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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, novembre 2008

Mieux comprendre les conflits pour mieux les prévenir

Le monde reste aujourd’hui encore en proie à de nombreux conflits qui représentent une entrave sérieuse au développement des populations. Pour cette raison, il parait urgent d’engager un processus de prévention afin de faciliter un développement harmonieux et équitable. Mais, comment prévenir un conflit sans en comprendre les causes profondes ?

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La compréhension des causes profondes d’un conflit passe nécessairement par la connaissance de l’environnement, du territoire et des populations qui lui sont attachées. C’est l’ensemble de ces éléments ainsi que leurs interactions qui permettront de cerner globalement la nature des conflits. L’objet de cette analyse est donc de mettre à la disposition des acteurs de la paix des pistes de réflexion pouvant permettre de mieux cerner les contours des différents conflits rencontrés aujourd’hui. Quatre points principaux seront abordés : les différents types de conflits (I) ; la définition de la notion de prévention (II) ; les causes et les enjeux à l’origine des conflits (III) ; les stratégies employées dans les contextes de conflits (IV).

I. La typologie des conflits

Le conflit est une situation sociale où des acteurs en interdépendance, soit poursuivent des buts différents, défendent des valeurs contradictoires, ont des intérêts divergents ou opposés, soit poursuivent simultanément et compétitivement un même but. La guerre est un conflit armé opposant au moins deux groupes sociaux organisés. Elle se traduit ainsi par des combats armés, plus ou moins dévastateurs et implique directement ou indirectement des tiers. Elle qualifie donc tous les conflits, ayant pour principales caractéristiques, la force physique, les armes, la tactique, la stratégie ou la mort de certains de ses participants (soldats, membres des MLN, résistants, etc.) ou de tiers (civils, employés et membres des associations d’aide humanitaire, etc.). Dans le contexte du droit international les belligérants remplacent souvent le terme guerre par celui de conflit armé. La terminologie différencie plusieurs types de conflits : les conflits internes, et ceux frontaliers ou transfrontaliers.

Les guerres « internes » désignent les conflits opposant dans un même pays une partie de la population contre une autre (elles sont parfois qualifiées de guerres civiles). Chacun voit dans son ennemi, et même en celui qui voudrait rester neutre, un traître avec lequel il n’est plus possible de cohabiter et avec lequel aucun compromis territorial n’est possible (comme cela serait possible avec un ennemi étranger). C’est pourquoi l’unique issue envisagée est bien souvent l’anéantissement de l’autre et de ses alliés réels ou potentiels (y compris femmes et enfants), avec emploi de la terreur, ce qui rend ces guerres meurtrières et sans merci.

La confrontation de logique de puissances locales divergentes peut entraîner l’affrontement de communautés confessionnelles et nationales pour la suprématie dans les territoires, et les institutions locales (Conflits identitaires du Liban et de l’Ex-Yougoslavie : quelques enjeux et logiques à l’œuvre). L’exemple de la crise Ivoirienne est à cet égard significatif. Malgré l’imposition d’un schéma simpliste par les médias et les populations occidentales qui voient dans la crise ivoirienne la manifestation d’oppositions « ethniques », on s’aperçoit que les causes sont plus complexes qu’on ne le pense. Le conflit a bien évidemment des causes culturelles et religieuses, mais pas uniquement. Les facteurs politique, social et économique sont également sous-jacents. On retrouve ici la volonté d’assurer sa suprématie dans les territoires et les institutions locales (L’utilisation du symbolique a des fins politiques et géostratégiques : L’expérience de la Côte d’Ivoire).

Le statut juridique d’une guerre civile ne permet pas aux puissances étrangères et aux institutions internationales, comme l’ONU d’intervenir. Inversement, une guerre étrangère peut être déguisée en guerre civile pour masquer l’agression étrangère.

Sans pour autant parler de guerre civile, de nombreux conflits prennent leurs racines dans des sociétés qui laissent croître les inégalités. La fiche sur L’utilisation du symbolique a des fins politiques : L’expérience des émeutes en France, ou « la crise des banlieues françaises » à la fin 2005 montre que l’intégration et la considération de toutes les couches de la population est déterminante pour assurer la paix sociale. Dans le cas de la crise des banlieues, les problèmes d’intégration, le décalage entre les valeurs véhiculées par les habitants d’un même pays ont entraîné la marginalisation d’une partie de la population, générant des frustrations.

Les conflits qualifiés de « frontaliers » ou de « transfrontaliers » opposent deux ou plusieurs pays ou groupes culturels ayant des frontières communes. Les frontières peuvent être considérées comme des lignes ou comme des zones de contact, de fronts ou de liens entre des Etats mais aussi entre des groupes sociaux. Ces conflits ont pour origine les limites de territoire, les questions de nationalité ou de l’accès aux ressources.

Le concept de frontière est d’origine militaire, et il est souvent à l’origine de tensions ou de conflits. Parmi ces conflits ou ces tensions, nous pouvons dégager deux types :

  • D’un côté les conflits ayant pour origine une tentative d’expansion territoriale ;

  • De l’autre, des conflits tenant principalement au tracé de cette limite.

Ces situations entraînent une politique de militarisation de la zone (forts, casernes, etc…).

Concernant les politiques d’expansion territoriale, de nombreux exemples s’offrent à nous. Le cas du conflit israélo-palestinien illustre bien cette réalité (L’utilisation du symbolique a des fins politiques et géostratégiques : L’expérience des israéliens et des palestiniens). La politique expansionniste pratiquée par l’Etat israélien dans le passé répond à des enjeux territoriaux. Les territoires conquis sont annexés afin d’y implanter des populations. La terre, ressource essentielle est ici captée par la force. Ce n’est pas l’unique cause : les motivations sont par ailleurs politiques, culturelles et économiques.

Les conflits tenant principalement au tracé des frontières peuvent en partie s’expliquer par les incohérences engendrées par le tracé des frontières issues de la décolonisation. En l’espace de deux siècles, un grand nombre de civilisations et de cultures ont été soumises à des volontés exogènes qui ont imposé leur perception de la cohésion territoriale. Les normes relatives aux frontières varient d’une culture ou d’un pays à l’autre. Les conflits qui font rage sur le continent africain sont significatifs. Certains Etats d’Occident ont imposé des frontières sans prendre véritablement en considération les réalités sociopolitiques économiques et culturelles y afférant. Les guerres qui ont ravagé le Soudan et le Tchad illustrent bien cette réalité (Avoiding violence : Approaching peace locally in Sudan ; Sudan’s spiderweb conflict : A never-ending story ?). Les relations conflictuelles entre l’Ethiopie et l’Erythrée peuvent également s’expliquer par les problèmes de délimitation de frontières communes (A meaningless war ? The Ethiopian and Eritrean border dispute).

Au regard des fiches d’expériences, il apparaît que nous sommes désormais davantage confrontés à des conflits internes, contrairement aux conflits frontaliers et transfrontaliers qui semblent diminuer. Cela peut s’expliquer en partie par le rôle des institutions internationales (ONU, OTAN, TPI) dans la gestion des conflits entre Etats. Il convient alors de se demander si l’augmentation des conflits internes ne traduit pas un changement dans la manière de faire la guerre. Devons nous parler de « nouveaux conflits » ou de « conflits modernes » ?

L’émergence de nouveaux acteurs (troupes non-étatiques, sociétés militaires privées), et le bouleversement opérationnel et stratégique qu’a connu la guerre, révolutionnent les affaires militaires. Mais si les avancées technologiques favorisent des interventions qualifiées d’« éclaires », les stratégies de maintien de la paix dites « traditionnelles » s’inscrivent toujours dans la durée.

En supposant que les confrontations politiques majeures sont révolues, et que les intérêts des grandes puissances convergent, la guerre telle qu’on la conçoit semble de plus en plus improbable. Elle laisse désormais place, du point de vue de l’Occident, à des opérations ponctuelles de « police internationale ». Les conflits locaux sont appréhendés comme des désordres barbares. Les opérations internationales sont logiquement placées sous l’égide du maintien ou du rétablissement de la paix. Les forces internationales envoyées ne sont pas là pour combattre mais pour dissuader les belligérants de reprendre les hostilités. Néanmoins, la distinction entre les notions de « guerre » et de « maintien de la paix » est de plus en plus difficile à établir comme l’atteste la situation en Irak. Les opérations actuelles de maintien de la paix s’enlisent dans de véritables opérations de contre insurrection.

Les armées occidentales font désormais face à des ennemis « asymétriques » qui emploient des stratégies en rupture par rapport aux normes éthiques et aux préférences tactiques occidentales. La supériorité matérielle et technologique du « fort » est en partie contournée voir retournée contre lui, lorsqu’il est contraint d’opérer au sein des populations entraînant des pertes civiles. C’est donc l’asymétrie des postures et des tactiques tout comme l’asymétrie des enjeux qui semblent conditionner les conflits actuels.

Notons enfin que les opérations de stabilisation de la paix classique s’apparentent davantage à des opérations de contre insurrection (Irak, Afghanistan, RDC) ce qui oblige les puissances intervenantes à entreprendre des campagnes sur la durée. Ces campagnes visent à assurer la sécurité des populations, mais doivent également permettre la reconstruction des infrastructures et la reconstitution de l’Etat local. En somme, ces interventions correspondent davantage à des opérations de « state building » qu’à des opérations de maintien de la paix.

II. La définition de la notion de Prévention

La notion de prévention se résume à un ensemble de mesures et d’actions pour éviter le déclenchement d’un conflit et pérenniser l’équilibre social, politique et économique.

La prévention des conflits est l’une des principales obligations énoncées dans la Charte des Nations Unies et la responsabilité première incombe à cet égard aux gouvernements. Dans la résolution n°1366, adoptée le 30 août 2001, le Conseil de sécurité des Nations Unies se déclare résolu à poursuivre l’objectif de la prévention des conflits armés, en tant que partie intégrante de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Soulignant que c’est avant tout aux gouvernements qu’il incombe de prévenir les conflits, le conseil de sécurité rappelle que l’ONU et la communauté internationale peuvent également jouer un rôle important en appuyant les efforts que déploient les gouvernements à cette fin et peuvent les aider à se doter de capacités dans ce domaine. Les États membres, ainsi que les organisations et structures régionales et sous-régionales doivent concourir à l’élaboration d’une stratégie globale de prévention des conflits.

La culture de la prévention commence à s’implanter et des progrès considérables ont été faits aux niveaux international et national, de nouveaux outils et mécanismes ne cessant d’être mis en place. Un fossé inacceptable continue toutefois de séparer la rhétorique de la réalité. Pour en discerner les raisons, la présente analyse met tout d’abord l’accent sur les fiches d’expériences pour passer dans un deuxième temps à une explication approfondie de ce que nous essayons de prévenir et comment il faut nous y prendre. Il semble nécessaire de prendre en compte le potentiel de l’action préventive à plusieurs niveaux, en étudiant les aspects opérationnels et structurels de la question, qui se réfère aux mesures visant à faire face aux risques de conflit sur le plan mondial. Nous examinerons également les moyens susceptibles de renforcer les normes et les institutions qui réduisent la viabilité et la probabilité des conflits armés.

Dans l’optique de prévenir les conflits armés, il est nécessaire de comprendre leurs origines. Il faut ensuite faire en sorte que la violence ne soit pas l’option la plus facile à choisir. Nous devons enfin veiller à ce que l’action préventive ne soit pas source d’injustices. La violence trouve des partisans lorsque la population ne dispose d’aucun moyen pour faire entendre sa voix. Le double défi que nous devons relever consiste à faire face aux éléments sources de tension dans la société et à les diminuer et, aussi, à renforcer les institutions qui offrent une autre alternative que la violence en permettant d’engager un dialogue.

Ces principes s’appliquent bien évidemment aux conflits internes et transnationaux, qui constituent la majorité des guerres d’aujourd’hui, mais ils valent également pour la prévention des différends entre États. La guerre doit être considérée comme l’option la moins engageante. Il faut insister sur les possibilités et les avantages des mécanismes permettant de régler les différends par des voies pacifiques en faisant participer les intéressés.

Dans le cas des conflits armés internes et entre États, il faut avant tout songer à fournir aux États et aux sociétés les moyens de gérer leurs propres problèmes de la manière la plus appropriée pour eux. Cette démarche incite à la mise en place au niveau national d’infrastructures autonomes pour la paix comme nous le montre la fiche : Un processus de stabilité et de bon voisinage dans le sud-est de l’Europe. La veille de la signature de l’accord de paix sur la Bosnie, la France a fait adopter aux ministres des affaires étrangères des pays européens, une déclaration de « bon voisinage » dans le Sud Est de l’Europe. Le but de cette démarche est de renforcer la capacité des sociétés et des Etats de régler les différends par des moyens acceptables sur le plan interne et faisant appel à un cercle élargi d’acteurs des pouvoirs publics et de la société civile. Ces actions doivent être complétées par l’élaboration de programmes plus larges pour le développement, sensibles à la dynamique des conflits. La fiche sur La réflexion pour la gestion des conflits dans la région de Machu Picchu : Le travail du Colegio Andino, illustre ce type d’initiatives. Le Collège Andin est engagé dans la recherche de solutions pour des conflits liés à la gestion des ressources naturelles.

Il est important de rappeler que les acteurs extérieurs qui apportent un appui à de tels efforts doivent avoir une bonne connaissance des pays concernés et des dynamiques de leurs sociétés.

III. Causes et enjeux des conflits

Les enjeux à l’origine des conflits sont complexes et multiples (économiques, politiques, géopolitiques ou géostratégiques). Les sociétés vivant dans la contrainte voient d’une manière générale leur vulnérabilité s’accroître.

Un pays ravagé par le VIH/sida subit d’énormes pertes de population active et autre, qui produisent des conséquences incalculables pour la gouvernance et les institutions. Une société où le chômage est élevé et où les jeunes se sentent aliénés et exclus devient un terrain fertile pour l’apparition de groupes politiques et criminels violents. La pauvreté jointe à la discrimination ethnique ou régionale est une recette pour créer des troubles. La dépendance économique à l’égard de l’extraction et de l’exportation de produits s’accompagne le plus souvent de corruption et de tensions politiques.

Un des moyens efficace pour prévenir les crises consiste à réduire l’impact des facteurs de risque. Certaines des principales sources de tensions peuvent en effet être combattues. Les moyens de lutte sont :

  • Les efforts internationaux visant à réglementer le commerce de ressources qui alimentent les conflits, tels que les diamants ;

  • Les tentatives pour endiguer la circulation illicite des armes légères et la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques ;

  • Les efforts de lutte contre les cultures illicites, le trafic de drogue et la toxicomanie ;

  • La lutte contre le VIH/sida ;

  • Les mesures visant à réduire la dégradation de l’environnement, avec ses retombées économiques et politiques.

Nombre de ces mesures consistent à mettre en place des cadres réglementaires internationaux et à renforcer les capacités nationales.

On dit parfois que les guerres ont des causes profondes et des raisons futiles. Les causes sont déterminées par la nature des conflits qu’ils soient internes, frontaliers ou transfrontaliers.

Dans le cadre des conflits internes, le réflexe identitaire et religieux est souvent à l’origine des tensions. Dans le cas du conflit libanais ou en ex Yougoslavie, les territoires voient s’affronter des logiques politiques et géopolitiques différentes ce qui se traduit par une lutte entre communautés en vue d’une suprématie locale.

La monopolisation du pouvoir, le manque de justice sociale, ou la marginalisation de certaines composantes sociales génère également des tensions qui entraînent des affrontements entre des partis cohabitant au sein d’un même espace. L’exemple de l’appareil d’Etat russe est significatif dans la mesure où la société civile marginalisée ne peut constituer de contre pouvoir ce qui accentue la tendance à l’autoritarisme. Cette situation génère de vives tensions qui se traduisent par des violences d’un parti ou de l’autre. L’exemple de la crise ivoirienne atteste également de cette réalité.

L’accès à des ressources vitales tout comme la domination économique est également un déclencheur. Les pays sahéliens font l’objet de conflits sporadiques entre éleveurs et agriculteurs qui cherchent à accaparer des ressources communes. De même, les conflits entre les communautés indigènes et les autorités de certains pays d’Amérique du sud (Guatemala, Brésil) s’expliquent par un accaparement des ressources naturelles par les appareils étatique.

Pour les conflits frontaliers et transfrontaliers, l’une des causes principales est l’absence de matérialisation ou la mauvaise délimitation des frontières. Les lectures des textes hérités de la colonisation et régissant les frontières font l’objet d’interprétations différentes de la part des pays limitrophes. Ces incohérences entraînent le non-respect des principes et la mauvaise délimitation des biens et des personnes, comme c’est le cas dans les territoires occupés au Proche-Orient.

Enfin, la non sécurisation et la porosité des frontières peut faciliter la contagion d’une crise d’un pays à un autre. Les affrontements qui ont fait et qui continuent de faire rage au Soudan et au Tchad depuis dix ans ne se sont pas arrêtés aux frontières des Etats et ont impliqué les populations et les gouvernements de plusieurs pays.

Il apparaît donc que les enjeux et les causes à l’origine des conflits sont divers et résultent de phénomènes sociaux, politiques, stratégiques et géographiques interconnectés. Le moyen le plus efficace pour prévenir les crises consisterait à réduire l’impact des facteurs de risque.

IV. Stratégies de conflits et stratégies de paix

Indépendamment des Etats, de nombreux acteurs peuvent contribuer à une action préventive efficace. Ces acteurs vont de l’Organisation des Nations Unies et autres organisations internationales et régionales au secteur privé et à la société civile. Il faut mettre l’accent sur la contribution que de tels acteurs peuvent apporter et sur l’importance de leur action concertée entre eux et avec les gouvernements.

Deux catégories de techniques de gestion des conflits sont identifiées :

  • Les techniques traditionnelles ;

  • Les techniques modernes.

Bien que conscients de leurs limites dans le cadre des conflits frontaliers, on pourrait recourir aux « techniques traditionnelles » pour réveiller toutes les formes d’alliance, de parenté symbolique entre les populations communes installées sur les frontières et engager dans les lieux de conflits frontaliers les différents types d’arbitrages.

Concernant les « techniques modernes » de gestion des conflits, plusieurs stratégies sont employées. Par exemple le recours à la voie diplomatique par la médiation offerte ou sollicitée, comme c’est le cas pour la déclaration sur le processus de stabilité dans le Sud Est de l’Europe évoqué précédemment. Le recours à une force d’interposition et à des observateurs considérés comme « neutres » est également une solution, même si ce sont les négociations et arbitrages politiques (médiateurs, « Sommets » de chefs d’Etats) qui sont privilégiés. Rappelons que le recours à une juridiction de droit international pour départager les protagonistes (le CIJ par exemple) est un élément indispensable.

Malgré tous ces efforts, la gestion des conflits demeure problématique. Comment faire face à ces blocages ? La naissance et le développement d’une culture de paix au sein des sociétés semblent être la solution la plus durable. Il faut considérer le poids des mentalités et l’implication des populations.

La culture de paix est un ensemble de valeurs, d’attitudes et de modes de comportement et de vie qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs causes profondes afin de résoudre les problèmes par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les nations. « L’Ecole de la Paix », et la « Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme » ont organisé des rencontres entre les différents milieux militaires sur les questions de sécurité (les militaires et la paix, l’Europe et la défense, la place de l’ONU : voir la fiche Vers un « collège » de militaires).

Un mouvement mondial des organisations de la société civile apparaît actuellement pour donner de l’impulsion au concept de culture de paix. Indépendamment des institutions et autres organisations, de nombreux groupes de par le monde, par leur philosophie même, jouent un rôle important pour ce qui est de promouvoir le dialogue et les comportements pacifiques en opposition à la violence. Les chefs religieux, en particulier, ont un rôle spécifique à jouer en tant qu’agents du changement et de la coexistence pacifique. La rencontre organisée à Bruxelles en 2005 sous l’égide de la Fondation « Homme de Parole » a réuni plus de 100 imams et rabbins afin de favoriser le dialogue inter religieux. (Immams et rabbins unis contre la violence et l’extrémisme religieux).

Pour soutenir ces initiatives, il semble nécessaire d’élaborer des mesures structurelles visant à renforcer les normes et les institutions au service de la paix. Les sociétés qui peuvent maîtriser les conflits de manière non-violente sont généralement caractérisées par des institutions politiques et sociales ouvertes à tous et tenues de rendre des comptes. À ce titre, la fiche Les obstacles à la mobilisation de la population russe révèle le risque que constitue l’exclusion d’une partie de la population des organes décisionnels et des institutions.

La diversité économique, sociale et culturelle est également un facteur de paix sociale comme l’atteste la fiche The Uyghur fight against chinese cultural assimilation. Dans sa marche vers l’unité nationale, l’Etat chinois met en place une politique d’assimilation destinée à submerger les identités locales par une identité chinoise prédominante.

Enfin, les gouvernements et la société civile doivent comprendre l’importance du règlement des conflits par la collaboration. Les institutions doivent être conçues pour régler les conflits sans recourir à la violence, grâce à une action positive. Pour cela, un système juridique fiable doit être élaboré. L’objectif est de créer des infrastructures nationales au service de la paix qui permettent aux sociétés et aux gouvernements de résoudre les conflits sur le plan interne, grâce à leurs propres compétences, institutions et ressources.

Un autre élément déterminant est la concertation. Pour qu’une action préventive soit effective, elle doit être conçue de manière concertée. Aucun État, ni aucune organisation, ne peut agir seul. Les principes de la vulnérabilité et de la responsabilité partagées s’appliquent pleinement à la prévention des conflits armés. Il ne faut pas oublier l’obligation principale des États. Mais ces derniers doivent faire appel à différents intervenants nationaux et internationaux qui ont divers rôles à jouer concernant l’élimination des sources de tension et le renforcement des infrastructures de paix.

Il existe une multitude d’acteurs internationaux, nationaux et locaux qui ont un rôle à jouer dans la prévention des conflits. Les institutions financières internationales, la société civile, le secteur privé et les médias peuvent tous faire progresser la question de la prévention des conflits.

La libre communication et le dialogue ouvert sont essentiels pour le règlement pacifique et constructif des litiges. Dans les pays sujets aux conflits, il est parfois nécessaire de faciliter au niveau national un large dialogue participatif et un processus de recherche du consensus afin de parvenir à une vision commune de l’avenir. Les processus de dialogue sous-tendent et renforcent la mise en place d’une infrastructure au service de la paix dans la mesure où ils servent à inspirer et légitimer des programmes de renforcement des capacités et des initiatives en matière de réconciliation.

Les médias disposent de moyens considérables pour influencer le débat et déterminer les questions qui requièrent la plus grande attention. En RDC, des émissions de radio locales animées par des associations informent les populations sur leurs droits afin d’aider au développement de la société civile (Fiche Des émissions de radio sur les marchés de Kinshasa). Les divers médias peuvent aussi donner rapidement l’alerte et inciter à agir dans certaines situations. Dans la région des grands lacs, des initiatives ont été menées pour renforcer la concertation régionale en vue de la résolution des conflits en favorisant le dialogue et l’information (Fiche Médias et construction de la paix dans la région des Grands Lacs).

Des initiatives menées avec l’aide des médias ont permis de relancer le dialogue entre les différents partis qui s’étaient affrontés. La radio étant le média le plus utilisé, son utilisation peut faciliter le dialogue inter factions comme nous le montre la fiche sur Le rôle des médias dans le processus de paix en Sierra Leone.

Le rôle des femmes est un autre élément considéré comme déterminant. Dans le contexte du processus de dialogue, des efforts doivent être entrepris afin de faire entendre la voix des femmes et d’y faire écho. Elles sont considérées comme des cibles privilégiées en raison de leur situation de victime (Women as victims, survivors and agents in conflicts) mais aussi de leur position sociale. La fiche sur Le rôle des femmes en Afrique dans la gestion des ressources en eau : le regard de l’OCDE, témoigne de l’importance qu’on devrait leur accorder. Elles, qui sont en effet trop souvent absentes de la table des décideurs alors que leur capacité à contribuer à la prévention des conflits et au dialogue constructif est considérable, et souvent insuffisamment exploitée. L’émergence d’un leadership féminin en faveur de la paix doit donc être considéré comme une priorité (Fiche L’émergence d’un leadership féminin en faveur de la paix).

La jeunesse enfin est un élément fondamental car durable. Les conflits doivent être gérés avec les jeunes générations pour éviter qu’elles alimentent le cycle de la violence. Des actions comme celle qui est présentée dans la fiche La maison Shalom de Ruygi, un exemple de réinsertion sociale des enfants orphelins de guerre au Burundi cherchent à encadrer les jeunes pour limiter le cycle de la vengeance. Les jeunes focalisent par ailleurs l’attention de l’opinion publique, chose importante dans les initiatives de communication et de sensibilisation. En Colombie, un gouvernement local d’enfants unis a été créé pour attirer l’attention sur le sort des enfants victimes des conflits (Colombie, les enfants votent pour la paix et pour le respect de leurs droits). En Israël, des élèves d’une classe de 6ème ont participé à un exercice destiné à imaginer leur vie dans les territoires palestiniens afin de susciter une compréhension de l’altérité favorisant l’émergence d’une citoyenneté pour la paix (Des enfants israéliens se mettent à la place d’enfants palestiniens).

Les représentants de la société civile et les autorités religieuses sont d’importants partenaires pour la paix, souvent indispensables dans la diplomatie parallèle et interpersonnelle. La rencontre entre des rabbins et des imams évoquée précédemment en donne un exemple. Ils peuvent parfois compléter l’action des Etats en offrant une analyse utile de la situation sur le terrain, en forgeant des partenariats en vue d’appliquer les décisions, en renforçant la viabilité des opérations et en créant des réseaux prônant la consolidation de la paix (Appel de l’église régionale pour la paix face à la crise des Grands Lacs). En somme, ils constituent un bon moyen de sensibiliser et impliquer les populations locales (Les populations Mayas de l’Amérique centrale : Les nouvelles organisations religieuses comme instruments de participation citoyenne et de transformation sociale).

Les réseaux de la société civile constituent donc un catalyseur important dans la marche vers le changement. Les compétences et la perspective unique de la société civile dans la prévention des conflits sont largement reconnues par les entités intergouvernementales. Toutefois, des efforts plus énergiques peuvent et doivent être faits afin d’exploiter pleinement le potentiel de cette importante collaboration.

Notes

  • Note bibliographique: Cette analyse a été faite à partir des fiches d’expériences d’Irenees suivantes:

Comprendre les conflits

  •  

    • L’utilisation du symbolique a des fins politiques : L’expérience des émeutes en France, ou « la crise des banlieues françaises » à la fin 2005.

    • L’utilisation du symbolique a des fins politiques et géostratégiques : L’expérience des israéliens et des palestiniens.

    • L’utilisation du symbolique a des fins politiques et géostratégiques : L’expérience de la Côte d’Ivoire.

    • Paix et sécurité.

    • Après guerre et désespoir au Liban : Le lit du Hezbollah ou « parti de Dieu » en arabe.

    • Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat en Russie.

    • La fixation de la guerre dans la géographie, l’exemple de Beyrouth (Liban).

    • Qu’est ce qu’un conflit identitaire ? La définition de R. Licklider et de S. Huntington.

    • La reconquête de la puissance en Russie.

    • Changements et continuité en Chine.

    • Conflits identitaires du Liban et de l’Ex-Yougoslavie : quelques enjeux et logiques à l’œuvre.

    • La réflexion pour la gestion des conflits dans la région de Machu Picchu : Le travail du Colegio Andino.

    • Un processus de stabilité et de bon voisinage dans le sud-est de l’Europe.

    • Comment l’Union Européenne assume-t’elle ses responsabilités en matière de sécurité internationale à l’aube du XXIe siècle ?

    • Les séminaires européens de Klingenthal.

    • Avoiding violence : Approaching peace locally in Sudan.

    • Demarcation of difference, demarcation of hostility.

    • Power of the « Shotta Dons » in Jamaica.

    • The Uyghur fight against chinese cultural assimilation.

    • Sudan’s spiderweb conflict : A never-ending story ?

    • Divide and rule.

    • Cattle rustling among the Pokot and Karamojong in Uganda.

    • The Maharajahs sentence to Kashmir.

    • A meaningless war ? The Ethiopian and Eritrean border dispute.

  • Les acteurs

    • Relations au pouvoir et société civile en Ouzbekistan

    • Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir en Russie.

    • Les obstacles à la mobilisation de la population russe.

    • Des enfants israéliens se mettent à la place d’enfants palestiniens.

    • Vers un « collège » de militaires.

    • Immams et rabbins unis contre la violence et l’extrémisme religieux.

    • Le rôle des médias dans le processus de paix en Sierra Leone.

    • En avant !

    • Paix et sécurité en Asie et dans le Monde.

    • Des émissions de radio sur les marchés de Kinshasa.

    • Médias et construction de la paix dans la région des Grands Lacs.

    • Le dynamisme des mouvements religieux pentecôtistes, conservateurs, libéraux et réformistes investis dans la transformation de sociétés en situation de transition : Un facteur pouvant favoriser le « choc des cultures » ?

    • Les populations Mayas de l’Amérique centrale : Les nouvelles organisations religieuses comme instruments de participation citoyenne et de transformation sociale.

    • L’église rwandaise dans la démarche de réconciliation.

    • Appel de l’église régionale pour la paix face à la crise des Grands Lacs.

    • Le rôle des femmes en Afrique dans la gestion des ressources en eau : le regard de l’OCDE.

    • L’émergence d’un leadership féminin en faveur de la paix.

    • La maison Shalom de Ruygi, un exemple de réinsertion sociale des enfants orphelins de guerre au Burundi.

    • Colombie, les enfants votent pour la paix et pour le respect de leurs droits.

    • Fighting the repression of women in Afghanistan.

    • Gender identity as an intercultural issue in international cooperation.

    • Pressure on women in Iraq as procreators of ethnic groups.

    • Declaration of rights by fisherwomen.

    • Women as victims, survivors and agents in conflicts.

    • Signs of change in Somalia as a result of international and local actors.

    • Actors in Afghani society in pursuit of different goals.

    • Gender implications of guerilla warfare in Colombia.