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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, mars 2008

Entretien avec M. Larbi BOUGUERRA

Propos recueillis par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).

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Irenees :

Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

Larbi Bouguerra :

Je suis Larbi BOUGUERRA né en 1936 à Bizerte en Tunisie. J’ai appris à lire et à écrire à l’école coranique de mon quartier à l’époque où mon pays était un protectorat français. Je me suis mis au français à l’âge de huit-neuf ans. J’ai suivi des études supérieures en Tunisie, en France et aux Etats Unis. Après avoir beaucoup hésité entre la géographie, la psychopédagogie et la physico-chimie, j’ai fini par soutenir une thèse d’Etat ès sciences physiques à la Sorbonne, en 1967. J’ai mené une carrière d’enseignant–chercheur des deux côtés de la Méditerranée. J’ai beaucoup écrit aussi sur les questions d’environnement, les retombées de la science dans les pays du Sud…car ma vie est régie par un dicton arabe qui affirme : « Maudite soit la Science qui n’est pas utile aux hommes ».

Irenees :

Quelles ont été les principales raisons de votre engagement pour la paix ?

Larbi Bouguerra :

Je suis né dans une période troublée et dans une ville où la présence militaire était très forte. Notre ville a été bombardée et nous avions dû la fuir à plusieurs reprises alors que j’avais à peine dix ans. Des voisins, des proches sont revenus mutilés et traumatisés de la 2ème Guerre Mondiale. La guerre en Palestine et son occupation par les sionistes en 1947 a eu un énorme impact sur mon pays et ma famille.

Tout ceci me conduit à militer et à lutter pour la paix ayant connu de près, à un âge précoce, les souffrances et les ravages de la guerre.

Irenees :

En tant qu’enseignant-chercheur, quelle importance accordez-vous à l’analyse, à la recherche ainsi qu’à l’élaboration de ressources pour la compréhension des conflits et la construction de la paix ?

Larbi Bouguerra :

Il s’agit là d’une question clé. Pour convaincre de la nécessité de la paix, il est fondamental de renvoyer à des ressources, de démontrer pour convaincre et de produire des preuves à travers la documentation. Faute de quoi, on risque d’être taxé de pur propagandiste ou d’idéologue.

Irenees :

L’eau est devenue une question politique et géostratégique majeure : comment parvenir à une meilleure gouvernance de cette ressource vitale ?

Larbi Bouguerra :

Une meilleure gouvernance de l’eau suppose un dépassement de l’Etat-Nation car les bassins versants et le cycle hydraulique global ignorent les misérables frontières politiques tracées par les hommes.

Irenees :

Comment, selon vous, affronter la complexité et la gravité des problèmes posés par la pénurie d’eau ?

Larbi Bouguerra :

Affronter la complexité et la gravité des problèmes posés par la raréfaction de l’eau, suppose une gouvernance globale de cette ressource ainsi qu’une solidarité accrue entre les hommes. Souvent, il n’y a pas de rareté physique de l’eau mais il y a un manque de moyens techniques et financiers. Il y a de l’eau au Nevada qui est en plein désert et l’on manque d’eau en Ethiopie où le Nil Blanc (80 % de l’eau du Nil) prend sa source. Avec les perturbations que le changement climatique induit sur la ressource, avec l’avancée du désert, des lendemains très sombres nous attendent car l’eau est indispensable pour l’agriculture (donc la production des aliments), pour l’économie, pour la production d’énergie…. Déjà il y a des réfugiés de l’environnement. Les vagues d’immigration illégale qui déferlent déjà sur l’Italie, les Canaries, Malte…. ne pourront être jugulées par des forces armées. La solidarité, la justice, la coopération, la démocratie sont les armes les plus sûres, à mon humble avis, pour améliorer, à cet égard, les choses.

Irenees :

Que pensez-vous des techniques traditionnelles de gestion de l’eau ?

Larbi Bouguerra :

Je respecte et j’admire les techniques traditionnelles de gestion de l’eau qui nous ont, par exemple au Maghreb, transmis les oasis en plein Sahara. Elles recèlent un fantastique potentiel car elles sont nées de l’observation de la Nature, du bon sens et d’un empirisme auquel la durée a donné ses lettres de noblesse. Il n’en demeure pas moins vrai, qu’il est nécessaire de les valider par la science moderne.

Irenees :

Au-delà des conflits que la pénurie d’eau peut entraîner, ne pensez-vous pas que l’eau puisse jouer également un rôle fédérateur et favoriser notamment la coopération régionale par exemple ?

Larbi Bouguerra :

Il est parfaitement vrai que l’eau peut jouer un rôle fédérateur et favoriser la coopération régionale une fois que les calculs bassement politiques ou égoïstes sont mis de côté. Les exemples ne manquent pas : le Rhin, le lac Léman, les détroits du Bosphore, le Tage, les Grands Lacs nord-américains et dans une moindre mesure le Mékong voire le Nil…

Irenees :

Quel est, selon vous, le principal défi à relever pour prévenir la « soif globale » ?

Larbi Bouguerra :

Je ne sais s’il y a un risque de soif globale. Il y a des pays de la soif, oui, comme la Palestine, la Somalie… car il y a la guerre, l’occupation, la discrimination… Avec des moyens et la volonté politique, ce risque peut et doit être écarté.

Irenees :

Quelle stratégie mettre en œuvre pour généraliser la gestion pacifique des bassins versants entre Etats (à l’image de l’Europe avec le Rhin, le Rhône, le Danube…) ?

Larbi Bouguerra :

La gestion pacifique des bassins versants doit éliminer la peur de l’Autre et doit lui tendre la main. Elle doit cultiver les valeurs de justice et de l’éthique. Elle doit intégrer une notion fondamentale : l’eau est un bien commun de l’Humanité.

Irenees :

D’après vous, quelles conséquences de la raréfaction de l’eau sont à prévoir dans le domaine de l’agriculture ? Comment faire face à une désertification des terres agricoles dans certains pays ?

Larbi Bouguerra :

La raréfaction de l’eau vient de la compétition entre l’industrie, l’agriculture, le tourisme…. L’agriculture doit apprendre à mieux gérer la ressource : plantes moins gourmandes en eau, irrigation raisonnée et goutte-à-goutte… Faute de quoi, famines, exodes, troubles sociaux nous guettent. La désertification qui frappe certaines régions a pour cause essentielle le dénuement et la pauvreté. Elle est principalement due à la déforestation pour le bois de chauffe (Haïti, Niger, Mali…). La généralisation des fours et des fourneaux solaires pourrait facilement atténuer fortement ce phénomène comme le prouve l’exemple de l’Inde.

Irenees :

De façon générale, quelles pourraient être les conséquences du réchauffement climatique sur les populations et l’environnement puis, de façon indirecte, sur l’émergence de nouveaux conflits ?

Larbi Bouguerra :

Les conséquences du réchauffement climatique seront essentiellement des déplacements importants de populations et des risques de confrontations. Elles peuvent aussi provoquer une production amoindrie d’énergie électrique, des inondations, une élévation des niveaux de la mer avec les conséquences que l’on peut deviner : conflits de toute sorte pour la terre, les droits de pêche…

Irenees :

Comment intervenir efficacement en faveur d’un accès équitable à l’eau ? Car comme l’indique le Rapport du PNUD de 2006 « l’accès à l’eau demeure une question de vie et de mort et commande, en conséquence, la guerre et la paix sur notre planète. »

Larbi Bouguerra :

Il faut appliquer résolument ce qui a été décidé à Johannesburg : les Objectifs du Millénaire et donner eau potable et assainissement à ceux qui en sont dépourvues aujourd’hui. Solidarité, coopération et volonté politique sont les pré-requis. Il y a aussi des progrès : d’après les statistiques onusiennes entre 1990-2000, cinq pays ont amélioré les choses s’agissant de ces objectifs : Bangladesh, Comores, Guatemala, Iran et Sri Lanka. Mais, il y a encore beaucoup à faire : les pays riches veulent revoir à la baisse leur contribution aux Objectifs et leur porte-paroles affirment que ces Objectifs sont irréalistes et irréalisables. Ce qui est honteux ! Certains pays comme l’Inde, le Pakistan ont la bombe atomique mais l’eau tue les populations, car contaminée : absence de volonté politique. Même constat en Egypte où l’Etat se désintéresse de cette problématique trop terre-à-terre !

Irenees :

L’eau serait-elle, selon vous, plus meurtrière que la guerre ? Si oui, pouvez-vous nous expliquer dans quelle mesure ?

Larbi Bouguerra :

L’eau est très meurtrière quand elle fait défaut car elle dépouille l’être humain de ce qu’il a de plus précieux : sa dignité. Quand elle est contaminée, elle tue. Quand elle est mal gérée, elle tue car elle va accueillir les vecteurs des maladies les plus graves : malaria, typhoïde, bilharziose, maladie de Chagas, poliomyélite…. elle peut provoquer des dégâts via les inondations et emporter des millions de vies.

Irenees :

Qu’est ce que la paix pour vous ?

Larbi Bouguerra :

La paix peut être définie comme le contraire de la guerre que j’ai vécue étant enfant et dont je porte encore les stigmates. Miguel Angel Asturias écrivait : « Il n’est paix qui ne repose sur les boucliers, les têtes et les corps sans tête de l’ennemi. » Aujourd’hui, je voudrais militer et m’engager pour « une culture de paix. » Qu’est-ce à dire ?

Je reprends les termes de Frederico Mayor, directeur général de l’UNESCO : « Une culture de la convivialité et du partage, fondée sur les principes de liberté, de justice, de démocratie, de tolérance et de solidarité. Une culture qui rejette la violence, s’attache à prévenir les conflits à leurs sources et à résoudre les problèmes par la voie du dialogue et de la négociation. Une culture qui assure à tous, le plein exercice de tous les droits et moyens de participer pleinement au développement endogène de la société. »

Mais je ne me fais pas d’illusions connaissant l’égoïsme et la vanité de certains, je sais que « la paix n’est pas comparable à un objet précieux qui nous appartient. Il faut toujours la conquérir », disait Nordahl Grieg.

C’est pourquoi je milite, je m’engage et je m’implique dans cette exaltante aventure.