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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Caracas, Venezuela, juillet 2003

Les dangers d’associer pétrole et démocratie au Venezuela.

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Depuis les débuts de son exploitation, le pétrole constitue l’axe majeur autour duquel tourne l’économie vénézuélienne. Cette situation a été renforcée depuis l’explosion du prix du baril des années 1970. En 2003, le pétrole est directement ou indirectement responsable de plus de 40 % de l’activité économique au Venezuela. Il constitue plus de 50 % des recettes fiscales et plus de 80 % des devises.

La richesse du Venezuela, due à ses réserves de pétrole, serait-elle, paradoxalement, à la source de ses crises sociales, économiques et politiques ?

La plupart des États latino-américains actuels sont le fruit d’un processus d’indépendance politique vis-à-vis de l’empire colonial (Espagne, Portugal, XIXe siècle) caractérisé par le « transfert » du pouvoir d’une élite étrangère à une élite locale issue de cette dernière. Les nouveaux États indépendants ont été reconstruits avec, au cœur, un régime de monopole du pouvoir politique, économique, culturel, militaire de la part d’une minorité l’exerçant sur la majorité de la population, sans son avis. Cette organisation a favorisé la gestion des États sous la forme patrimoniale.

Au Venezuela le patrimonialisme a toujours été au cœur des pratiques d’exercice du pouvoir politique et des modalités de gestion de l’État, notamment à partir de l’exploitation du pétrole. Si le patrimonalisme est compris comme la mise des ressources publiques au service d’un groupe déterminé, l’importance du pétrole est évidente. Issu de la terre vénézuélienne, le pétrole appartient à tous les Vénézuéliens. N’étant la propriété de personne, il revient à l’État, concrètement aux autorités politiques représentant le peuple, d’en assurer sa gestion. L’État a la responsabilité d’exploiter le pétrole et par la suite de restituer les gains financiers fruits de cette exploitation. Ce que l’État fournit à la population sous forme de services publiques (éducation, santé, infrastructures, etc.) n’est pas le fruit de l’effort et de la participation de la population. C’est le fruit d’une restitution de la richesse nationale (le pétrole) qui revient à tous les Vénézuéliens. Il ne s’agit donc pas de « redistribution », mais de « restitution ».

Voilà les origines d’une première fracture : la population vénézuélienne a été encadrée dans des relations de dépendance économique vis-à-vis de ses autorités politiques. Celles-ci savaient que, pour avoir un soutien politique de la part d’un groupe, d’une personne, etc. elles pouvaient utiliser leurs capacités de restitution de l’argent du pétrole. L’État s’est organisé fondamentalement pour distribuer la richesse issue du pétrole, la société pour accéder à cette distribution de la façon la plus généreuse possible. Les autorités politiques jouaient de plus en plus le rôle d’administrateurs, de gestionnaires, de burocrates. La société le rôle de réceptrice. Pour cette dernière, le soutien politique donnait accès aux richesses du pétrole, pour les autorités la rente pétrolière donnait accès à la rente politique. Ce jeu de positionnements entre autorités politiques et groupes sociaux, axé sur la distribution et la captation des richesses issues du pétrole, est devenu la véritable logique des relations politiques vénézuéliennes déterminant par là les enjeux locaux de la démocratie.

Les partis politiques, spécialement « Accion Democratica » et « COPEI » se sont alors positionnés comme des récepteurs privilégiés de la rente pétrolière en tant que représentants de la société lorsqu’ils n’étaient pas au gouvernement, et comme des administrateurs et des distributeurs de la rente pétrolière lorsqu’ils gouvernaient. Ils sont rapidement entrés dans une dynamique de transformation structurelle en devenant des partis pétroliers et des partis d’État. Tous les autres groupements politiques, de droite, du centre et de gauche, sont entrés dans ce jeu d’échange de soutien politique et de soutien financier, sauf la petite minorité de révolutionnaires choisissant plutôt la lutte armée dans les années 1970 et l’exclusion politique par la suite.

Voilà aussi les origines de « la paix vénézuélienne » : la diversité des pratiques de distribution des richesses du pétrole permettaient aux autorités politiques de piloter les différents groupes sociaux, d’apaiser les possibles conflits, d’acheter la paix. Alors que de nombreux pays latino-américains connaissaient des régimes dictatoriaux et des guerres civiles, le Venezuela était remarqué par sa stabilité politique et sa paix sociale. Ceci grâce aux fondements pétroliers de sa démocratie.

Voilà, enfin, la fragilité d’une telle démocratie. Fragilité économique d’abord. Lorsque les prix du pétrole chutent, l’économie s’effondre. La population exige les services auxquels elle est habituée à des autorités politiques n’ayant plus les moyens de la satisfaire. La contestation se manifeste, la crise économique devient crise politique. La source de la richesse et du pouvoir qu’elle induit s’effondre emportant avec elle la légitimité…

Fragilité symbolique ensuite : la société vénézuélienne, les autorités politiques et intellectuelles comprises, ont établi le mythe de la durabilité de leur richesse : celle-ci n’étant pas le produit des avatars humains mais donnée par la nature, voire par la providence, personne ne songeait à envisager une crise profonde, personne n’imaginait d’alternatives possibles, le pétrole des profondeurs de la terre vénézuélienne donnait un sentiment de sécurité et de confort sans effort.