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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Lyon, 2005

Israël-Palestine : La violence est un suicide

Depuis de longues années, les peuples palestinien et israélien rivalisent dans une lutte à la vie et à la mort pour la possession d’une même terre. Par sa nature même, ce conflit ne peut recevoir aucune solution militaire car aucun de ces deux peuples ne quittera jamais cette terre.

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Ni les Palestiniens ne quitteront la Palestine, ni les Israéliens ne quitteront Israël. Les uns et les autres sont condamnés à vivre ensemble. Cependant, il n’existe pas de réelle symétrie entre les positionnements des deux adversaires. Un peuple sans Etat se trouve occupé et humilié sur son propre territoire par l’Etat de l’autre peuple. Aujourd’hui, en recourant à la violence, les deux peuples s’enferment dans un processus suicidaire.

La lutte que se livrent Palestiniens et Israéliens n’est pas à armes égales. C’est la guerre du fort contre le faible. D’un côté, l’armée d’un Etat, de l’autre, un peuple sans armée. Ariel Sharon ne fait pas la guerre à une armée, mais à un peuple. Or, si on peut vaincre une armée, on ne peut pas vaincre un peuple qui revendique sa dignité et sa liberté. La guerre israélienne prétend éradiquer le « terrorisme », mais elle ne fait que renforcer la volonté de résistance du peuple palestinien dans laquelle s’enracine ce « terrorisme ». Le premier ministre israélien affirme vouloir détruire l’infrastructure du terrorisme, mais il ne fait que détruire l’infrastructure de l’autorité palestinienne. Et, en cela, il détruit les fondements même du processus de paix. En réalité, c’est Yasser Arafat qui est directement visé. D’une part, on le prive de tout moyen d’action et, d’autre part, on l’accuse de ne pas agir pour endiguer la violence.

La guerre israélienne vient justifier le « terrorisme » palestinien de la même manière que le « terrorisme » palestinien vient justifier la guerre israélienne. Les deux adversaires sont prisonniers de la même rhétorique par laquelle chacun, dans une imitation parfaite du discours de l’autre, justifie sa propre violence en affirmant se défendre contre la violence adverse et rejette la responsabilité sur le camp d’en face. Chacun brandit les meurtres de l’autre pour justifier ses propres meurtres en arguant de son droit à la légitime défense. Et ainsi, chacun a de bonnes raisons à faire prévaloir pour prétendre avoir raison. Et pourtant chacun se trompe et doit lui-même payer le prix de son erreur. Au bout du compte, il y a deux perdants. Et les souffrances subies de part et d’autre ne font qu’accumuler les haines.

La guerre menée par l’État d’Israël ne respecte pas les droits de l’Homme, mais elle ne respecte pas non plus les lois de la guerre. Elle est en même temps une faute éthique et une erreur stratégique. « La guerre, selon la célèbre formule de Clausewitz, est une simple continuation de la politique par d’autres moyens. » Et cela implique que les moyens de la guerre soient subordonnés à sa fin politique, que le dessein politique dont la guerre résulte demeure la considération première qui dicte sa conduite. Or, à l’évidence, cette guerre n’est pas la continuation, mais l’interruption de la politique. Les moyens militaires de la guerre conduite par A. Sharon effacent la fin politique qui prétend la justifier en portant atteinte aux intérêts vitaux du peuple israélien. Cette guerre fait aussi sûrement le malheur du peuple israélien que celui du peuple palestinien. Il faut donc refuser une fois pour toutes de céder au chantage qui consiste à accuser de judéophobie quand ce n’est pas d’antisémitisme ceux qui critiquent la politique de l’Etat d’Israël.

Par ailleurs, ce n’est pas rompre la solidarité avec le peuple palestinien que de penser que les attentats-suicides organisés contre la population civile israélienne ne sont pas non plus de nature à construire une solution politique du conflit. Certes, on peut comprendre que l’humiliation et le désespoir conduisent des jeunes Palestiniens à se convaincre que, face aux chars, aux avions et aux missiles qui outragent leur peuple au vu et au su du monde entier mais dans la plus totale impunité, ils n’ont que leurs corps à offrir pour résister à l’inacceptable. On peut comprendre et il serait aussi vain que présomptueux de se poser en donneur de leçon en brandissant des condamnations indignées. Mais, quand tout a été dit, on ne peut pas justifier et on ne peut pas accepter. Car justifier et accepter, ce serait se résigner à ce que des filles et des garçons de vingt ans décident de mêler leur mort à celle d’autres filles et d’autres garçons qui portent en eux la même innocence tragique.

Les sociétés civiles de chacune des deux parties en conflit sont appelées à jouer un rôle décisif dans la recherche d’une solution politique qui permette de construire une paix durable. Déjà, les réseaux de citoyen(ne)s qui, au sein même de leur propre communauté, ont aujourd’hui la lucidité et le courage de s’opposer à la logique de guerre et sont prêts à s’impliquer dans une dynamique de paix constituent l’un des fondements de la paix de demain. Tout particulièrement, les officiers et les soldats israéliens qui refusent ouvertement de prendre part à l’action destructrice de leur propre gouvernement servent davantage la cause de leur peuple que ceux qui obéissent aux ordres. Il importe que ces réseaux puissent bénéficier de la solidarité de la communauté internationale et d’abord des réseaux de citoyens qui, partout dans le monde, se mobilisent pour une paix juste et durable au Proche Orient.

Devant l’impasse à laquelle conduit la violence, l’urgence est de recourir aux moyens normaux de la politique, c’est-à-dire à ceux de la diplomatie. Alors que les dirigeants des deux peuples qui sont aux prises se trouvent dans l’incapacité de se parler, seule l’intervention d’une tierce partie qui puisse entreprendre une action de médiation peut laisser espérer une désescalade de la violence et la création d’un processus de paix. Jusqu’à présent la communauté internationale n’a fait montre que de son impuissance. L’urgence est que les Nations Unies assument la responsabilité majeure qui doit être la sienne dans la gestion de la crise et prennent des initiatives diplomatiques fortes pour créer une dynamique de paix dans la région. Une fois de plus, il est parfaitement anormal que les Etats-Unis usurpe un rôle qui n’est pas le sien en prétendant régenter les affaires du monde. Ni le président, ni le gouvernement américain ne présentent les garanties d’impartialité et d’équité qui les qualifieraient et les légitimeraient pour mener une médiation entre les différentes parties liées au conflit. C’est au Secrétaire général des Nations Unies, et non au Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, de venir sur place rencontrer les dirigeants palestiniens et israéliens pour tenter d’obtenir l’accord des deux parties sur un cessez- le feu. Cette mission devrait préparer l’envoi d’une force de paix internationale mandatée par les Nations Unies qui puisse accomplir sur le terrain des actions civiles d’interposition et de médiation auprès des populations pour créer les conditions de la reprise du dialogue. Elle devrait également préparer l’organisation sous l’égide des Nations Unies d’une conférence internationale de paix qui précise les modalités d’une coexistence pacifique entre les peuples de la région. Enfin, il revient également aux Nations Unies de diligenter une enquête internationale qui puisse établir le nombre des victimes et l’ampleur des destructions causées par l’agression perpétrée par l’armée israélienne contre les villes de Cisjordanie, tout particulièrement contre Jénine.

On voudrait espérer que face à l’impossibilité dramatique de la violence à résoudre humainement les inévitables conflits humains, les hommes, les peuples et les Etats prendront conscience qu’il faut imaginer d’autres moyens que ceux de la violence meurtrière pour construire un à-venir commun.

Jean Marie Muller*

Notes

*Jean-Marie Muller est porte-parole du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)