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Experience file Dossier : Dossier Colombie

, Grenoble, France, February 2006

Les communautés indigènes du Choco : une résistance fondée sur la défense de l’identité culturelle et de l’autonomie

La solidarité et l’organisation communautaire contre les armes

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Dans le département du Chocó, les communautés indigènes se sont organisées depuis les années 80 pour défendre leurs droits. Le travail de ces organisations de base a joué un grand rôle dans la reconnaissance des indigènes comme minorité ethnique par la nation colombienne et dans le passage d’une politique discriminante à une reconnaissance des peuples indigènes. Comme témoigne un leader indigène à Quibdo : « Avant que nous nous organisions, l’Etat ne nous reconnaissait pas en tant que population ». La lutte pour la titularisation des terres a permis à cette minorité ethnique d’être reconnue en tant que telle. Si les « resguardos » sont reconnus depuis le temps de la colonie, la loi 21 de la Constitution colombienne de 1991 reconnaît l’existence légale de ces «réserves indigènes » . Malgré cette législation, les communautés doivent faire appliquer les lois que les gouvernements sont peu enclins à le faire : ils considèrent ces lois comme un « privilège » . Or ce n’est pas un privilège, c’est un droit à la différence. Au niveau des instances représentatives, deux députés indigènes siègent au Sénat et un à la Chambre des députés

Les organisations telles que l’OREWA - Asociacion de Cabildeos Indígnas Embera, Wounaam, Katio, Chami y Tule del Departamento del Choco - ont joué un rôle très important dans ce processus de reconnaissance à l’échelle nationale.

L’OREWA est l’Organisation Régionale qui rassemble les « Cabildos Mayores » de tout le Choco. Elle représente 50 000 indigènes, 5 ethnies (Embera, Katio, Woonam, Tule et Chami), 248 communautés et 22 cabildos mayores. Il existe aujourd’hui 202 « resguardos » légalement constitués. Créée en 1979, ses revendications tournent autour de trois thèmes : le territoire ; l’autonomie ; la culture.

Dans le Bas Atrato, CAMICAD– Cabildo Mayor indigena de Carmen del Darien-, créée en 2003, représente sept communautés indigènes de la municipalité de Carmen del Darien tandis que CAMIZBA - Cabildos Mayores Indígenas de la Zona del Bajo Atrato - administre 19 communautés de la municipalité de Riosucio. CAMIZBA est née en 1986, des besoins qu’avaient les indigènes de mettre en œuvre avec l’Etat la démarcation de leurs territoires collectifs.

Une longue tradition de résistance

Très vulnérables, isolées géographiquement – elles sont installées en amont des fleuves – les communautés indigènes s’organisent face au conflit armé et résistent à la pression armée. Au cours de toutes les périodes de violence qui ont touché le Bas Atrato, elles se sont peu déplacées, à la différence des communautés afrocolombiennes. Les indigènes, si ils sont contraints de se déplacer, se déplacent à l’intérieur de leur propre territoire collectif. Cette force s’explique en partie par la longue tradition de résistance des communautés indigènes, du fait même de leur histoire. En fait, la résistance indigène a toujours existé, qu’elle soit armée, politique ou spirituelle ; et ce au cours de quatre phases historiques : contre la colonisation européenne, pour l’indépendance, à l’occasion de l’appropriation des terres indigènes par les propriétaires terriens colombiens, dans le cadre du conflit armé que connaît le pays actuellement.

D’ailleurs, plutôt que de parler de résistance, les leaders de l’OREWA préfèrent parler d’autonomie : autonomie par rapport aux acteurs armés, autonomie par rapport à un modlèle de développement, droit à administrer leur propre territoire selon leur coutume, droit à la souveraineté alimentaire etc. La résistance va bien au-delà de la résistance contre la guerre ; c’est une vision ample sous-tendue par une vision du monde.

Une forte cohésion communautaire

La cohésion à l’intérieur de la communauté explique également l’efficacité de cette résistance. En effet, l’union de la communauté est primordiale pour résister. Dans une communauté divisée, tout le monde donne des ordres et est soumis aux pressions extérieures. Pour se faire respecter, l’unité compte beaucoup. L’enjeu, face à l’Etat, est de faire reconnaître les “cabildos” – autorité administrant la réserve indigène - comme l’autorité légitime.

Les communautés indigènes sont organisées autour de règles fortes, portées par le gouverneur et l’aguacil (personne chargée de la discipline). La loi interdit notamment aux membres des communautés de faire partie d’aucun groupe armé. Des individus peuvent être soumis à des sanctions très dures s’ils ont tenté de s’engager dans les goupres paramilitaires ou guérilleros. Ils sont alors condamnés au cepo. Le « cepo » est un carcan de bois qui immobilise les deux pieds et l’individu concerné au centre du village pour une durée variable en fonction des fautes commises : une punition de 3 jours de « cepo » plus 3 jours de travail au profit de la communauté pour avoir regardé une femme avec un peu trop d’insistance ; 6 mois pour avoir blessé quelqu’un avec une arme.

L’organisation interethnique

Les communautés indigènes travaillent en partenariat avec les organisations afro-colombiennes, notamment en ce qui concerne la délimitation des territoires collectifs. Des actions de plaidoyer sont également menées en commun entre ASCOBA et CAMICAD.

Depuis sept ans, les organisations se regroupent au sein du Forum Interethnique de Solidarité Chocó, espace de concertation de 44 organisations indigènes, afrocolombiennes et métisses du Chocó. Les thèmes de travail sont les suivants :

  • Le territoire : protection du territoire, titularisation, mise en place de plans d’ethnodéveloppement ;

  • Les Droits de l’Homme et le Droit International Humanitaire ;

  • Les mégaprojets et leur impact sur le territoire ;

  • Les relations avec des organisations nationales et internationales

  • L’accord humanitaire à soumettre aux acteurs armés afin de trouver une solution au conflit vécu par le Choco et l’Atrato antioqueño.

Des communautés étouffées par le conflit armé

Les communautés indigènes souffrent de leur situation d’isolement. Prises en tenaille, elles subissent la pression exercée par les acteurs armés. La situation est très grave, tant au niveau alimentaire qu’au niveau de la santé. L’économie est mise à mal par la présence de groupes paramilitaires, qui empêche de cultiver les champs de maïs, de canne à sucre. Les relations avec les autres communautés sont distendues à cause du conflit armé et de la présence de mines antipersonnel. De plus, les communautés les plus éloignées souffrent d’un manque d’attention de la part des institutions.

A ces difficultés matérielles s’ajoute un malaise indentitaire. Selon des anthropologues, certaines ethnies sont véritablement en voie d’extinction. A cause du conflit armé, elles ne peuvent plus exercer leur activité vitale, la chasse. De plus ce peuple traverse une grave crise d’auto-estime liée à une crise d’identité et de culture face à la modernité. Les communautés de CAMIZBA ont été touchées par une vague de suicides collectifs, touchant jusqu’à des jeunes de 12 ans. Ces morts s’ajoutent aux assassinats causés par le conflit.