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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de document Dossier : Résistances civiles de masse

Marie Lise Poirier, Grenoble, mars 2006

A Force More Powerfull - Un film de Peter Ackerman, produit par Jack Du Vall (co-fondateurs de l’ICNC).

Six exemples de résistances civiles non violentes du XXème siècle ayant marqué l’histoire politique et sociale de l’Inde, du Danemark, des Etats-Unis, de l’Afrique du Sud, de la Pologne et du Chili. Comment une société en lutte non violente se réapproprie le pouvoir.

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Réf. : Référence du document : A Force More Powerfull, réalisé, écrit et produit par Steve York, rédacteur en chef : Peter Ackerman, producteur exécutif : Jack Du Vall, 2003, ICNC., http://www.nonviolent-conflict.org/, email : jduvall@nonviolent-conflict.org, Fax : (202) 466 5918, Voir aussi le site de Albert Einstein Institution, http://www.aeinstein.org

Langues : français

Type de document : 

Cette vidéo, à portée didactique, donne à méditer sur six exemples de résistance civile non violente durant le XXème siècle. On peut les diviser en trois catégories selon la principale cible des luttes :

  • L’occupation étrangère ;

  • La ségrégation raciale ;

  • La répression dictatoriale.

Chaque exemple est présenté par un court-métrage de 25 minutes racontant la naissance, l’évolution et l’aboutissement de ces mouvements populaires.

S’ils sont pris dans différents pays et contextes politiques, on retrouve à chaque fois les mêmes principes de base :

  • Détermination des peuples à se battre pour leur(s) liberté(s) ;

  • Importance de persister dans la non violence ;

  • Efficacité d’une stratégie intelligente.

Ce sont par ailleurs de très bonnes sources de réflexion et d’inspiration dans la mesure où les enseignements que l’on peut en tirer sont bien mis en évidence.

Inde - 1930

La vidéo débute logiquement sur le mouvement mené en Inde par Gandhi, considéré comme le précurseur du mouvement non-violent et souvent repris en modèle. La fameuse Marche du Sel, entreprise en 1930, marque un tournant dans le combat du peuple indien contre l’empire britannique colonisateur. Elle met en effet en perspective la force d’un peuple uni et non soumis face à un oppresseur, aussi puissant soit-il. Elle illustre avec brio le principe de base de la résistance civile : le refus de coopérer avec l’injustice est le meilleur moyen de la combattre.

Ainsi, le mouvement de désobéissance se propage dans tout le pays et prend une grande valeur symbolique à mesure que la Marche avance. Les démissions se font en masse, les tissus importés sont boycottés. Commettre une infraction et se faire emprisonner devient la fierté d’un peuple digne, refusant son statut d’esclave, avec la volonté inébranlable de suivre la satyagaha (force de la vérité). Lorsque Gandhi est arrêté, il est ravi : la résistance prend de l’ampleur. La répression qui lui répond – réunions politiques interdites, presse censurée, milliers d’arrestations, etc. – sape la légitimité et l’autorité du pouvoir et illustre au Monde entier l’injustice et la férocité du gouvernement britannique. Celui-ci est contraint d’entamer des négociations et de procéder à des libérations. Gandhi sera le premier Indien à être reçu d’égal à égal au Palais royal. Et s’il mécontente la population en acceptant d’entamer des pourparlers, il sait qu’il faut du temps au processus de libération pour s’établir. L’essentiel est que soient révélés le potentiel du peuple d’une part, et la fin de la pertinence de la présence britannique d’autre part. 16 ans plus tard, en 1947, l’Inde devient indépendante.

Cet exemple démontre bien qu’il n’existe pas de pouvoir sans la coopération du peuple, et que ce dernier peut résister efficacement avec des armes non violentes. Il montre aussi l’importance de l’intelligence du meneur de la lutte. Nous avons ici à faire à une véritable figure emblématique, à la fois fin psychologue, observateur politique pertinent, brillant stratège, philosophe établi, véritable activiste, enfin, le meilleur « publiciste » de l’Inde… Gandhi a bouleversé le siècle en jetant les bases du mouvement non violent.

Etats-Unis - 1960

Le deuxième épisode met en perspective l’action civile non violente en tant que véritable combat.

Face à une situation de forte ségrégation raciale, pouvant aller jusqu’à de hauts degrés de violences (lynchages), un mouvement s’organise à Nashville en septembre 1960 sous l’égide du Pasteur James Lawson. Envoyé par Martin Luther King pour la lutte des droits civiques dans cette région du Sud des Etats-Unis, il s’inspire des enseignements de Gandhi qu’il a étudiés en Inde. Dans un premier temps, il organise des cours du soir au sujet des actions possibles pour lutter contre une telle injustice. Elles utilisent de nouvelles armes et reposent sur le principe que la non violence peut défier tous les outils répressifs classiques lorsqu’elle s’appuie sur une bonne préparation et une véritable volonté. Les étudiants parmi les plus brillants assistent à ses conférences et s’engagent bientôt activement.

La dimension stratégique de la lutte qui se met en place est appuyée. L’objectif est de mettre fin aux discriminations raciales, et la première étape sera d’occuper les restaurants réservés aux Blancs. Les actions sont méthodiques et cadrées afin d’atteindre les objectifs fixés. Des mises en situation sont apprêtées afin d’entraîner les activistes à ignorer les injures et violences, et à résister aux pulsions de violence ou de fuite. Le combat s’engage réellement lorsque la première bataille est remportée : au bout de quelques semaines les étudiants se font arrêtés massivement. Dès lors, les rangs résistants grossissent, bénéficiant d’un appui croissant de la communauté noire, les conférences se multiplient, le mouvement dépasse largement Nashville. Avec l’instauration d’un boycott économique en parallèle, il s’amplifie encore. Cette nouvelle stratégie permet à chacun de devenir acteur de la lutte qui devient une réalité quotidienne. Quelques mois après le début des actions, le maire de Nashville reconnaît publiquement que la ségrégation raciale est effectivement une injustice. Suite à cette déclaration, elle s’érodera peu à peu dans les institutions publiques, les grands magasins, les théâtres, les transports publics, etc.

Les enseignements de ces événements – nécessité d’une préparation minutieuse pour mener une vraie « guerre non violente » , ne compter que sur ses propres forces, ses capacités intellectuelles et spirituelles, comment organiser une communauté, comment utiliser les media – seront diffusés jusqu’à la fin des années 60 dans tous les Etats-Unis – et bien au-delà.

Pologne - Années 80

Le troisième épisode du film illustre l’échec du pouvoir oppressif polonais face à la mobilisation d’un peuple et à sa volonté de liberté. Le mouvement de grève du chantier naval Lénine à Gdansk, suivi par une répression brutale en décembre 1970, reste marqué dans la mémoire de Lech Walesa. Cet électricien, activiste syndical, est à nouveau sur le champs de bataille. Cette fois, il prépare la lutte, et l’inscrit dans la non violence.

Lorsque une augmentation des prix et des licenciements sont annoncés l’été 1980, Lech Walesa lance un appel à la grève. L’objectif est d’obtenir le droit de s’organiser en syndicats libres et indépendants. Le comité de grève Solidarnosk (Solidarité) est créé et organise l’occupation du chantier naval. S’assurant que les communications avec l’extérieur sont établies, les ouvriers y resteront cantonnés tout au long de la lutte pour éviter toute provocation. Et Lech Walesa, déterminé, garantit qu’il sera le dernier à en sortir. En quelques jours, malgré les tentatives du Parti de saper le mouvement, il prend de l’ampleur. L’avis de grève est généralisé et touche tout le pays, le soutien massif de la population donne courage et énergie. Dès la deuxième semaine, un véritable gouvernement parallèle fonctionne au sein du chantier. Lors des pourparlers avec le vice premier ministre, L. Walesa ignore les pressions et reste intransigeant. Il a le temps. Après deux semaines de négociations et de vie industrielle ralentie, le gouvernement cède enfin. Là encore, Lech Walesa, en fin stratège, sait que cela ne constitue qu’une première étape. Le vrai combat débute ici, avec la nécessité de devenir rapidement assez puissant pour défier la suprématie du Parti Communiste. Il visite l’ensemble du pays, et en 4 mois Solidarnosk compte plus de 10 000 membres. Mais la démocratie et la transparence du mouvement le rendent fragile face au régime dictatorial : en décembre 1981, le syndicat est interdit, ses dirigeants arrêtés, une loi martiale est promulguée. Ce n’est néanmoins pas la mort de la résistance. Elle continue au contraire, clandestine et nébuleuse, empêchant tout contrôle. Le régime n’est plus du tout soutenu, son pouvoir s’érode. Il entame son déclin en 1988 lorsque de nouvelles grèves éclatent. Solidarnosk est à nouveau autorisé, et en 1989 le processus de démocratisation est entamé. Le 4 juin 1989, le parti d’opposition renverse le Parti Communiste lors des premières élections démocratiques depuis 60 ans.

Le succès de ce mouvement peut se résumer en quelques mots clefs : stratégie, organisation, préparation et détermination. Les mouvements menés par Gandhi et Martin Luther King, alors connus, inspirent l’opposition polonaise. Les résistances civiles non violentes continuent à montrer leur efficacité et à déséquilibrer des pouvoirs illégitimes.

Afrique du Sud – 1985

Le quatrième épisode du film s’attarde dans la Province du Cap Est, à Port Elizabeth, en mai 1985, à une période où la nouvelle génération noire s’organise et cherche de nouvelles solutions à la violence des soulèvements qui ne donnent pas de résultats satisfaisants. Il règne effectivement depuis plusieurs années une ségrégation raciale intense et violente en Afrique du Sud. A titre d’exemple on ne peut plus révélateur, on compte chaque semaine plusieurs jeunes gens noirs tués par la police dans les townships, et la seule manifestation publique qui y soit autorisée est le défilé funéraire hebdomadaire ! …

Ce mouvement prend naissance sous l’impulsion de Mkhuseli Jack qui prône le boycott économique comme moyen de pression et de sensibilisation de la communauté blanche. Les noirs refusent d’aller dans les magasins blancs. La mobilisation est si importante que cette arme s’avère efficace dès les premiers jours, faisant entrer le pays dans une véritable crise. Les magasins ferment, et la répression y répond. Cet état de faits permet à la communauté noire de prendre conscience d’une part de l’injustice dont ils sont victimes, d’autre part de sa propre puissance face au tyran, le gouvernement. Un an plus tard, malgré quelques dérapages violents de la population, vite rappelée à l’ordre par Desmond Tutu, le succès est palpable. Les hommes d’affaire blancs se sont ralliés peu à peu à la cause, la communauté internationale est sensibilisée et applique des sanctions économiques à l’Afrique du Sud. Mais surtout, le pouvoir du président Botha a perdu de sa légitimité, contrairement à celui des organisations sociales des townships. Finalement, Botha démissionne. Il est remplacé par F. W. Declerk qui condamne officiellement l’apartheid et libère Nelson Mandela, symbole de la résistance de la communauté noire. En 1993, ils reçoivent conjointement le Prix Nobel de la Paix à Oslo, et en avril 1994, Nelson Mandela est élu président de la république d’Afrique du Sud.

Alors que la violence des précédentes révoltes est un prétexte tout trouvé pour appliquer des sanctions brutales et raffermir son pouvoir, le mouvement de résistance non violente déstabilise le gouvernement de Botha. 10 ans plus tard, le plus grand symbole de la lutte contre l’apartheid le remplace à la tête du gouvernement sud-africain.

Danemark – 1940

La non collaboration du peuple danois à l’occupation allemande de 1940 à 1944 est le deuxième exemple de lutte contre la présence étrangère. En avril 1940, le pays, déclaré neutre dès le début des affrontements de la Seconde Guerre Mondiale, est envahi par l’armée nazie. Le gouvernement n’oppose aucune résistance, préférant la vie à l’honneur, la sauvegarde de l’autonomie à la lutte inespérée étant donné le déséquilibre des forces militaires. La population fait mine de coopérer pendant trois ans. Mais sa colère et son indignation grandit progressivement, en témoigne la multiplication des actes de résistance encouragés par les défaites allemandes communiquées par les media devenus illégaux. Face à cette opposition croissante, l’Allemagne pose un ultimatum au gouvernement danois en août 1943, obligeant ce dernier à instaurer un couvre-feu et à exécuter les saboteurs. Dans l’impossibilité d’accepter, le président démissionne, le Parlement est dissout, et l’Allemagne prend possession du pays, imposant ses propres règlements.

Dès lors, deux camps bien distincts se font face : le pays occupé contre l’ennemi. La coopération n’est plus du tout envisageable et fait place à la désobéissance de masse. Un Conseil pour la liberté se crée, qui établit un plan de résistance. L’objectif est de toucher la production destinée à l’occupant en entravant le fonctionnement des usines et des transports. Malgré des représailles grandissantes et féroces, les explosions continuent, suivies de manifestations, enfin de grèves qui s’avèrent constituer l’arme la plus efficace : à partir d’un certain seuil, les ouvriers danois, en dépit de leur rébellion, restent plus utiles vivants que morts…

Ainsi, la résistance non violente des Danois a non seulement épargné nombre de vies, mais a aussi aidé les Alliés de manière probablement plus efficace que si l’armée nationale était intervenue, tout en sauvant le pays.

Chili - 1983

La terreur règne depuis dix ans au Chili. Personne n’ose dénoncer ouvertement la dictature d’Augusto Pinochet illégitimement acquise aux dépends d’Allende. Une paranoïa règne dans tous les secteurs de la société chilienne que la peur permet de contrôler. C’est dans ce contexte que commence le sixième et dernier épisode. Il s’achève dans l’euphorie d’une nouvelle victoire du peuple.

Une grave crise économique touche le pays, et les premiers signes de contestation apparaissent. Un mouvement débute dans les mines de cuivre andines, d’où Rodolfo Segueles, président du Congrès National du Travail, lance un appel à la grève générale. Mais une semaine avant la date prévue, les troupes gouvernementales encerclent les mines. Pour éviter un nouveau bain de sang, le plan change. Une fête nationale de protestation est proclamée et organisée en quelques jours. Cet événement est un succès : il crée complicité et solidarité au sein d’une société murée dans son isolement depuis une décennie. Pendant plusieurs mois, cette manifestation strictement non violente est reconduite, créant la confusion du régime qui s’attend à une prise d’armes. La répression brutale n’a aucun effet, les Chiliens commencent à croire à un vrai changement.

En août 1983, le dialogue entre le gouvernement et la population est coupé court par une pression renforcée sur le dictateur à qui l’on demande de démissionner. Mais une brèche politique s’est ouverte et le peuple ne se laissera pas faire. Fin novembre 1985, le plus grand rassemblement politique de l’histoire chilienne regroupe plus d’un demi million de personnes sous la bannière de l’entente nationale pour la transition vers la démocratie non violente. Parallèlement, des mouvements violents supportés par des marxistes éclatent. Ils donnent le prétexte à Pinochet d’accentuer la répression courant 1986, mais permettent aussi de se concentrer sur la vraie question : n’y a-t-il pas de solution moins coûteuse en vies ? Une occasion est donnée à l’opposition non violente lorsque Pinochet, selon les termes de la Constitution, organise un plébiscite en 1988. Il doit déterminer si oui ou non il reste au pouvoir pour huit ans de plus. La campagne pour le non s’organise, des milliers de volontaires sillonnent les campagnes pour sensibiliser la population. Les spots publicitaires s’attachent à montrer une image positive de l’avenir, plein de joie et d’espoir, sans haine ni rancoeur, tout en nommant clairement torture et pauvreté. Les téléspectateurs prennent confiance, et le 5 octobre 1988, le « non » l’emporte. Une liesse immense explose dans tout le pays.

Dans cet événement, les 7 millions de Chiliens ont été acteurs, ils ont remporté la victoire tous ensemble, sans dirigeant établi, sans guérilla sanglante, sans haine.

Commentaire

Ce film démontre que les luttes civiles non violentes ont une véritable efficacité. Dès lors que les failles du pouvoir illégitime sont attaquées de manière systématique, il s’effondre tôt ou tard.

Les mouvements ne se font jamais sans difficulté. Les résistants sont en ce sens de véritables combattants et doivent endurer des moments de souffrance et de peur. Mais comme dans toute lutte, il leur faut les dépasser pour obtenir la victoire. La plupart du temps, la première bataille est gagnée lorsque les résistants réussissent à créer une large cohésion, et donc à renverser les rapports de force. Le pouvoir passe des mains de l’oppresseur à la société. Car l’autorité ne s’exerce que grâce à l’obéissance des sujets. Le film illustre une fois de plus la remarque d’Etienne de La Boétie en 1548 : « si on ne donne rien aux tyrans, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper un coup, ils se retrouvent tout nus et défaits, incapables d’aller plus loin, tout comme la racine privée de terre ou de nourriture laisse dépérir et mourir la branche » (cité par Gene Sharp, in La guerre civilisée, La défense par actions civiles, 1995).

Le film a par ailleurs l’avantage de présenter diverses situations, donc différentes possibilités d’atteindre ses objectifs. La résistance civile non violente est riche en solutions, existantes et potentielles. Il est essentiel de révéler plus entièrement cette capacité, à travers des recherches, des analyses, une diffusion accrue des expériences et connaissances, pour obtenir toujours plus d’efficacité.

Notes

Type de document : Vidéo. 3 cassettes VHS de 52 minutes chacune, 2 épisodes de 25 minutes par cassette.