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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, mai 2007

L’eau, enjeu géopolitique et national majeur au Soudan

Les réformes institutionnelles menées par le régime de Numéiri et ceux qui l’ont suivi à travers la question de la gestion de l’eau sont justifiées par le caractère exemplaire que celle-ci revêt du fait de ses implications aux niveaux international, national et local.

Mots clefs : Géopolitique et paix | Exploitation durable et responsable de l'eau | Partage équitable de l'eau | Travailler en Alliance | Traité de Paix | L'infrastructure au service de la paix | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Actions de coopération politique locale pour la paix | Banque Mondiale | PNUD | Soudan | Egypte | Ethiopie | Le Nil

Réf. : Micaël Nègre : {« ONG et autoritarisme au Soudan :l’eau en question »}, Collection 15/20, CEDEJ, Le Caire, 2004.

Type de document :  Ouvrage

Sur le plan international, l’eau est un enjeu géopolitique majeur. Le partage du Nil entre le Soudan et les autres pays riverains a été une cause périodique de tensions. Dès l’indépendance du pays, en 1956, les Soudanais réclament une renégociation de l’accord passé en 1929 avec l’Egypte, alors colonie britannique. Négocié à l’époque du condominium anglo- égyptien et largement favorable au Caire, l’accord prévoyait de partager le débit annuel du Nil, estimé à 84 milliards de m3 (km3/an), à hauteur de 48km3/an pour l’Egypte, 4km3/an pour le Soudan, les 32km3/an restants allant à la mer Méditerranée. Trois décennies plus tard, le rejet soudanais et la nécessité pour l’Egypte de mener à bien le projet du haut barrage d’Assouan ouvrent la voie à un nouveau traité en 1959, par lequel l’Egypte voit sa part passer à 55,5 km3/an et le Soudan la sienne à 18,5 km3/an. Les deux pays se partagent donc la majeure partie des ressources et s’entendent sur leurs grands projets de développement hydraulique respectifs.

Mais, les deux traités ne réduisent pas la tension régionale autour du Nil. Excluant les autres pays riverains en amont du fleuve, ils entraînent des tensions notamment avec l’Ethiopie qui projette la construction d’un barrage sur le Nil Bleu. En outre, les grands projets hydrauliques soudanais, rendus possibles grâce au partage de 1959, et notamment celui du canal de Jonglei dans le Sud, sont mal acceptés par les gens du Sud qui y voient une politique de domination au profit du Nord : en effet, en asséchant les marais, zone refuge des rebelles, le canal aurait offert une voie de pénétration à l’armée soudanaise pour mater la résistance des rebelles sudistes.

Facteur de tension, l’eau peut également être envisagée comme un baume et un facteur d’apaisement régional. C’est en tout cas le parti pris par les pays riverains à travers l’Initiative du bassin du Nil dont l’objectif est de calmer les tensions régionales en initiant une collaboration autour de la problématique eau. De telles initiatives permettent en outre de décrocher des aides au développement. Ainsi, la Banque Mondiale, qui se refuse à accorder des prêts au Soudan, y est quand même impliquée par le biais de cette Initiative. Par ailleurs, le PNUD s’engage financièrement dans le cadre de la mise en œuvre de l’Agenda 21 sur le développement durable.

Enjeu géopolitique majeur et vecteur de l’aide internationale, la gestion des ressources en eau constitue naturellement pour le Soudan une question d’intérêt national. L’enjeu est d’autant plus important que le pays est confronté au double défi :

  • D’assurer l’approvisionnement en eau du secteur agricole - qui représente à l’heure actuelle 40 % du PIB et qui monopolise 70 % de l’eau tirée du Nil -.

  • De développer les infrastructures qui assureraient aux populations rurales et urbaines une distribution adéquate satisfaisant leurs besoins.

Commentaire

Le traité de 1959, signé grâce au charisme du Président Gamal Abdenasser et à la présence dans son équipe gouvernementale du très respecté Général Naguib, d’origine soudanaise, a permis d’établir une collaboration pacifique apaisée autour du Nil des deux voisins, situées en dernier sur le cours du fleuve, avant son arrivée en Méditerranée. Il n’en demeure pas moins vrai que cette collaboration a été mal acceptée par les pays d’amont qui y ont vu une sorte de conspiration de deux pays musulmans contre les autres pays chrétiens ou animistes. L’Initiative du Bassin du Nil a levé cette hypothèque et en instituant l’organisation de l’Endugu (coopération en swahili), le Caire a montré sa bonne foi et ses excellentes dispositions vis-à-vis des autres pays nilotiques. On a là un bel exemple gagnant - gagnant car cette entente a permis d’obtenir les indispensables prêts des organismes financiers internationaux.

S’agissant du Soudan et plus précisément du trop fameux canal de Jonglei, on notera que c’est un « éléphant blanc », un énorme projet qui n’a jamais été achevé - et qui n’a donc pas tenu ses promesses vis-à-vis des populations - bien qu’ayant englouti des sommes faramineuses pour la mise au point notamment d’une excavatrice géante de fabrication allemande auparavant utilisée aussi au Pakistan pour creuser les canaux d’irrigation. Il a surtout concentré les ressentiments des habitants du Sud qui y ont vu une dépossession et la marque de la domination « arabe » du pouvoir central de Khartoum. Pour ne rien dire des dégâts environnementaux qu’il a engendrés !

Manipulation de la Nature, calculs politiques et rejets ethniques s’expriment ainsi à travers la gestion de l’eau, facteur de guerre mais aussi facteur de collaboration et d’entraide – et, au final, de paix - comme le prouvent les traités de 1959 et celui de l’Endugu.