organisations comme sur le terrain. Ainsi, nous devons les étudier dans ce qui les rassemble : la solidarité, l’utilité, et l’urgence.

L’aide de terrain et son lien avec la paix

L’humanitaire se distingue des aspects politiques et culturels de la paix par ses aspect solidaires, utiles et d’urgence. Ces trois caractéristiques font de l’action humanitaire une aide de terrain.

L’humanitaire se distingue du politique et du culturel par la solidarité. Cela ne signifie pas que l’action politique et l’action culturelle pour la paix soient dénuées de solidarité. En effet, il paraît évident de retrouver cette dimension d’attention à l’autre dans toutes les actions de paix, qu’elles soient politiques, culturelles ou humanitaires. Cependant l’humanitaire centre son action sur la solidarité. Alors que la solidarité est une valeur éthique pour l’action politique et l’action culturelle de paix, elle est action solidaire en elle-même dans l’humanitaire.

L’action humanitaire est en effet présentée principalement comme une « aide pratique » ou une « aide d’urgence » (1). L’humanitaire mobilise presque automatiquement la notion d’aide. Elle implique une solidarité entre les personnes en besoin et les personnes pouvant leur offrir un soutien. Cette dimension évoque un esprit de paix certain. L’action humanitaire possède par là une dimension éthique, dans la mesure où elle fait un choix précis, celui de se tourner vers l’autre. Ainsi, si l’on peut séparer la construction de paix de l’action humanitaire, l’humanitaire est une action de paix, dans la solidarité, l’attention à l’autre.

A cette dimension s’ajoute l’aspect pratique. En effet, plus que pour les actions politiques et culturelles, l’humanitaire s’aborde d’abord par son aspect pratique. Cela ne signifie pas qu’il est dénué de valeurs éthiques ou morales : son action est une action de terrain, pratique, portée par des valeurs. La plupart des organisations n’évoquent aucune action théorique dans l’humanitaire, cependant l’action humanitaire fait aussi appel à la réflexion et à la théorie. Mais contrairement au couple « théorie/pratique » que nous avons pu élaborer dans les actions politiques et culturelles pour la paix, ce couple « théorie/pratique » ne place pas ses deux éléments sur un même plan. La théorie est ici clairement au service de la pratique. Si elle pose des normes éthiques à respecter, des idées et des finalités, elle le fait pour la pratique de terrain elle-même : l’action humanitaire est d’abord utile. Le critère d’utilité est un fond de l’action humanitaire. Sa finalité est de répondre au mieux et le plus rapidement possible à des besoins vitaux dans des situations critiques.

Le critère d’utilité est corrélatif à l’efficacité. En tant qu’utile et efficace, l’action humanitaire est aide d’urgence. C’est l’urgence de l’action qui rend efficace et effective la pratique humanitaire. Elle n’est pas une simple pratique atemporelle et dans l’absolue : elle est une pratique dans un temps donné par rapport à un besoin précis. L’aide d’urgence signifie d’abord l’intervention la plus rapide possible dans la situation de crise. Nous nous figurons alors une aide immédiate, dans la brutalité d’une situation. Cependant, une situation de crise n’est pas que brutale et brusque dans le temps, mais peut durer d’années en années, en filigrane, et se développer sans montrer de signes brusques de besoins. L’aide humanitaire se mobilise ici aussi. L’aide humanitaire est donc une urgence, dans la rapidité et l’immédiateté de l’action, mais elle peut aussi être urgence dans une action à plus long terme, de la prévention à la réparation. En effet, s’il est plus courant d’entendre l’aide humanitaire comme une action rapide, elle peut-être aussi dans l’urgence d’une action à long terme. Dans certaines situations, il peut être urgent d’agir sur le long terme, en restant présent sur le terrain pour répondre à des besoins qui ne se présentent pas dans la rapidité. Ainsi, on ne saurait limiter l’action humanitaire à l’action rapide de terrain, dans une configuration où une fois l’aide technique et rapide apportée, subvenant aux besoins les plus immédiats, les acteurs quitteraient le terrain. L’action humanitaire concerne aussi l’action d’attention à plus long terme.

La construction de la paix s’entend en général par les différents processus de paix, comme nous l’avons étudié dans une première partie. L’action humanitaire s’en distingue donc sur le plan purement technique, par la réponse aux besoins immédiats. Cependant, par la lecture de nombreuses approches de l’humanitaire, à travers les présentations des organisations, on peut considérer que l’aide de terrain appartient en tant que tel à la construction de la paix entendu comme processus. En effet, l’aide alimentaire, sanitaire, économique, sociale, ou encore environnementale a un effet réparateur comme préventif. Les situations de crise alimentaire, écologiques, sanitaires ou économiques exacerbent les violences sociales. L’aide de terrain, à plus ou moins long terme intervient alors comme une réelle prévention.

L’action humanitaire est alors volontairement ou par extension une action de paix. Parmi les acteurs de paix européens, certains ont une action humanitaire répartie dans les thèmes de la santé et de l’alimentaire, de l’économie, de l’écologie et de la société.

L’action humanitaire : santé, alimentation, écologie, économie et société

Peu d’acteurs européens de paix se consacrent à l’humanitaire, et l’humanitaire est impliqué dans une globalité d’actions et de programmes.

La Fondation pour les Relations Internationales et le Dialogue Extérieur en Espagne n’est pas une organisation spécifique pour la paix. La paix fait parti de ses activités au même titre que l’action humanitaire. Elles sont deux aires d’activités distinctes. L’action humanitaire y est associé au développement, par la coopération. Le choix théorique de la séparation entre la paix et l’humanitaire s’inscrit dans un cadre politique. L’action humanitaire est en effet intégrée à une problématique politique, celle des relations internationales et du dialogue extérieur. La présentation de la FRIDE ne détaille pas le type d’action humanitaire mis en œuvre, l’humanitaire y est donc pris en compte dans sa globalité.

Le Centre Autrichien d’Etude pour la Paix et la Résolution de Conflit présente également une approche globale de l’humanitaire, tout en détaillant ses aspects environnementaux, économiques et développementaux. Ici, ces aspects humanitaires sont compris dans l’action de paix. L’humanitaire est un objet d’études, plus qu’une pratique en tant que telle, observée également dans une approche politique, plus spécifiquement dans le cadre du questionnement de la politique de paix de l’Union Européenne.

La Fondation Russe pour la Paix inclut également l’humanitaire au cœur d’une action globale pour la paix. Nous pouvons remarquer que nous retrouvons dans l’action de cette fondation de nombreux thèmes de notre étude : nous l’avons citée plusieurs fois pour l’éducation, la religion, la mémoire, etc. Son action humanitaire est sociale et sanitaire : elle agit pour les orphelins, les vétérans, ainsi que pour les victimes de Tchernobyl, dans un soutien sanitaire et social.

L’Institut Peace 2000, en Finlande, se consacre à l’aide humanitaire social et sanitaire. Il mène une action pratique de terrain, déclarée pour la paix, en offrant des « cadeaux de noëls » - vêtements, nourriture, mais aussi des jouets - ainsi que des soins médicaux aux enfants dans le besoin et à leur famille. L’urgence de l’aide médicale se mêle à l’urgence sociale, et le soutien affectif aux enfants est tout aussi considéré que le soutien médical. Ainsi, offrir un réconfort affectif aux enfants par des cadeaux est aussi important que de leur dispenser des médicaments, de la nourriture et des vêtements.

La dimension affective et psychologique semble être très peu considérée dans les actions de paix. On ne peut toutefois pas refuser les effets traumatiques d’un conflit ou d’une situation violente, et il faut considérer comme action de paix l’aide affective et psychologique des victimes. Le Centre pour la paix, la Non-violence et les Droits de l’Homme d’Osijek semble être une des rares organisations, avec Peace 2000, à considérer l’aspect psychique d’une crise. Ainsi, on pourrait relever une action humanitaire certaine : le Centre d’Osijek mène une action sanitaire et social dans le soutient psychosocial aux victimes de guerre, dans un travail direct sur les trauma dus aux conflits.

L’organisation « Aide de l’Eglise Norvégienne », en tant qu’organisation religieuse, présente la paix comme une valeur religieuse, et l’humanitaire est une mise en pratique de cette valeur. Ses pratiques sont:

  • Sociales : elle soutient les réfugiés, les femmes en Inde et au Bangladesh, les actions locales des bidonvilles.

  • Economiques : par l’aide financière.

  • Sanitaires : par, entre autres, la lutte contre le SIDA.

  • Alimentaires : par l’aide à la production d’aliments. L’intérêt de l’aide à la production de nourriture par rapport à la distribution alimentaire, est qu’elle engage la population aidée, donc participe à son autonomie.

Au-delà de l’action de terrain, le NCA mène une action de communication et d’information, sur les raisons politiques et économiques de la pauvreté. Elle établi une ressource de savoirs sur la pauvreté, question humanitaire en elle-même.

Nous avons insisté sur l’aspect pratique de l’humanitaire, mais l’humanitaire n’est pas qu’une pratique. Comme nous venons de le voir à travers plusieurs associations, une réflexion théorique s’associe à l’humanitaire.

A l’intérieur de l’aide humanitaire dans le champ social, nous avons considéré l’aide aux femmes, en l’occurrence dans les campagnes indiennes où leur situation est particulièrement difficile. La question du genre se lie à l’humanitaire par son aspect social, dans le renfort de la condition des femmes, pour l’égalité des genres. Si la question du genre dans l’action de paix dépasse l’humanitaire, nous considérons l’aide à l’égalité des genres comme une aide humanitaire dans la mesure où c’est une aide sociale, solidaire et de terrain. La NCA présente la question du genre dans le cadre humanitaire dans son action pour les femmes indiennes. Les autres organisations « de genre » l’intègre de manière moins évidente à l’humanitaire. Nous considérons ces acteurs comme humanitaires, mais aussi comme sociaux, et politiques.

Le Centre Glencree, qui nous l’avons vu, mène surtout une action culturelle de paix, mène également une action sociale dans son étude du rôle spécifique des femmes pour la paix. Cette spécificité de la perspective de genre dans la construction de la paix se retrouve dans les organisations KEGME et WPC. Ces deux organisations intègrent toutes deux l’humanitaire dans la perspective du genre. Alors que NCA intègre l’émancipation de la femme dans une perspective humanitaire, KEGME et WPC intègrent l’action humanitaire dans une perspective de genre, c’est-à-dire de renforcement du rôle de la femme. KEGME, association grecque pour les femmes, s’attache à renforcer le rôle des femmes par une action politique, mais aussi humanitaire sociale, écologique, économique, sanitaire et alimentaire. De même, le Conseil des femmes construisant la paix s’engage à renforcer le rôle des femmes en politique, dans l’éducation, dans la santé, dans l’économie, dans le peacebuilding, dans les médias, et dans l’environnement. L’aide humanitaire et la paix sont, dans ces organisations, séparées dans une perspective de genre.

L’action humanitaire se caractérise par ses dimensions de solidarité, d’utilité et d’urgence. Elle recouvre les thèmes sanitaires et alimentaires, sociaux, économiques et écologiques. Ces thèmes sont difficilement séparables les uns des autres : les acteurs européens de paix humanitaire mêlent ces dimensions dans leur action.

Cette complexité traverse le champ de l’humanitaire, au delà des thèmes qui la composent. Nous avons en effet choisi de séparer l’action humanitaire de l’action politique et culturelle. Cependant, l’humanitaire peut être aussi politique et culturel dans tout leurs thèmes respectifs, par exemple, l’éducation. Les thèmes de paix restent donc liés entre eux, et si nous avons eu besoin d’établir des classifications pour les étudier, on ne saurait les considérer sous une seule dimension.