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, Paris, 2002

Les dimensions politiques et économiques de l’action humanitaire : les limites de la démarche française en ex-Yougoslavie

La nécessité de mettre en place des outils d’accompagnement et de management des sorties de conflit, permettant une implication conciliée et coopérative tant des militaires et des ONG que des entreprises et des administrations.

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La France a une réelle volonté politique de s’impliquer dans la résolution des conflits. Souvent très présente et très active sur de nombreux théâtres d’opérations extérieurs, elle ne sait en revanche pas toujours tirer les bénéfices, économiques et politiques notamment, de cette implication. Ce décalage conduit à s’interroger sur la cohérence des actions françaises ainsi que sur les lacunes qui les caractérisent.

Les crises et les conflits actuels ont atteint un tel niveau de complexité que les résoudre est moins que jamais une simple affaire technique. Cela exige en effet une action globale permettant la prise en compte de dimensions multiples : démarche politique et diplomatique, investissement humanitaire, implication économique… Il faut savoir gérer dans un même mouvement la reconstruction matérielle, les flux de populations éventuels, la réorganisation sociale, la perspective de la paix durable et du développement. L’exemple des guerres qu’a connu l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 est à ce titre révélateur, dans la mesure où il a fallu faire face à une région dévastée, à un mélange des communautés et à un système économique en déliquescence. Dans ce genre de contexte, la gestion de crise n’a de sens que si elle s’inscrit dans une stratégie à long terme de rétablissement de la paix. Ce qui suppose que l’on ait aussi conscience des opportunités économiques et politiques offertes par le processus de reconstruction aux acteurs extérieurs. Il ne faut pas voir là un cynisme consistant à profiter de la faiblesse du pays dans lequel on agit, mais une démarche visant à retirer sur le moyen terme les dividendes de la paix. C’est à dire à la fois permettre la sortie de l’instabilité structurelle qui caractérise certaines régions et ré-instaurer du politique là où il n’y a parfois que de l’activisme humanitaire et militaire. Le concept des actions civilo-militaires (ACM), élaboré en ce qui concerne la France en 1994, répond pour partie à ce double objectif :

  • D’une part, il vise, à travers la constitution d’un groupe d’experts, publics et privés, la restauration de la vie civile et économique de la zone confrontée à une situation de crise.

  • Et d’autre part, il pose la question du positionnement des intérêts nationaux dans la phase de reconstruction et de développement.

L’expérience menée à ce titre en ex-Yougoslavie (Bosnie, Kosovo notamment) a permis la mise en place d’une collaboration entre les militaires, les entreprises, les administrations ou encore les collectivités territoriales, et d’un partenariat de ces acteurs avec le Ministère de la défense. Mais elle a aussi révélé, notamment au regard de ce que font d’autres puissances (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne), les insuffisances françaises en matière de stratégie post-conflictuelle. Quelques points d’importance peuvent être soulignés :

  • Une insuffisance de maîtrise de la langue anglaise chez les ressortissants français, qui les pénalise lors de la mise en place des organismes chargés de la reconstruction et de l’attribution des marchés ;

  • La frilosité des entreprises françaises, qui les pousse à ne pas s’aventurer sur des zones non-encore sécurisées ;

  • Le manque d’information du secteur économique sur les potentialités des “marchés de l’humanitaire” ;

  • Le souci inconditionnel d’indépendance des organisations non-gouvernementales vis-à-vis des sphères économique et politique, qui ne permet pas de tirer tout le bénéfice possible de leur action sur le terrain ;

  • La faiblesse opérationnelle du circuit de l’information, qui pénalise l’exploitation de celle-ci.

Par ailleurs, contrairement aux autres pays déjà évoqués, dont l’objectif est de contrôler les ouvertures politiques et économiques de l’après-crise, la France ne dispose pas d’une agence spécialisée, d’une structure permettant le pilotage du processus de reconstruction et qui pourrait…

  • Assurer la collecte et la transmission du renseignement ;

  • Etre le maître d’œuvre des financements administratifs ;

  • Contrôler la gestion des programmes d’action ;

  • Déterminer et favoriser la participation du secteur privé.

En résumé, il s’agit de mettre en place des outils d’accompagnement et de management des sorties de conflit, permettant une implication conciliée et coopérative tant des militaires et des ONG que des entreprises et des administrations. En favorisant une vraie politique d’assistance aux opérations de reconstruction et de développement tout en se souciant des intérêts nationaux, cette démarche tente aussi de faire en sorte d’éviter que les crises ne s’installent dans le temps et dans l’espace.

Les dimensions économique d’un côté et stratégique (c’est à dire en termes d’intérêts nationaux à promouvoir) de l’autre, sont l’une des questions les plus délicates de la sortie de crise et de la reconstruction, et l’un des défis que l’humanitaire va devoir relever. Si de nombreux acteurs s’accordent pour dire que la recherche d’une rentabilisation de l’action humanitaire est une démarche légitime, d’autres y voient au contraire une dérive et une perversion propres à remettre en cause les fondements de l’aide internationale.

Il semble qu’il y ait là pourtant une idée à approfondir ; la résolution d’un conflit, et au-delà la remise en route de la vie de la société, supposent la mobilisation de moyens humanitaires, politiques et économiques, en matière de personnels, de matériels et de financements. Et l’on peut postuler qu’une plus grande efficacité serait atteint si des passerelles étaient établies entre ces acteurs, et ces derniers entraient dans une logique de coopération et de partenariat, sans pour autant que cela remette en cause la quête de leur intérêt respectif.