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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Gaël Bordet, Sénégal, Proche Orient, Paris, 2002

Les conflits pour l’eau en Espagne : l’exemple de l’Ebre, un bassin fluvial à la renverse ?

Une politique de grands travaux semble avoir permis aux populations concernées de se réapproprier « leur eau » qui devient ainsi un symbole politique et culturel, quasiment sacré…

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La péninsule ibérique est bien connue pour les sécheresses qui l’accablent régulièrement, notamment dans sa partie méridionale. Les conséquences sont souvent désastreuses, tant pour l’agriculture, secteur clé de l’économie de ces régions, qu’en ce qui concerne les relations, souvent conflictuelles, qu’entretiennent les autorités régionales avec l’Etat fédéral quant aux mesures à prendre pour une gestion optimale des ressources en eau.

Le 05 septembre 2000, le gouvernement fédéral espagnol a finalement rendu public le Plan Hydraulique National (PHN) en débat depuis plus d’une décennie. Cette planification de la gestion de l’eau, conçue de manière centralisatrice par un Etat qui s’impose comme « grand redistributeur », prévoit la construction de quelques 118 grands barrages mais aussi une dérivation des eaux de l’Ebre vers le Sud Est de l’Espagne. Bien entendu, un tel projet se heurte aux sensibilités socio-culturelles de régions qui aimeraient que leur autonomie administrative s’étende pleinement aux aménagements hydrauliques.

Ces tensions politiques sont d’autant plus exacerbées pour la maîtrise des eaux de l’Ebre que son bassin fluvial occupe une position centrale dans la planification projetée par le gouvernement espagnol, du fait non seulement de sa situation géographique, mais également en vertu de son importance économique.

L’Ebre prend sa source dans les Monts Cantabriques et traverse le pays jusqu’à son delta en Mer Méditerranée à proximité de l’île de Buda où il atteint un débit moyen de 614 mètres cubes par seconde. Le bassin hydrographique de ce fleuve recoupe ainsi plusieurs régions dans lesquelles l’expression de « l’identité culturelle » est particulièrement marquée, comme par exemple le Pays Basque ou la Catalogne.

Cette identité culturelle se manifeste politiquement par la défense systématique des Autonomies administratives telles que prévues par la Constitution de 1978. En vertu de ce régime des Autonomies, la Confédération Hydrographique de l’Ebre (qui dépend du gouvernement central mais gère officiellement en toute indépendance le bassin) a dû apprendre à composer avec les représentants des communautés autonomes, notamment en Catalogne où la concurrence est vive avec la Junta d’Aigües de Catalunya qui non seulement administre en toute indépendance les bassins internes à la Catalogne, mais de plus aimerait se mêler de la gestion du Bas Ebre…

Dans le cadre du Système Intégré d’Equilibre Hydrologique National (SIEHN), qui consiste à rééquilibrer le réseau hydrographique de la péninsule ibérique, les bassins jugés excédentaires – l’Ebre et le Duero – seront l’objet de dérivations et de transvasements destinés à subvenir aux besoins de bassins déficitaires comme le Jucar, le Segura et les bassins internes de Catalogne. Cette planification prévoit à terme la redistribution annuelle d’un milliard de mètres cubes d’eau, soit 430 millions pour la région de Murcie, 300 millions pour celle de Valence, 180 millions pour la Catalogne et enfin 90 millions pour la région d’Almeria.

Ces projets de transvasement ont soulevé dans tout le bassin de l’Ebre, mais surtout en Aragon et dans les Comarques catalanes du Bas Ebre, des contestations très vives. Les défenseurs de l’environnement craignent notamment la disparition du delta de l’Ebre, la deuxième grande réserve écologique du pays.

Le 8 octobre 2000, soit un mois à peine après l’annonce du PHN, 400.000 personnes ont ainsi manifesté dans les rues de Saragosse (650.000 habitants) contre cette planification nationale. Ce mouvement d’opposition d’une partie de la société civile espagnole a trouvé un écho auprès du Parlement Européen qui, le 9 octobre 2001, a « exprimé son inquiétude quant aux récentes séries de propositions de gestion non durable de l’eau en Europe, tel le PHN. espagnol (…) dont les propositions n’abordent pas la question d’un usage* et d’une gestion raisonnés de l’eau à travers des mécanismes de tarification ou d’autres moyens de sauvegarde de la ressource ».

Enfin, du 11 août au 9 septembre 2002, sur l’initiative du COAGRET (Coordinadora de Afectadas por Grandes Embalses y Trasvases), une Marche Bleue, soutenue par de nombreuses associations universitaires et des partis politiques, a été organisée depuis le delta de l’Ebre jusqu’à Bruxelles afin de manifester contre le financement du PHN par l’Union Européenne.

Commentaire

La planification hydrologique espagnole soulève plusieurs remarques.

  • La première concerne le rapport à l’eau :

Si la conception centralisatrice de l’Etat espagnol se justifie géographiquement parlant, elle devient une aberration tant économique que politique si l’on prend prioritairement en considération la question de l’adéquation ressources/usages*, c’est-à-dire si l’on s’intéresse aux actions à mener en faveur d’une meilleure utilisation des ressources disponibles.

L’Etat espagnol privilégie de manière évidente l’aspect quantitatif au détriment d’une réflexion sur un usage plus rationnel des ressources (sensibilisation, éducation, dépollution, rénovation des réseaux urbains, modernisation de l’irrigation*, etc.). Paradoxalement, cette politique de grands travaux semble avoir permis aux populations concernées de se réapproprier « leur eau » qui, dans l’opposition souvent radicale avec les planifications étatiques, devient ainsi un symbole politique et culturel, quasiment sacré…

Nous percevons ainsi à travers ce mouvement de la société civile espagnole à quel point les interactions entre les différents acteurs contribuent à construire une certaine définition de la situation : le conflit pour les eaux de l’Ebre est avant tout le prétexte d’une vaste mobilisation sociale à travers laquelle se manifestent des enjeux communautaires qui, le reste du temps, ne sont que latents.

  • Seconde remarque :

La seconde remarque, qui rejoint la première, est que l’eau, comme bien souvent, est un bon révélateur des tensions sociales, politiques, culturelles et économiques qui agitent une région, un territoire ou un pays, davantage encore que l’objet premier et unique de ces tensions. Ainsi, la question de l’eau en Catalogne révèle d’ailleurs une ligne de fracture souvent mésestimée : à l’intérieur même de la région catalane, les difficultés de gestion de l’eau recoupent des clivages sociaux entre le nord, industriel et culturellement traditionaliste, et les Comarques catalanes du sud, plus disparates et moins régionalistes.

Notes

  • Voir aussi la fiche d’expérience intitulée : « Le projet franco-espagnol d’aqueduc Languedoc-Roussillon-Catalogne : les enjeux sociaux, politiques et économiques d’un aménagement ambitieux ».

  • Voir également la fiche document intitulée : « Les conflits pour l’eau en Europe méditérranéenne ».